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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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2 janvier 2024

PETRARQUE 1304 - 1374

CANZONIERE PREFACE

 

 

I – VIE ET OEUVRE

Pétrarque naquit à Arezzo en avril 1304 et passa son enfance aux portes de Florence avant que sa famille ne s’exilât à Marseille puis dans le Comtat Venaissin pour des raisons politiques liées aux positions de Dante dont le père de Pétrarque était l’ami.
Il fit ses études successivement à Carpentras où il étudia le trivium, grammaire, dialectique, rhétorique puis il fit son droit à Montpellier et Bologne où il rencontra la famille Colonna au service de laquelle il entre en 1325, en particulier du vieux Stefano qui fut un père de substitution alors qu’il était devenu orphelin.
De retour à Avignon en 1330, il anathématise la ville « l’enfer des vivants, l‘égout de la terre, la plus puante des villes, triste foyer de tous les vices » à cause des cardinaux qui y sévissent et qu’il traite de boucs.
Pourtant c’est là qu’il rencontra Laure, à l’église Sainte Claire d’Avignon. Laure de Noves, devenue de Sade par son mariage, avait dix-sept ans. Mythe ou réalité, Laure devint la muse, l’aimée « qui n‘avait rien de mortel », sublimée selon les règles de l’Amour Courtois. De Laure il nous reste les deux médaillons qu’en fit faire Pétrarque et ses vers à elle dédiés.

C’est lors de son ascension du Mont Ventoux, en partant de Malaucène que l’auteur eut l’inspiration d’écrire les Canzoniere. Cette ascension réelle ou fictive prit la dimension d’un cheminement spirituel escarpé menant au bien.
Autre volet de sa personnalité, Pétrarque fut un humaniste à l’instar de Pic de la Mirandole et de Marsile Ficin fondateur de l’Académie néo-platonicienne. Comme lui,  il avait l’ambition de « retrouver le très riche enseignement des auteurs classiques dans toutes les disciplines » liant passé et présent, héritage de la Rome antique et du christianisme, philosophie et foi.
Il créa un réseau culturel européen, invitant à retrouver des textes anciens tels ceux de Cicéron,  Quintilien, Tite-Live, Virgile. Les textes furent corrigés, restaurés, recopiés d’afin de les rendre accessibles.
A l’origine de ce projet il y a une nostalgie, celle de la grandeur perdue des temps anciens en ce présent corrompu, étranger à la perfection spirituelle que réalisent ensemble l’humanisme et le christianisme.
Mais ceci n’empêcha pas Pétrarque d’être un ardent  amoureux comme l’illustre son amour pour Laure précédemment évoquée. Néanmoins l’intérêt de ses amours consiste dans les vers qu’elles suscitèrent chez le poète alors qu’il séjournait à Sorgue à la Fontaine de Vaucluse. Il décida de s’y installer comme il le relate dan son « Epitre à la postérité ».
Il y fait des séjours de 1338 à 1353, à tel point qu’il décrit le lieu comme « le centre de sa vie émotive et intellectuelle ». Il y devient l’ami de Philippe de Cabassolle évêque de Cavaillon.
L’endroit, la Vallis Clausa, comble ses aspirations à une vie tranquille. Il y adopte une attitude humble, pareille à celle qu’exprimera Du Bellay dans « Les Regrets ».
« Que la fortune me conserve  si elle peut, mon petit champ, mon humble toit et mes livres chéris. Les muses revenues de l’exil, habitent avec moi dans cet asile chéri ».
Le Vaucluse aura accompagné toute sa vie de l‘enfance à la vieillesse.
Il y rédigera toute son œuvre : « Africa », poème en latin dont le héros est Scipion l’Africain ; des textes spirituels ; « Meum Secretum » qui est un dialogue philosophique avec Augustin et la Vérité ; ses textes poétiques et littéraires.
La solitude de son ermitage lui permet de « faire revenir la mémoire en arrière et de vagabonder par l’esprit à travers tous les siècles et tous les lieux ». Malgré sa retraite, sa notoriété était telle qu’il fut couronné prince des poètes par le roi Robert d’Anjou à Rome.
S’ensuivit une longue période de turbulences politiques entre Rome et Aragon à  laquelle il participa.
Et ce fut lors de l’une de ces ambassades qu’il apprit la mort de Laure, le 6 avril 1348 à l’âge de trente-huit ans, victime de la peste noire. Il écrivit un sonnet à sa gloire « La mort paraissait belle sur son beau visage ». C’est alors qu’il compila les fragments de ses sonnets pour composer « Canzoniere » qui connurent moult restructurations jusqu'à la neuvième édition, avec une césure après le deux- cent- soixante- troisième poème « En mort de Madame Laure ».
Dans la première partie « In Vita de Madonna Laura » il est partagé entre sa passion, sa gloire et la culpabilité, dans la seconde il est apaisé et distille une mélancolie liée à la perte de l’aimée. Puis il quitta définitivement le Vaucluse pour reprendre une vie politique agitée liée au sort de l’Eglise de Rome.

II – CANZONIERE COMPOSES DE 366 POEMES ECRITS EN ITALIEN

1) Présentation

A l’évidence Pétrarque fit de Laure une légende incarnant sa représentation de la femme tour à tour capricieuse, séductrice, qui l’attire et qu’il cherche à fuir. Du reste elle semble une abstraction dépourvue de caractères objectifs, prétexte à des considérations psychologiques sur la douleur des amours éconduites. Ce paradigme devient du reste une figure éminente pour les poètes de la pléiade, Louise Labé ou encore les musiciens Monteverdi, Mozart, Liszt ; les romanciers Madame de  Lafayette, l’Abbé Prévost, Choderlos de Laclos, Balzac, Proust, Duras.
Les Canzon pénètrent l’intimité de l’âme du poète, c’est pourquoi elles se présentent à la fois comme des élégies et une confession.
Différents thèmes y appèrent. Bien sûr l’amour mais aussi la gloire, la finitude, le conflit d’amour, les pleurs, la tristesse terrestre, la religion, le désespoir d’aimer jusqu’au désir de mort ainsi que les thèmes politiques, religieux et moraux.
Symboles et allégories y font flores comme il était de mise dans la poésie et la peinture de l’époque. Le poème donne à sentir, à imaginer, mais aussi à penser sur un mode maniériste.
Le nom même de Laure fait l’objet de calembours et devient l’aura c’est-à-dire l’esprit, la bise, le souffle ; l’or ; il lauro le laurier ; l’aurora.
Plus encore Frédéric S Jones y a vu un calendrier puisque composé de 366 poèmes (année bissextile) ; la chanson 355 serait une carte du ciel reproduisant le thème astral de Laure et le Blason des Noves.
Les Canzon n’ont pas échappé à une interprétation prophétique à l’instar des textes de Nostradamus il faut dire que la sensibilité de l’époque se prêtait aux prophéties.
Quoiqu’il en soit Pétrarque ne veut pas raconter les épisodes de cet amour contrarié qui pourraient faire reconnaitre Laure.
C‘est dire que les poèmes comportent un savant mélange de faits réels et d’extrapolations historiques et poétiques qui font de cette aventure un paradigme de l’amour courtois c’est-à-dire rendu divin par la voie de la chasteté à laquelle Maurice de Scève rendit hommage.
Sur le plan stylistique Pétrarque use de toutes les formes ; madrigal, ballade, chanson, sextine,  sonnet, alternant déca et hexasyllabes ou vers très courts rendus en français par des octosyllabes.
Auteur maniériste, Pétrarque en adopte le lyrisme inquiet conjoignant supplices et délices de l’amour comme saura si bien le faire Louise Labe. Mais cela n’empêche que l’amour est aussi une quête de perfection spirituelle puisque la beauté physique est la trace de la beauté spirituelle comme Platon l’avait explicité dans le « Banquet » et confirmé la spiritualité chrétienne. La réflexion philosophique en écho au « Secretum » se déploient dans les Chansons qui soulignent la précarité des choses humaines, les paradoxes de l’amour et des choix humains. Le temps est évoqué par les saisons qui se succèdent mais se répètent aussi, sans que le temps ait généralement de prise sur Laure.
Néanmoins on peut déplorer que la répétition ad nauseam de certaines images : traits, flèches, lumière, feux, rayons et les adjectifs évoquant la douceur, ait fini par galvauder et affadir une poésie méprisée par Voltaire mais appréciée par son contemporain Sade.
La figure de Laure irradie toute l’œuvre de Pétrarque, non seulement «  Canzoniere » mais aussi « Secretum » et « l’Ascension du Mont Ventoux », pour dire les tourments amoureux du poète.
Ceux-là sont du reste une figure obligée de la poésie amoureuse mais en ce cas s’y mêle le statut du créateur admiré sublimant son aimée et lui conférant l’immortalité.
En ce qui concerne la forme de la canzon elle n’a pas été inventée par Pétrarque mais serait d’origine provençale inventée par les troubadours. Pétrarque s’y applique au point de ne s’intéresser qu’à l’esthétique de la métaphore qui prend l’allure d’une rhétorique hermétique.
Mais il est aussi très critique à son propre égard d’autant que  ses modèles sont Homère, Virgile, Horace. Il inclut même une dimension autocritique dans ses poèmes, de sorte que l’indignité poétique devient un sujet à part entière de ses vers. Par ailleurs la rime devient le support d’associations de mots arbitraires à l’instar de la fonction du rêve, ce qui fait surgir des images inattendues.
Ainsi au sonnet 197,  Lauro → Mauro (atlas marocain) → induit l’idée de pétrification. Bien sûr cela pose des problèmes de traduction laquelle risque de faire perdre la subtilité de l’enchainement des assonances et allitérations, les fluctuations de rythme et de ton.

Laure et Pétrarque, que chanta Aubanel dans « Les amants d’Avignon », est un couple mythique à l’instar de Béatrice et Dante, présentant toutes les contradictions de l’amour et les souffrances de l’amant éconduit comme du veuf demeuré seul après la mort de Laure. L’amour veut l’éternité et ne connait que l’impermanence. C’est un monde « errant » comme le qualifie Pétrarque, précaire et illusoire et qui pourtant l’aura rendu célèbre.
Quant à Laure elle finira en gloire. Elle est la beauté parée des attributs de la Vierge, dont la virginité est insigne.
A l’ouverture de son tombeau en 1593 François 1er y fit inscrire un hommage à sa chasteté.
Laure comme l’indiquent les calembours que suggère son nom n’est pas seulement un pur esprit, mais une femme de chair dont la beauté subjugua Pétrarque et lui suggéra des accents platoniciens.
On peut même s’interroger, et on le fit, sur la réalité de Laure jusqu’à ne voir en celle-ci que le laurier de la gloire poétique à laquelle aspira toute sa vie Pétrarque jusqu’au moment où il fut couronné de ces lauriers. C’est l’hypothèse de Nicolas Mann qui n‘hésite pas à parler du modèle fictif de Laure basant son hypothèse sur le mythe de Daphné transformée par son père en laurier pour échapper à Apollon. Dans la « Canzon 23 » le poète se transforme lui-même successivement en laurier, puis en cygne comme Cygnus fils entre autre d’Apollon, puis en pierre, ce qui n’est pas sans évoquer un autre item mythologique, celui de Méduse, puis en fontaine comme Biblis ,en silex comme Echo, en cerf comme Actéon. C’est dire la polysémie d’un nom qui permet au poète de créer sa propre mythologie entée sur celle des poètes romains dont en particulier Ovide.
Laure serait dans cette perspective la figure poétique incarnant la poésie dès lors susceptible d’assurer la gloire du poète. Cette série de métamorphoses déclinent du reste l’ambition dont Pétrarque se répend dans « Secretum ».
Le laurier tint du reste une telle place dans sa vie qu’il s’obstina  avec plus ou moins de succès à en planter dans son jardin.
Outre le mythe de Daphné, la référence à Méduse est omniprésente. Celle-ci représente la pétrification que Laure inflige à François glacé par son mépris et qu’il s’emploie à vaincre grâce à son humilité. Ce faisant il renouvelle la poésie lyrique en en réinterprétant les mythes. La pétrification évitée assure le salut du poète et de la poésie grâce à laquelle il a su vaincre sa peur. Figure ambigüe Laure est tour à tour Méduse et la Vierge assurant le salut par l’élévation qu’empêche la gravité de la pierre.
Dès lors la poésie lyrique se fait morale. La conversion est la seule métamorphose qui permette d’assurer le salut.

Les Canzoniere sont donc une œuvre monumentale tour à tour : autobiographique, nourrie de philosophie, s’inscrivant dans un cadre historique, héritant des poètes passés et présents dont Dante qu’il cite tout en s’en démarquant, réfléchissant sur la poésie dont il renouvelle la veine courtoise et le lyrisme, exposant les ambitions de l’artiste, fournissant pour les siècles à venir formes poétiques et thèmes, déclinant l’amour sous toutes ses formes, amour seul susceptible d’assurer immortalité et éternité, car amour et poésie s’engendrent mutuellement.

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