Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Pages
Archives
31 octobre 2021

L'ENFANCE

 ENFANCE

Vision de bébé : il me voit comment ?

 

I – PETITE HISTOIRE DE L’ENFANCE

 1) Education

L’enfance est cette période précoce de développement et d’apprentissage dont les limites varient dans l’espace et le temps selon les contextes et classes sociales. On est par exemple mineur en France jusqu’à 18 ans (1974) actuellement, on l’était jusqu’à 21 ans il y a quelques décennies.

Mais cette limite légale ne distingue pas l’enfance de l’adolescence ni  même le mineur de l’adulte, d’un point de vue psychologique. Par ailleurs les périodes diffèrent selon les sciences qui en traitent et peut commencer à la naissance ; au moment de l’usage de la parole (avant on est un infans) et finir lorsqu’on quitte le foyer familial ou quand on commence à travailler autrement dit quand on acquiert son indépendance ou encore á  la puberté ou à la majorité juridique. D’où les multiples débats lors d’un crime commis par un mineur pour savoir s’il est ou non responsable et passible d’une peine de prison.

D’où aussi la « Déclaration des droits de l’enfant » promulguée en 1989 pour reconnaitre à l’enfant des droits imprescriptibles personnels. Il est ainsi devenu une personne juridique définie par ses droits et pas seulement par sa filiation.

Mais cette prise en considération de l’enfance est récente, car jusqu’au XVIIème siècle, on l’ignorait et la qualifiait de tare. Descartes considérait comme un grand malheur d’avoir été enfant avant que d’être homme. Montaigne ignorait combien il en avait car il ne savait combien étaient morts. Les philosophes du reste avant Rousseau ne s’y intéressent guère. Et si l’on observe sa représentation artistique, il a souvent le visage d’un futur adulte.

Si l’on remonte dans le temps jusqu’à la Grèce Antique, il faut cependant reconnaitre l’intérêt que Platon prend dans le livre VII « Les Lois » à l’éduction de l’enfant dans une perspective à la fois eugénique et politique. Il s’agit en effet que tout concourt à en faire un futur citoyen:

« L’époux à l’épouse… produiront pour l’Etat les enfants les plus beaux et les meilleurs qu’ils pourront »(« Les Lois »  VI. 783d).

Platon consacre le livre VII à l’éducation des enfants en admettant qu’une partie puisse échapper à la législation. Et l’Athénien, personnage principal du dialogue, d’envisager s’il faut emmailloter l’enfant, le laisser marcher ou le porter jusqu’à 3 ans, le bercer ou non pour l’endormir (790c).

Les nourrices sont l’objet de critiques comme elles le seront chez Descartes et l’on note que le philosophe s’arroge le titre de pédagogue tandis que la femme n’est que la génitrice ou la nourrice, car l’enfant avant que d’être un corps est une âme à former. Platon passe successivement les étapes de 0 à 3 ans ; 4 à 7 ans âge auquel il distingue l’éducation des filles de celle des garçons et les sépare physiquement, les garçons apprenant toutes les activités requises au soldat.

 Bronzes grecs et romains, recherches récentes. Hommage à Claude Rolley - Les deux statues d'enfant en bronze (Cap d'Adge) : étude iconographique et technique - Publications de l'Institut national d'histoire de l'art

Dans l’Empire romain par contre, les enfants on t un statut inférieur et nul statut légal du vivant du père qui a sur lui droit de vie et mort. Jusqu’à 7 ans il est « informe et sauvage » au-delà il peut participer à la vie de la famille.

L’enfant est un être inachevé qui doit devenir ce qu’il sera. L’enfance n’a de valeur que par ses potentialités. Pour preuve le taux d’abandon allant jusqu’à 40 % ou de sacrifices tels qu’il en existait chez les Mayas. Les parents confient les enfants à des nourrices esclaves. Par ailleurs ils sont l’objet, pour ceux qui sont exposés(abandonnées), d’un intense trafic d’esclaves. Du reste nombre de familles pauvres vendent leurs enfants, ce sera toujours  le cas au XIXème siècle, comme le relate Maupassant.

 Tout autre sera le statut de l’enfant et la valeur accordée à l’enfance dans la romanité chrétienne. On reconnait dès lors une âme aux enfants et une place est réservée au paradis, aux mort-nés baptisés : les limbes. Dans les Evangiles l’enfant est valorisé : « Laissez venir à moi les petits enfants » enjoint le Christ dans le Sermon sur la Montage. Cependant on continue à abandonner les enfants parfois dans l’espoir d’un avenir meilleur, ce sera aussi le cas de Rousseau  et les châtiments corporels sont encouragés, le débat à ce sujet n’est pas clos.

Avec Saint Augustin l’enfance est l’objet d’un récit et d’une interrogation philosophique sur l’origine du mal, on en trouve un écho chez Rousseau avec le vol des pommes et chez Soyinka avec le vol de poires.

 A partir du Moyen-âge l’enfant fait partie de l’iconographie sainte avec les représentations de la Vierge à l’enfant où celui-ci a rarement le visage d’un enfant, mais le geste se fait tendre et la relation affective.

La Vierge et l'Enfant avec deux anges - Louvre-Lens

Petit à petit les enfants envahissent les scènes de genre. On les voit jouer, courir du moins jusqu’à l’âge de 3 ans où l’éducation se fait beaucoup plu sévère.

Lors des guerres, les enfants de plus de 3 ans sont tués, Hitler n’a pas innové en la matière.

Les enfants travaillent très jeunes à des tâches domestiques, à la garde des animaux, ce sera le cas jusqu’au XXème siècle et ont une éducation très rudimentaire acquise auprès des moines.

 Mais c’est au XVIème siècle que le sujet va prendre une tout autre tournure avec le philosophe humaniste Erasme. Il insiste sur l’importance d’une éducation précoce car l’enfant est une cire modelable, afin de ne pas l’abandonner à lui-même au risque  qu'il ne devienne un animal sauvage.

 Il sera aussi à la même époque l’objet de la réflexion de Rabelais in « Gargantua et Pantagruel » et surtout de Montaigne (in « Essais » ch. XXV – XXIV – XXVI De l’Instruction Des Enfants)).

 

 Au XVIIIème siècle l’enfant devient l’incarnation avec Rousseau et les poètes romantiques d’un âge d’or de l’innocence, de la simplicité mais aussi de la vérité à l’instar de bon sauvage dont il est très proche, songeons à « Candide » et plus encore  á« L’ingénu » de Voltaire. Bien sûr il s‘agit là d’un enfant créé de toute pièce par le philosophe afin d’exprimer ses idées. Nous reviendrons sur le problème de la représentation de l'enfant prétexte á une critique de la société et de l’éducation.

Peu à peu affleure cependant l’idée que la connaissance de soi commence avec celle de l’enfant que l’on fut. C’est dans cette voie que s’engagera la psychologie.

Au XIXème siècle la condition de l’enfant demeure difficile d’autant qu’elle est tributaire du milieu social qui le voit naître. Ainsi sa vie est-elle rythmée soit par les leçons du précepteur et les soins des nourrices, soit par les travaux des champs ou les travaux domestiques dans les maisons où il (elle) est placé(e) dès 7 ans. La révolution industrielle verra la misère s’accroître chez les ouvriers venus à la ville et parmi les enfants employés dans les usines, les mines de charbon (cf. « Germinal » Zola) (cf. Maupassant). La mortalité infantile augmente et la scolarisation baisse d’autan que la sévérité et les châtiments corporels sont de mise.

Les récités autobiographiques ou non sur l’enfance se multiplient : Charles Dickens : « David Copperfield » ; « Oliver Twist » - Hector Malot ; « Sans famille » - Victor Hugo : « Les Misérables » (Cosette – Gavroche) ; « L’homme qui rit ». Certes l’enfant y est misérable mais aussi débrouillard, animé par la force de vivre, capable de se passer des adultes, créant des liens de solidarité avec les plus faibles. Ils sont  la fois un miroir de la société et un modèle de ce qu’elle devrait être. On n’oubliera pas non plus les poètes du XIXème siècle, Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo…

Sans famille - Bibliothèque NUMERIQUE TV5MONDE

 La misère pousse à l’abandon : en Autriche un enfant sur deux est abandonné et le nombre est multiplié par six en France comparativement au siècle précédent ; ou bien on les met en nourrice à la campagne pour les femmes qui travaillent (cf. Cosette) jusqu’à, en France,  1801. Outre la misère, la bâtardise incite à l’abandon en particulier pour la domesticité des maisons bourgeoises (cf. « Journal d’une femme de chambre » Octave Mirbeau). Dans ces conditions la situation des petites filles dont la naissance est mal vécue est pire.

Paradoxalement les enfants travaillant à l’usine restent dans le foyer parental qu’ils soutiennent économiquement et ne le quittent que pour se marier (cf. Zola « Germinal »).

L’émergence de nouvelles théories va faire évoluer la représentation de l’enfant. L’évolutionnisme va insister sur l’importance du milieu et comparer le développement de l’individu (ontogénèse) à celui de l’espèce (phylogénèse) d’où le nouvel intérêt pour l’enfance. La pédiatrie naissante ou médecine de l’enfant est le signe d’un intérêt nouveau pour celui-ci  ce qu’illustre le livre d’Ellen Key intitulé « Le siècle de l’enfant » (1900).

Peu à peu des spécialistes de l’enfance émergent qui étudient la personnalité et le développement propre de l’enfant en tant qu’individu à part entière : doué de langage, de conscience, de logique, de sexualité, ce qui n’ira pas sans déclencher l’ire de l’église.

Symptomatique de cette évolution est le traitement des enfants sauvages élaboré par Alfred Binet et Jean Itard. De nouvelles écoles naissent, celle de Maria Montessori précédant celle de Sumer Hill.

Sans entrer dans le détail des écoles et de leurs querelles, notons que les résultats en sont une baisse de la mortalité infantile, le renforcement des liens affectifs, la scolarisation obligatoire et le prolongement de l’enfance qui passe de 7 à 14 puis à 21 ans.

Ces étapes sont très aléatoires et varient dans l’espace et le temps. En ce qui concerne le XVIIIème siècle et donc Rousseau, on distinguait 4 périodes :

 - de  0 à   2 ans       : l’âge de la nature

- de  2 à 12 ans       : l’âge de la formation du corps et des sens

- de 12 à 15 ans      : l’âge de la formation intellectuelle et technique

- de 15 à 20-25 ans : l’âge de la raison et des passions, c’est-à-dire de la formation morale et                                           religieuse

 Ce sont les deux premières périodes que nous nous proposons d’étudier dans l’« Emile ».

 

II – L’ENFANCE COMME MIROIR DE LA PHILOSPHIE

 Au XVIIIème siècle les philosophes, en particulier Kant et Rousseau, Condillac en France et Locke en Angleterre vont s’intéresser à l’enfant. Jusque là, il est communément considéré soit comme une table rase, soit comme un petit animal sauvage, soit comme l’esclave de sa pulsion, soit comme une étape à dépasser pour devenir un homme. Du reste la comparaison avec l’enfant/enfance est dévalorisante : on a des pensées d’enfant ; on se conduit comme un enfant ; une pensée naissante est dans son enfance, autant d’expressions qui présupposent que l’enfance réfère à ce qui fait défaut.

Pourtant Platon d’un point de vue philosophique mais non politique a fait de l’enfance le modèle figuté de la connaissance philosophique se sourçant dans la réminiscence et requérant l’accouchement, c’est-à-dire la maïeutique, pour venir au monde. L’enfant symbolise dès lors cette pureté de la pensée qu’il s’agit de retrouver en deçà des préjugés comme l’illustre Menon  dans le dialogue éponyme. Descartes comme nous l’avons déjà évoqué a une toute autre conception de l’enfance puisque l’enfance est ce dont il faut se défaire et non retrouver. L’enfant bercé par sa nourrice a été nourri de préjugés qui sont autant d’obstacles dans la quête de la vérité. « L’opinion pense mal, elle ne pense pas », écrira plus tard Bachelard, car elle ne questionne pas, n’a pas le sens du problème et tient ses besoins pour des connaissances et c’est, pense-t-on, le cas de l'enfant.

 Cependant Descartes n’ignore pas que l’enfant ne cesse d’interroger mais que les réponses de l’adulte sont inexistantes ou stupides ou arbitraires. A quoi s’ajoute le fait qu’il cherche les réponses qui lui seront utiles et lui feront éprouver du plaisir ; qu’il se fie à ses sens et ses impressions premières, ainsi croit-il que les animaux pensent et parlent ; qu’il est égocentré ; qu’il fait confiance en l’absence de toute raison critique aux adultes qui le nourrissent et protègent.

Tous ces facteurs étouffent « dans nos esprits des semences innées de vertu ». Une idée similaire sera à l’origine de l’« Emile » de Rousseau.

John Locke ne dira pas autre chose dans ses « Pensées sur l’éducation » il faut élever l’enfant dans la raison, être tendre avec lui, éviter les châtiments corporels et l’inciter à jouer, sans oublier de l’édifier au moyen de fables, celles d’Esope. On aura l’occasion d’étudier l’anathème dont Rousseau poursuit celles de la Fontaine.

A contrario dans l’ « Emile ou De l’éducation », Rousseau reconnait à l’enfant un « fonctionnement mental propre », il est naturellement bon et il faut en conséquence le laisser se développer par lui-même, faire ses expériences, déployer son intelligence grâce à des épreuves que son précepteur démultipliera sans intervenir. Ceci n’est pas sans rappeler la propre enfance de Rousseau narrée dans les « Confessions ». Et puisque c’est la société qui corrompt l’individu et l’éducation qui le dénature, alors il faut que l’enfant grandisse sans connaître ni l’une ni l’autre. Rousseau inaugure l’éducation libérale plutôt que la discipline.

Rousseau, Émile ou de l'éducation – À la française …

Dans son traité, il aborde les questions les plus prosaïques ; allaitement de l’enfant par la mère, ce qui fera nettement baisser la mortalité ; suppression de l’emmaillotement qui faisait du bébé une momie.

Parallèlement le commerce du jouet ainsi que la littérature enfantine commence à se développer ainsi que les récits d’enfance parce que précisément l’enfance prépare et explique les orientations de l’âge adulte. Ainsi la justice, sujet de prédilection de Rousseau, tient sans doute beaucoup à l’épisode du « Ruban volé », comme il le souligne dans les « Confessions » écrites trente ans plus tard pour s’en confesser.

Pour Nietzsche  l'enfant est bien plus que cela il est la métaphore du philosophe danseur et équilibriste qui a dit et redit sans cesse « Oui à la vie » en quoi consiste  la « gaya scientia ». Troisième métamorphose de l’esprit après celle du chameau et du lion, l’enfant incarne l’attitude de l’esprit qui consiste à proclamer la force vivre requise à la création de nouvelles valeurs. L’enfant nait de la mort du vieil homme, il est celui qui à l’image de la philosophie renouvelle le monde tandis que le chameau le supporte par devoir et que le lion le détruit selon son bon plaisir mais sans créer des valeurs nouvelles. L’enfant c’est l’image du surhomme ne tant qu’affirmation libre de vie et création de valeurs. C’est pourquoi l’enfant joue car l’enfant est créateur, c’est pourquoi Picasso est un enfant. Mais la création est un jeu sérieux puisqu’elle réalise des mondes possibles et l’enfance est le terreau, le tout commencement à condition de se discipliner. Les artistes surréalistes en recherchent la source dans l’inconscient c’est-à-dire dans l’espace des expériences fondatrices de l’enfance ;

 Selon Lyotard dans son ouvrages" Lectures d'enfance " celle ci en dit plus sur les regrets de l’adulte que sur l'enfant qu'il fut. C’est une  vie derrière soi qu’on ne peut mettre devant soi. (Gary)  L'enfant est aliéné à ce qu’on dit de lui sans pouvoir répondre. Il est dans un entre deux : accès à la vie, non accès au langage d’où le drame de l’enfant.  Il souffre d'une incapacité dont on ne se débarrasse pas. L’enfance n’est pas un âge de la vie. Elle est ce reste opaque avec lequel on ne cesse de s’expliquer, elle est coextensive à la vie, ne s’arrête pas contrairement á ce que pense l'opinion commune. L'enfance est ce qui ne se parle pas, mais hante l’adulte (parce que cela n’a pas été parlé). Forme d’incontournable, l'enfance nous arrime  dans un état de passivité.

L’enfant ne peut faire autrement que de se préparer à ce qui va arriver, sans pouvoir lui faire face. D’où le régime de sensibilité propre à l’enfance, qui est face à ce qui le déborde  et l’excède.

La sortie de l’enfance c’est la capacité à maîtriser ce qui  menace et n’a pas encore de nom. Le nom permet de mettre à distance, d’exercer sa raison.  Mais la sortie n’implique pas l’annulation de l’enfance.

Mais dans ce contexte le langage est à la fois outil et menace, il libère du silence, détourne de l’enfance et pourtant aliène.

 IL y a un rapport d’étrangeté de l’enfant au langage qui est la part héritée de l’autre. Etrangeté d’être dans le territoire étrange de l’autre qui relève  de la sphère du socialisé antagoniste de l’immédiateté du langage de l’enfant. L’enfance est indéterminée, c’est un devenir soi qui nous accompagne tout au long de la vie. Donc l’enfance n’est pas insouciance, c’est un deuil, une angoisse.

L’enfance ne se dit pas. Ce qui dit l’enfance le dit autrement à partir d’un après coup. C’est toujours la chose perdue, pourtant présente, non dicible.

Le silence de l’enfant se heurte á la surdité de l’adulte.

Aux deux extrémités de l’existence il y a une non-appropriation. L’enfant est endetté vis á vis de son géniteur.

Arendt dit que la vie est commencement, renouveau, radical, autonomie.  Lyotard  affirme qu'elle est endettement par rapport au don de la vie.

La voix est indéterminée, vient d soi comme une étrangeté. Quand on l’écoute on ne la reconnait pas. Epreuve de l’altérité en soi.

On ne se fait pas soi-même, on se tient d’un autre qu’on passe toute une vie à rembourser.

  

III - HISTOIRE DE L’EDUCATION - IDEAUX PEDAGOGIQUES

Quand les Sophistes proposaient le règne des jargonneurs

 1) Philosophie des sophistes

La païdeïa Aristote Politique L I -  Platon – République : repère les aptitudes de chacun pour lui conférer, adulte, une place dans la cité, il y a donc un enjeu  politique de l’éducation  qui consiste á instaurer l’égalité des droits et devoirs ou á perpétuer les inégalités sociales. Eduquer pour quoi faire :  Épanouir l’enfant, en faire un adulte raisonnable, le mettre au service de la société ? Les sophistes : pédagogues, rhéteurs des aristocrates répondent à cette question en privilégiant la réussite sociale.

Au Moyen-âge il s'agira de privilégier et perpétuer un destin, un ordre social genré et socialement marqué.  L’éducation religieuse s'imposera á tous  et le peuple accédera aux seuls savoir faire manuels. Quant aux petites filles  elles sont considérées comme:

- lascives

- sottes

- innocentes plus tard

- complément du mari

- mères  au foyer.

 Au XVIIIème siècle, l’idéal de  liberté, de justice, d’égalité s’oppose a l’élitisme d’une éducation aristocratique perpétuant les inégalités. Il s’agit d’éduquer l’enfant à être libre, c'est-à-dire responsable, et à lui donner les moyens d’y réussir. Condorcet  dans« Cinq mémoires sur l’instruction publique »plaide pour le passage de l'éducation domestique à publique afin de faire de l'enfant un homme et un citoyen. Ce qui signe la sortie du cercle familial de l’héritage et du nom.

D’où  le choix  crucial : faut-il discipliner ou/laisser libre? Sanctionner ou raisonner?

 Si éduquer c'est sanctionner on présuppose une anthropologie où l'enfant est un bois tordu qu'il faut redresser en :

- empêchant la satisfaction immédiate des désirs

- respectant la loi morale

-suivant les normes en vigueurs                                                                  

Au contraire si enfant  est conçu  comme innocent,  il est une tabula rasa vide des préjugés que lui a inculqué son éducation.  Il s’agit de le responsabiliser, comprendre ses erreurs, en peser les conséquences,  et faire confiance à la nature afin de l’éduquer en vue du bonheur et de la liberté..

  

2)Eduquer ou instruire ?

L'éducation des enfants - Ép. 4/5 - Montaigne

Selon Montaigne éduquer (ex-ducere) c'est apprendre á bien penser, découvrir la vérité en soi par réflexion, ou expérience, maitriser ses aptitudes.

Instruire  c'est  inculquer des savoirs imposés.

 La question est de savoir ce qu’on veut faire de l’enfant : un homme ou un citoyen, une tête pensante ou savante,  susceptible de penser par soi-même, ou comme les autres ou mieux, avec les autres.

Vise-t-on à l'émanciper ou le conditionner? Dans cette perspective l'école  est elle au service de l’enfant ou de la société?

Kant dans son opuscule " Qu’est ce que les Lumières " indique que la majorité consiste à sortir de l'état de tutelle quelle qu'elle soit et donc de défaire les nœuds avec l’Eglise et de favoriser:

- laïcité et neutralité de l’Etat en matière de choix de vie

-permettre à tous l’accès aux savoirs.

 Mais plutôt que de choisir ne peut-on concilier, éduquer (développer esprit critique, choix de vie, ≠ tutelles) et instruire (mêmes savoirs et compétences) ? Il faudrait donc éduquer grâce à l’instruction.

Prenons garde  que cette  apparente liberté individuelle est en fait le choix d’une société néolibérale préparant et ayant besoin de travailleurs. D’où la culture de la performance soutenue par une morale laïque (travail, épargne, discipline, sociabilité, intériorisation des normes).

 

3) Protection juridique

  La protection relève-t-elle de la tutelle de l’état ou du soin des parents ?

Selon Montaigne il n'existe aucun lien d’obligation d’affection entre parents et enfants ( L II ch VIII). Cette apparente indifférence s'explique par  la mortalité enfantine. Du reste en Chine la fille  est souvent tuée car ce sont les fils qui assurent la vieillesse des parents or de nos jours la retraite a ôté cette charge.

Cependant le souci parents enfants n'est pas récent (antiquité, christianisme) mais tend à devenir une obligation légale comme l'atteste la nouvelle loi sur  le congé parental du père  et les droits de l'enfant devenu sujet de droit

Depuis 56 : code de la famille, aide sociale

1964 : DDASS

1982 : aide aux mineurs

1966 : droit de l’enfant ONU

1979 : année internationale de l’enfant

…….

 Conclusion:  l’enfant est considéré soit  comme objet de projection, soit être inachevé ; soit père de l'adulte, soit promesse á venir, soit regret…...

 

IV – LES RECITS D’ENFANCE.

Citation William Wordsworth vie : Mon coeur bondit lorsque je vois S'élancer un arc-en-ciel :...

 L’enfance et pas seulement l’enfant, devient un objet de projection mai aussi de nostalgie « On est, écrira Saint Exupéry, de son enfance,  comme on est d’un pays », c’est lui qui devient l’éducateur de ses parents « Il est donné à l’enfant d’en savoir plus que ses parents, les ayant regardés » (Drieu laRochelle). Il est ce qui persiste en nous jusqu’à notre mort et qu’il nous faut retrouver comme le préconisait Picasso, en écho à Woodworth.

 

« L’enfant est le père de l’homme

Et je souhaite que mes jours

Restent liés les uns aux autres par

Cette dévotion à la nature »

                                                                                              L’Arc en Ciel

 

Les récits d’enfance se sont multipliés depuis le XXème siècle, ce qui révèle d’une part que l’enfance n’est plus un objet dédaigné et qu’entre l’enfant conçu comme un futur adulte à former ou une objet d’étude scientifique, il y a place pour une tout autre approche, celle autobiographique de la quête des origines, c’est-à-dire de la quête de connaissance de soi. Réactivant la démarche socratique, l’écrivain part à la quête de soi, d’un soi peut être plus authentique en tout cas premièr.

Dès lors de nouveaux paramètres interviennent : le souvenir / l’oubli ; la mémoire / l’amnésie ; le temps / l’éternité ; la nostalgie / la joie… ; le vécu/la reconstitution rétrospective.

Or cette connaissance n’est pas sans surprise, déni, ni idéalisation. On s’y découvre vilain petit canard « enfant terrible car terriblement malheureux » (Cocteau) fort éloigné des représentations idylliques de l’enfant modèle et de l’enfance bienheureuse. Qui voudrait avoir vécu l’enfance de Lazarillo de Tormes? Saint Augustin se découvre précocement pêcheur, et la littérature abonde en romans  édifiants pour les enfants : «  Les petites filles modèles » (Comtesse de Ségur), « Le tour de France pour deux enfants ».

Qu’en déduire si ce n’est qu'en la matière il n’y a justement pas de modèles et qu’il est tout aussi fallacieux de diaboliser l’enfant comme le font certains films de fiction ou de le diviniser en lui prêtant des qualités remarquables celles du saint ou du génie.

Objet de tous les phantasmes/fantasmes l’enfant est bien plus le miroir de nos croyances, de nos espoirs et angoisses que celui de nos connaissances.

Balthus: l'artiste de la contradiction et du trouble - ARTEEZ | Le monde de l'art en un clic

Il est une énigme et c’est pourquoi il ne cesse l’alimenter l’inspiration des artistes. Songeons par exemple à Balthus ou à Crémonini. Chez ces artistes l’enfant est un passage  à la limite, un seuil, un être ambigu qui incarne ce génie de l’équivocité par lequel Merleau Ponty définit l’humain.

Léonardo CREMONINI (1925-2010). Sans Titre. 1973 - Sérigraphie. Signé en bas à [...] | lot 120 | Presse Papiers - ivoires - Pré-Colombien - Dessins chez Philocale | Auction.fr

Cette équivocité qui consiste à « détourner de leur sens les conduites vitales par une sorte d’échappement »  remettant en question la séparation entre nature et culture est à l’œuvre chez l’enfant en général et dans Aké (Soyinka) en particulier où les esprits des morts côtoient celui des enfants, un tel est un oro, un autre est accompagné de son egungun. On est là en présence d’une pensée pré-rationnelle syncrétique qui à l’instar de celle du rêve ignore les principes de la logique rationnelle – identité ; non contradiction ; tiers exclu. C’est aussi celle de la poésie qui lit la liberté sur les oreilles d’un chien, voit la terre bleue comme une orange ou surprend la vie secrète des objets une fois la nuit installée.

C’est pourquoi l’univers de l’enfant est autre et merveilleux. Rien n’est déterminé, prédéfini, l’enfant avec les objets, avec les mots crée ce faisant des mondes possibles lesquels lui permettent d’échapper à une intolérable réalité ( cf pièce de théâtre Rémi Capdevielle).

 

V – LES THEMATIQUES DU MONDE DE L’ENFANCE

 Le monde de l’enfance

Dans celui-ci il n'y a pas de frontière entre rêve réalité, animé, inanimé, animaux, hommes, esprits.

Le jeu (sérieux) est un moyen éducatif :

- pour apprendre de son corps / utiliser son corps

- se socialiser : rivaliser, se mesurer, trouver sa place, imiter les fonctions des adultes ; canaliser ses pulsions ; respecter les règles, et les autres

-Jouer est une activité gratuite sans finalité.

 L’ennui et la rêverie

 L'enfance instaure un  rapport propre  au temps défini par:

- immédiateté de la réalité

- éternité dans le rêve

 Bachelard –  dans La Poétique de la rêverie (ch. III p 87. GF) dans le chapitre intitulé« Rêveries vers l’enfance » définit celle ci comme une antécédence d’être, le premier rapport au monde survivant dans l’adulte. L’enfance est alors une permanence du  passé qui parle en nous il est á l’origine de l’être de l'adulte.

galerie brumaire

L'Enfance  ne se cantonne pas á:

- période de vie

- ensemble de souvenirs

-mais elle est latente en chacun de nous

-  c'est un rapport poétique au monde retrouvé par le biais de l’art

Proust  écrit que« Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus », le reste le cède á l'ennui que distille le monde adulte dont les règles imposent un moule.

 Le temps

 Ces changements imposent de repenser : la qualité du temps,  les rapports nature / culture – sauvagerie / civilisation – animalité / humanité réconciliés et articulés par l’enfance.

Mais de quelle enfance parle-t-on ? Les deux ouvrages de Rousseau et Solyinka  parlent-ils de la même ? L’une abstraite et idéale, l’autre concrète et tâtonnante. Dans les deux cas, l’enfant est un être insouciant qui ne connait pas de responsabilités et vit cependant, sous le regard culpabilisant, voire réifiant des adultes.

  

VI – LES PROBLEMATIQUES LIEES A L’ENFANCE.

 Bien qu’il ait été enfanté avant que d’être homme, l’adulte ne se reconnait pas dans les enfants et oublie lui-même qu’il le fut.

Spinoza, par exemple a le sentiment que l’enfant et l’adulte ne partagent pas la même nature et

Rousseau considère l’enfant dans l’enfant et non l’homme dans l’enfant.

 

1) -L’enfance a-t-elle un âge?

 In Aké : 11 premières années

In Rousseau : nourrisson + puer + préadolescent

  S’agit-il de l’âge organique ou de l’âge social à moins qu'on ne puisse lui en assigner, car l’enfance  serait un devenir sans commencement.

 a) L’âge des possibles

Donc de l’indétermination des choix et des renoncements. L’enfant s'avère un aventurier sans craintes qui explore le monde qui prend sens sous ses yeux.

 b) Exigence de devenir grand

 A moins qu’il ne veuille pas grandir comme l'illustre Peter Pan in Neverland.

 c) Processus sans commencement

Fichier:Family Ransome Kuti c1940.jpg — Wikipédia

L'enfant est déjà inscrit dans un réseau de relations intersubjectives ( Aké, Soyinka). Cependant il rêve, imagine le monde et suspend le temps. Il se construit en rêvant un monde imaginaire habitable. Cette construction est  similaire à elle des rêves usant de matériaux du réel et les transformant par condensation ou déplacement. Mais progressivement  l'enfant adapte ses désirs à l’ordre du monde.

D’où nostalgie, amertume et impuissance. Le champ des possibles se restreint.

Epoque révolue ou terre d’ancrage d’identification dont on ne cesse de s’éloigner telle peut s'appréhender  l'enfance.

 Enfance vécue, rêvée, racontée : le chemin de la rêverie est  le seul pour recouvrer l’enfance mais l’enfant est lui-même incapable de raconter son histoire car impuissant à prendre la distance d’un témoin et l'adulte advenu ne rêve plus guère.

 

2) - L’enfance est-elle ignorante ?

Soit :

-  savoir en sommeil

- facultés trop peu développées ne pouvant s’exercer

Mais le savoir est-il réductible à une activité rationnelle ou inclut-il le vécu et  les expériences sensorielles? En l’occurrence  il s'agit de distinguer savoir et connaissance.

Le lien log / logos fait qu’en l’absence de logos l'enfant est soupçonné d'être privé de l'exercice de la raison et de la pensée et de fait  d'être incapable de transformer ses impressions en pensées. L'enfance est le sommeil de la raison (mais pas de la compréhension comme en témoignent les nourrissons), il est donc selon Aristote  incapable d’agir car l'action requiert la raison qui rend possible la délibération et la mise  à distance de ses désirs. Ceci s'assortit de la distinction

entre l'impulsion non délibérée et l'action fonction d’un but. Or l’aptitude rationnelle à faire preuve de juste mesure (requise au vivre ensemble et à la vertu,)   est la condition du bonheur.

Donc l’enfant est étranger au bonheur  car il ne connait que le plaisir.

Chez Descartes, l'enfance est en effet le temps des préjugés,  la volonté supplante la  raison transmise par les adultes. On est face á un cercle vicieux ; sans logos pas de pensée, sans pensée pas de logos.

Le  langage intervient avec la conscience de soi en tant que moi auquel se rapportent impressions intérieures  et perception extérieures. D’où parole en personne propre « je » et non en 3ème personne.

Avec le « Je » l’enfant manifeste qu’il ne se sent plus mais se pense. Il appréhende sa propre permanence dans le temps.

L'enfant manifeste  de l’étonnement face au monde tout comme le philosophe. Pour eux rien n'est  évident, défini, fini. Mais l'inconfort qui s'ensuit peut inciter à recourir aux réponses stéréotypées de l’adulte.

 Mais, alors que le philosophe fait douter les autres car lui-même doute, l'enfant n'y réussit pas.

 Certes le philosophe retourne à l’enfance, mais différemment, car le philosophe cherche à surmonter son ignorance par le savoir, l’enfant y supplée par le travail de l’imagination créatrice de mondes.

 

3) L’enfance est-elle méchante?

Cette question présuppose plusieurs problèmes :

- l’enfant sait-il ce qu’est le bien et le mal ? si oui comment les définit-il . S’agit-il:

-  de douleurs physiques

-  ou psychologiques

- de celles que l'on endure

- ou inflige aux autres?

Naît-on ou devient-on méchant ?

Fait-on le mal volontairement, par ignorance, par peur, par faiblesse, par défense?

La méchanceté  est -elle mimétique? En ce cas l'adulte en est responsable.

 

4) Réflexions sur l'éducation

 

L'enfant doué de potentialités requiert une éducation pour  qu'elles soient actualisées– sans éducation l'enfant est une  brute (sans culture) un sauvage (sans discipline) dépendant de ses seuls désirs et caprices 

L'éducation a pour vocation de faire de l'enfant un être autonome. Mais le problème est de savoir comment unir la soumission sous une contrainte légale avec la faculté de se servir de sa liberté ?

Comment faire un homme libre en usant de la contrainte ? Rousseau avait déjà posé ce problème dans Le Contrat social, écrit à la même époque que Emile.  La seule loi que connaisse l'enfant est celle de son  propre désir, exacerbé par l’imagination d’un objet, plaisir désirable, qui déborde ses besoins. Il recherche le plaisir pour le plaisir et le prolongement de celui-ci : ( cf. tétée suivie du suçage de pouce.)Il explore le monde et lui-même à travers ses zones érogènes, sans appréhension globale de soi ni souci de l’autre.

D’où tendance à la tyrannie en l’absence de discipline.

Il lui faut donc des règles pour grandir, un cadre rassurant le maintenant dans l’ordre humain et lui permettant de réaliser ses potentialités.

D’où un nécessaire bagage pour que Mozart de soit pas assassiné ( Saint Exupéry Terre des Hommes). Mais "On n’est pas impunément le fis de ses parents » (Nietzsche Gai Savoir V 348).

L'éducation  crée une seconde nature ou lui en fournit une en fonction de son indétermination initiale. Mais s'agit il de formation (d’une nature initiale),  d'in-formation (à partir de rien) ou de déformation?.

 Faut il faire confiance a la nature et la prendre pour doux guide ? La retrouver  sous la couche des préjugés et des préceptes qui  l’occultent,  ou s’en détourner comme d'un âge  révolu ? A chacun d'y répondre et de peser  les implications et conséquences  de ses choix pour l'enfant , l'adulte à venir, et la société.

 

 Mozart assassiné : Saint-Exupéry et Allain Leprest. - Ex-libris

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 51 473
Publicité