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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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20 décembre 2021

CHANSON BRETONNE

CHANSON BRETONNE

SUIVIE DE L’ENFANT ET LA GUERRE – LE CLEZIO – DEUX CONTES – 2020 GALLIMARD

LA MAISON DE BRETAGNE – MARIE SIZUN – ARLEA 2021

 

Crozon: Le Fort des Capucins

 

Le point commun aux deux ouvrages est la Bretagne, avec cependant un bémol, car les façons de l’aborder et de la représenter sont totalement différentes.

Dans les deux cas aussi il s’agit d’une autobiographie, l’une réelle, l’autre fictive qui se caractérisent par une narration en première personne, un récit rétrospectif, l’histoire de la construction d’une identité.

D’emblée se posent alors plusieurs problèmes. Celui de la valeur de vérité attendue par le lecteur, promise par l’écrivain, d’un récit qui dépend de la mémoire du narrateur, d’une rationalisation et reconstitution rétrospectives, d’une idéalisation de souvenirs erronés ou inventés.

Le second problème touche aux raisons pour lesquelles on écrit sur soi. S’agit-il de se connaitre ; se refonder ; découvrir les prémices de sa vie au risque d’ignorer l’enfant de l’enfant que l’on fut et d’être l’enfant de l’œuvre ; de laisser une trace de soi ; de considérer l’écart qui s’est creusé entre ce que l’on promettait d’être et ce que l’on est devenu, de donner la parole à l’enfant mort que l’on porte en soi (Tadeusz Kantor), d’effectuer une catharsis ; de se complaire dans la nostalgie de disparus qui furent des figures tutélaires.

Une troisième question intervient, celle de l’organisation temporelle de la narration. Doit-elle être chronologique et se concentrer sur une semaine, du dimanche au dimanche comme c’est le cas de Sizun ou bien aléatoire comme le préconise Le Clézio?

Une quatrième question concerne les lieux, un ou plusieurs? Sizun opte pour une construction classique, un lieu, une action, avec des aménagements car les 24 heures deviennent une semaine, tandis que les lieux se multiplient chez Le Clézio qui effectue un va et vient entre la Provence et la Bretagne.

L’espace ne s’entendant pas sans son corollaire le temps, arrêtons-nous aux types de temporalité élaborés. Celle de la narration, celle des évènements remémorés, celle de la durée, qui elles ne se recoupent pas nécessairement. Les exigences de la narration requièrent une organisation à laquelle la remémoration des souvenirs se dérobe de sorte que celle-ci a des allures de palimpseste. Ainsi Claire est-elle une adulte retournant pendant une semaine sur les lieux de son enfance où elle découvre que les souvenirs qu’elle en conserve et qu’elle ressasse ne correspondent pas à la réalité.

Le Clézio ne ressasse pas. Son enfance fut heureuse, moins complexe et s’il se souvient c’est que le présent l’amène à comparer, mais aussi à inscrire son histoire dans une temporalité plus longue, celle de l’histoire de la Bretagne qu’il étend des origines à nos jours en passant par la deuxième guerre mondiale. Il en évoque les luttes intestines, l’abandon contraint de la langue et la perte de l’autonomie. Rien de tout celà chez Sizun où il est avant tout question d’explorer l’intime et ses blessures.

Les blessures sont bien sûr liées aux êtres, en l’occurrence le père et la mère. Un père adoré qui s’est enfui au Brésil où il est mort, une mère dès lors ignorée, voire haïe car tenue responsable de ce départ.

Par ailleurs dans les deux cas un certain antagonisme se fait sentir à l’égard des étrangers. Ce qui leur confère une position ambigüe. Le Clézio dont le nom en breton signifie « talus » est qualifié de parisien et l’héroïne de Sizun, Claire, est bien que vivant à Paris, intégrée en tant que fille d’Anne Marie sa mère qui vécut toujours là après sa propre mère, Berthe.

Outre les personnages humains, le personnage principal n’est pas un être vivant de chair et de sang mais la maison.

Une maison mal aimée, que Claire est venue vendre ; le lieu des souvenirs les plus douloureux : mort de sa grand-mère, abandon du père, dureté de la mère, départ de sa sœur, c’est du reste devenu « la maison des veuves ». Mais au fur et à mesure de ses rencontres, de ses révélations, de ses réconciliations, la maison est réhabilitée, voire aimée et sera in fine conservée.

C’est enfin la réconciliation avec soi-même, les autres et le monde au fur et à mesure que l’ignorance a fait place à la vérité, que les fantasmes solitaires ont cédé le pas à la réalité dévoilée par les autres.

L’étranger est devenu le familier et Claire peut s’enraciner maintenant dans une fratrie et une lignée auparavant brisée, piétinée par une mère veuve d’un mari qui l’a abandonnée, dès lors étrangère à tout.

Et Claire de conclure « Mais à présent, je vivais, je vivais et la maison elle aussi allait vivre ».

 Tout autre est la démarche de Le Clézio qui s’efface derrière la Bretagne qui est le personnage principal de son histoire qu’il qualifie de Conte et dont les souvenirs semblent se bousculer de façon aléatoire au fut et à mesure de la résurgence des activités de l’enfance.

Au nombre de celles-ci qui témoignent d’une relation fusionnelle avec l’autre se rencontre l’amitié avec un poulpe, les baignades, les moissons.

L’enfant se fait observateur des processions religieuses, de la messe, de ce qui structure un temps immuable.

Alors affleure une nostalgie dont se défend Le Clézio, douce-amère. Tout change, tout a changé les paysages, les maisons, les traditions, la langue a disparu peu à peu. Et pourtant il n’en éprouve pas de tristesse car le présent se rencontre en Bretagne, un présent certes difficile pour d’autres raisons mais où l’on résiste.

Et Le Clézio de terminer par une déclaration d ‘amour à « cette Bretagne qui l’émeut » et à ces Bretons solitaires et solidaires déterminés à résister à « l’insolence de la modernité ».

Il y a comme une odeur de résistance chez Le Clézio, d’hymne à l’autonomie, voire de désobéissance civile. Et de dédier son Conte ou cette chanson discrète et persistante à ces bretons de la même trempe.

De ces lectures qui auraient pu s’accompagner d’autres, on connait « Le cheval d’orgueil » d’Hélias, nous dirons qu’elles sont à la fois fort différentes et pourtant complémentaires car le retour au terroir c’est en même temps le retour à soi, et si on l’éprouve à l’âge adulte, c’est parce que c’est le temps de la quête du sens et de l’unité (1).

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe 

 

(1) Document complémentaire disponible sur le blog : L’âme des maisons de Vigouroux

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