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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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7 août 2023

HEGEL

« C’EST PAR LA MEDIATION DU TRAVAIL QUE LA CONSCIENCE VIENT A SOI-MEME »

 

 


Etymologiquement le terme « médiation » signifie l’entremise d’un tiers visant une conciliation. Chez Hegel il s’agit plus largement d’une interposition « correspondant au moment dialectique où la prise en compte des contraires permet d’arriver à la synthèse » ce qui est un progrès contribuant à la formation d‘un objet (individu – société…). Ainsi les conflits résolus constituent-ils une unité supérieure. Ceci implique que le médiateur joue un rôle de catalyseur permettant « la réaction par sa seule présence ou intervention mais sans paraître participer à cette réaction ».
Appliqué à la citation de Hegel « C’est par la médiation du travail que la conscience vient à soi-même » cela signifie que le travail est un intermédiaire entre moi et moi-même, et que sans se confondre avec l’objet sur lequel il intervient il en permet la transformation produisant un nouvel état de conscience du sujet. Mais cela implique aussi l’opposition de contraires résolus en une unité supérieure, en l’occurrence entre des états de conscience c’est-à dire de connaissance de soi allant de l’obscur au clair, ou du moins à une clarification provoquée par une situation de crise requérant de « faire un choix ».
Tel qu’il est formulé le sujet présuppose donc que l’individu n’est pas immédiatement conscient de soi-même mais que cette conscience est cependant possible selon un processus requérant en l’occurrence, le travail, quoique celui-ci ne soit pas la seule médiation possible.
Reste à définir ce qu’est la conscience. Etymologiquement « cum scio » signifie le savoir (scire) qu’accompagne l’appréhension du monde et guide l’action dès lors éclaircie.
En l’occurrence la conscience est autotélique puisqu’elle est à elle-même son propre objet et fin, en quoi la conscience est réflexion puisqu’elle opère un mouvement de retour sur elle-même grâce à un moyen hétéronome, le travail.
Dès lors celui-ci est conçu comme un moyen en vue d’une fin (poïesis) et non en soi comme action de fabrication (praxis) à laquelle on prendrait plaisir et intérêt pour elle-même. Considéré comme médiation le travail est à la fois un moyen par rapport à une fin, mais en même temps il est nécessaire car sans lui cette fin serait irréalisable. Dès lors le travail a un statut ambigu.
Par ailleurs ajoutons que ce n’est pas la finalité assignée à priori au travail dont la fonction est la production de biens matériels ou virtuels auxquels est conférée une valeur pécuniaire, qui fait sa valeur mais la manifestation de l’Esprit qu’il actualise.
Ce que vise Hegel c’est le processus par lequel un sujet peut passer de la conscience pour soi « qui envoie au monde de l’existence », à la conscience de soi, ou grâce à l’expérience de l’altérité qu’il fait avec le travail.
Enfin qu’attend-on de cette médiation? Que le sujet devienne conscient de lui-même (si tant est qu’il le veuille) certes, mais à quelle fin?
Se connaître, bien sûr. Mais que cherche-t-on à connaître de soi? Ses potentialités, sa nature, ses limites, ses désirs, ses besoins, ce qu’est l’homme, ses droits, ses devoirs, mais aussi sa fragilité, sa part d’ombre, ses angoisses existentielles,… ce qui nous met face à l’énigme de ce que nous sommes et réduit la connaissance de soi que la conscience est censée nous procurer.
Dans ces conditions quelle conscience de soi le travail peut-il nous procurer? Dans la mesure où le travail focalise sur une tâche précise, à laquelle l’ouvrier doit consacrer toute sa vigilance ne détourne-t-il pas la conscience à soi-même qui exige l’attention à soi? Cependant si l’on admet avec Hegel qu’on ne se pose qu’en s’opposant, alors l’ensemble des conditions, règles, voire contraintes qu’impose le travail ne .sont-elles pas le stimulant nécessaire à un dépassement de soi, c’est-à-dire à une transcendance qui définit l’homme par son genre, de l’équivocité témoignant de l’Esprit qui l’anime et fait qu’un ricochet dans l’eau manifeste celui-ci même de façon insignifiante. Le travail avant d’être production d’un objet ou activité salariée est essentiellement ce grâce à quoi l’Esprit se manifeste.
Afin d’examiner ces divers aspects de la question, nous nous proposons tout d’abord d’exposer en quoi et de quoi le travail est médiation de la conscience de soi, puis s’il ne peut s’en avérer l’obstacle dans la mesure où il détourne l’attention à soi au profit de la vigilance requise à la production d’un objet, enfin si les conditions aliénantes d’un travail voué à la production de biens n’est pas un stimulant dans le processus de conscientisation de soi. Travail que nous effectuerons sous l’égide des deux œuvres au programme « La condition ouvrière » de S. Weil et « Par-dessus bord » de M. Vinaver.

Hegel pose le travail comme médiation de la conscience de soi et non comme finalité en soi car en l’occurrence quelque objet qu’on lui assigne, c’est cette fin qui est primordiale. Ne faut-il pas comme le préconisait Socrate se connaître soi-même? Mais cette conscience de soi n’est pas décontextualisée car toute conscience étant conscience de, le travail est la condition de la conscience de l’individu en tant qu’ouvrier, employé, partie d’une entreprise, elle-même intégrée dans une économie capitaliste comme le décrivent S. Weil en tant qu’ouvrière d’usine et professeur de philosophie et Vinaver en tant que patron d’entreprise et auteur dramatique. Ainsi la conscience de soi vient de cette position mitoyenne entre dedans et dehors, l’en-soi doit passer par la phase de pour soi pour devenir conscience de soi.
Le travail est donc non seulement une activité de transformation d’une matière première, mais le déploiement de celle-ci dans un milieu social, économique et politique mettant l’individu en relation. Or c’est grâce à celle-ci qu’advient la conscience de soi. S. Weil souligne que « A mon avis le travail doit tendre… à constituer une éducation »… « Un moyen de fraterniser avec ses semblables sur un pied d’égalité » de sorte qu’accédant à la conscience de soi en tant qu’individu autonome, digne, respectable, l’ouvrier n’ait plus à subir de conditions de travail avilissantes. A cette condition l’ouvrier peut accéder à la conscience de soi grâce aux échanges critiques qu’il entretient avec ses collègues, dans le cadre de son entreprise.
Si S. Weil se place sur le plan d’une expérience pratique, Michel Vinaver se place sur celui de la mythologie scandinave pensée comme analogon du fonctionnement de l’entreprise dans laquelle Passemar-Vinaver travaille. Dans les deux cas les dieux s’y affrontent, se défient, se détruisent. Les différents angles d’attaques de l’entreprise permettent en outre de réaliser l’analogie qui existe avec le processus vital. L’entreprise comme tout vivant veut vivre quels qu’en soient les moyens. Et chaque employé, de l’ouvrier au patron, veut faire de même, prenant ainsi conscience de soi en tant que passif actif, révolté ou soumis, méchant, voire puant, découvrant même un immense et merveilleux réservoir érotique, comme le dit Jenny, au fond de soi. Et la même Jenny d’affirmer que
« Nous pouvons vous forcer à ouvrir les yeux alors vous serez émerveillés ».
Certes on peut effectivement parvenir à la conscience de soi grâce au brainstorming que proposent les coaches Jenny et Jack, aux discussions, à un travail sur soi mais de quelle conscience s’agit-il et à quelle fin y accéder? Est-ce, comme dans le cas de ce coaching, d’être un employé plus performant, agressif, prêt à tout?
En ce cas les dés ne sont-ils pas pipés et la démarche ne vise-t-elle pas à faire des employés au mieux des collaborateurs performants au pire des ouvriers corvéables à merci, dans tous les cas des individus privés de conscience de soi?
Dans cette perspective le travail n’est plus médiation mais obstacle à la conscience de soi voire procédé visant à constituer une classe d’esclaves auxquels on ne propose que quelques sous en échange de leurs travail. S. Weil dénonce dans « La condition ouvrière » l’abaissement de l’intelligence, la dégradation. Dans une lette  Jacques Lafitte elle écrit « Dans les conditions de vie accablantes qui pèsent sur tous, les gens ne demandent pas la lucidité, ils demandent un opium quelconque, et cela plus ou moins, dans tous les milieux sociaux. »
Nous franchissons là un seuil car l’ouvrier, obligé de sacrifier l’attention à soi au profit de la vigilance à la machine et au nombre de pièces produites, ne s’appartient plus, autrement dit il est aliéné et privé de conscience de soi.
Il ne souhaite même plus avoir conscience de soi, car celle-ci le mettrait face à sa dépersonnalisation, sa déresponsabilisation, sa réification. Saturé par la répétition du même il est pareil à Sisyphe, mais un Sisyphe qu’on ne peut imaginer heureux. Le travail n’est alors pas seulement un tripalium mais un facteur d’hébétude. « Qu’est-ce qu’on est? » se demande la S. Weil ouvrière, « Une unité dans les effectifs de travail… A peine si on existe ». Or si on n’existe pas on ne pense pas et l’on est privé de toute conscience de soi. Et Weil de démultiplier les sentences du même type « Ce qui abaisse l’intelligence dégrade tout l’homme ». La tentation est grande alors de renoncer à penser d’autant que d’autres le font à votre place auxquels il faut se contenter d’obéir comme dans la paternaliste entreprise Dehaze.
Dans ces conditions le travail est le contraire de la médiation requise à la conscience de soi. Faut-il en conséquence renoncer à travailler, mais alors comment subsister? Ou bien changer les conditions de  travail? Ou encore trouver d’autres médiations?

Renoncer à travailler ce serait renoncer à vivre non seulement parce qu’on ne peut se passer de moyens de subsistance, mais aussi parce que le travail participe à la construction de l’identité de l’individu et à son être social. De toutes façons ni S. Weil ni Vinaver ne conspuent le travail, ne serait-ce que de par leur propre activité intellectuelle et d’autant plus que S. Weil le conçoit comme un facteur d’union à Dieu dans la mesure qu’il peut être producteur de beauté et que le peuple en a besoin. Par beauté Weil entend celle de la poésie du quotidien dont la source est Dieu. Ainsi les conditions de travail devraient être telles qu’elles permettraient à l’ouvrier de se transcender dans son activité même non plus conçue seulement comme poïesis (réalisation d’un produit) mais comme praxis (action en vue de la réalisation).
Dépassant la fin particulière de son action il pourrait lever la tête. Mais pour ce faire il lui faut appréhender « la matière, les instruments, les gestes de leur travail » comme des « miroirs de la lumière » et pas seulement comme des moyens de production de biens matériels.
Pour ce faire Weil préconise l’éducation que pourrait dispenser l’usine, dont la lecture serait la finalité qui requiert l’attention. « Le travail lui-même, écrit-elle, doit tendre à constituer une éducation ».
Si on restitue à l’ouvrier sa faculté de penser, alors il pourra chercher « une méthode d’organisation du travail qui soit acceptable pour la production, le travail et la consommation », mais c’est à eux de le régler.
Certes cela n’ira pas sans heurt mais dans la joie. Les heurts sont stimulants, comme les contraintes et les défis que connait l’entreprise Dehaze qui s’enfante dans la douleur, la mort, le fratricide à l’instar des Dieux de la mythologie scandinave.
Mais les remèdes que préconisent Jack et Jenny ne sont-ils pas des leurres qui sous prétexte de libérer les employés de leurs préjugés, fausses pudeurs et hontes, les exploitent en vue d’une production accrue?
S’agit-il en effet de leur faire acquérir une conscience de soi en tant que substance pensante, de les rendre créatifs pour développer leur autonomie, de les encourager à lutter contre eux-mêmes, de découvrir un sens à leur existence, de les rendre heureux? Certes non et du reste une entreprise n’a pas vocation à le faire, mais qu’elle n’en donne pas alors l’illusion tout en rendant cela impossible et en jetant individus et valeurs « par dessus bord ».
Ce dont le travail peut faire prendre conscience c’est d’une part que la servitude n’est ni involontaire ni fatale. La Boétie nous l’a appris la servitude est volontaire et Marx dont s’inspire S. Weil et qu’inspire le penchant vers la gauche de Vinaver, a dénoncé le caractère fataliste de la  condition ouvrière. Il n’y a point là de fatalité et les ouvriers peuvent fraterniser, se défendre et changer leur situation grâce aux syndicats qu’encourage S. Weil.
Les grèves de 1936 auront arraché de meilleures conditions de travail, réalisant la dialectique du maître et de l’esclave conceptualisée par Hegel.
L’esclave qui a appris à suspendre son désir et à travailler pour satisfaire les besoins de son maître devient progressivement le maître de celui-ci. Mais ne deviendra-t-il pas lui-même un maître? C’est ce que semble penser Passemar-Vinaver prédisant qu’à la fin tout recommence.
Cependant sachant qui est l’homme et de quoi celui-ci est capable, la conscience de soi ne peut-elle prévenir les velléités de domination dont témoigne le capitalisme qui opte pour des moyens coercitifs pour survivre sans envisager l’alternative de l’altruisme grâce à laquelle la faible espèce humaine a sans doute survécu. Dès lors la conscience de soi ne peut-elle être la médiation nécessaire au travail repensé comme facteur de manifestation de l’Esprit et non comme instrument de domination ?

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