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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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5 août 2022

STEPHAN ZWEIG – ANGOISSES 1913

STEPHAN ZWEIG – ANGOISSES 1913 

 

Première parution sous le titre La Peur

 

 

Une histoire banale. Une aristocrate insouciante et légère comme une bulle de champagne devient par hasard, la maîtresse d’un musicien. Trompe-t-elle son mari? En fait, oui, mais sans aucune intention, ni même plaisir. Disons que l’ennui en est la cause et une vie mondaine qui met son couple à distance. Erik est absorbé par son travail d’avocat, il est un père aimant, un époux respectueux. Mais « le meilleur des mondes possibles » génère une insondable insatisfaction dont seul le divertissement peut détourner à condition d’être « toujours ivre ». C’est ce à quoi Irène Wagner dévolue sa vie où elle rencontre par hasard un inconsistant amant de passage.

Dès lors la situation devient un laboratoire expérimental grâce auquel Zweig va sonder les effets bouleversants de l’angoisse sur la vision du monde de l’héroïne qui va faire l’expérience de l’incertitude de l’inévitable.

Un beau jour, alors qu’elle quitte son amant, elle se heurte dans l’escalier à une femme vulgaire, arrogante qui accuse la riche aristocrate de s’être emparée de son homme, par jeu, par mépris, par insouciance. C’est une opposition de classes ou plutôt de mondes qui s’instaure. Que peut l’argent? Quelle mentalité construit-il? Donne-t-il tous les droits?...

Irène n’avait jamais songé à la portée de ses actes qui étaient comme autant de jeux sans conséquences. Du reste les mondanités lui tenaient lieu d’existence, sans qu’elle ait à se préoccuper ni de son mari, ni de ses enfants.

D’emblée l’angoisse l’envahit. Non pas une angoisse existentielle mais une crise d’angoisse et l‘on sait que la crisis est non seulement un moment difficile de remise en question et donc d’incertitude, mais aussi le temps d’une décision fondée sur un discernement  émergeant.

Or tel sera le long périple d’Irène dont l’anxiété atteindra le comble du supportable. Car l’angoisse n’a pas que des effets psychiques mais aussi physiques qui rappellent les cas de phobie et d’hystérie étudiés à l’époque. Son mari s’étonne de sa nervosité, elle est sans arrêt au bord de l’évanouissement, elle a du mal à respirer, elle alterne apathie et surexcitation par crainte de tout perdre si son mari apprend sa conduite.

A l’angoisse se joint la peur dont l’objet est bien réel, mais aussi le désespoir de la catastrophe, car la maitresse chanteuse est bien réelle. Elle apparait et disparait, insaisissable, fait chanter Irène, lui réclamant des sommes de plus en plus importantes. Elle peut surgir à tout moment. Pareille au destin elle est un inexorable indéterminé, porteuse du pire dont Irène ressent et attend le coup imminent.

Alors son imagination se met au travail et prend le relai de la réalité en l’extrapolant. Irène est tout entière, pensée, action, attention, aliénée à son angoisse. Elle ignore ses enfants, ne sort plus, son mari lui apparait comme un étranger. A la dérive elle est seule, sans aucun secours possible.

Pourtant son regard change sur sa vie, que sur le point de perdre, elle se met à apprécier ou plutôt à discerner, à juger. Quel choix a-t-elle fait jusqu’à présent? A-t-elle été authentique? Qui est-elle et même est-elle? Qui sont les êtres avec qui elle vit? Tout le sens de la crise est là.

Son mari, qu’elle se met à observer, de crainte qu’au vu de son changement d’attitude il ne la soupçonne, lui apparait comme un inconnu redoutable, voire un psychopathe de par son calme, sa pondération qui frise la froide observation du calculateur ou de celui qui se livre à une dissection. Mais en même temps elle apprécie son affection, sa présence, son intelligence et ce d’autant que sa propre vie lui apparait comme une vaine agitation auprès d’amis qui ne sont que des mannequins dont les qualités, comme les siennes, sont d’emprunt.

Mais l’angoisse loin de se calmer, croît, celle de l’héroïne et celle du lecteur aussi, au gré des manifestions de la maîtresse-chanteuse qui va jusqu’à s’introduire chez elle, mais aussi des questions insidieuses de son mari qui semble lui tendre la perche des aveux. 

Dès lors toutes les paroles  d’Erik semblent ambigües qu’il s’adresse à ses enfants en leur intimant de dire la vérité en toute confiance, ou qu’il relate à Irène le malaise d’un coupable qui souffre plus de se taire que d’avouer.

« Cette petite peur de parler je la trouve plus lamentable que n’importe quel crime ». S’adresse-t-il à elle ou bien interprète-t-elle ses paroles? Et de lui rétorquer que ce n’est pas la peur mais la honte qui enjoint la mutité.

Les sous-entendus de son époux deviennent si pressants que le lecteur se prend à penser que…

Et puis la maîtresse-chanteuse apparaît  une fois de plus pour exiger une somme si importante qu’Irène doit lui donner sa bague de fiançailles. Acte qui met fin à toutes les inquiétudes d’Irène car soudain elle prend une décision radicale qui lui fait accepter la réalité de sa situation : le suicide.

Aussi longtemps qu’elle pouvait espérer, l’angoisse la tenaillait mais une fois l’espoir disparu, c’est-à-dire l’attente d’un éventuel miracle, alors la certitude du désastre la soulage. De passive elle devient active, elle n’attend plus le pire, elle en décide, et c’est dans le risque de mort qu’elle éprouve et prouve sa liberté de choix.

Elle ne se bat plus comme « une abeille contre la vitre ». Néanmoins sa certitude de mourir la rendrait sereine si elle n’avait encore l’espoir d’y échapper en recherchant son maître chanteur qui a disparu, en sollicitant son ex-amant pour qu’il intervienne, mais rien n’aboutit et l’on est étonné de la stupéfaction de l’amant qui ignore tout de cette fictive maîtresse.

Irène, partagée entre l’angoisse et l’ennui, sollicitée par le désir et ne connaissant que le manque, elle organise méthodiquement sa fin, va à la pharmacie pour se procurer les médicaments ad hoc mais au moment de payer son mari lui saisit la main.

Ainsi est confirmé ce que l’on soupçonnait et que soupçonnait aussi Irène, le maître chanteur c’était lui, qui agissait par l’intermédiaire d’une comédienne payée à cet effet. Un abîme de questions s’ouvre : qui est Erik? Quel « ça » agit le « je »?  De quoi sommes-nous et voulons-nous être conscients? De quel terreau la société se tient-elle? Erik lui-même ne se reconnait pas car les conséquences de ses actes lui ont échappé. Ce qui se voulait un rappel de son devoir, une sollicitation à revenir à sa famille, la punition de l’enfant transgressif et menteur, et sans doute d’une façon maladroite et indirecte de lui faire comprendre qu’il l’aime, a déclenché chez Irène des réactions qu’il n’avait pas prévues : la frayeur insurmontable de son épouse et sa propre souffrance. Autrement dit l’un et l’autre ont enfin éprouvé des sentiments humains, voire trop humains. Baisers, caresses, contact de peau, larmes étourdissent Irène au point de s’évanouir et de se réveiller, après cet obscur passage, dans la clarté d’enfants riants.

« Au fond d’elle-même quelque chose faisait encore un peu mal, mais c’était une douleur prometteuse… comme brûlent les plaies avant de cicatriser à jamais ».

Mais sa vie et le monde qu’elle retrouve seront-ils pour autant exempts des mensonges sur lesquels ils sont bâtis? Veut-on jamais la vérité?

 

ANASTASIA CHOPPLEt

Conférencière et philosophe

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