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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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22 novembre 2021

CAMARA LAYE - L’ENFANT NOIR

CAMARA LAYE - L’ENFANT NOIR

L'enfant noir

 

Contrairement à notre objectif initial qui était de présenter des œuvres tout juste éditées, nous avons choisi un ouvrage de 1976, à la fois à cause de l’intérêt intrinsèque d’un récit autobiographique s’inscrivant dans la grande lignée de ce type d’écrit, mais aussi parce qu’il invite à une comparaison avec la façon dont on éduque les enfants en Afrique et en Europe, car c’est bien d’éducation plus que d’instruction qu’il est question dans ce récit d’enfance, enfin, pour ainsi dire, parce qu’il précède de peu l’ouvrage de Wole Soyinka « Aké, les années d’enfance » qui bien que se passant en Afrique insiste sur des aspects fort différents, preuve s’il en est que la diversité que l’on a tendance a gommer existe bel et bien. Nous viendrait-il à l’esprit de ne pas distinguer un portugais d’un suédois sous prétexte qu’ils vivent sur le même continent?

La dédicace du livre s’ouvre sur la mère du narrateur, femme africaine, gouvernante, nourricière et mère courage. Elle est la cheville ouvrière de son éducation, la transmettrice des valeurs, mais aussi la possédante qui accapare son fils, et si elle semble s’imposer face à son mari, la femme qu’elle est cède toujours à l’homme.

La mère est pragmatique et même si elle partage les croyances de sa culture elle est réaliste et pleine de bon sens. Elle incarne les valeurs de bonté, droiture, autorité et respect des règles. Mais vis-à-vis de son fils son affection l’aveugle au point où elle s’opposera à sa poursuite d’étude en France que son mari devra lui arracher.

Cependant elle a des pouvoirs magiques et du reste tout le récit en est imprégné. Ses dons de sorcellerie sont liés à la gémellité dont Soyinka s’entretient abondamment à propos de la culture yorouba.

Les esprits et génies sont partout, du reste son père possède un génie en la personne d’un petit serpent noir qui est le proteceur du clan et qui n‘hésite pas à porter bonheur au père lorsqu’il forge un collier en or.

Son père forgeron de son état est pareil à un alchimiste, maitre du feu vivant. Forger s’accompagne de tout un rituel qui en signale la sacralité.

Le père possède le secret des incantations, avant de forger l’or il se purifie et s’abstient de tout rapport sexuel. Il possède du reste un arsenal de gri gri dont il ne manque pas d’user à l’égard de son fils lorsqu’il part faire ses études.

Ecouté et honoré, on le consulte. Il est prodigue aux miséreux, nourrit et loge ses apprentis orphelins.

Outre ces figures tutélaires l’enfant constitue son identité à travers plusieurs lieux. La mission où il est né ; la case de son père à part, proche de l’atelier, la véranda de cette case qui lui sert d’aire de jeu. Jeune il partage celle de sa mère, une fois initié il aura la sienne. Les lieux ont valeur d’étapes initiatiques.

Outre son village natal il  y a celui de sa grand-mère où il connait une autre vie essentiellement physique, faite de multiples activités, chasses et moissons avec son oncle. La famille s’élargit des oncles jumeaux et plus tard de l’once Mamoud vivant à Conakry.

Dès lors  ville et campagne se distinguent, comme on le voit aussi chez Soyinka. La ville est synonyme de modernité, richesse, considération, mais contraintes aussi tandis que  le village connote la rusticité, la pauvreté, mais surtout la liberté. C’est pourquoi l’auteur en prend la défense.

Opposition vécue et redoublée lorsque l’adolescent ira à l’école en ville puis à Conakry et enfin en France. L’espace de clos devient infini.

Mais avant cela il y a les rites initiatiques afin de devenir un homme.

On l’aura noté celui-ci s’inscrit dans un climat de forte religiosité qui a la particularité d’être syncrétique puisque les marabouts convoquent Allah et écrivent sur des planchettes des versets du Coran.

L’enfant en fait du reste l’expérience dans sa propre famille puisqu’il côtoie aussi bien les marabouts que son oncle Mamoud profondément musulman. Rien là d’antagoniste, rien qui soit prétexte à conflits et violences au contraire, les mêmes principes fondamentaux sont à l’œuvre dans « Aké » de Soyinka. Le petit Wole vit  dans une mission chrétienne et pratique les rites yoroubas sous l’égide du dieu Ogun duquel il tirera toute sa vie sa force de vivre, y compris et surtout en prison.

A contrario les monothéistes ne sont-ils pas athées car ils ne croient qu’en un dieu?

 Pour revenir au rituel de la circoncision, c’est un processus long, complexe et très ritualisé qui occupe deux chapitres de l’ouvrage, c’est dire son importance car il s’agit de l’épreuve et de la preuve de l’accès à la vraie vie, celle où l’on est devenu un homme, car on a affronté sa peur, ses propres limites, on a puisé dans ses seules ressources et l’on peut avec fierté le porter dans son comportement. Homme on est devenu mais aussi citoyen, c’est-à-dire responsable à part entière de la communauté.

La circoncision intervient vers 13, 14 ans, sans doute pour que l’enfant en ait pleinement conscience et qu’il la désire avec impatience.

Dans une première phase il s’agit d’un affrontement à sa peur sans réel danger, puisque le rugissement des lions est obtenu par des rhombes mais la peur est bien là entretenue par les ainés. Cependant les interrogations viendront plus tard lorsque Laye se rendra compte de la mystification qui ébranle l’édifice de ses croyances.

La deuxième phase est la circoncision elle-même. Durant une semaine les futurs circoncis dansent dans un état d’ivresse grandissant avec tout le village qui se réjouit. Puis on leur rase la tête, on les met dans une case à part, on change leurs boubous. Le tamtam omniprésent et lancinant participe du sens de la cérémonie qui s’accompagne de tabous.

Puis le sang coule, car il doit couler et en abondance quitte à y perdre la vie. Car le sang s’il est signe de vie l’est de mort aussi. Mais ceci Laye ne l’évoque pas. S’ensuivent les leçons relevant d’une éthique commune durant la convalescence d’un mois.

Au sortir l’enfant est un homme dont les signes de reconnaissance seront le port d’un pantalon large et d’une case à part.

Toutes les initiations ne sont pas identiques. Dans « Aké » c’est le grand-père seul qui marque son petit-fils de scarifications aux chevilles en tant que signes d’appartenance au clan et à la communauté yorouba.

Mais cette initiation n’est pas la seule et s’accompagne de la seule que connaisse encore l’Europe  profane, celle de l’école qui s’inscrit dans l’opposition susmentionnée entre la ville et la campagne.

L’enfant connait successivement l’école coranique puis française. Pour lui l’étude est chose sérieuse qui requiert toute son attention mais aussi initiation à une autre vie avec l’autre qui s’avère l’étranger aux yeux duquel Camara est un étranger.

L’école est synonyme de violences, celles des punitions corporelles que Soyinka ne manque pas aussi de mentionner, pratiquées par les maitres et le directeur, mais aussi du harcèlement dont les grands font preuve à l‘égard de Kouyaté mais que le père jugule en faisant justice lui-même.

A 15 ans Laye partira à Conakry au grand dam de sa mère. Il habitera chez son oncle une maison européenne mais muni de l’eau magique que lui aura donnée son père.

Excellent élève il réussira les examens de fin d’étude bien qu’il aura eu du mal à accepter de déchoir dans une école technologique avant de convenir que le travail physique est le complément nécessaire des études théoriques. Il y a du Rousseau dans cette éducation.

Après l’école, l’adolescence c’est aussi l’initiation aux émois amoureux qu’il éprouve avec Marie. Tendresse, pudeur, retenue, mais bonheur et chaleur, sont les sentiments qui s’inscrivent à jamais en celui qui en éprouvera plus tard une nostalgie nervalienne, sous le sceau du secret.

Reste bien sûr la grande épreuve, celle de la mort. La mort de l’ami Check, mal irrémédiable qui laisse les vivants vides et errants, cherchant un sens à une vie qui n’en a pas et qui pourtant procure d’irrépressibles moments de bonheur qui faisaient dire à Fus dans « Ce qu’il faut de nuit » dePetitmangin, qu’il a connu une vie de merde mais que pour lui c’était une belle vie.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

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