Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Conférences de Solange Anastasia Chopplet
Pages
Archives
5 décembre 2021

PEUT-ON SE CONNAITRE SOI-MEME ?

PEUT-ON SE CONNAITRE SOI-MEME ?

 

La maxime ouvrant l’ère de la réflexion philosophique est le fameux « gnoti seauton » de Socrate, « connais-toi toi-même » que l’oblige à se poser l’oracle de Delphes lorsqu’il le qualifie, à son grand étonnement, de plus sage des hommes. Or se poser cette question présuppose l’ignorance de ce que l’on est et en l’occurrence, le désir de la surmonter. Par conséquent la connaissance de soi ne va précisément pas de soi et les réponses en termes d’identité civile semblent bien insuffisantes. Qui suis-je en deçà de celle-ci? Et, question corollaire, suis-je d’une part à même de me connaitre moi-même en tant qu’être unique, original, différent de tout autre et par voie de conséquence responsable de ce que je suis? Et d’autre part suis-je susceptible de me connaitre par moi-même sans intermédiaire?

Or la première question soulève l’objection de l’objectivité de ce savoir. Puis-je me connaitre comme un objet d’observation scientifique, c’est-à-dire en termes d’essence définie? Autrement dit la vérité sur soi peut-elle être définitive ou bien est-elle lacunaire, sélective et progressive?

Quant à la seconde question elle est le corollaire de la première puisqu’elle suppose que le moi requiert pour se connaitre des intermédiaires, en l’occurrence autrui, plus à même que moi seul de me faire prendre conscience de ce que je suis. Mais quelle valeur de vérité octroyer au jugement d’autrui? Intermédiaire ou obstacle à la connaissance de soi, témoin et révélateur ou manipulateur?

Il s’agira donc pour répondre à cette question de s’interroger tout d’abord sur les conditions qui l’induisent ; puis sur les zones d’ombre que rencontre la réponse ; enfin sur la nécessité des interactions avec le monde dans la construction progressive de la connaissance de soi induisant une redéfinition delà conscience comme intentionnalité.

 La question de la connaissance de soi présuppose un doute quant aux réponses fournies par l’identité civile. Puis-je me réduire à un nom, un sexe, une adresse, un pays? Certes non, car cela ne me différencie pas des autres, au contraire et je sens bien ce que cela a de réducteur et normatif.

Par contre je suis profondément ébranlé lorsqu’il y a crise et que celle-ci induit une remise en question du moi au point que celui-ci pose problème.

C’est le cas comme le stipule Pascal, lorsqu’on dit m’aimer. Est-ce pour ma beauté? Mais elle passera. Pour mes qualités? Mais elles peuvent se perdre et se perdront. Par conséquent on m’aime pour ce qui n’est pas moi mais des qualités contingentes et Pascal de conclure « on n’aime donc jamais personne mais des qualités » sans que je sache jamais qui je suis, ni même si ce « je » n’est pas une illusion.

Cependant ce doute, aussi radical que celui de Descartes, m’assure d’une chose c’est que je suis un être pensant, dont toute la substance est de penser. Et Descartes parvient à ce résultat alors même qu’il connait une crise le faisant douter de la possibilité même d’établir la vérité des idées. Or c’est paradoxalement un doute hyperbolique, volontaire et systématique qui le fait accéder à cette vérité nécessaire « je pense, je suis » et c’est par le seul exercice de sa pensée qu’il y parvient, confirmant ainsi que l’on peut se connaitre et se connaitre par soi-même. Je suis une pensée consciente d’elle-même, transparente à elle-même.

Par ailleurs d’autres expériences me mettent face à moi-même et me permettent de m’éprouver tel que : l’effort physique grâce auquel je prends conscience des ressources de mon corps et de mon âme ; la méditation qui m’ouvre à des états de conscience élargie, comme en fournissent les « Confessions » de Saint Augustin ou celles de Rousseau proclamant qu’il se prend lui-même comme objet de son livre et s’expose en toute vérité au jugement du lecteur ; le risque de mort que Sartre conçoit comme une condamnation à la liberté ; la solitude qu’éprouvent l’ermite, le condamné, l’abandonné qui peut le conduire, comme l’expose Tournier dans « Vendredi ou les limbes du pacifique » à   prendre conscience de la nécessité de la présence d’autrui pour m’assurer que le monde et moi-même existons. Dès lors le cogito cartésien se transforme en « L’autre existe donc je suis ».

Nous commençons donc à entrevoir que la connaissance de soi-même par soi-même rencontre des limites que nous nous proposons d’analyser.

Nous faisons tous l’expérience de réactions inattendues, d’idées auxquelles nous n’avons pas consciemment pensées, de passions subites qui nous laissent stupéfaits et nous font supputer que quelque chose pense, que « ça pense » comme le disait Lacan à la suite de Freud analysant l’origine des actes manqués et le processus des rêves supposant une activité de penser dont nous ne sommes pas conscients.

En outre si la conscience comme la caractérise Bergson s’inscrit dans le passé par la mémoire et dans le futur par anticipation, alors la connaissance de soi est tributaire de la mémoire qui peut être sélective, lacunaire, manquée d’ampleur ou être idéalisante. C’est ce que l’on peut observer lorsqu’on se remémore notre enfance dont la connaissance est tributaire de notre mémoire, de notre expérience actuelle, de notre idéal du moi et du témoignage d’autrui. Je ne serais donc pas ce que je crois être.

Dans ces conditions difficiles d’accéder à une connaissance vérace de soi qui ne soit pas occultée par la représentation visée de soi.

Faut-il dès lors renoncer à se connaitre ou redéfinir sa possibilité en termes de processus continu?

Sartre dans l’ «Existentialisme  est un humanisme » définit l’homme comme un projet c’est-à-dire comme ce qui est jeté devant soi car doué d’une intentionnalité ce qui l’amère à redéfinir la conscience en terme d’éclatement vers. « Connaitre », écrit-il, c’est « s’éclater vers » s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer là-bas, par delà de soi, vers ce qui n’est pas soi  (Situation I).

Dès lors on comprend que la conscience ne coïncide pas avec la connaissance de soi qui est relative à un processus en devenir. Si effectivement l’existence précède l’essence alors la connaissance de soi est tributaire d’un ex-ister (un se tenir hors de soi) qui fait de l’individu un observateur et un acteur d’un soi qu’il devient sans jamais l’être tout en en étant responsable. D’où la question incessante de savoir qui je suis, question que me constitue donc.

Dans cette perspective je m’inscris dans le monde où je rencontre ce qui n’est pas moi, autrui, qui me fait prendre conscience que je suis à la fois même pour moi-même et autre pour lui-même de sorte que j’oscille entre ces deux pôles constitutifs de la conscience de soi en tant que même et autre. Le moi-même identique à soi n’est dès lors plus qu’une construction abstraite et simpliste qu’ébranle la rencontre de l ‘autre par le truchement du regard, du geste et de la parole que Sartre met en scène dans sa pièce de théâtre « Huis clos » où chacun des protagonistes fait l’expérience de la dichotomie entre conscience et connaissance de soi. Dans ces conditions autrui est bien un intermédiaire entre moi et moi-même de sorte qu’il peut se révéler être un enfer.

Mais il est aussi l’aiguillon comme l’était Socrate d’une interrogation sur soi et d’un éveil de la conscience morale jugeant de mes actes en fonction du bien et du mal. Or cette considération souligne la responsabilité de mes actes à l’égard d’autrui de sorte que la connaissance de soi ne relève pas seulement d’un pouvoir, mais aussi d’un vouloir et d’un devoir. C’est pourquoi la question de Socrate est nécessaire et universelle car il en va de moi avec les autres, il en va de l’individu dans le collectif, de la différence et du commun, de l’unité dans la multiplicité. Comment en effet accorder ce qui fait de moi un être singulier avec la singularité des autres pour ensemble créer du collectif?

Cette question donc m’intér-esse car il en va de mon être avec, sans lequel ce à quoi l’homme vise, à savoir : la liberté, la justice et le bonheur, s’avèrent irréalisables.

 A la question de savoir si l’on peut se connaitre soi-même nous répondrons par la négative en termes de définition d’une essence et en termes d’autosuffisance par contre nous répondrons par l’affirmative s’il s’agit d’une connaissance en mouvement s’inscrivant dans le temps où je m’admets en termes d’énigme suscitant mon étonnement et la possibilité d’une perfectibilité ne me réduisant pas au désespoir d’être ce que je suis.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Coférencière et philosophe

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 50 957
Publicité