Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Pages
Archives
2 janvier 2024

PETRARQUE - L’ASCENSION DU MONT VENTOUX

 

 
Ce minuscule ouvrage qui est en fait une très longue lettre adressée au père augustinien Dionigri dei Roberti en avril 1336 puis remanié en 1353, est à la fois un objet littéraire et philosophique qui en tant que tel annonce « Secretum meum » dialogue philosophique entre Pétrarque et Augustin qu’il rédigera entre 1342 et 1364.
Ce fut au cours de cette ascension sur la réalité de laquelle on s’interroge que l’auteur eut l’idée d’écrire les « Canzoniere ». C’est dire que cet arbre cache une forêt.
Le titre n’est pas anodin car il stipule qu’il s’agit d’une ascension certes physique mais spirituelle aussi, de sorte que ce n’est pas un hasard si Pétrarque écrit qu’il est « conduit par l’unique désir d’en voir la hauteur remarquable ». Il ne s’agit que d’une « envie » mais qui lui permettra tel Alexandre de Macédoine de « prendre de la hauteur ».
Pétrarque après moult hésitations sur le choix d’un compagnon optera pour son frère cadet et c’est accompagnée  de deux domestiques, que la caravane arrive à Malaucène. Car c’est bien d’une expédition qu’il s’agit pour vaincre « une masse de terre rocheuse escarpée et presqu’inaccessible » qui en réalité ne s’élève qu’à deux mille mètres et demande sept heures de marche pour effectuer vingt-trois kilomètres.
Durant l’ascension Pétrarque dit s’éloigner plusieurs fois de ses compagnons pour chercher d’autres voies plus faciles, mais en vain. Et tandis qu’ils approchent du  sommet, il erre « par les vallons sans qu’à un endroit ne s’ouvrît de passage plus doux ». Il recherche la facilité et ne rencontre que des difficultés accrues. Faut-il dans cette anecdote comprendre un sens figuré, celui de la vie de Pétrarque? Sans doute car s’étant assis « au creux d’un vallon », « sautant alternativement dans le vif de ma pensée des choses matérielles aux spirituelles je m‘en pris à moi-même », réfléchissant à la difficulté d’accès à la béatitude.
L’ascension du Mont Ventoux devient alors une allégorie, figure très en vogue au XVIème siècle supposant une dimension invisible du visible. Platon dans  l’allégorie de la caverne  en avait ouvert la voie, puis Xénophon, Cicéron (De officcis I, XXXII) lui avaient emboité le pas.
Chaque col devient la métaphore d’une vertu et la cime le souverain bien. A ce propos Plutarque citant Ovide émet une distinction entre vouloir et désirer qu’il reprendra dans « Mon Secret », « Vouloir c’est peu de chose ; il faut désirer pour atteindre son but », c’est-à-dire l’« inaccessible étoile ». On peut être étonné du crédit accordé au désir alors que celui-ci est générateur d’un manque incessant qui le fait condamner en tant que véhicule des passions impermanentes. Mais d’un autre côté le désir est le stimulant qui nous attire vers le « moteur immobile » qui nous meut sans lui-même se mouvoir. Or le Mont Ventoux est pareil à lui. Le désir serait ainsi le complément de la volonté qui certes s’avère une force déterminante mais à laquelle il faut un objet que lui fournit le désir.
Les chemins faciles, les vallons, deviennent les figures des plaisirs terrestres, permettant de différer l’ascension difficile du « sommet de la béatitude » au profit de l’engluement dans les péchés qui vaudront à leur auteur « une nuit sans fin dans de perpétuelles souffrances ».
La nature est propice à la réflexion sur la condition humaine et son propre chemin de vie.
En tout cas les difficultés physiques rencontrées induisent un doute lorsqu’on compare les capacités de l’âme et du corps, et cette ascension rappelle justement à Plutarque que celui-là a ses exigences et que nous n‘en pouvons faire abstraction, en quoi il est plus proche de la sensibilité romaine que chrétienne. Notre âme n’est point une pilote en un navire car à la différence de celui-là nous n’en pouvons descendre.
Lorsqu’il arrive au sommet Plutarque, pareil au voyageur du tableau de D. Casper Friedrich qui comme lui a « les nuées sous (ses) mes pieds » contemple non pas tant le paysage que les souvenirs de l’armée romaine franchissant les Alpes avec Hannibal à leur tête, et plus encore le temps parcouru depuis la fin de ses études à Bologne et le projet qu’il caresse d’une autobiographie qui retracera le cheminement de ses « turpitudes et des corruptions charnelles de son âme ». Mais cela requiert une confession qu’il a peine à faire et qu’il exprime par un changement radical de ton. Il hésite, il halète, se reprend, se condamne, ne pouvant se résoudre à haïr l’objet de son désir, à l‘instar de son guide Saint Augustin. En son âme se livre un combat à l’issue incertaine.
Du reste les « Confessions » ne le quittent jamais et l’ouvrant au hasard, il tombe sur le Livre X, coïncidant avec ce qu’il est en train de vivre. Il n’y a pas de hasard. « Je ne pouvais penser que c’était le fait du hasard ». « Ce que j’avais lu là haut avait été dit pour moi et pour un autre » comme il en fut pour Saint Augustin et Saint Paul.

« Confessions » - Saint Augustin

« Elle est grande cette puissance de la mémoire, excessivement grande, mon Dieu ! C’est un sanctuaire vaste et sans limite !… »
« Les hommes s’en vont admirer la hauteur des montagnes, les vagues géantes de la mer, les fleuves glissant en larges nappes d’eau, l’ample contour de l’océan, les révolutions astrales : et ils se laissent eux-mêmes de côté ! Ils n’admirent point ce fait que, en parlant de toutes ces choses, je ne les voyais pas des yeux ; et pourtant je n’en parlerai pas, si les montagnes, les vagues, les fleuves et les astres que j’ai vus, l’océan auquel j’ai ajouté foi, je ne les voyais à l’intérieur, dans ma mémoire, avec d’aussi vastes dimensions que si je les voyais à l’extérieur.
En les voyant cependant, je ne les ai pas absorbés, quand je les ai vus de mes yeux ; ce ne sont pas eux qui sont en moi, mais les images, et je sais ce qui s’est imprimé en moi, et par quel sens de mon corps. »

Pourtant même si Dieu se manifeste explicitement à lui, l’homme s’en détourne et feint de ne pas l’entendre jetant « l’opprobre sur ce que Dieu lui a donné pour son honneur ».
Durant la descente Plutarque émet des pensées qui sont autant d’exercices spirituels qu’il mêle à celles des Saints et des poètes enjoignant de « fouler aux pieds non pas une terre plus haute mais les désirs mus par nos pulsions terrestres dans l’espoir de se diriger vers l’unique Bien, vrai, certain, durable ».
Malaucène, le 26 avril

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 51 422
Publicité