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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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31 octobre 2021

HENRI BERGSON – L’EVOLUTION CREATRICE

HENRI BERGSON – L’EVOLUTION CREATRICE – 1907

« Un siècle a passé… en varier indéfiniment la création »

 

En ce début de XXème siècle qui voit eclore la révolution industrielle, les philosophes dont Bergson se voient forcés de reconsidérer la définition classique de l’homme héritée de l’antiquité.

Peut-on en effet faire fi de l’impact des nouvelles technologies, en l’occurrence la machine à vapeur, sur l’organisation du travail, la vie sociale, le paysage intellectuel, la vie psychoaffective?

Cela n’oblige-t-il pas à reconsidérer ce qu’est l’homme et en quoi consiste son intelligence? Quelle place la technique tient-elle dans la définition de l’homme? Est-elle première comme le pense Bergson et doit-elle l’être ou bien en est-elle l’une des composantes par ailleurs susceptible de déshumaniser l’homme?

Bergson part du constat que depuis un siècle la machine à vapeur a totalement transformé l’homme et sa relation au monde au point qu’on pourrait réécrire l’histoire humaine à partir de ses inventions techniques et non de ses conflits historiques (mais peut-être Bergson aurait-il changé d’avis à la suite des deux guerres mondiales, qui cependant n’auraient pas eu la même extension et le même impact sans les innovations techniques) . Dès lors poursuit Bergson la machine à vapeur serait à l’origine d’une nouvelle ère, celle  que nous nommons actuellement l’ anthropocėne l’histoire de l’humanité serait à repenser en termes d’inventions techniques.

Pourtant, quelqu’éclatant que soit ce fait  les penseurs ne valorisent  pas pour autant la technique  et partant l’intelligence fabricatrice de l’homme à laquelle on préfère son activité théorique. Comment expliquer ce mépris? Serait-ce une autre humiliation infligée à l’homme après celle de Galilée, Darwin et Freud?

Bergson répond qu’il y a là de l’orgueil. Orgueil qui consiste depuis l’antiquité grecque à privilégier les idées théoriques (c’est-à-dire issues de la contemplation) plutôt  que l’activité pratique qui s’affronte à la matière. Du reste celle-ci était réservée en Grèce aux esclaves tandis que leurs maîtres s’adonnaient à la philosophie, à la politique, à la rhétorique.

Mais sans l’esclavage cela aurait-il été possible, la démocratie aurait-elle vu le jour?

A cette question Bergson répond par la négative.

L’intelligence a pour démarche première et essentielle de « fabriquer des objets artificiels » c’est-à-dire produits par l'art et d’en varier  les formes, usages et processus de fabrication afin de pourvoir « se rendre comme maître et possesseur de la nature ».

On serait dès lors tenté de faire l’apologie de la technique et de caractériser l’être humain au moyen de celle-ci, mais n’est-ce pas réducteur voire dangereux pour l’humanité de l’homme?

Sans dimension théorique la technique n’est-elle pas elle-même réduite à la seule fabrication d’outils alors que machines et instruments requièrent des savoirs théoriques? Sans réflexion, sans recul critique, sans savoir politique, comme le stipule Platon dans le « Protagoras » à propos de Prométhée, la technique ne  risque -t-elle  pas de détruire l’homme? Sans conscience de la responsabilité qu’implique l’usage de techniques potentiellement dangereuses, l’homme ne court-il pas à sa perte? Tout ce qui est possible est-il en effet souhaitable?

Certes toute activité requiert des techniques que ce soit l’apprentissage de la marche, de la langue, d’un jeu. Mais l’élaboration de celles –ci repose sur des savoirs théoriques, par exemple enseigner une langue étrangère présuppose pédagogie et didactique, considérations psychologiques, connaissances de la langue mère, sans compter ce que l’on englobe sous le nom de culture.De même la machine à vapeur est une technique, mais elle requiert des connaissances théoriques en physique .. Dès lors on comprend qu’on ne peut distinguer en l’homme ce qui relève de l’homo faber ou de l’homo sapiens. Pour reprendre une formule de Kant l’intelligence théorique sans pratique serait vide et l’intelligence pratique sans dimension théorique serait aveugle.

Force est donc de reconnaître leur relation dialectique. N’est-ce pas dans le creuset de l’arpentage qu’est née la géométrie?

 Par ailleurs il ne faut pas oublier que l’adjectif « humain » peut signifier l’appartenance de l’homme à une espèce spécifique au sein du genre animal, mais aussi le caractère moralement acceptable de ses actions. Ceci place en conséquence la technique sous les feux de la critique morale.

La technique humanise-t-elle l’homme ou le contraire ?

Si on prend l’exemple du feu « inventé » par l’homme il y a 400 000 ans, celui-ci a non seulement permis à l’homme de passer du cru au cuit, de se protéger, plus tard de forger des outils, de conserver les aliments, mais aussi de se réunir autour du feu pour s’y réchauffer, s’y rassembler, échanger les premières bribes de langage et ce faisant commencer à construire une identité humaine.

Du reste telle est la « vocation » de la technique : humaniser le monde, créer des échanges, partager un espace commun.

Mais en même temps la technique fut et est toujours au service de la violence, de l’exploitation de  l‘homme par l’homme, des abus dont on voit de plus en plus les effets, de sorte que si la technique nous procure les pouvoirs illimités de l’apprenti sorcier, nous en sommes nous –mêmes les victimes faute de maîtriser nos désirs, faute de calmer nos angoisses, faute de  substituer la réalité de notre situation humaine aux projections névrotiques de nos attentes.

Dès lors la technique se révèle un pharmakon, un poison et un remède, un poison dont on attend qu’il soit un remède.

Devenue l’idolâtre d’une nouvelle religion, nous croyons que la technique sauvera le monde, nous comblera de bienfaits, nous rendra libres et heureux sans réaliser que selon l’usage qu’on en fait elle peut se révéler aliénante, déshumanisante et incarner le mal absolu.

Certes la technique est une des composantes essentielles de l’homme mais c’est précisément pour cela qu’elle doit être sous surveillance afin qu’elle soit mise au service de l’homme et non le contraire.

La technique n’est pas quoiqu’en pensent les trans-humanistes, l’avenir de l’homme, mais son pire cauchemar si nous ne nous en rendons pas maîtres et possesseurs. Mise entre certaines mains elle peut être un formidable outil de domination et creuser les inégalités. C’est pourquoi elle est un enjeu politique majeur et à l’échelle  mondiale un moyen de domination redoutable. La lutte des classes n’est-elle pas d’abord la lutte pour la possession des instruments de travail, ceux ne les possédant pas étant réduits à vendre leurs forces de travail à ceux qui les possèdent?

Depuis la préhistoire, la guerre du feu n’a pas cessé.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

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