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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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31 octobre 2021

MARINETTI - MANIFESTE DU FUTURISME

MARINETTI - MANIFESTE DU FUTURISME

Marinetti dans son « Manifeste du futurisme » écrivait en 1909 « nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente ». Que dirait-il à notre époque où l’on vit à cent à l’heure, tout en le déplorant?

Car nous nous lamentons sans cesse d’aller à toute vitesse tout en regrettant de n’avoir pas le temps. C’est dire à quel point notre rapport au temps est complexe et ce d’autant que la technologie nous incite à aller toujours plus vite quand elle ne nous y contraint pas. Alors on aspire à lever le pied, à prendre du temps pour soi, de sorte que nous avons à choisir entre vitesse et lenteur. Mais en a-t-on le choix alors que tout concourt à accélérer le rythme de nos vies? Alors que la lenteur dans quelque domaine que ce soit est connotée négativement? Slow et dé consommation sont à contre-courant et semblent des reliquats de vieilles nostalgies à moins qu’ils n’annoncent un futur salvateur. Cependant vitesse et lenteur ne sont pas des données absolues mais relatives aux critères de comparaison choisis.

Il serait dangereux de conduire à 60 km sur l’autoroute comme à 130 km sur une départementale. La lenteur ne convient pas à un urgentiste ni la vitesse à la méditation. Cependant s’il faut vingt ans au calligraphe pour penser son trait quelques secondes suffisent à son exécution. Et de même que le lièvre ne part pas à temps, alors que la tortue arrive au but, de même ignorer le bon timing  et Le bon tempo c’est risquer l’échec personnel et collectif.

Choisir entre vitesse et lenteur, c’est choisir un mode de relation au temps et donc choisir sa vie.

 

Le sujet tel qu’il est formulé présuppose que nous aurions le choix entre vitesse et lenteur, mais l’emballement des technologies favorisant la vitesse est, depuis le XIXème siècle, irrésistible, de même que le nombre d’inventions. Toujours plus vite semble être le maitre mot de notre société.

Nerval en fit une source d’inspiration poétique et Marinetti une nouvelle religion, celle d’une vie plus forte, plus intense, plus dangereuse aussi, que l’on songe au film « La fureur de vivre ». Mais qu’importe lorsque le taux d’adrénaline augmente. Celle du sprinter que décrit P. Fournel dans son texte éponyme ou celle de la skieuse décrite par Buzzati qui fascine le jeune homme qui la regarde.

La société toute entière est emportée dans ce mouvement qui s’étend à la planète parcourue de réseaux de communication qui instantanément mettent Paris et New York en relation. Dès lors tout s’accélère, la croissance, les voyages, la consommation permettant de faire toujours plus, plus vite, plus fort.

Les marchés s’emballent. Edouard Pflimlin souligne « l’essor vertigineux du trading algorithmique ».

Et les pays qui ne suivent pas, tout comme les individus sont laissés à la marge, déconsidérés, interdits d’être ce qu’ils voudraient.

De plaisir la vitesse devient tyran et s’assortit de moyens qui assurent sa domination : travail à la chaine, dont Charlie Chaplin a montré les effets délétères dans « Les temps modernes » ; ordinateurs diffuseurs de mails provoquant de couteuses interruptions au travail. On ne s’appartient plus et l’on est aliéné à sa machine qui envahit l’espace privé et redessine notre rapport au temps, à l’espace et aux autres devenant eux aussi des objets auxquels on accorde peu de temps. Les speed-dating se substituent à l’approche amoureuse. Désapproprié de sa propre temporalité, l’individu sacrifie sa durée au temps.

Sur le plan économique et sociopolitique l’urgence voire la précipitation fait commettre des erreurs qui prouve que vite et bien sont peu compatibles.

On ne voit plus le temps passer et l’on passe à côté de sa vie comme l’illustre la nouvelle de Buzzati « La lettre d’amour ».

En attendant on se divertit de la conscience de sa fragilité et de sa fin mais en même temps on y court plus vite encore.

La planète en elle-même souffre de ces excès de vitesse, le coût humain et écologique est énorme comme le prouve Dominique Boullier qui se demande comment lutter contre le réchauffement médiatique.

Pourtant on voit se dessiner un mouvement à l’heure actuelle qui a pour objectif de ralentir sans pour autant régresser. La lenteur ou plutôt le ralentissement pourrait-il être facteur de progrès?

Si l’on en croit Boullier, le réchauffement médiatique a pour effet non seulement de favoriser les fake news mais aussi de les diffuser en négligeant de s’interroger sur leur valeur de vérité et en privilégiant l’extraordinaire et le scandaleux quand ce n’est pas l’improbable, comme si la quantité exponentielle d’informations devait faire perdre tout esprit critique lequel demande de se poser pour évaluer.

A contrario, favoriser la lenteur c’est préférer la qualité de vie, la relation humaine, le respect de l’individu, l’attention.

C’est réfléchir sur l’essentiel, s’interroger sur ce que l’on est et veut être, c’est, comme l’écrivait Nietzsche se donner les moyens de devenir ce que l’on est.

Certains l’ont compris qui inaugurent la slow science, slow food, slow city comme l’analyse Christophe Rymanski. Le slow envahit dès lors tous les secteurs : la restauration et l’alimentation ; l’organisation des villes se dotant de parcs et éloignant les voitures ; la production et les normes de travail ; le tourisme, l’éducation et jusqu’aux relations sexuelles.

On retrouve ainsi l’otium de l’antiquité, le temps du loisir, temps de l’étude, temps pour soi. Et l’on se prend à faire l’éloge de la sieste, de la paresse comme Milan Kundera dans « La lenteur » qui rappelle qu’un proverbe tchèque définit l’oisiveté par une métaphore « ils contemplent les fenêtres du bon Dieu » et de déplorer que le désœuvrement se soit substitué à l’oisiveté.

 

Mais il n’en demeure pas moins qu’il faut de la lenteur, comme de la vitesse, faire bon usage c’est-à-dire trouver le juste milieu entre précipitation et désœuvrement.

 

Or cela implique de prendre en compte plusieurs paramètres : le contexte ; le caractère d’urgence de la tâche et l’individu (ou la société ; le pays ; le continent). Autrement dit, il s’agit de ralentir pour mieux avancer.

Dans l’article de Rymanski celui-ci soutient ce paradoxe l’illustrant par la dichotomie entre la nécessité pour un scientifique, de prendre son temps et les exigences de l’industrie et de l’économie de marché qui astreignent le scientifique à produire des résultats le plus rapidement possible sous peine de réduction des  budgets pour la recherche alors que celle-ci a besoin de temps.

Cependant il serait fallacieux de confondre la lenteur avec un ralentissement, en fait c’est de rythme adapté à chaque activité et à chacun dont il est question.

Or l’uniformisation, la normalisation, la mesurabilité des résultats sont des obstacles majeurs au respect de rythme d’apprentissage. Les nouvelles réformes du baccalauréat n’en tiennent aucun compte pensant que l’aménagement d’un tiers temps aux examens, et l’accompagnement d’AVS sont des mesures suffisantes. Mais la question est le respect du rythme de tous et non de certains ainsi que la prise en compte de temps de vacance au sein du temps scolaire et non pas de vacances obligatoires toutes les X semaines.

Utopiques ces propositions diront certains, mais c’est ainsi que la planète et l’humanité ont pu survivre depuis de millénaires.

 

On l’aura compris la question de la vitesse met en lumière celle de la relation de l’homme au temps, lequel in fine, nous rappelle que nous sommes des êtres, comme tout vivant, voués à disparaître. C’est pourquoi la vitesse nous donne l’ivresse de la vie et de la puissance puisqu’elle est transgression de nos limites.

Mais on ne transgresse pas celles-ci impunément et dès lors ce qui nous fait vivre plus intensément nous tue aussi, comme cela tue la planète. C’est pourquoi il nous faut avant tout réfléchir à un rythme associant des temps différents comme le suggère la nature qui est, en l’occurrence « un doux guide » selon Montaigne. Mais peut-on encore s'y fier alors qu'elle pâtit du dérèglement climatique? La question pour trouver une réponse ne demande t elle pas avant tout de nous interroger sur les craintes qui nous font nous précipiter comme un animal prédaté?

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

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