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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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22 novembre 2021

AKE OU LES ANNEES D’ENFANCE

WOLE SOYINKA : AKE OU LES ANNEES D’ENFANCE

 

Drôles de drames - Wole Soyinka

 

 

 

SOMMAIRE :

 I – CONTEXTES

 1) Historique

2) Culturel

3) Littéraire

 II – VIE ET ŒUVRE DE SOYINKA

 1) Œuvre totale

2) Œuvre autobiographique

 III – FOCUS SUR L’OEUVRE

 1) Généralités

2) Dix jalons pour lire l’œuvre

3) Analyse thématique

 

 I – CONTEXTES

 1) HISTORIQUE

 Wole Soyinka est un nigérian né à Abeokuta, ville importante à l’ouest du Niger, le 13 juillet 1934. Il est de culture yoruba. Cette ethnie est composée de 20 millions d’âmes et se situe entre le Nord Ouest du Niger et le Sud-est du Bénin. Depuis le XIIème siècle jusqu’au XIXème siècle, l’autorité administrative et militaire fut aux mains du roi Oyo tandis que le pouvoir religieux était à Ife qui demeure la Cité Sacrée des Yorubas.

Des guerres se succédèrent et ravagèrent le pays jusqu’à ce que l’Angleterre instaure la paix en faisant du Nigéria une colonie britannique jusqu’en 1960. En 1963 le Nigéria se déclarera république fédérale. Mais les hostilités perdureront entre les réfugiés Modakéhés et les Ifes de 1984 à 2004.

Deux fondements structurent la communauté yoruba, une famille élargie aux familles alliées par mariage (clan) et la tribu.

La tribu unit les communautés de tous les villages d’une région. Un roi, nommé Oba est élu parmi les chefs de clan et gère les questions éco-politico sociale jusqu’à sa mort.

L’enfance de Soyinka entre 1930 et 1940 se situe à Aké qui est un territoire chrétien. Aké contraste avec Isara où est né son père et où vit son grand-père. C’est un village de brousse où il connaitra son initiation. Tout les oppose, statut social, politique, richesse des familles.

Les échos du monde y résonnent, la seconde guerre mondiale, la montée au pourvoir d’Hitler. Le Nigeria y est d’autant plus mêlé que le Nord et le Sud sont sous protectorat anglais.

Par ailleurs le Nigéria commence à préparer son indépendance précédée par le mouvement des femmes auquel Wole participe. On  y entend aussi les échos de l’occupation italienne en Abyssinie, et les aspirations à l’indépendance du Cameroun.

 

2) CULTUREL – RELIGIEUX

 Ifé ou Ifé Ifé (maison, terrain, pays, ultime lieu de repos) est la cité sacrée des Yoroubas entre le IIème et le XIVème siècle à l’instar de Jérusalem ou la Mecque. C’est  le lieu de naissance des dieux ou Orishas qui sont au nombre de 201 et correspondent à des forces naturelles.

La genèse raconte que la terre fut créée par une pintade déposée à la surface des eaux primordiales par Oduduwa (considéré comme le fondateur d’Ifé) fils de Olodumare, Dieu Suprême inaccessible auquel on ne s’adresse pas.

Puis 16 orishas (esprits) descendirent dans le monde.

A Ifé Obatala, autre fils d’Olodumare sculpta les premiers corps humains, mais c’est Oduduwa qui leur confèra la vie en créant le soleil et la lune.

Ododuwa eut 16 fils qui bâtirent leur propre royaume.

Le roi d’Ifé ou ooni équivalent du pape vit dans l’enceinte de la Cité sans jamais la quitter.

Les dieux réclament des sacrifices pour maintenir la paix et la prospérité. Ces sacrifices permettent la communication entre monde humain et divin mais c’est à l’homme d’agir sur sa destinée. Les sacrifices ont des fonctions propitiatoires, expiatoires, purificatrices, votives.

Une ethnologue, Nichka Sachnine a cherché dans le corpus sacré d’Ifa (1) ce qui justifiait tabou et préférences dans les nourritures des dieux.

Un certain nombre de croyances se rencontrent dans « Aké » et les autres œuvres de Soyinka notamment celle des abiku qui incarnent un type particulier de possession et l’esprit agent de cette possession. Il désigne chez les Yoroubas des enfants (nés pour mourir) possédés par des esprits. Des rites funéraires spéciaux leur sont organisés.

Aké, les années d'enfance - Prépas scientifiques 2022

En ce qui concerne Soyinka il est sous la protection du dieu Ogun qui est l’orisha du fer, des chasseurs, bouchers et agriculteurs. Soyinka lui-même se dit être un guerrier.

Par ailleurs les livres de Soyinka présentent de nombreuses références aux cultes des ancêtres ce qui présuppose l’immortalité de l’âme et sa réincarnation dans le corps des nouveaux nés. Aussi les anciens sont-ils très agréables avec leurs jeunes frères.

L’union des morts et des vivants est fêtée pendant les festivals d’Egungun, où les masques représentent l’âme des morts.

Par ailleurs les malheurs sont attribués aux pouvoirs magiques des sorcières qui servent de garde-fou moral.

Un sort particulier est réservé aux jumeaux, phénomène inexplicable supposant une double paternité, l’infidélité de la mère pouvant entraîner leur mort. Néanmoins ils sont l’objet d’un culte, celui des Ibeji.

Dans son ouvrage « De l’Afrique » Soyinka consacre plusieurs chapitres aux mythes, cultes, divinités séculières de l’orisha qu’il oppose aux religions monothéistes.

Tout est imprégné de ces croyances qui structurent et explicitent le destin de chaque individu, et ce dès l’enfance, sans pour autant le déterminer. Bien que chrétien et interdit de ce monde païen, celui que le livre de connaissances et des récits paradigmatiques que comprend l’Ifa révèle, Soyinka se reconnait tout à fait en lui.

Non seulement tous les âges de la vie mais toutes les activités dont la médecine, l’alimentation sont guidées par le livre d’« Ifa » actuellement reconnu au patrimoine de l’Unesco. C’est le babalowo qui en est l’interprète et révèle aux parents quel est l’ori de leur enfant, c’est-à-dire son destin.

A propos d’Ogun, Dieu tutélaire de Soyinka, celui-ci lui consacre de nombreuses pages où l’on apprend qu’à l’origine Ogun utilisa le minerai de fer pour forger l’outil mystique la machette, qu’il convertit en instrument aratoire à la suite d’un coup de folie semblable à celui de Jason. Ainsi les dieux comme les hommes peuvent-ils commettre des erreurs, éprouver du remords et de la culpabilité et faire amende honorable.

Ce syncrétisme n’est pas un phénomène d’acculturation mais d’appropriation et d’adaptation fondé à la fois sur un présupposé ontologique « d’unicité dans la pluralité et de pluralité dans l’unicité » et sur un présupposé quant à la vérité que rapporte Amadou Hampaté Bà.

« Il y a ta vérité, il y a ma vérité, et il y a la Vérité » et que partage le vedantisme. « La vérité a de nombreux noms que l’on approche par des myriades de chemins ».

  

3) CONTEXTE LITTERAIRE

 Wole Soyinka fait partie de la première sur les trois générations d’écrivains qui se sont succédé depuis l’indépendance en 1960. C’est dire qu’il est un écrivain engagé, désireux de participer à la construction de son pays, de défendre la culture nigériane dans le monde et de prendre position dans celui-ci. De part son éducation il se situe au confluent de l’Europe et de l’Afrique, du christianisme et de l’animisme, d’une organisation étatique et tribale, mais aussi de langues diverses et de croyances, cultures opposées. C’est dire aussi la richesse de son expérience d’enfant, mais aussi les choix jamais anodins qu’il eut à faire.

Nombreux sont les écrivains africains qui se succèdent depuis les années 50, y compris féminins, d’autant que les coups d’état n’ont pas cessé faisant de nombreuses victimes parmi les écrivains comme en témoignent les œuvres de Soyinka tant romanesques que poétiques ou dramatiques. Il relate son combat non sans humour dans ses œuvres autobiographiques :

- « Isara : périple autour de mon père » (1993)

- « Aké, les années d’enfance »(1986)

- « Ibadan, les années pagaille », années d’exode (1997)

- « Cet homme est mort », années de prison (1986)

- « Il te faut partir à l’aube » (2007) : années d’adulte, voyages à travers le monde, exil, engagement pour la culture.

 Présentation des œuvres : « L’enfant est le père de l’homme »

A lire dans l’ordre chronologique et non de rédaction

1) « Isara : périple autour de mon père » : fils de ce grand père qui l’initiera à Isara (1993).

Pour comprendre le père et l’homme que fut Essay il faut revenir à l’enfant qu’il fut.

 2) « Aké, les années d’enfance » : de 3 ans (enfance) à 12 ans (adolescence), de la famille à la société, d’Abeokuta à Ibadan, de l’émerveillement à la lutte politique… (1984).

 3) « D’Aké à Ibadan, les années pagaille » : étude à l’université (1997).

 4) « Cet homme est mort » : trois années en prison. Virage de la vie de Soyinka. Solitude, torture, philosophie, injustice, privation des libertés, la résistance d’Ogun, l’expérience du vide, apprendre à dés-espérer pour exister (1986).

 5) « Il te faut partir à l’aube » : les années d’exil à travers le monde, l’œuvre théâtrale, organiser la résistance de l’extérieur. Ambassadeur (2007).

 

II – VIE ET ŒUVRE DE SOYINKA

1) une œuvre totale

 L’œuvre de Soyinka est foisonnante : romans, poésie, théâtre. Il créa très jeune sa troupe puis une seconde la « Masks drama troupe » et poursuivit son action de metteur en scène en Angleterre, Jamaïque, Etats-Unis. Il reçut très jeune des prix de poésie. Son oeuvre fut couronnée par le Nobel en 1986. Dans « Il te faut partir à l’aube », il réfléchit sur les prix en général et le Nobel en particulier non sans humour.

Toutes ses œuvres témoignent de ses prises de position et de moments importants de sa vie et de la vie du Nigéria. « La danse dans la forêt » écrite en 1960, ou « Une saison d’anomie »  pendant guerre du Biafra ont la particularité de mêler réalité et mythes yoroubas ou européens ce qui est une caractéristique de ses œuvres.

Dans son dernier essai « De l’Afrique » (2018) il met à jour la « psyché sociale yorouba » qu’il s’agit de ne pas renier mais de comprendre. La représentation de l’Afrique est ouverte, plurielle, loin des clichés du continent sous développé en proie à la guerre, la famine, et vouée à l’émigration. Face aux monothéismes tentaculaires, il défend le polythéisme et l’animisme d’une spiritualité tolérante, syncrétique sous le signe des « divinité séculières » que sont les orishas ou esprits incarnant des forces telluriques. Face aux tenants de la négritude (Senghor – Césaire), Soyinka défend la tigritude arguant que « le tigre ne proclame pas sa tigritude » mais dévore ses ennemis. Face au compartimentage il défend une « pensée totaliste » qui marie le microcosme au macrocosme ; réprouve une conception dualiste de la matière et de l’esprit, du corps et de l’âme.

Dans son discours à Stockholm en 1986, il se définit comme « un homme noir, Africain défenseur du genre humain et donc de  tous les hommes ». L’Afrique assistée vient au secours du monde.

 

2) Une œuvre autobiographique

 En tant que telle elle impose de s’interroger sur ce qu’est une autobiographie. Philippe Lejeune dans

« Le pacte autobiographique » la définit comme « un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité ». Trois caractéristiques à retenir : emploi du « je » ; introspection et rétrospective qui s’accompagnent d’un va et vient comparatif entre passé et présent. Soyinka souligne la disjonction entre l’enfant que fut l’écrivain et le regard que l’écrivain adulte porte sur lui et son enfance.

Aussi la question principale qui se pose est-elle celle de la vérité de ce récit, vérité que l’on doit à soi-même et au lecteur auquel on l’a tacitement promise. Quelle part d’embellissement? De reconstitution? De représentation mentale? De rationalisation rétrospective? Que faire des oublis, des souvenirs erronés ou inventés? Pourquoi écrire sur soi : pour se connaître, se fonder, découvrir des prémices de ce qu’on est devenu (en l’occurrence un écrivain engagé) laisser une trace de soi, faire le bilan d’une existence (Soyinka écrit « Aké » à 50 ans), retracer sa formation, effectuer une catharsis (mort de sa sœur Folasade), donner la parole à l’enfant mort que nous portons en nous, ou encore retrouver l’universel dans le particulier?

Aussi l’autobiographie n’est-elle pas exempte d’équivocité.

Ce qu’on découvre de Soyinka est complexe, au carrefour de deux cultures dont il est l’hériter et le produit. En termes de spiritualité et de mythe il est Dionysos et Apollon tout ensemble, c’est-à-dire Ogun. Il aime manger, voire dévorer, il célèbre la vie mais il est aussi le guerrier qui attaque. Il ne cesse de répéter qu’Ogun est son dieu tutélaire bien qu’il prenne une distance à cet égard.

A la question  de savoir pourquoi il avait écrit « Aké » Soyinka répondit en 1986 à la BBC qu’il avait projeté « d’écrire sur une période qu’il trouvait fascinante en souvenirs, cette période de son enfance qui était en train de disparaître… période qu’il voulait donc fixer ».

L’autobiographie est donc aussi un devoir de mémoire, conservation sous forme de traces de ce qui fut et honneur aux disparus. Du reste il avait tout d’abord voulu écrire la vie de son oncle Daodu, sévère et respectueux, enseignant à l’école d’Abeokuta.

 

III – FOCUS SUR L’OEUVRE

 1) Généralités

 « Aké » qui est le nom de la mission où habite Wole, porte comme sous-titre, « Les années d’enfance », c’est dire d’emblée que celles-ci sont liées à un lieu plutôt un territoire qui se révèle en fait multiple (la maison, la mission, le village…) et étendra ses ramifications assez loin comme une randonnée en étoile, au cours de années.

L’ouvrage est écrit en anglais, comme toute l’œuvre de Soyinka, ce qui fait de son identité une « aventure ambigüe ».

Par ailleurs l’ouvrage, dont la 4ème de couverture est une photo de son père, de sa mère et de son grand-père est dédicacée à « Eniola » (Chrétienne Sauvage) sa mère et Essay son père. C’est dire que c’est aussi un récit de filiation signifiant qu’être, c’est être avec, par et contre les autres qu’il s’agisse de la famille ou des amis ou de la communauté. Le « je » n’est pas solitaire et entame une dialectique où il est à la fois intégré et distinct du groupe comme l’illustre l’épisode de la fanfare. De même son récit au passé est-il assorti de commentaires au présent qui analysent la situation et les personnages en l’occurrence l’enfant qu’il fut. Mais comment reconnaitre celui-ci comme soi-même? Ne sommes –nous pas étonnés, amusés, incrédules face à nos photos d’enfance? A moins que nous n’éprouvions une profonde mélancolie en partant à la recherche du temps perdu.

Mais ce n’est pas le cas de Soyinka pourvu d’une bonne dose d’humour dans tous ses livres.

 
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2) Dix jalons pour lire l’œuvre

 Dans son ouvrage « Connaître Wole Soyinka » (2), son traducteur et préfacier, Etienne Galle, propose un certain nombre de jalons, dix, pour approcher l’œuvre de Soyinka. Dans un prélude, il écrit que l’œuvre de Soyinka, expression de sa vie, est un arbre dont les branches ultimes, les rameaux et les fruits sont déjà présents en puissance dans la « jeune pousse », entendons dans l’enfance et il est vrai qu’on y rencontre déjà l’intellectuel amoureux des livres, l’homme libre voire anarchiste, le critique acerbe de ce qui se donne pour vrai et le révolutionnaire.

Le 1er jalon est le totalisme cosmique qui conjugue l’humain et le cosmos, la philosophie de la nature et de  l’intellect et chez lui le poétique et la politique.

C’est pourquoi le moi à saisir n’est pas isolé mais inclus dans une culture fondée sur le cosmique, produit par une masse d’énergies vitales.

Soyinka évoque les incertitudes métaphysiques que suscite le monde et en appelle grâce aux activités rituelles à « maitriser l’effroi » engendré par « la conscience terrifiante du contexte cosmique de l’existence ». Loin d’être le produit d’un fantasme, le monde invisible ou intérieur est une réalité.

Les dieux que Soyinka convoque sont Obatala, Shango et surtout Ogun, « incarnation de la volonté » qui est d’emblée le dieu du jeune Wole.

Or c’est à cette source du monde divin que Soyinka rapporte son activité artistique  qui est quasi religieuse.

C’est le même Ogun qu’il invoquera dans les geôles d’Abacha, comme lorsqu’enfant il participa à la révolte des femmes.

Il n’y a donc pas de solution de continuité entre vie sociale, religieuse artistique. C’est pourquoi le théâtre de Soyinka renoue avec l’origine grecque de celui-ci. Tout se tient, se prolonge, tout est passage, unité et l’homme de restituer son unité perdue.

C’est pourquoi l’œuvre comme la vie de Soyinka est une, totale, émanant de la même volonté. « Rien de ce qui est humain ne (lui) est étranger ». Son approche du monde est de ce fait pluridimensionnelle.

Etres et choses sont les avatars d’une seule force vivre.

C’est dire qu’il n’y a pas de distinction entre la matière et l’esprit (2ème jalon).

Le 3ème jalon concerne le « sentir extrasensoriel » qui correspond à la capacité de vivre des expériences parapsychiques. On en trouve entre autres expériences dans « Il te faut partir à l’aube », celle de la mort de sa mère qui l’en prévient extrasensoriellement.

La vie de Soyinka est jalonnée de tels signes (ex : la chasse aux francolins qui lui annonce le nom du prochain président) qui prouvent que le physique et le psychique sont indissociables et participent d’énergies cosmiques. C’est ce qu’incarne l’héroïne dans « Une saison d’anomie ». Ainsi Soyinka a-t-il ce don de percevoir ce qui échappe aux autres et qui relève d’un sentir intuitif relié aux quatre éléments : air – feu – eau – terre. Tout prend une dimension symbolique jusqu’aux boissons et s’incarne dans des rites.

Les pensées sont elles-mêmes des forces et la mort a une odeur. Tout est porteur de messages et la matière ne cesse d’en émettre.

C’est dire aussi que rien ne se perd.

Enfant déjà Soyinka appréhendait les messages du monde et en particulier de la mort.

De là une spiritualisation de la matière dont l’esprit est la profondeur.

Au sentir extrasensoriel correspond l’agir extrasensoriel qui constitue le 4ème jalon. Cet agir ne passe pas par le geste mais par un rayonnement de la volonté qui participe du vouloir-vivre cosmique. Il en fait l’expérience alors qu’il est dans les locaux de la police ou lorsqu’il voit passer un satellite devant sa fenêtre de cachot.

A l’instar de Giono (cf. « La vraie richesse ») Soyinka craint que la volonté ne soit affaiblie par « l’acte du comprendre ».

Et de conclure « L’Africain emploie la compréhension intuitive

                         L’Africain est donc hautement développé »

C’est dire que sa relation au monde est à l’opposé de celle discursive et analytique de l’occidental que Soyinka qualifie d’« intellect compartimenté européen ». La pensée africaine se veut synthétique, elle est connaissance du cœur. C’est pourquoi elle se reconnait en l’enfant et s’exprime dans la poésie qui dit l’être alors que la science le dissèque. L’occidental s’en est séparé tandis que « l’homme traditionnel est un anthropo-cosmos à qui rien de cosmique n’est étranger ».

Dans ces conditions, l’humanisme soyinkaien n’a rien à voir avec l’humanisme européen qui mettant l’homme au centre de toutes choses, en néglige et détruit l’être dont pourtant il se tient. Le sien est d’ordre cosmique c’est dire qu’il n’est pas exclusif, mais sélectif.

Paradoxalement, il en appelle à un éclectisme sélectif (6ème jalon) qu’il qualifie de « droit de tout être producteur, qu’il soit scientifique ou artiste d’emprunter aux diverses cultures du monde ce qui s’accorde avec la sienne ». Ce que fit Soyinka tant en Jamaïque qu’en Israël ou Palestine, ou encore en empruntant au théâtre de Brecht, Jean Genet, Pinter ou au Nô japonais dont le rapproche sa critique du Verbe au profit du Vide.

Dans « Une saison d’anomie » il emprunte ses personnages Ofey et Iriyise à Orphée et Eurydice, il a réécrit « Les Bacchantes » d’Euripide et l’enfant Wole, s’il est à la mission chrétienne, est du pays des Orisha dont le sien est Ogun. Du reste très tôt il fut un grand lecteur qui empruntait des livres dans la bibliothèque de son père.

De même il étendit son éclectisme à la religion qui « implique une vision holiste du monde et des humains » empêchant toute domination spirituelle. Or la culture yorouba pratique cet éclectisme qui permet d’accueillir toute autre spiritualité.

« La moralité pour les yoroubas est ce qui crée de l’harmonie dans le cosmos, c’est de tout être avec tout être ».

Tout est lié, en relation et interaction et l’enfant Wole en a très tôt fait l’expérience qui est à l’origine de son éthique (7ème jalon).

L’éthique, du grec ethos : (caractère, mœurs, comportement) est l’ensemble des valeurs qui président à l’agir interactif de l’individu.

Dans « De l’Afrique », Soyinka s’en explique. D’emblée l’enfant est pourvu d’un caractère qui trace, sans le déterminer son destin. C’est ce que relate Soyinka dans « Aké ».

Dans cet univers tout fait sens, jusqu’à la nourriture qui est un intermédiaire entre les dieux, la nature et les hommes. Du reste Soyinka décrit longuement les mets, les aliments, les repas et admire les mangeurs pantagruéliques comme son ami Fémi « La faim est le cri d’un dieu » écrit Soyinka lui-même gros mangeur et chasseur à l’instar d’Ogun.

Le repas se fait communion car l’alimentation est une activité physique et psychique. L’igname par exemple est l’objet d’une fête où le festin est « une authentique orgie où la nourriture et la boisson ne sont pas faites pour des spectateurs mais des célébrants ».

Dans cet univers la partition homme femme n’a pas lieu d’être. Du reste des figures tutélaires ont marqué l’enfant. Sa mère qu’il nomme d’un oxymore « chrétienne sauvage », différentes femmes qu’il avait le dessin d’épouser, les révoltées contre les taxes… Et Soyinka de parcourir les différentes étapes de son enfance comme un voyage initiatique où « L’enfant est le père d l’homme ». Son père a pour pseudonyme « Essay » qui en dit long sur son éthique et Ogun est le dieu des sept chemins qui n’en finit pas de concilier les contraires.

L’univers est un « être-en-route » qui se fait sur la route où il rencontre l’autre et s’engage avec et pour lui.

Tout mortel est censé venir au monde avec son propre ori, son propre destin, mais selon l’adage Yorouba « de nos propres mains nous réorientons notre destinée ».

Quant à l’éthique de Soyinka adulte elle est prométhéenne, rien de l’arrête dans son combat pour la justice, pas même la prison, les menaces, le risque de mort qui met à l’épreuve sa liberté.

A la tragédie il oppose l’action, et à l’immobilisme de la prison la résistance active sous la forme de la grève de la faim. Soutenu par Ogun sa volonté reste intacte comme le fut le courage de l’enfant pendant les émeutes des femmes.

Ogun est le principe symbolique directeur de son existence qui soutient sa volonté, l’astre yorouba « force qui anime l’univers », « volonté cosmique », « source des énergies régénératrices de l’univers », « personnification de la volonté ».

La volonté n’est pas seulement faculté de choix, détermination, mais « originellement créatrice » et n’engage pas que soi.

Le 8ème jalon concerne les langages auxquels l’enfant fut confronté et auxquels l’adulte consacrera son activité théâtrale dont on a compris qu’elle sera une célébration rituelle des dieux en tant que forces cosmiques. Enfant il assista à la messe, aux sorties des masques d’ancêtre, aux rites d’Oro.

Soyinka exploite toutes les dimensions du langage : théâtral, poétique, romanesque, philosophique, autobiographique. Il dénonce les sophismes des idéologues, le double langage des dictateurs, le conformisme des universitaires, la langue stérile des dualistes. Il use tour à tour d’un ton comique, voire ironique lorsqu’il s’adresse à un dominant. La satire n’est jamais loin.Ibadan, Les Annees Pagaille - Mémoires 1946-1965 | Rakuten

Le verbe épuise-t-il le réel et la vérité?

Quel langage pour dire les forces cosmiques?

Quels objets pour le langage?

Pourquoi parle-t-on?

Les mots peuvent-ils tout dire?

Le langage n’est-il pas un obstacle à l’appréhension intuitive?

« Détrôner la parole c’est nier le privilège de l’intellect sur la sensibilité » de l’un sur le multiple, de l’être sur le devenir, de la substance sur la relation, du verbe sur le vide, du simple sur le complexe, de l’unidimensionnel sur le pluridimensionnel, du mur sur le pont, de la séparation sur l’union, de l’analyse sur la synthèse, du discontinu sur le continu, du temps sur la durée.

D’où ses combats contre l’hégémonie occidentale. Aussi pour comprendre la langue de Soyinka faut-il se mettre dans une position d’accueil, d’écoute, d’attention fluide sans essayer de comprendre, mais de sentir, imaginer, intuitionner.

Avec le vide qui est le 9ème jalon de cette analyse on est au cœur de la métaphysique soyinkaienne puisqu’il est l’exact contraire du verbe sur lequel l’occident base la sienne. Et Soyinka ce faisant de revisiter la spiritualité occidentale judéo-chrétienne.

Déjà enfant il s’était livré à l’exercice du vide qui est ressourcement au lieu de jaillissement de l’énergie vitale.

Cette intuition est issue de la spiritualité yorouba pour laquelle l’Etre originel Olodumaré n’est ni visible, ni compréhensible, ni nommable, l’objet d’aucun rituel, culte, sacrifice. On observera qu’on n’est pas si éloigné des spiritualités musulmane et juive (je suis qui je suis) interdisant d’écrire ou de prononcer le nom de Dieu et originant dans la Kabbale la création dans le tsim-tsoum ou retrait de Dieu laissant un espace vide. C’est dans celui-ci que la pluralité des possibles peut venir à l‘être.

Le 10ème jalon concerne la politique dont on a les prémices dans les deux derniers chapitres de « Aké ». Il s’agit de la révolte des femmes. Révolte double, d’une part économique, contre les taxes, et d’autre part existentielle contre la domination masculine dont la dimension cosmique n’est pas sans rappeler celle de Gaïa contre Ouranos.

Soyinka s’en souviendra dans son théâtre dont la scène est un espace politique autant que rituel à caractère cathartique. Les remèdes consistent dans la résistance puisée dans les « énergies psychiques » du monde.

Cette lutte politique est indissociable d’une lutte poétique métaphysique. On en a la relation dans « Il te faut partir à l’aube » où il évoque toutes ses luttes à travers le monde pour organiser une résistance à Abacha (1994-1998) et pour configurer la nation (organisme vivant) nigériane.

 

3) Analyse thématique – Commentaire des différents chapitres

 a) Les espaces de l’enfance

Ils sont à la fois physiques : « Aké », la mission chrétienne, l’école, la maison, le marché… mais  aussi psycho-affectifs,  objets d’une expérience spirituelle synthétique pour Wole.

La découverte du monde à partir de ce point s’ouvrira sur un univers que l’enfant pensait comme fini.  Mais c’est aussi l’espace d’une partition spirituelle mettant face à face christianisme et animisme ou plutôt les mettant dos à dos, corolaire de la  domination exclusive britannique.

Cependant l’étanchéité est loin d’être parfaite et le grenadier de devenir l’arbre porteur du fruit défendu du jardin d’Eden. L’imagination poétique pointe déjà et s’empare de la réalité pour la transfigurer, la spiritualiser.Du reste le Nouvel An à Isara transporte l’enfant dans un autre espace temps plus ancien  plus sauvage plus ritualisé où l’enfant connaitra l’initiation.

D’un coup il fait un bond dans un passé traditionnel, alors qu’ «Aké » représente la modernité avant qu’il ne soit supplanté par Abéokuta.

Face à cela le regard de l’adulte est désenchanté. Tout lui parait plus petit, tout s’est effondré.

Mais n’est-ce pas plutôt le souvenir qui a déformé la réalité?

La géographie de Soyinka est une géographie affective, vécue sur laquelle l’enfant a porté un regard enchanté, étonné, mêlé de récits, de mythes puisés à la source de différentes spiritualités.

Les souvenirs ont transformé la réalité dont a été retenu l’effet sur l’enfant surtout si celui-ci a eu un impact physique (sang, douleur, incision). Ainsi l’histoire s’inscrit-elle dans le corps qui appréhende le monde selon ses cinq sens.

Ses souvenirs sont enracinés dans la terre africaine à laquelle il reste fidèle face à l’hégémonie économique, spirituelle, culturelle des autres continents.

C’est donc bien le paysage d’une âme autant que l’âme d’un paysage que dessine Soyinka.

 
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b) Corollaire de l’espace : le temps

Temps du vécu, temps du souvenir, temps du récit. Trois temporalités qui s’entrecroisent sans nécessairement se corréler.

Le vécu c’est à la fois l’espace de 3 à 11 ans mais aussi les grands moments initiatiques : entrée à l’école à 3 ans à sa demande, il est passionné de lecture ; la fugue ; abandon de la chambre du père pour la natte commune ; les incisions chez le grand-père ; la mort de sa sœur, celle pressentie de son père ; l’entrée à l’école d’Abeokuta ; le combat des femmes. Autant d’épreuves qui le construisent.

Mais il y a aussi le vécu au quotidien telle que la toilette à laquelle il résiste pour affirmer son autonomie face à l’adulte ; ou encore son anniversaire ; la préparation des repas ; les visiteurs de son père ; les incidents quotidiens parfois dramatiques (les mendiants chassés).

Toutes ces expériences déstabilisent l’enfant et lui font prendre conscience de l’impermanence du monde humain face à « la mesure définitive de l’éternel » qu’incarnent les dieux et la mort.

La fuite du temps est rendue sensible par l’emploi des temps verbaux ; récit à l’imparfait, commentaire au présent et passé composé pour faire le pont entre un passé récent toujours présent et conférer une unité à un récit de souvenirs épars plus ou moins précis.

 

c) Le monde merveilleux de l’enfant

Wole est un être intermédiaire entre son monde imaginaire et celui des adultes qu’il ne comprend pas toujours et sur lequel il porte un regard critique.

Son imagination débordante agace sa mère. C’est un rêveur qui peut être dangereux. La rêverie apparait comme la « folle du logis » qu’il faut maitriser. Mais  pour lui elle tient de sa relation poétique au monde et alimentera plus tard l’idée que rien ne meurt mais que tout se transforme comme les egungun.

Tout alimente son imaginaire, la messe du dimanche, les récits bibliques ses lectures précoces. Déjà artiste, il crée des mondes possibles à partir des matériaux existants, c’est ce qu’écrivain il  fait en ensemençant son texte d’idiotismes ou en dotant les personnes devenus personnages de son monde, de sobriquets. Sa mère, Grâce Eriola, devient chrétienne sauvage et son père Samuel Ayodela Soyinka est tantôt Essay tantôt AM pour headmaster.

De même rebaptise-t-il les choses dont il saisit plus ou moins les noms : pamerja – chin chin – main main. Ainsi tout s’anime-t-il de vie jusqu’y compris les objets telle que la gourde d’Adatar aux pouvoirs magiques.

Dans ce contexte les rituels sont sans cesse convoqués pour agir sur le destin, par exemple pour être admis au Lycée National  et les mots ont un pouvoir réel poétique et pas seulement une fonction référentielle. Dans la querelle des universaux Soyinka se serait situé du côté des réalistes et non pas des nominalistes. Dire dans cette perspective c’est faire et le verbe d’être performatif.

Son imaginaire est pétri par les mythes que véhiculent les spiritualités yorouba et chrétienne et met en lumière les contradictions des adultes car sa mère qui combat sa rêverie, manifeste une foi inébranlable dans les miracles. Mais l’adulte Soyinka y met un humour qui nuanceson scepticisme et la critique qu’il manifestait enfant.

 

d) Du monde adulte

Très tôt il a le sentiment de l’injustice qui se manifeste dans la partition garçon-fille, celle-ci étant dévalorisée. La scène finale fait état du même problème.

Les adultes infériorisent les enfants car ils ne les comprennent pas ou refusent de répondre à leurs questions. Mais si c’est le cas de sa mère, par contre Essay se prête volontiers à ce jeu éducatif. Il lui faut raisonner, obtenir des explications à ses questions qui prennent une dimension philosophique.

Par ailleurs l’enfant Wole est un rebelle qui refuse qu’on lui donne son bain, et aussi de se prosterner devant un adulte ce qu’il ne fera jamais dans sa vie d’adulte.

Les adultes qui l’entourent sont les personnages de son espace imaginaire, mythique et réel.

Théâtre africain - Wole Soyinka - La danse de la forêt - Ed Oswald | eBay

Au nombre de ceux-ci s’imposent les proches, père, mère et plus lointainement grand-père, mais aussi l’oncle professeur.

Sa mère est la source de son imaginaire peuplé de figures bibliques. Son surnom oxymorique dit à la fois la tension et la conjonction de ses deux cultures, mai aussi son caractère dur et une éducation qui n’exclut pas les châtiments corporels. Violente elle l’est lors de la révolte des femmes mais aussi au quotidien lorsqu’elle est démesurée dans sa colère. Elle est une figure Dionysiaque, autrement dit elle incarne la force de vivre, aussi est-elle inlassablement nourricière de sa famille, des orphelins, des affamés.

Elle est en outre la dépositaire de la culture yorouba et de la mémoire familiale.

Avec son fils les rapports sont complexes, violents, complices, tendus, et si elle déplore ses rêveries, son obstination, son côté raisonneur, elle est fière qu’il résiste à sa gouvernante pour le bain ou qu’il ait suivi la fanfare.

Mais globalement les moyens pédagogiques sont la honte et l’humiliation comme en témoignent les punitions publiques et collectives.

Wole a du reste le sentiment de n’être pas à sa place dans cette maison et s’interroge déjà sur une question récurrente dans son œuvre : Ai-je une place? Si oui quelle est-elle? Dois-je en avoir une? Et à quel prix?  Faut-il pour ce faire user de violence? L’enfant est lui-même violent, on le dit même habité par l’esprit du diable dont il faut le délivrer.

L’expérience de la violence est omniprésente dans l’œuvre de Soyinka, aussi bien pendant les années d’enfance où il la manifeste dans son comportement que plus tard à l’école d’Ibadan qui lui rappelle les combats des femmes à Aké et où il est tenu pour un dangereux marginal ; plus tard il la subira en prison où il tente d’y échapper en faisant le vide dans son esprit comme il en avait pris l’habitude durant son enfance à Aké, enfin il la rencontre et l’affronte aux quatre coins du monde et bien souvent incite à lui répondre en appelant à la révolte. Que faire dès lors de la violence? Y recourir ou non?  La considérer comme une épreuve pour grandir? En faire un moyen  éducatif? La concevoir comme une puissance vitale telle que l’incarne Ogun? Ou bien comme une étape à dépasser?

Pour clore sur le chapitre de la mère, Chrétienne Sauvage n’est pas la seule car dans le clan toutes les femmes sont les mères en puissance de tous les enfants. Ainsi la femme du libraire est « l’une de nos nombreuses mères » et Wole de s’arrêter sur la beauté de son dos puissant. Elle se charge du reste de nourrir les enfants qui ont faim tout comme Chrétienne Sauvage.

Mais parmi ces femmes il y a aussi celles que Wole veut épouser, ou celles qui se révoltent et qu’il admire, Beer l’épouse de Daodu, ou encore quelques figures de marginales ostracisées par la communauté, tandis que d’autres, les aroso (femmes à pagnes) illettrées sont défendues par les femmes en rébellion réclamant justice parfois avec une violence telle qu’elle terrorise les hommes.



Pour poursuivre cette galerie des portraits, il faut bien sûr s’arrêter à Essay, le maitre d’école respecté, écouté, tenant porte ouverte, qui lui transmet le goût des études et de la lecture, qui l’incite à poursuivre celles-ci, qui n’hésite pas à raisonner avec l’enfant qu’est Wole et qui lui transmet le flambeau de l’homme de la famille lorsqu’il se croit condamné.

Essay incarne la sérénité, la patience, la  mémoire et la justice comme en témoignent le vol des mangues ou celui du lait en poudre. Mais il est craint aussi car ses colères peuvent être terribles

(cf. épisode de la destruction de sa roseraie).

Soyinka a consacré tout un ouvrage à l’enfance d’Essay « Isara » où il est question de son propre père, grand-père de Wole. Au cours d’une visite de l’enfant à Isara, son grand-père s’enquiert de sa poursuite d’études, s’inquiète des plus âgés qu’il va côtoyer et juge de ce fait l’heure de l’initiation arrivée pour le protéger.

Enfin, il y a Daodu, professeur au lycée d’Abeokuta lieu « d’aguerrissement, terrain d’entrainement pour apprendre à survivre ».C’est une microsociété avec ses chefs, ses règles, ses trafics, ses lois, ses procès, mais aussi ses héros.

Daodu c’est le courageux, il a connu la2ème guerre mondiale, c’est lui qui soutiendra son épouse contre le district officer. Mais il a aussi d’étranges comportements, qui font figure de rituels et suscitent la stupéfaction de Wole.

Qu’apprend-on de l’éducation? Qu’elle n’est pas théorique, ne consiste pas en des préceptes mais s’incarne au quotidien, ainsi le procès à l’occasion de la mort du coq où Soyinka fait aussi preuve d’un humour qui montre toute sa distance à l’égard d’un évènement plus comique que tragique. La justice se discute et se négocie.

 

e) L’éducation

Comme on a pu déjà le noter les sources de l’éducation sont diverses.

Il y a d’une part celle émanée de la culture yorouba, de ses mythes fondateurs incarnant les dieux et les esprits ; puis celle pratique des parents et adultes qui usent de châtiments corporels et de menaces mais aussi du dialogue raisonné et raisonnable ; ensuite celle dont les leçons constituent une philosophie de la vie lorsqu’on s’affronte aux autres et qu’ainsi on bâtit son identité à partir de son ori et que l’on fait des choix personnels de vie qui marquent son indépendance. Ainsi la nature, les autres, la vie sont-ils les facteurs de l’éducation.

 

Wole compare les éducations qu’il a connues, celle traditionnelle et collective de l’Afrique noire, impressive, ludique, non systématique, et celle des institutions scolaires jusqu’à Ibadan, mais aussi celle de l’école buissonnière.

Entre l’éducation traditionnelle africaine, et celle de l’école occidentale laquelle choisir? Cette dernière ne sait pas forger les caractères, elle enseigne la soumission. Alors est-ce l’école traditionnelle africaine qui serait la meilleure éducatrice comme semble en témoigner l’initiation à Isara où l’enfant subit des épreuves par lesquelles il donne la preuve de ce qu’il est. Grâce à l’initiation il passe du statut d’enfant à celui d‘homme, de combattant sous l’égide l’Ogun. Il l’assumera lorsque son père lui demandera de reprendre le flambeau.

A Isara, Wole apprend aussi qu’il appartient au cosmos et que le monde ne s’arrête pas à Aké « au monde chrétien, ou aux livres ». La nature devient son éducatrice.

 

CONCLUSION

 L’éducation qui consiste à se dresser est donc aussi et peut-être avant tout un cheminement personnel, celui qui fait passer de l’état de mineur à celui de majeur, qui fait acquérir l’indépendance et l’autonomie en s’affrontant au monde.

Très vite du reste il s’affirme lorsqu’il veut entrer à l’école à deux ans et demi et l’on respecte ses choix, lorsqu’il veut se laver seul ou lorsqu’il sort de la mission.

Ainsi apprend-il à devenir le citoyen du monde que deviendra Soyinka revendiquant l’autonomie du peuple nigérian contre ses dictateurs et contre son infantilisation par l’Occident que préfigure la rébellion des femmes à laquelle assiste Wole.

On comprend dès lors pourquoi Soyinka affirme que « l’enfant est le père de l’homme » (« De l’Afrique » - « Les Enfants d’Hérodote »).

DE L'AFRIQUE - et autres essais, Wole Soyinka - livre, ebook, epub

 Au final qu’est-ce que l’adulte aura appris de l’enfant? Quel guide d’existence en aura-t-il déduit?

Dans « De l’Afrique », au chapitre « Le crédo de l’Etre et du Néant » voici la réponse en sept principes comme sont sept les chemins d’Ogun.

 

« 1. Obatala accomplit. Pureté, amour, transparence du

cœur. L’homme est imparfait, l’homme s’efforce de

trouver la perfection. Même imparfait pourtant,

l’homme peut atteindre à l’harmonie intérieure avec la

Nature. L’esprit vient à nout de l’imperfection, que ce

soit de l’âme ou du corps. Ô paix qui donne l’entende-

ment, possède notre cœur humain !

 

2. Cherche à saisir les signaux de l’existence. La connais-

sance n’est-elle pas en nous et autour de nous? Si la

Source suprême de la Pensée a cherché conseil auprès

d’Orunmila à l’heure de la crise, pourquoi, ô chercheur

de connaissance, éviterais-tu le voyant des signaux? Il

se peut que la Sagesse sommeille dans la bouche des en-

fants, heureux celui qui attend patiemment que la langue

des tout-petits se délie. Ifa trace le chemin à travers les

horizons voilés.

 

3. Ogun donne l’exemple. La vertu revêt les tenues les

plus étranges : la camaraderie des combats, la médita-

tion dans la solitude, la route dure du sacrifice… La vie

est multiple et étrange. La mort de la peur libère la Vo-

lonté qui s’aventure là où la pensée n’a jamais marché.

Ogun libère : lève-toi derrière son ombre.

 

4. La justice est le mortier qui pétrit la demeure de

l’humain. Briques sur briques peuvent-elles résister aux

cris ensanglantés du mal des affligés? Pas plus que les

ténèbres ne peuvent résister à l’éclat de l’éclair ni les

toits de chaume au sentier de la foudre. Shango res-

taure.

 

5. Honneur aux Ancêtres. Si le sang en toi flue, si les

larmes coulent, si la bile s’épanche, si la tendre planète

du cerveau bat de pensée et d’émotion que la terre fi-

nalement te consume, alors toi et tes ancêtres, vous êtes

un avec les éléments liquides. Si la bête sait quelles

herbes de la forêt sont ses amies, quelle excuse donnera

l’humain qui se vante d’un connaissance supérieure,

mais n’a aucune empathie avec la moiteur de l’air qu’il

respire, le jus de feuilles, la sève de ses racines en terre

ou les eaux qui nourrissent son être? L‘humain peut

parler Oya, Oshun, Oriskha-oko… mais l’intelligence et

l’esprit contiennent davantage qu’une litanie de noms.

La connaissance est Orisha.

 

6. Orisha prêche la Communauté : fonde-la ! Ceci, au-

cun humain honnête ne le niera : l’humanité a failli au

monde et le monde à failli à l’humanité. Alors, inter-

roge : quelles fois et quels royaumes de valeurs ont do-

miné notre terre jusqu’à présent? Et encore : si leurs

dieux ont échoué, les nôtres ne peuvent-ils pas fournir

des remèdes oubliés?

 

7. La Volonté humaine est au-delà de la renonciation.

Sans la connaissance de la Divinité par l’homme, les

Dieux peuvent-ils survivre? Ô toi qui hésites, ce que

conçoit l’Homme est sans fond ; sa communauté se lè-

vera au-delà des portées actuelles de l’intelligence. Ori-

ha révèle la Destinée comme destination de soi par soi. »

 

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ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(1) Corpus divisé en 256 chapitres fondateurs de l’ensemble des croyances, liées à la divination.

Matière de différentes productions littéraires.

(2) Approche littéraires – L’Harmattan

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