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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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18 juin 2021

SVETLANA ALEXIEVITCH

SVETLANA ALEXIEVITCH

Svetlana Alexievitch, un prix Nobel menacé au coeur du printemps biélorusse

A la suite de « La fin de l’homme rouge » on peut lire le « Discours de Stockholm » que l’auteur prononça à la réception de son prix Nobel de littérature en 2015.

Le texte a l’avantage de présenter de façon synthétique le sens de son œuvre, ses objectifs politiques, l’originalité de son style documentaire et la façon dont elle définit son travail et elle-même en tant qu’écrivaine (1). Dans les dernières pages elle évoque les ambiguïtés du peuple russe, même si elle est elle-même biélorusse, sous la forme de ce qu’elle en a entendu dire. Il en ressort que le russe n’avance que sous la menace de la prison et des exécutions ; qu’il ne connait que la guerre  et la prison et que l’âme ne s’élève que dans un climat de saleté et de sang : « Notre vie oscille entre le bordel et la baraque de camp ». Difficile dans ces conditions de reconstruire après la fin de l’homme rouge « un pays digne où il fasse bon vivre » surtout si l’on a choisi la force. Le bilan, déplore Alexievitch c’est que « l’homme rouge n’a pas été capable d’accéder à ce royaume de liberté dont il rêvait dans sa cuisine ».La fin de l'homme rouge - Svetlana Alexievitch

C’est sur les causes de cet échec qu’elle se penche en  effectuant l’autopsie de la Russie (2).

Comment procède-t-elle?

Tout d’abord elle explique que son écriture s’origine dans une enfance où elle écoutait les vieilles déplorer la perte du mari et/ou du ou des fils morts durant la deuxième guerre mondiale où un biélorusse sur quatre mourut. Elle y consacrera deux ouvrages « La guerre n’a pas un visage de femmes » (1985) et « Derniers témoins » (1986).

Le premier qui eut un succès foudroyant interroge les femmes qui se sont engagées volontairement durant la première guerre mondiale, le second ceux qui la subirent et eurent la force de vivre alors qu’ils étaient enfants. Ce monde là, comme elle l’écrit, c’est le monde de l’abnégation et de l’amour, même si  celles qui s’engagèrent n’hésitèrent pas à tuer, car c’est l’amour de la patrie qui les déterminait.

Plus dure et cruelle et absurde est, en comparaison, la guerre menée en Afghanistan, relatée dans « Cercueils de zinc » (période 1979-1989) d’où les hommes revinrent détruits par l’irrationalité d’une guerre qui ébranla leur confiance dans le régime mais les libéra en même temps de leur naïveté. Tchernobyl, qui est le sujet de « La Supplication » (1996) porta l’estocade au régime et laissa l’home rouge face au néant.

Ainsi Alexievitch a-t-elle cheminé pendant quarante ans dans une humanité à la fois horrifiante et exaltante.

« Plus d’une fois elle eut envie de pleurer », plus d’une fois de s’arrêter à l’instar de tout artiste dont Nietzsche disait que « pas un seul ne peut supporter la réalité, ne peut la soulever ».

Et pourtant Nietzsche comme Alexievitch consacrèrent toutes leurs forces à scruter la vie (3).

Alexievitch se fit « femme oreille » (comme la vierge de l‘Annonciation de Fra Angelico) pour tenter de capter le disparaissant et de le mettre en mots. Face au monde des conversations dépréciées, des riens fragmentés, des paroles chancelantes, elle devient prophète.

Elle convoqua des voix qui s’étaient tues, elle fit écho aux résonnances des voix lointaines que « personne n’avait remarquées ».

Aux simples elle confère profondeur « Est-ce que l’amour peut tuer? » (4). Question métaphysique pour l’intellectuel, existentielle pour la mère qui a perdu l’enfant.

Face à cela la littérature est en état d’échec, tout comme le journaliste, l’un crée une fiction, l’autre en fait un reportage. Alexievtich qui est l’un et l’autre transcende la différence en se tournant vers l’âme qui seule l’intéresse. Pour ce faire elle élabore sous l’influence d’Adamovitch le verbabim (littéralement). C‘est la fin de la fiction et le début d’une « supra-littérature » qui se veut polyphonique.

Auprès de ces témoins elle apprend que l’homme est un être fait pour mourir mais avant tout pour vivre même s’il se sacrifie pour une chimère, même s’il tue, même s’il est la victime et le bourreau de soi-même ; qu’il est un être animé d’une force de vivre dont il ne connaît pas lui-même l’origine, car les causes ou les raisons ne sont pas des explications suffisantes.

Chaque témoignage l’affronte aux questions essentielles : de l’origine du mal quelque forme qu’il prenne ; de la souffrance « Notre plus grand capital, c’est la souffrance. Pas le pétrole, ni le gaz. La souffrance » ; de la vérité dont elle note qu’elle est « morcelée, multiplie, diverse, éparpillée de par le monde » ; du sens de l’existence en particulier et de l’Histoire en général ; de la liberté.

Toutes ces notions qui sont, en l’occurrence  des préoccupations, s’entretissent et se cristallisent dans la guerre qui est le paradigme de la relation du russe au monde même lorsqu’il s’agit de Tchernobyl traité comme telle.

La guerre pose en effet tout d’abord la question du mal que l’on fait et subit, présupposant qu’elle est légitime et justifiée car sans cela comment supporter les souffrances et les exactions commises?

Les Cercueils de zinc - broché - Svetlana Alexievitch, Wladimir Berelowitch, Bernadette Du Crest - Achat Livre ou ebook | fnac

Dans « Cercueils de zinc » un commandant agresse Alexievitch en lui disant « Mettez des plaques sur les tombes et gravez dessus « tout ça c’était pour rien ». Dites ça aux morts ». Mais la guerre, passé le choc immédiat et physique c’est aussi tout le discours idéologique qui l’enveloppe et lui confère la légitimité des décisions prises au nom des valeurs prônées, à savoir la défense de la liberté, le bonheur à venir même s’il est utopique, la valeur de vérité du discours des autorités et la foi dans le parti qui prétend réaliser le royaume des cieux sur terre. On comprend qu’un tel programme fut « un opium pour les intellectuels » fascinés. Dès lors entre la réalité et l’idéologie plaquée sur elle un fossé se creuse lorsqu’on prend conscience que la vérité, comme l’écrivit Nietzsche que cite Alexievitch est « éparpillée de par le monde », que son caractère absolu et unique est illusoire. L’homme rouge a compris que l‘utopie socialiste n’est pas la seule et meilleure façon de vivre du moins telle qu’elle le fut car sous couvert d’idéal les autorités protégèrent avant tout leurs intérêts profitant de la naïveté d’un peuple confiant mais aussi acquis à l’idéologie. De ce fait le sens de l’Histoire est remis en question, non seulement parce qu’en soi rien n’atteste qu’elle en ait un, si ce n’est à titre de rationalisation rétrospective, mais parce que le fossé d’un vécu absurde va à l’encontre de cette idée. Du reste la façon dont l’auteure aborde l’histoire « à travers des récits de participants » en témoigne et pose la question de savoir à quelle valeur de vérité le texte peut prétendre même si le style en est le plus dépouillé possible et l’effacement de l’auteur maximal?

Ceci se double de la question de la valeur du témoignage. Que peut-on apprendre de ceux-ci qui après tout sont singuliers, fragmentaires, défaillants, sélectifs, reconstitués ?(5). 

Faits-fictions « les deux se chevauchent » car « quand il raconte l’homme crée » (Nietzsche) de sorte que la réalité et le fruit d’une interprétation, en l’occurrence double, celle du témoin, celle de l’écrivaine.

Cependant la congruence des témoignages permet d’établir d’une part une vérité générale dans laquelle elle se reconnait (6) ; d’autre part que « le grand petit homme que grandit la souffrance » (Nietzsche) n’est pas dépourvu de recul critique face à ce qu’il a vécu même s’il reste sidéré par cette fureur et ce tumulte. Ainsi la petite et la grande histoire ne sont-elles peut-être pas si éloignées l’une de l’autre, en tout cas l’auteure nous invite à réfléchir l’une à partir de l’autre et ce faisant de la démystifier.

De façon très étonnante Alexievitch en conclut que la guerre d’Afghanistan puis Tchernobyl « faisaient de nous des gens libres » puisque les russes purent à leur occasion prendre conscience des mensonges de l’Etat à leur égard. Mais après, que mettre à la place surtout lorsqu’on a été éduqué afin d’être un héros au service de la patrie ou plutôt du pouvoir?

Par ailleurs c’est à une réflexion sur l’homme qu’invite l’auteure, dans le cadre de sa confrontation à la guerre qui suscite horreur et fascination ; de l’affrontement à soi-même ; de l’interrogation sur ce qui relèverait de la nature ou de la culture, mais aussi du masculin et du féminin. L’attrait pour la guerre tient-il à une nature en l’occurrence masculine « la guerre est un produit de cette nature masculine qui m’est incompréhensible » explique une soldate, ou à une éducation telle que l’anormalité et l’amoralité sont devenues la norme? Si tel est le cas le changement de régime a-t-il des chances de changer l’homme rouge finissant qui cependant continue à exister?

La guerre n'a pas un visage de femme ; femmes soldats dans l'Armée Rouge (Litterature russe) - IDEOZ Voyages

Et Alexievitch de conclure :

« Le temps de l’espoir a été remplacé par le temps de la peur. Le temps revenu en arrière.

A présent je ne suis pas sûre d’avoir terminé l’histoire de cet « homme rouge »… » (7).

 Finalement ce qu’analyse Alexievitch c’est le paradoxe de la peur et de la nostalgie l’une produisant l’autre.

« Peur devant la nouvelle réalité » celle du capitalisme, de l’autonomie, de la disparition de l’Etat providence, nostalgie de celui-ci malgré les souffrances endurées, mais l’homme a la mémoire courte (8).

 

I – CONTEXTE HISTORICO-POLITIQUE

 Il est nécessaire, pour comprendre la portée historique et pas seulement technoscientifique et écologique de la catastrophe de Tchernobyl de dessiner le paysage historico-politique de l’évènement, qui en soi, écrit Alexievitch ne l’intéresse pas car il en va de tout autre chose.

De Brejnev (1964-1982) à GORBATEY (1985-1991) se succèdent :

- la stagnation économique et politique

- des projets de constructions dont Tchernobyl

- une amélioration du niveau de vie mais une corruption grandissante

- la guerre en Afghanistan (le Politburo décide d’envoyer des troupes afin d’aider le parti démocratique afghan contre les moudjahidines (les purs) eux-mêmes soutenus par les européens via le Pakistan)

- Brejnev décède en 1982, lui succèdent Andropov (1982-1984) puis Tchernenko (1984-1985)

- les rapports s’enveniment avec les européens

- Gorbatchev arrive au pouvoir en 1985 avec un programme de réformes sociales et économiques (perestroïka : reconstruction). Il manifeste une volonté de transparence (glasnost)

- deux évènements interrompent ce programme : chute du prix du pétrole ; catastrophe de Tchernobyl (cinq ans de travaux ; un million de personnes mobilisées ; coût énorme)

- entreprises privées – liberté d’expression – détente Est-Ouest

- fin de l’intervention en Afghanistan

- réunification des deux Allemagnes en 1990

- réveil des nationalismes

- échec patentdu modèle socialiste – 1989 premières élections libres – le parti communiste perd son rôle dirigeant

- l’URSS est remplacée par une confédération de Républiques (Ukraine, Biélorussie, Géorgie…)

- 1991 - Coup d’état échoué contre Gorbatchev – démission de Gorbatchev – Fin du régime communiste qui a duré soixante-quatorze ans.

 

II – CONSTRUCTION DE LA CENTRALE

 Celle-ci commença en 1971 et s’acheva en 1983 avec les quatre réacteurs sur les six prévus, elle était en passe de devenir la plus puissante du monde alors qu’elle l’était déjà en URSS. Destinée à l’usage industriel, elle l’était aussi à des fins militaires.

A deux kilomètres a été construite la ville de Prypiat – quarante neuf mille habitants, dont le confort fait envie et incite à travailler à la centrale. La nature aux environs est superbe avant de devenir un vaste cimetière où l’on enterre tout y compris la terre (9) à la suite de l’explosion de la centrale (10).

Après ce seront les évacuations massives, les exils forcés, l’abattage des chats et des chiens par des Commandos.

A l’heure actuelle huit millions de personnes vivent sur les cent soixante mille kilomètres carrés contaminés. Beaucoup ont  voulu retourner dans la zone interdite, surtout les paysans et l’on organise des visites guidées à Tchernobyl.

Quant aux victimes ce furent en premier lieu les liquidateurs chargés de faire la guerre à la centrale. Eux-mêmes se nommaient des robots biologiques et se surent rapidement condamnés. C’étaient des bombes radioactives qui contaminèrent tous ceux qui les approchèrent comme le relate Alexievitch dans son premier récit. Puis ce furent tous ceux qui furent touchés par le nuage radioactif, enfin, et à plus long terme les enfants nés à cette époque (11).

Au vu du désastre, Alexievitch qui ne voulait plus écrire reprend son magnétophone pour aller recueillir « la voix non édulcorée du peuple » et nous prendre une fois de plus aux tripes face à l’horreur mais aussi face à l’avenir de l’humanité. Qu’avons-nous appris  A-t-on cessé les essais nucléaires? A-t-on abandonné cette source d’énergie? Est-on moins belliqueux et ambitieux? N’a-t-on pas la confirmation du nihilisme européen dénoncé par Nietzsche qui annonçait des apocalypses à venir?

Dans l’Apocalypse est annoncée la chute d’une étoile ardente nommée Absinthe, or en Ukrainien, Tchernobyl est le nom d’une variété d’absinthe…

Mais la vie persiste et ce sous plusieurs formes.

Tout d’abord artistique, puisque les artistes ont multiplié livres, drames, œuvres pastiques, BD, graffitis, contes pour enfants, jeux vidéos. Certains n’hésitent pas à y résider (E Lepage) au point d’en tomber amoureux. Kanysh écrit… (11) « D’autre part végétale et animale puisque la nature s’est, d’une certaine façon régénérée, et humaine puisque d’anciens habitants résident sur les lieux ».

 

II – ANALYSE DE L’ŒUVRE

La supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse

 Durant trois ans, de 1993 à 1996 Alexievitch parcourut les zones contaminées de Biélorussie, outre Minsk et Kiev en Ukraine. A son habitude elle fit des centaines d’enregistrements, de liquidateurs, victimes, scientifiques, personnels médicaux, responsables politiques. Certains donnent naissance à des récits complets, d’autres sont des fragments, mais tous sont orchestrés selon Lev Anninsky comme « un requiem en trois parties avec le prélude et le final ». Chacune est accompagnée d’un titre, parfois énigmatique et se développe comme une tragédie grecque où le héros terrassé par la fatalité lui résiste cependant (12).

C’est pourquoi l’œuvre d’Alexievitch est aussi une œuvre littéraire car elle se développe à l’instar d’une tragédie grecque laquelle apparaît comme le paradigme structurant de ses écrits, non seulement parce qu’il y est question de la guerre en particulier et du mal en général, mais parce qu’elle intègre des chœurs « de gens simples » peut-être plus aptes à parler, interrogeant les responsables, s’interrogeant sur leur faute, interpellant du plus profond de leurs sentiments l’indicible. Voix de deuil aussi et avant tout, portées par des femmes qui sont mères et épouses, les hommes se devant d’être fidèles à l’image du héros se sacrifiant pour la patrie (13). Et c’est alors que le témoignage hic et nunc advient à une parole transcendant l’individu pour accéder au tragique d’une existence qui éprouve sa mortalité. Point de consolation à ce deuil éternel. C’est le cri de Médée qui tue ses enfants. Du reste  nul homme ne parle de la perte de l’enfant, non qu’il ne souffre mais parce qu’on lui a interdit d’exprimer sa douleur.

Mais le chœur c’est aussi le lieu antagoniste du politique non seulement idéologiquement contesté, mais aussi interpellé et condamné d’un autre point de vue : celui de l’amour, de la vie, du sentiment (14). C’est devant ce tribunal qu’elle l’intime à comparaitre. Ce sera le thème de « La fin de l’homme rouge ».

Bien que s’exprimant sous forme de monologues, les protagonistes se retrouvent donc dans des chœurs, soldats, peuple, enfants qui interrogent le destin. Ainsi nait ce qu’Alexievitch nomme le « roman de voix » qui sont autant de voix de vérité venant de partout et pourtant originées (15).

 

1) – Le prologue

 a) L’avant-prologue

Sous le titre d’ «Information historique », l’auteure précise que la Biélorussie ou Russie blanche, n’a pas de centrale nucléaire, ce qui n’en souligne que plus l’arbitraire du désastre. En quelques données chiffrées puisées dans l’Encyclopédie de Biélorussie, elle en dresse le tableau : 485 villages perdus dont 70 enterrés, un habitant sur cinq vit en zone contaminée soit deux millions de personnes dont sept cent mille enfants (16).

Les données sont claires, précises, scientifiques, lesquelles contrastent d’autant plus avec le Prologue qu’il donne la parole à une voix solitaire, celle d’une épouse qui aurait pu être mère, certaine qu’une transfusion d’amour aurait pu sauver l’aimé. Mais l’amour n’est pas plus fort que la mort.

Il était pompier, arrivé l’un des premiers sur les lieux, quelques jours plus tard, la bombe radioactive qu’il était devenu entre à l’hôpital pour n’en plus sortir. Elle l’y suivra sans retenue.

Dans son récit elle évoque aussi les mensonges du parti, dont l’hypothèse d’un sabotage rend explicable la tragédie.

Elle y évoque la solidarité lorsqu’à l’hôpital où elle s’est installée, elle manque de tout pour faire boire et manger Vassia.

Le récit est long, travaillé, littéraire, se développe comme une tragédie jusqu’au dénouement fatal. Les détails sont insupportables (17).

Héros pour le Parti, il est cependant l’homme d l’ombre que l’on enterre comme un criminel en cachette car les journalistes du monde entier sont là (18).

Avec la mort rien ne s’achève car le souvenir demeure et les regrets aussi.

Mais la force de vivre s’impose. Avec un autre elle aura le fils espéré avec qui elle peut vivre et respirer quoiqu’il n’ait pas échappé à la contamination.

Et de conclure « moi je vous ai parlé d’amour… De comment j’aimais ».

 

b) Ce texte est paradigmatique car il développe les thèmes récurrents de l’ouvrage qui s’organise en trois parties elles-mêmes précédées d’une interview de l’auteure par elle-même sur, écrit-elle, « l’Histoire manquée ».

Elle s’interroge, dix ans après la tragédie sur l’utilité et le sens d’écrire un ouvrage de plus et de raviver des souvenirs. Or ce qui n’a pas été fait jusque là c’est l’histoire des « sensations, des sentiments des individus qui ont touché à l’inconnu ».

Les évènements ne l’intéressent pas. Elle s’inscrit en ce sens dans le courant de l’histoire des sensibilités qui évalue l’impact psychoaffectif d’un évènement. Il y a donc deux histoires qui se superposent ou plutôt deux façons de l’appréhender et de l’écrire.

A quoi elle ajoute que pour la première fois elle fait partie de ce qu’elle écrit « C’est ici que je vis, sur la terre de Tchernobyl ».

Et de s’interroger sur la nature de Tchernobyl : « Un signe ou une gigantesque catastrophe technologique »?

https://www.courrierinternational.com/sites/ci_master/files/styles/image_940/public/illustrations/thumbnails/tchernobyl_1.jpg?itok=4pCSTrqL

Et s’il s’agit d’un signe, de quoi l’est-il? En quoi fait-il signe? A qui? Comment le décrypter? Face au radicalement autre, de quelles expériences, de quels concepts disposons-nous pour le comprendre? Et s’il n’y a rien alors vers quoi se tourner? En effet nombre d’interlocuteurs le lui disent « Je ne peux pas trouver les mots pour dire ce que j’ai vu et vécu… » pas de points de repère, pas d’expériences analogues, pas de mythes ou de création (19).

Alors Alexievitch a opté pour une vérité fragmentée et fragmentaire, celle des individus dont les chœurs recomposerait l’unidualité face à celle unidimensionnelle du Parti. Dès lors les conséquences de Tchernobyl ont un impact autre que « cosmique » puisqu’il signe et signale le naufrage de l’immense continent socialiste. Et si l’un était soluble, l’autre laissa devant un néant, une négation de l’être. Face à cela, que faire? Quel sens accorder à l’existence? Et même cette question a-t-elle un sens qui puisse assigner à l‘humanité une direction? En quoi peut-on croire et espérer après Tchernobyl? Veut-on encore enfanter après Tchernobyl? (20).

 

2) Les trois parties

 a) « La Terre des morts », ainsi s’intitule le premier de huit monologues dont le premier « Monologue sur la nécessité du souvenir » à contrario de la Considération inactuelle que Nietzsche consacrée à l’oubli conçu comme salvateur, s’interroge sur la nature et les fonctions du sous-venir  (21).

On pourrait inverser les termes du titre et parler de la mort de la terre, et de l’enterrement de celle-ci car de la terre-patrie, de la terre-nourricière, il fallait faire le deuil.

L’auteure donne la parole à ceux qui y vécurent et à ceux, les samossioly, (22) qui sont revenus y vivre, soit qu’ils en étaient natifs, soit qu’ils  vinrent s’y réfugier, fuyant les guerres fratricides (23). Elle donne aussi la parole, dans le chœur final des soldats, aux liquidateurs qui évacuèrent les habitants (24), tuèrent (assassinèrent) les animaux domestiques, pourchassèrent les pillards (25) et périrent à leur tour irradiés. Ils furent les soldats dans une guerre où l’ennemi était invisible.

Tel est le premier bilan après Tchernobyl.https://images.ladepeche.fr/api/v1/images/view/5c3724fe3e45466e8608bcfd/full/image.jpg

Paradoxalement la vie est revenue à Tchernobyl, on laboure, on y élève du bétail, on offre des fruits et légumes aux visiteurs mais sans aide de l’Etat, en toute liberté anarchiste (26). Et la révolte de gronder contre l’Etat, auquel s’est substituée la communauté.

Dans le « Monologue sur la joie d’une poule qui trouva un ver » certains sont dans le déni de la réalité et assurent mieux vivre avec la radiation car on leur a livré des oranges et du saucisson. Voire Tchernobyl aurait été inventé, une fake new, un complot « vraiment des contes et des bobards ! ». Et puis « il faut bien vivre », vivre avec la contamination, car il faut vivre, il n’y a pas le choix.

Les monologues sont souvent très courts : « Monologue sur une chanson sans paroles »  sur une voisine en recherchant une autre, ou fort longs comme le suivant « Trois monologues sur une peur très ancienne » où la mère et la fille parlent tandis que le mari se tait.

Tout s’y mêle, la guerre au Tadjikistan, la barbarie, la deuxième guerre mondiale. Les souvenirs arrivent pêle-mêle, se juxtaposent, la parole se fait logorrhée. Faute de mieux Tchernobyl aura été un refuge pour les rescapés.

La première partie se clôt sur le « Monologue de l’homme qui n’est raffiné que dans le mal, mais simple et accessible dans les mots tout bêtes de l’amour ».

Il multiplie les paradoxes. « Ici c’est la liberté » dit ce solitaire qui se repend d’un passé entaché dont il tire une philosophie de la culpabilité. « L’homme ne peut pas être heureux. Il ne doit pas l’être ». Dieu a condamné Adam et Eve. Le péché est originel et radical. La vie est contingente et ne connait que trois inéluctables phases. C’est un de ces mystiques qui jeûne et prie. Il vit comme un ermite, c’est-à-dire de rien, d’un rien qui lui assure sa liberté (27).

Tchernobyl lui offre un espace de méditation « Je suis tout seul ici. Je pense à la mort. Je me suis rendu compte que j’aimais méditer » et d’ajouter « L’homme vit au milieu de la mort mais il ne comprend pas son essence ». L’homme serait un être fait pour la mort et non pour la vie.

Alors faut-il parler? Qu’est-ce que la parole dit de la réalité? De la réalité de la mort, de la nature, des animaux, de Dieu? Que pourrait-elle en dire ? Alors se taire à propos de ce dont on ne peut parler. C’est dans ce désert que l’homme cherche la parole de Dieu (davar-dabar) car il y faut le silence.

Nous n’avons pas les mots pour l’essentiel pressenti (28). Et l’homme de se définir comme le serviteur souffrant.   

 Enfin cette première partie s’achève sur l’un des trois chœurs, « Le chœur des soldats » entendons de tous ceux, soldats ou non de métier qui ont participé au nettoyage de la centrale, à savoir : conducteur, liquidateur, dosimétriste, soldat, pilote, milicien…

Les liquidateurs, les héros sacrifiés de Tchernobyl

Tous ont été élevés dans le culte du héros, dans l’esprit de sacrifice, dans l’amour de la patrie, dans l’obéissance. Ils sont devenus des robots biologiques tandis que « les machines devenaient dingues ».

Partout ils rencontrent des maisons vides, des chiens errants qu’ils abattent. Des mots sur les portes les prient de ne pas marauder ou d’épargner le chat.

La plupart se sont portés volontaires, les autres « restent dans les jupes de leurs femmes ». Ce ne sont pas de vrais hommes (29).

Autant de voix, autant de divergences et pourtant ils forment un chœur.

Leurs vies sont bouleversées, beaucoup meurent, tombent ou perdent leurs proches qu’ils contaminent, tel ce père dont le fils a porté le calot.

Mais surtout il faudra  ne pas parler de ce qu’ils ont vu, fait, supporté. Il faudra que le mythe du héros persiste même si beaucoup de comportements ne furent pas héroïques (30). L’important était d’y croire et de le faire croire (31) c’est-à-dire de mentir. Et tout le monde mentait du commandant au médecin.

Ce fut aussi un moyen de s’enrichir, grâce au salaire mais surtout à la maraude et au troc. La vodka était la monnaie d’échange avec laquelle on achetait tout (32).

Le héros était en fait un voleur et pire encore un assassin puisque sa rapine était contaminée. Mais le héros est aussi une victime qui a construit sa propre tombe « Une pyramide du XXème siècle ». Mais pour lui pas d’enterrement décent. On les enterre séparément dans des « cercueils  bardés de feuilles de métal ».

Alors que leur reste-t-il? « Un enthousiasme d’homme », l’honneur d’avoir fait leur devoir, le goût amer de la vanité humaine et de l’inutilité du combat.

 b) La deuxième partie intitulée « La couronne de la création » fait référence à la place dans la Bible qu’occupe l’homme dans la création dont il est le couronnement. L’homme aurait été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, il serait comme maître et possesseur de la nature. Dans les faits, Tchernobyl, entre autre, l’a transformé bien plutôt en apprenti sorcier luciférien (le porte lumière).

Ce sont donc des interrogations existentielles qui surgissent telle que celle du savoir ce que l’homme a fait du jardin que Dieu lui avait confié avec pour tâche d’en protéger tous les êtes qui le peuplent. Or la terre il l’a contaminée, le jardin est devenu désert let les animaux « la poussière qui marche » ont été exterminés par « la terre qui parle » à savoir les hommes.

La souffrance est réinterrogée, on la dit salvatrice n’est-elle pas plutôt destructrice voire satanique car au service de l’idéologie.

Et pourtant Tchernobyl peut faire sens, et dévoiler des vocations, telle celle de Sergueï Gourine qui s’est rapproché des animaux (33). Là encore la métaphore spirituelle, celle de Saint François d’Assise, est en filigrane.

Tchernobyl : 35 ans après l'accident nucléaire, découvrez comment la nature y a repris ses droits.

Mais où trouver ce qui permettra de conférer du sens?

Les livres sont muets face au radicalement autre. Dans ces conditions comment répondre aux questions des enfants? Que leur enseigner qui ne soit pas dérisoire? La culture ne serait-elle « qu’une caisse avec de vieux manuscrits »? Est-elle vraiment ce qui demeure lorsque tout a disparu?

Alors faut-il oublier? (34) Oublier comme y invite Nietzsche car le passé se fait fardeau et rend passif empêchant de se pro-jeter et donc de vivre. Jacques Brel écrit dans l’une de ses chansons « On oublie rien de rien, on s’habitue c’est tout ». Face à la menace, à l’angoisse, à l’absurde, l’habitude apparaît comme un barrage « la vie ordinaire reprend le dessus » jusqu’à la banalisation du mal. On boit, on joue, on drague et surtout on obéit parce qu’ «on nous l’avait ordonné » (35). Obéir devrait être la condition de possibilité de l’aptitude au commandement mais en l’occurrence elle dissout la volonté et décharge du questionnement critique.

Cependant fort de l’idée que « la vie est une lutte », l’homme soviétique aime les incendies, inondations et autres catastrophes qui le rendent en principe plus fort, mais « la radiation ronge tout » les êtres et les choses sans laisser la possibilité à l’homme de se montrer héroïque.

 Alexievitch donne à ses monologues des titres curieux tel que celui-ci : Trois monologues « sur la poussière qui marche » et « la terre qui parle ».

En l’occurrence la terre, à savoir les chiens jappent à la vue des hommes et hurlent lorsque la balle les a atteints. Bien sûr on reconnait que « c’est désagréable » mais nécessité fait loi et office d’impératif catégorique. Et puis la vodka donne du courage.

Partout certaines grand-mères résistent et les animaux manifestent une radicale force de vivre, persévérant dans l’être sans autre finalité qu’elle-même « Je veux vivre moi aussi ! vivre ! » semble dire le chevreuil blessé.

Cela infirme qu’ils soient privés de conscience de ce qui leur advient. Un chasseur leur prête sentiment et pensée, c’est pourquoi leur regard est insupportable.

Cette deuxième partie inflige une humiliation à l’homme qui se croyait la « couronne de la création ». Mais de quelle création, celle de Dieu ou celle de l’homme qui pareille à une tour de Babel s’avère aussi fragile qu’un colosse aux pieds d’argile. Tout s’est effondré, y compris la confiance dans le parti, alors la vie apparaît dans son essentielle contingence imposant le choix de la perpétuer ou pas (36). Etre ou ne pas être, faire être ou pas, dans un monde radicalement ab-surde, telle est la lancinante question. Enfanter pourrait être un péché (37).

Pourtant tout aussi lancinante revient l’exclamation « Nous vaincrons », comme nous avons vaincu toutes les autres guerres, autrement dit nous vivrons, du moins ceux dont la véritable nature ce sera avérée assez forte (38).

Tchernobyl aura été au sens propre une apo-calypse, un dé-voilement. Dé-voilement c’est-à-dire vérité sur la misère de l’homme, sa vulnérabilité, son angoisse face à l’altérité, qui surmontée lui permet d’entendre le langage des animaux et de recouvrer une primordiale unité (39).

Mais après tout, cela ne relève peut-être que de la rumeur qui fait d’un évènement une légende. « On dit que », on raconte que « les loups jouent les enfants, que le sang de ceux-ci est devenu un liquide jaune… » (40).

Quelle valeur de vérité prêter aux témoignages?

Mais aussi aux journalistes comme Alexievitch? Après tout ne fait-elle pas de la propagande antisoviétique (41).

Et les termes de changer de sens. L’un parle de « héros », l’autre de « victime » ; de guerre ou d’acte terroriste (42) en lieu de catastrophe. Et Sergueï Vassilievitch de conclure : « Tu comprends maintenant pourquoi n’a pas foi en vos dire? Vous vous mentez à vous-mêmes » (43).

 c) « Admiration et tristesse » tel est le titre de la troisième partie qu’on pourrait aussi traduire par « vénération » et « chagrin, affliction, peine ».

Ici l’auteure a rassemblé les témoignages de ceux qui pensent la catastrophe, recherchent les coupables et les responsables (scientifiques, politiques), réfléchissent sur l’après Tchernobyl. Dira-t-on « plus jamais ça? » Le scandale y côtoie l’absurde ; l’horreur, la beauté ; la stupeur, la pleine conscience ; la vérité, la mauvaise fois ; l’évènement ponctuel, la portée universelle.

Et l’ouvrage de se clore sur « Le chœur des enfants » sacrifiés à un dieu inconnu sur l’autel de l’imprévoyance, de la cupidité et de l’orgueil.

Derniers témoins - Poche - Svetlana Alexievitch, Anne Coldefy-Faucard - Achat Livre | fnac

La mort de l’enfant est un évènement si tragique pour les parents qu’il n’existe pas de mots pour le dire. Alors comment en parler, comment comprendre ce qu’ils ressentent? Sveltana Alexievitch a choisi de leur donner la parole et d’être pour eux « une oreille à l’écoute ». Elle leur a consacré un ouvrage entier « Derniers témoins » où il est question de ceux qui furent enfants pendant la deuxième guerre mondiale. Dans la « Supplication », elle leur consacre la fin de la troisième partie clôturée par « Le chœur des enfants » en écho au prologue où elle fournit des données chiffrées : sept cent mille enfants contaminés en Biélorussie.

Que pensent les enfants de la mort et de leur mort? Comment considèrent-ils le comportement des adultes? Comment se défendent-ils contre elle? Telles sont les questions que pose en filigrane  « Le Chœur des enfants ».

La mort c’est tout d’abord une expérience factuelle. Les enfants se rappellent que les arbres, les plantes, les fleurs, les oiseaux sont morts ; que leurs animaux ont été irradiés ; qu’on a enterré leur village, avec leurs jouets, sans qu’ils puissent rien dire, ni comprendre. Ils en ont compris la gravité à travers la réaction des adultes pris de panique, se livrant à des rituels d’adieux, telle la grand-mère disant adieu à sa maison, à son potager, à ses animaux. Mais aussi par la peur qu’ils suscitaient en les mettant à l’écart à l’école, ou à la gare qu’il fallait javelliser après leur passage. Et encore par le poids des souvenirs de leurs parents dont ils étaient les récipiendaires impuissants : « Nous nous promenions dans le jardin de l’hôpital… pour la première fois, il m’a parlé de Tchernobyl ». La mort, bien que tabou, s’est faite omniprésente par le truchement des média en l’occurrence la radio dessinant un monde phantasmatique fait de monstres sortis de l’imagination des journalistes et les arts plastiques lors d’une exposition sur Tchernobyl où, entre autre, un enfant a une trompe en guise de nez. Ainsi l’horreur s’ajoute à l’horreur et la peur au lieu d’être définie et explicitée devient un mal incompréhensible, voire une punition divine.

Mais la mort ils la vivent aussi dans leur corps car l’irradiation est une « maladie mortelle à évolution lente » dont l’enfant est parfaitement conscient même lorsque les adultes dont le personnel soignant, cherchent à la lui taire « Toute le monde se tait… Ils pensent que je ne devine pas…Que je ne sais pas que je vais bientôt mourir… » Qui des deux est alors le plus enfant?

Et pourtant. Pourtant ces enfants ont la force de vivre, ils jouent encore, attendent l’arrivée du printemps, se réjouissent à la vue des oiseaux, car si tout meurt, tout revit aussi. « Deux ans plus tard les oiseaux sont revenus. Nous nous en sommes réjouis …».

Non, Tchernobyl n'est pas devenu une réserve naturelle

Et même si « les hannetons, eux, ont disparu,  peut-être reviendront-ils dans cent mille ans », maisils reviendront.

L’enfant a la force de vivre car il a celle d’espérer. Le poids du passé n’oblitère pas l’avenir, même si cet a-venir est celui de la mort à laquelle se prépare ce petit garçon qui sachant qu’il va mourir apprend à voler pour entreprendre ce voyage qu’il imagine comme une autre façon de vivre :

 « La nuit, je vole… Je vole dans une lumière forte. Ce n’est pas la réalité…Qui a dit qu’il était facile de voler?... Je n’aime pas ce jeu mais que faire? »

 Que faire alors que l’un après l’autre les enfants de Tchernobyl, les enfants de la guerre disparaissent si ce n’est conserver leurs souvenirs et les faire ainsi vivre encore.

 « Pour moi, le ciel maintenant, est vivant. Et quand je le regarde… Ils sont là ».

 III – LA REFLEXION PHILOSOPHIQUE DANS LA « SUPPLICATION »

 La réflexion philosophique dans l’ouvrage d’Alexievitch est rarement explicite et doit être déduite de ce que les témoins disent ressentir. Loin de toute conceptualisation on est dans un intuitif dont la force de persuasion réside dans la capacité d’empathie du lecteur.

L’impression première et essentielle de la « Supplication » est liée à la souffrance omniprésente de touts les témoins soumis à l’épreuve de la mort et la conscience de la vulnérabilité de chacun, de la société, du régime, de la technologie. Un univers s’écroule irrémédiablement laissant chacun face à l’innommable. Mais en même temps l’épreuve de la mort rend plus fort et impose d’élaborer des stratégies de résilience. Là se rencontre l’héroïsme de la grand-mère comme de l’enfant.

Cet évènement prend les dimensions d’une tragédie métaphysique qui fait écrire à Alexievitch qu’elle n’écrit pas sur Tchernobyl mais  « sur le monde de Tchernobyl ».

Et chacun de réfléchir à la situation de l’homme dans l’univers. En d’autres termes c’est l’expérience du mal radical qui selon Arendt est à comprendre comme extrême car « il ne possède ni profondeur, ni dimension démoniaque » c’est pourquoi elle qualifie ce mal de banalité. Banalité qui tel un produit corrosif attaque et détruit insidieusement.

L’homme prend conscience qu’il est superflu et que sa mort vécue individuellement comme un drame, n’est rien.

Et en effet n’est-ce pas ce que présuppose la façon dont les autorités traitèrent les liquidateurs? Pire encore, ils leur cachèrent la vérité et tinrent le peuple dans l’ignorance niant ainsi que celle-ci est un droit.

Comment dès lors conférer un sens au cataclysme? Comment trouver les mots pour le dire et lui donner un sens qui le rendrait supportable car explicable et compréhensible? Le parti fut muet comme Dieu.

Alors reste l’amour qui conféra la force de vivre. L’amour des proches, de la patrie, des habitudes que les rescapés tentèrent de restaurer à titre d’instinct de survie. Peut-on en ce cas parler de force de vivre ou de nécessité ? Un témoin répète « Il faut vivre » mais quelle intensité, quelle volonté cet impératif recouvre-t-il?

Cependant la force de vivre signifie aussi la force de recommencer, de ne pas se résigner, d’espérer encore et d’agir grâce à la nature dont la capacité de se régénérer donne à espérer malgré tout.

 Paradoxalement c’est donc la nature agressée, détruite, enterrée, qui, pareille au Sphinx, renait de ses cendres et fait avec elle renaître cet animal, nommé homme.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

(1) La force de vivre – CPGE Scientifique - Atlante – p 188

(2) Op. Cité – p 193

(3) Op. Cité - p 194

(4) Op. Cité – p 194

(5) Op. Cité – p 189

(6) Op. Cité – p 190

(7) S. Alexievitch – La fin de l’homme rouge – Babel - p 676

(8) La force de vivre – p 194

(9) Op. Cité -  p 201

(10) S. Alexievitch – La littérature au-delà de la littérature – La Baconnière -p 16 à 18

(11) La force de vivre - p 202-204

(12) Op. Cité – p 30 à 32

(13) Op. Cité – p 45

(14) Op. Cité – p 50

(15) Op. Cité – p 30 à 32

(16) S. Alexievitch – Œuvres complètes – Actes Sud - p 664 – 671 – 676 – 677

(17) S. Alexievitch – La Supplication - Actes Sud – p 579

(18) Op. Cité - p 580

(19) Op. Cité - p 585

(20) Op. Cité - p 613

(21) Op. Cité - p 587

(22) Op. Cité - p 594 – p 667

(23) Op. Cité - p 614

(24) Op. Cité - p 597 – p 598

(25) Op. Cité -  p 593

(26) Op. Cité - p 601 – p 603

(27) Ce qui n’est pas sans rappeler le film documentaire de Wang Bing « L’homme sans nom »

(28) Op. Cité - p 621

(29) Op. Cité - p 633

(30) Op. Cité - p 626 -627

(31) Op. Cité - p 628

(32) Op. Cité - p 629 – 630… 642

(33) Op. Cité - p 662 -663

(34) Op. Cité - p 638

(35) Op. Cité - p 642

(36) Op. Cité - p 668 – 669

(37) Op. Cité - p 655 – 658

(38) Op. Cité - p 659

(39) Op. Cité - p 663

(40) Op. Cité - p 674

(41) Op. Cité - p 686

(42) Op. Cité - p 687

(43) Op. Cité - p 679 – 680 - 681

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