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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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14 novembre 2020

LE XVII SIECLE : LE SIECLE DES MORALISTES

Le XVIIe siècle : le siècle des moralistes

 Louis XIV of France - Wikipedia

I) Le contexte historico-culturel.

 On qualifie le XVIIe siècle de siècle du classicisme mais aussi du siècle de Louis XIV, autrement dit des grands écrivains étudiés en classe et de l'absolutisme. Le XVIIe siècle aurait-il été un long fleuve tranquille ? Au-delà de ce vernis se cache bien des craquelures qui est au XVIIIe siècle se transformeront en rupture, de sorte que l'on peut qualifier le XVIIe siècle de siècle de la polémique. Polémique qui prend des formes littéraires diverses : pamphlets ; satires ; chansons (ainsi la fronde produira tels 5000 mazarinades) ; maximes ; portraits ; pensées ; fables ; ou pièces de théâtre. Autant dire que la forme brève et la pointe assassine font florès. Leur lieu de prédilection sont la rue, les murs d'affichage mais avant tout les salons qui commencent à prendre une place qui s'accentuera au XVIIIe siècle où ils deviendront un creuset d'opposition politique. Pour lors on y discute littérature et potins de la cour.

Si rien ne change en l'apparence , la France demeure chrétienne et monarchiste, des voix critiques s'en prennent à cette guerre qui dure depuis trente ans, à une monarchie qui de tempérée devient absolue, à la révocation de l'édit de Nantes qui anime les feux de la guerre entre catholiques et protestants.

Le monde par ailleurs s'est élargi de l'espace clos à l'univers infini, avec les Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Gassendi qui ébranlent la représentation géocentrique étayant l'édifice théologique chrétien. Descartes affirme que l'homme est un être doué de raison qui n'a pas besoin de la vérité révélée que lui prodigue la Bible. Spinoza hésitera pas à produire une exégèse biblique dénonçant les falsifications théologiques à finalité politique et justifiera la liberté de pensée comme gage d'une croyance apurée.

Mais le monde de l'homme s'est élargie aussi par la découverte du Nouveau Monde qui interroge l'Europe sur son anthropologie. Montaigne n'avait pas hésité à  admirer cet indien dont les moeurs interpellent le bien-fondé de celles de l'Europe. L'indien a-t-il une Ame ? Dieu l' a-t-il inclus  dans son dessin soteriologique ? Mais comment a-t-il pu mettre une Ame chez des païens ? Deux siècles plus tard Montesquieu se demandera comment il a pu mettre une Ame blanche dans un corps  noir.

Ces espaces infinis effraient Pascal, l'univers mental du 17e s'effrite. C'est pourquoi on y rencontre plus de moralistes que de politiques. Ça et là s'élèvent quelques voix héritières de La Boetie et de son fameux" Discours de servitude volontaire". Mais rares sont les voix politiques qui remettent le système en question.

Et pourtant les philosophes sont nombreux : Descartes, Pascal, Leibnitz, Spinoza, Malebranche, Arnaud et Nicole, et outre-Manche  un siècle auparavantThomas More suivi de Hobbes , fondateur de la philosophie politique moderne  puis Locke. Mais la plupart sont des métaphysiciens et des scientifiques. Nous reviendrons cependant bien sur les philosophes d'outre manche

Mais pour lors voyons ce qui se passe en France sur le plan littéraire.

 II) Des écrivains témoins de leur temps

  Il apparaît que les des écrivains sont plus plus des témoins que des critiques engagés et du reste deux tendances antagonistes se dégagent : d'une part la dénonciation de la misère du peuple , des injustices sociales et des moeurs dont avant tout celles des gens de cour ; d'autre part le respect des institutions religieuses et politiques même si quelques hésitantes interrogations s'expriment quant à la meilleure forme de gouvernement mais du roi il n' pas question  il est le lieu- tenant de Dieu et par conséquent le critiquer serait remettre en cause la divine providence que défend le bras de l'inquisition.

 a)  La Bruyere

 Portrait Présumé De La Bruyère - Tableaux portraits

Cependant des écrivains dénoncent les injustices sociales en  les originant  non pas dans le système politique en vigueur mais dans le comportement des mauvais riches. La Bruyère fustige l'indifférence, l'égoïsme voire la cruauté des riches autant dire des grands  de la cour. « Leur curiosité ne s'étend point à prévenir d'extrêmes besoins et d'y remédier » à l'unisson Bossuet dans le" Sermon du mauvais riche" rappelle que Dieu a fait les grands pour servir de pères aux pauvres. Le ton de La Bruyère se fait aussi cinglant que son indignation est profonde lorsqu'il décrit " Ces animaux farouches répandus par les campagnes en lesquels se reconnaissent des hommes " il s'inspire en l'occurrence de Socrate dont il écrit qu'il « blâmait les moeurs sa vision du peuple qui étaient mauvaises " et aussi de Démocrite le cynique lorsque son ton se fait acerbe. Olympe de Gouges au 18e siècle et Hugo au 19  en retrouveront les accents. Sa vision du peuple quoiqu'étant celle d'un citadin et d'un homme proche de la cour eSt compassionnelle voire admirative. Le peuple se contentant du nécessaire ne saurait connaître aucun mal, et s'il n'a guère d'esprit, les Grands n'ont point d'âme et La Bruyère d'opter résolument pour le peuple « je veux être peuple ».

Mais il ne l'en critique par moins pour sa bêtise, son mauvais goût, son manque de subtilité et sa tendance à l'idolâtrie, . La Fontaine fait de même il n'est  que de lire son " Voyage en Limousin" pire qu'une expédition en terra incognita.

Parfois La Bruyère a même la prescience des conséquences de telles disparités « et cela ne prouve-t-il pas clairement un avenir »et d'en déduire que si les Grands le sont par établissement ils  ne le sont pas par nature.

Les Grands en outre souffrent d'un mal rédhibitoire : l'oisiveté. Sans doute est-ce là la source de tous les maux : l'ennui, le vice et le besoin. Au siècle suivant Voltaire préconisera dans son poème « Le mondain » et en suivant le modèle anglais, que les aristocraties  travaillent.

Pour lors ils passent leur temps à se divertir dans des occupations oiseuses qui les détournent de leur misère intérieure, à savoir l'ennui "qui dans un baillement avalerait le monde " et fait s'amuser Mme de Sévigné de pratiques cruelles. Ce sont donc les moeurs qu'il faut blâmer et ce au nom de l'humanité de la morale chrétienne.

Les Grands incarnent tous les vices et La Bruyère comme Montaigne les dénoncent : frivolité, inconstance, cruauté, égoïsme, goût de l'argent et du pouvoir, vanité dont la fustigation remonte au Qohelet et que rappelle Bossuet dans ses" Sermons" « considérez Messieurs, ces grandes puissances que nous regardons de ci-bas.Pendant que nous tremblons sous leurs mains, Dieu les frappe pour nous avertir » « vanité des vanités et tout est vanité »

Le point commun de tous ces vices est sans doute  la recherche du changement entée sur l'angoisse du manque et la conscience de la vulnérabilité. S'inspirant d'Héraclite La Bruyère rapporte en effet l'inconstance au panta rei. Tout fuit, se transforme « tout coule » et de fait nous échappe « O temps !O Moeurs ! s'écrit Héraclite "O malheureux siècle" ! siècle rempli de mauvais exemples où les vertus souffrent, le crime domine » et l'auteur de souhaiter se retirer dans d'obscurs « à manger du pain noir et boire l'eau des citernes »

Faut-il dès lors : se retirer du monde, se résigner, faire confiance à la divine providence dont les desseins sont impénétrables, tenter d'amender les hommes?. Or ceci pose la question de l'objectif des Caractères; s'agit-il d'un castigat ridendo ? La Bruyère propose-t-il à la façon de Socrate de faire prendre conscience aux Grands qu'ils ne sont ni ne savent rien en faisant leur portrait ? Ou se contente-t-il de dresser une galerie de topoi ? Sans doute s'inspire t- il là encore de l'un de ces géants sur les épaules desquels nous sommes assis à savoir et Théophraste dont La Bruyère a traduit des textes : De la dissimulation ; De l'ostentation définie comme « une passion de faire montre d'un bien ou des avantages qu'il n'a pas » Voilà qui convient bien au paraître de l'homme de cour.

Force est de constater que la misanthropie de La Bruyère est l'expression d'une résignation à l'égard de la nature humaine soumise à des passions dont nul n'est maître « L'on n'est pas plus maître de toujours aimer qu'on ne l'a été de ne pas aimer » sentence qui fait écho à celle de La Rochefoucauld « la durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie »

Cette résignation réaliste se redouble quant au choix d'une forme de gouvernement « quand l'on parcourt toutes les formes de gouvernement on ne sait à laquelle se tenir ; il y a  dans toutes le moins et le moins mauvais. Ce qu'il y a de plus sûrement raisonnable c'est d'estimer celle où l'on est né la meilleure et de s'y soumettre ». Ce qui n'est pas sans rappeler la position de Descartes émise dans sa morale provisoire. Dans le doute abstenons-nous de juger et suivons la majorité. Le monde de l'homme est fait de conflits, la loi du plus fort y règne puisque « nous pouvant faire que le juste fût fort on fît que le fort fût juste »( Pascal.) La force l'emporte donc sur le droit et dans ces conditions l'Etat pas autre chose que le moyen qu'ont trouvé les Grands pour asseoir leur domination avec ou sans le consentement du peuple auquel ils assurent la paix au prix de sa liberté « Selon que vous serez puissants ou misérables les jugements de cour vous ferot blanc ou noir » La Fontaine

Pascal n'a eu de cesse de confondre les Grands tous vêtus de leur décorum, les magistrats vêtus de robes rouges et d'hermine dont ils s'emmaillotent en chats fourrés. Mais peut-il en être autrement alors qu'à cause du péché originel l'homme s'est séparé de Dieu et a fondé de la Cité terrestre où prévaut la corruption ?

 Tous les hommes veulent dominer aussi la rivalité et la haine règnent-elles comme l'illustre: la guerre de 30 ans, les guerres de religion, la rivalité entre jésuites et jansénistes, la Fronde. Face à la cité des hommes  se dresse celle de Dieu, Jérusalem Céleste, mais elle n'est pas de ce monde " le diable a mis les lois  qu'il a voulu" (Pascal ) la cité est née dans l'injustice, en témoigne le crime originel de Cain. « Chaque moi  voudrait être le tyran de tous les autres» Dans ces conditions il faut se résigner à l'imperfection de la cité terrestre pour se tourner vers ll la cité Céleste car "il n'y a point aujourd'hui de puissances légitimes dont le commencement n'ait été injuste » Aussi Pascal n'hésite t il pas a dénoncer la monarchie. Pour Jansénius,  les Français sont sans roi  depuis 900 ans.

Mais en attendant il faut vivre et vivre en société, à moins d'opter comme beaucoup de Nobles le firent, pour la réclusion à Port-Royal. Quant au commun des mortels il s'en remettra au roi, lieutenant de la divine providence, car « il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont injustes, car il n'y obeit  que parce qu'il les croit juste… Il faut obéir aux supérieurs non parce qu'ils sont justes mais parce qu'ils sont supérieurs. Partant voilà toute sédition prévenue » Pascal.

Mais la justification du pouvoir peut-elle aller jusqu'à celle des inégalités de  conditions ? Même si elles relèvent de la divine providence  et s'avèrent naturelles faut-il pour autant en tirer avantage ? Une différence ne donne pas droit à une inégalité « les hommes composent une même famille, il y a que le plus et le moins dans le degré de parenté »

 b) FenelonFrançois de Salignac de La Mothe-Fénelon, histoire et ...

Alors faut-il comme Fénelon opter pour une éducation du prince ou comme Thomas More pour une utopie?

Fénelon écrit en 1699 «Les aventures de Télémaque » où s'inspirant de l'Odyssée, à titre d'outils pédagogique, il instruit un petit-fils de Louis XIV de son métier de roi en fonction des vertus chrétiennes.

Les Aventures de Télémaque - La Bibliothèque Gallimard ...

L'oeuvre est en effet écrite par un prêtre pétri de cette culture gréco-latine qui lui offre les mythes requis au développement et à la construction de l'identité.

Certes la tâche d'un roi est nécessaire mais elle est aussi impossible et Fénelon est sans illusion quant à la possibilité d'incarner un projet socio-politique d'inspiration chrétienne. Et si le dessein du prince doit être d'empêcher la tyrannie et d'assurer le bonheur de ses sujets, le modèle d'un retour à une vie pastorale est d'autant plus irréaliste que Machiavel en avait, en principe, guerri les politiques grâce à un réalisme considérant les hommes tels qu'ils sont mais sans pour autant considérer la tâche de réaliser l'intérêt commun comme impossible. Mais il faut rappeler que Machiavel n'avait pas le souci de la morale chrétienne. Cependant l'évocation des châtiments qui attendent le mauvais prince dit assez la méfiance de Fénelon à son égard.

Mais il n'en demeure pas moins que " Le voyage de Télémaque"  défend les vertus que revendiquent les Grands à savoir : la fierté, la gloire, l'estime, en un mot la grandeur humiliée par le pouvoir royal contre lequel la Fronde va s'élever manu militari, tandis que d'autres écrivains au nombre desquels Corneille dessine un portrait des plus flatteurs. C'est dans la bouche de Dom Gusman que le dramaturge met ces paroles: "Monsieur pour conserver tout ce que j'ai d’estime, désobéir n' est pas un si grand crime"(Le Cid,ll,1)

Ce qui définit les Grands se résume en un mot: la générosité que Descartes définit dans Le Traité des passions comme " le plus haut point où un homme peut s'estimer" et se décline sous la forme de " la loyauté dans la obéissance...dépouillement de l'envie...dépouillement de la  tyrannie et sincérité dans la protection"

c) CorneilleHave you heard of Pierre Corneille?

 Corneille recourt au drame pour mettre en scène la dramaturgie politique et transpose en des temps et lieux différents les drames de son époque qui sont de tout temps . Est-il pour autant un écrivain engagé ? Non, mais un témoin de son temps et d'une pratique politique qui se réduit à des intrigues et complots de toutes espèces comme en témoigne la vie du Cardinal de Retz.

En résumé ce que fustige Corneille c'est la pusillanimité du Roi, la corruption des ministres et de la cour en quoi il rejoint La Bruyère et Claude Joly dénonçant « la malice de leurs favoris et des ministres"

Ainsi on voit se dessiner une nette distinction entre la cour et les grands, entre une noblesse du paraître et des titres et une aristocratie de l'âme. Or ce qui est responsable de cet état de fait est l'absolutisme tyrannique face auquel  la noblesse incarne une révolte légitime. Mais n'est-ce pas à faire là "un tableau idyllique de celle-ci et s'illusionner quant à la possibilité de concilier la royauté et la noblesse de coeur", d'autant que les institutions n'ont pour lors pas de pouvoir et que la loi comme le proclame Louis XIV « c'est moi »

Or en l'absence de lois justes et s'appliquant à tous de manière impartiale c'est le règne de la tyrannie. La réponse devra attendre le XVIIIe siècle. Pour lors on espère du roi qu'il soit un père aimant, responsable, tempéré, prudent comme le décrit et l'espère Fénelon.

Nous allons consacrer un moment de réflexion aux Mazarinades qui s'avèrent être des écrits remarquables à l'époque de la Fronde. Celles-ci furent écrites entre eux 1640 et 1653. Bien qu'on leur ait donné un titre évoquant Mazarin il est loin d'être le seul destinataire de ces écrits, plus ou moins longs qui vont  du petit livret au pamphlet et à la chanson. Les formes en sont diverses et variées : lettrines, vignettes, placards, accompagnées ou non d'ornements. Plus de six mille Mazarinades sont répertoriées. Elles furent largement diffusées à Paris et ailleurs ce qui arrangeait les imprimeurs. On les vit fleurir par exemple à Bordeaux à propos d'un fait divers concernant la mort d'un artisan. À caractère essentiellement politique elles avaient pour but de faire réagir et agir en fomentant des complots. D'où le ton ironique et polémique mais aussi leur forme métaphorique car il faut s'avancer masqué. Les destinataires en sont variés allant de l'anonyme, au cardinal de Retz, du ministère de Mazarin à la rue. Bien qu'éphémères et ponctuelles les Mazarinades furent très tôt collectionnées par exemple par Gabriel Naudet, bibliothécaire de Mazarin.

Mazarinade — Wikipédia

On a donc affaire à des écrits de circonstance, vite imprimés, sur des supports de piètre qualité, dans un style tel que Flaubert les traita avec le plus parfait mépris. L'information en est biaisée et peu fiable aux dires de ses détracteurs. En même temps ils sont distrayants, maintiennent l'intérêt de l'opinion publique comme les " Provinciales" de Pascal. Leur anonymat   du reste y contribue.

Par ailleurs les Mazarinades sont les témoins du climat qui régnait en France ; de l'importance de l'écrit ; de la virulence de l'opinion publique ; de son intérêt pour la politique  et du problème de la valeur de vérité d'un matériau inclassable. C'est déjà face au pouvoir l'émergence d'une résistance qui se muera en révolution un siècle plus tard. Bien sûr on ne peut occulter le caractère économique de l'entreprise qui comme les upday new  font d'une anecdote une saga.

 

En même temps cela nous en dit aussi beaucoup sur le fonctionnement du politique qui n'hésite pas à utiliser les tweets de l'époque afin de démystifie la sacralité du kratos. On ne se veut plus maître du palais mais du pavé.

De même que les écrits se politisent de plus en plus, de même les faits divers suivent la même voie visant à créer une communauté d'impressions et d'opinions et à faire ciment social mais il s'agit aussi d'orienter la lecture des symboles, de décrire la joie populaire, de souligner son patriotisme et l'amour du prince. La fête des masques est une mascarade. C'est le règne du pain et des jeux.

Le politique se donne donc en spectacle et la politique devient elle-même un spectacle mais la Fronde n'est pas loin et à côté de ce récit lénifiant se profile la prochaine révolution. Lors du carnaval on brûle les effigies de Mazarin, du Duc Épernon, et de La Mancini. Le ton et l'insolence des Mazarinades  ne sont  pas sans rappeler celle d'Aristophane surtout lorsqu' une d'entre elles est couronnée par une chasse au bouc émissaire qui n'est autre que Mazarin.

Reste à savoir quel fut l'impact réel des Mazarinades, feu de paille ou écrits révolutionnaires remettant en cause le système politique?

Sur cette question les historiens se divisent certaines y voyant de véritables écrits révolutionnaires, d'autres « les outils intellectuels d'une pensée politique nouvelle, individuelle et en rupture » En tout cas elles participent de ce courant toujours vivant, dynamique et polémique qui continue à alimenter les Charlie hebdo, Bébêtes Show et autres caricatures  incarnation de la liberté d'expression sans laquelle la politique est un vain mot.

 d) Thomas MoreSt. Thomas More Catholic Church - Pensacola, FL

 Nous avons évoqué précédemment Thomas More auteur de l'Utopia, revenons y.  Il examine dans son ouvrage, par le biais de son personnage Raphaël, différentes formes de gouvernements pour en analyser les avantages et inconvénients. L'utopie ayant pour fonction de critiquer la société telle qu'elle est et de proposer un modèle de ce qu'elle devrait être, le récit commence par la critique des rois ineptes et influençables et des nobles « frelons oisifs qui se nourrissent de la sueur et du travail d'autrui, des prêtres et religieux fainéants » et du système français dont il dénonce les vices « la pauvreté du peuple , le rempart de la monarchie » et l'air que l'on respire dans les régions du pouvoir corrompant la vertu même.

Par contre dans l'utopie tout est organisé en vue de l'égalité et d'un vertueux bonheur grâce à un système qui exclut la propriété privée, on ne possède pas son logement, d'un travail obligatoire de seulement six heures, de loisirs pris en commun, tout ceci en vu de l'intérêt général. C'est pourquoi l'on a affaire, au sens propre, à une république où « tout le monde s'occupe sérieusement de la chose publique parce que le bien particulier se confond réellement avec le bien général ».

De même More vise-t-il les prêtres catholiques qui ne sont pas des  parangons de vertu et propose un clergé peu nombreux « sans influence, ni pouvoir ».

Quoiqu'il en soit, l'esprit de réforme s'affiche : celle de l'église comme de l'État mais l'heure n'est pas à la révolte ni à la souveraineté du peuple. On voit encore dans le roi le deus ex machina qui vient rendre justice comme à la fin de Tartuffe. L'église et le pouvoir entretiennent leur complicité pour maintenir le peuple dans une obéissance craintive et reconduire des différences sociales conçues comme naturelles en oubliant que la culture est une seconde nature .

 III)  Naissance de la philosophie politique moderne: HobbesHobbes, Thomas: Methodology | Internet Encyclopedia of ...

  1) L'Etat de nature: La guerre de tous contre tous.

 Chaque époque possède un modèle dont il fait le paradigme de la vérité, si à l'époque de Platon ce furent les mathématiques, au XVIIe siècle ce fut la mécanique. Pour preuve la théorie de l'homme-machine exposée par la Mettrie, adoptée par Descartes et    "incarnée" par les automates de Vaucanson. Or c'est à ce modèle que se réfère Hobbes qui compare la toute-puissance du Souverain à une machine analogue au corps humain. Le souverain, Dieu mortel, a pour finalité de fabriquer l'homme. Il s'agit de penser le corps politique en termes de principes rationnels, à l'instar du corps machine que Léonard de Vinci et autres Rembrandt observent. C'est ce à quoi s'emploiera  le Léviathan (1651)  qui s'interroge sur " la matière, forme, puissance de l'État chrétien et civil » selon le sous-titre de l'ouvrage.

Pourquoi la question de l'État et sous cette forme s'impose-t-elle à Hobbes ? Peut-être pour des raisons qui tiennent à son expérience personnelle de la guerre. Hobbes rappelle en effet que la guerre et lui sont nés en même temps, et en effet il nait en 1580  au moment de la défaite de l'invincible Armada, puis ce sera la guerre entre Charles Ier et l'Écosse ; la fuite de Hobbes en France ; le début de la guerre civile en Angleterre ; l'exécution de Charles Ier ; son exclusion de la cour de Charles ll , sa fuite à Paris, c'est du reste à ce moment-là qu'il publie le Léviathan. En France commence la fronde des princes. Il est lui-même menacé par le parlement pour athéisme et hérésie. Il meurt en 1679.

Loin de vouloir expliquer l'oeuvre par la vie, Locke, dans des conditions similaires, n'élaborera pas le même projet politique.

L'Etat à tout d'abord selon Hobbes, pour objectif d'assurer la protection des individus qui s'adonnent à une guerre généralisée et permanente dans un  hypothétique état de nature. C'est pourquoi mus par la crainte de mourir ils s'en  remettent à un Souverain absolu. Il y a effectivement urgence à réagir contre la menace de mort. Mais en outre  Hobbes est féru d'antiquité greco-latine. Il traduit Thucydide, connaît les ouvrages de Gropius "De jure belli ac pacis", Suarez, Bodin "Les six livres de la République" . Il participe aux agitations parlementaires anglaises parlementaires qui  instaureront la république en 1649 à laquelle succédera la restauration de Charles ll tandis qu'en France la royauté deviendra absolue. Son oeuvre est du reste en grande partie politique : 1640 Elements of Law;1641 De Cive;1641 Bellistica;1650 Corpore politico.

Mais on ne saurait négliger son oeuvre scientifique qui concerne aussi bien la rhétorique que les mathématiques et la connaissance de la nature humaine, ce qui l'amène à entretenir une correspondance avec les philosophes de son temps à savoir : Descartes, Mersenne, Gassendi, Galilée d'autant qu'il fait plusieurs séjours en France.

 1.1)  Le Leviathan

 An Artistic Analysis of the Frontispiece of Leviathan ...

La philosophie politique de Hobbes repose, comme sur tout système politique, sur une anthropologie qu'il s'agit d'expliciter et qui va vous reconduire à Machiavel.

On se rappelle que celui-ci définit l'homme comme agi par le désir et la crainte, de sorte qu'il est plus avide que mauvais. Craignant pour ses biens il vole ceux d'autrui et fait la guerre à son voisin pour préserver sa sécurité. C'est ainsi du reste que les Princes des cités italiennes  conduisaient leur politique. C'est pourquoi Machiavel préconisait que le prince fasse preuve de  virtu face à fortuna.

Si l'on n'accepte le fait que pour HOBBES l'homme est agressif par nature, nous préférons ce terme plutôt que mauvais , les deux auteurs partagent une anthropologie analogue. Cela fait-il d'eux des pessimistes ou des réalistes pragmatiques ? Quoiqu'il en soit l'important est de souligner le fondement anthropologique du politique.

Affirmer que selon la célèbre citation de Plaute, reprise par Hobbes, que" l'homme est un loup pour l'homme" et non un animal politique (Aristote) ce n'est pas affirmer sa méchanceté mais constater que comme tout animal l'homme est agi par le désir de persévérer dans l'être autrement dit de vivre et ce par tous les moyens afin d'échapper à la mort dont la crainte le taraude. Faut-il l'accuser  pour autant de faire le mal volontairement dans le but de nuire à autrui ? Les deux auteurs ne l'affirment pas. Machiavel dit bien qu'il serait bon que le prince recherchât l'amitié de ses sujets mais dès lors que la libido dominandi l'emporte alors il faut réagir comme un lion pour se défendre .

Hobbes fait l'hypothèse d'un état de nature (Locke et Rousseau feront de même mais avec des présupposés différent), dont il dit lui-même qu'il n'a peut-être jamais existé mais qui a pour fonction épistémologique de fournir un modèle hypothétique pour en déduire la forme de l'État nécessaire pour le surmonter. Spécifions que cet état de nature c'est aussi la guerre des opinions qui génèrent de furieuses polémiques en l'absence du doute rationnel et raisonnable dont il avait pu apprécier la mise en oeuvre dans le Discours de la méthode de Descartes. qu'il reçoit en 1637 et dans les Méditations métaphysiques du même auteur auquel il fait part de ses objections à partir de 1641.

 Rappelons que trois caractéristiques définissent le doute cartésien: il est  volontaire, radical, hyperbolique et tient ce faisant l'opinion pour une non pensée, car qui ne doute pas ne pense pas. Or l'opinion parce qu'elle ne pense pas est un champ de bataille. Mais Hobbes reconnaît que "dans cet état tous les hommes ont un droit sur toutes choses et même les uns sur le corps des autres » car chacun suit sa raison qui lui dicte la nécessité de défendre sa vie. C'est même le fondement premier du droit naturel que " chacun s'efforce de protéger autant qu'il le peut sa vie et ses membres » contre les passions sociales qui définissent l'homme et engendrent les conflits à savoir : la vanité, la fierté, la revendication individuelle, la rivalité et la crainte de la mort violente que chacun provoque de peur de la subir.                                                                        

Or ceci permet à  Hobbes de donner une preuve de l'égalité naturelle entre  les hommes que l'on tient habituellement pour inégaux. Tous ont en effet la capacité de tuer de sorte que si « deux hommes désirent la même chose alors qu'il n'est pas possible qu'ils en jouissent tous les deux, ils deviennent ennemis chacun s'efforcent de détruire ou de dominer l' autre ».

Hobbes en décrit une situation humaine tragique à l'instar du reste d'autres philosophes contemporains et à celui qui lui objecterait la grandeur d'âme du sage et il rétorque - comme le fera du reste Rousseau - que dans une rue malfamée ou face à un pistolet, on obtempère.                                                                                                                                                                                                                                                                          1.2)Pourquoi vivre en société?                                                                                                                          

 Après ce descriptif dramatique la question se pose de savoir comment et pourquoi les hommes vivraient en société. Serait-ce pas intérêt, par commodité, par plaisir, par sociabilité ? D'emblée à se répond colonne n'éprouve aucun amour pour ce congénère et que la vie en société n'a rien d'attractif. En société au ne recherche que son utilité, ou le plaisir de sa gloire. L'autre n'est qu'un moyen au service de mes fins et la sociabilité provient d'une sociabilité première. « Les sommes ne s'assemblent que pour l'utilité ou pour la gloire c'est-à-dire par amour de soi et non de celles associées ». Soulignons que cette utilité n'est pas commune et ne peut donc être mise à à l'origine de la société car en société chacun cherchera à dominer et non à obtempérer ou de voir quelle est.

Qu'est-ce donc qui est à l'origine de la société ? : La crainte. Et paradoxalement c' est de ce qui divise les hommes que va surgir la société qui les unit.

Dès lors la domination que pourrait alimenter le fait de vivre avec autrui est supplantée par l'association qui requiert une organisation, une démarche rationnelle, une gestion des biens, un projet politique. En l'occurrence on pourrait dire que la crainte est bonne conseillère puisqu'afin de conserver sa vie et faire cesser la guerre de tous contre tous, les hommes vont trouver un remède : l'État souverain ou Léviathan. C'est du reste à partir de son instauration que l'on peut véritablement parler de société. Ce terme en effet présuppose une association d'individus organisés, rassemblés par un projet et des valeurs sous l'égide de l'intérêt commun. Mais celui-ci ne va-t-il pas  s'affronter aux revendications individuelles? En l'occurrence non puisque tous éprouvent cette crainte qu'ils veulent voir cesser, pour leur vie . L'intérêt de chacun et dès lors celui de tous mais la crainte n'en est pas pour autant supprimée mais remise entre les mains du souverain qui aura seul le droit de l'exercer pour faire régner la paix.

 1.3) Du Souverain.

 Le pouvoir du souverain est instauré à partir d'un contrat passé entre les contractants. Ce contrat vise d'une part à établir une parfaite égalité entre eux, d'autre part à donner tout pouvoir au souverain et ce faisant de réduire les princes  à l'impuissance et à aliéner les sujets. Le pouvoir du Léviathan, à l'instar de celui de Dieu, est tel qu' on ne saurait en imaginer de plus grand et pour cause puisqu'il pourrait être supplanté par un pouvoir supérieur.

La liberté est conséquemment sacrifiée à la sécurité mais en même temps assurée par celle-ci. Au XVIIIe siècle Kant s'interrogera sur la compatibilité entre les deux. Bien sûr on pourrait craindre que le souverain abusât de son pouvoir ce serait le cas s' il s'agissait d'un prince mais il est le produit du contrat passé entre les sujets. Il s'agit d'un pouvoir absolu mais non pas tyrannique.

En voici les termes : « C'est comme si chacun disait à chacun : j'autorise cet homme ou cette  assemblée et je lui abandonne mon droit de gouverner moi-même à cette condition que tu abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ces actions de la même manière. Cela fait la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée une République. Telle est la génération de ce grand Léviathan de ce dieu mortel auquel nous devons notre paix et notre protection ».

PPT - HOBBES PowerPoint Presentation - ID:5349452

Reste, comme on a déjà évoqué, que la majorité confie à un homme ou une assemblée le droit d'exercer un pouvoir absolu dont il pourrait chercher à profiter. Comment l'en prévenir ? "La conscience raisonnable de son intérêt" répond Hobbes, le Souverain ayant tout intérêt à éviter la guerre de tous contre tous car 'il est lui-même composé d'hommes animés par la même crainte'. Ce ne sont donc pas des valeurs transcendantales telles que le bien, la justice, l'égalité qui président à l'exercice du pouvoir, ni la virtu du Prince, ni l'objectif de rendre  les citoyens  meilleurs qui président à l'action politique du Léviathan, mais la protection des hommes de grès ou de force.

Grâce à son pouvoir illimité le Léviathan  peut maîtriser les sujets au  nom desquels il exerce le pouvoir. Celui -ci n' est plus de droit divin mais du droit des hommes. C'est pourquoi Hobbes est à l' origine de la philosophie politique moderne.

 Reposons la question de savoir à quoi tient le pouvoir du Léviathan  À son caractère absolu et illimité bien sûr, mais celui-ci à son tour ne serait rien s'il ne reposait sur l'idée que s'en font les hommes plus que sur son effectivité. La Boétie en avait déjà fait la démonstration dans " Le discours de servitude volontaire". Mais en l'occurrence il s'agissait de celui d'un tyran non d'un souverain voulu par le peuple. En l'occurrence dans la mesure où tout homme a le droit et c'est un droit de la nature de rechercher la paix par tous les moyens y compris la guerre la puissance du Léviathan réalise la loi naturelle en recourant au droit "de se défendre par tous les moyens dont on dispose" Pour convaincant qu'il soit,  l'exposé de Hobbes ne manquera pas de détracteurs. On peut en effet lui objecter que la lourdeur de l'appareil risque de scléroser la réactivité que requiert une situation inattendue ; d'autre part ses présupposés concernant l'état de nature et la nature humaine seront remis en question tant par Locke que Rousseau qui affirment la bonté et la perfectibilité naturelles de l'homme ; le concept de nature humaine n'est pas envisagé comme produit d'un État de société qui générerait  envie et rivalité ; la confiance en l'homme plutôt  n'est pas considérée comme susceptible de générer des effets bénéfiques ; enfin la société civile, les associations, la liberté de pensée et d'opinion ne sont envisagés comme une chance pour la gouvernance mais comme un risque.

 2)  John LockeJohn Locke | Dulwich Picture Gallery

 Locke est amené dans  la « Lettre sur la tolérance » à préciser la nature de l'autorité politique et les fondements de l'obéissance à la suite de la question de la place de la religion ou plus précisément de la compatibilité de l'obéissance de la loi civile et de la liberté de croire qui est en même temps liberté de se soumettre aux exigences de la foi.

L'État a-t-il régenté la spiritualité ? Si oui , comment et au nom de quoi ? Quelle liberté peut-il laisser aux croyants ? Quelles sont les limites de sa propre « ingérence » ? Toutes questions qui annoncent la sécularisation. Problème d'autant plus urgent que les guerres de religion sévissent sur le continent, et Henry Vlll s'est séparé de l’église catholique.

Dans la "Lettre sur la tolérance"  il applique le principe de la distinction entre choses nécessaires et indifférentes ou contingentes. Or si la foi est de l'ordre d'une nécessité relevant de la grâce divine rien ne stipule dans les textes canoniques la façon dont les commandements divins doivent être exécutés. On est donc fondé à penser que ce sont des questions indifférentes laissées à la discrétion du législateur. Par conséquent la liberté de croire est respectée mais la façon de le faire ne doit pas perturber la bonne marche de la société civile qui doit obéir aux lois.

Mais si on respecte la liberté de croire ne doit-on pas aussi respecter le fait que le croyant, jugeant certaines lois incompatibles avec sa foi ne leur obéisse pas ? Dès lors la société se divise en deux camps ce qui est incompatible avec l'égalité. Certains esprits dits « faibles » crieront au scandale au nom de leur foi. Et il est vrai qu'on ne peut aussi facilement que le fait Locke limiter la foi à une libre disposition du fort intérieur. C'est oublier qu'une religion est aussi une communauté soudée par des croyances, des rituels, des temps forts. Quelle place laisser au calendrier liturgique dans le calendrier civil? Une église n'est-elle qu'un bâtiment ? Les rites ne sont-ils que des gestes indifférents ou des expressions de la foi réactualisant la passion du Christ et assurant le salut ? On pourrait du reste actualiser le propos alors que  les députés français doivent statuer en ce mois d'octobre 2019 sur le port du voile des mamans accompagnant les sorties scolaires. On sait les débats que suscite le travail le dimanche et que dirait un juif pratiquant s'il ne pouvait faire shabbat ? Ce qui est une question civile pour les uns est un  liberté spirituelle et si l'on pose pour principe la tolérance religieuse ne faut-il pas aussi admettre des dérogations voire un rejet de l'autorité et ce au nom de la liberté de croire ?

Qui tranchera en la matière ? Le législateur ? Mais est-il habilité à le faire ? Le croyant ? Mais sa conscience peut-elle être le critère de ses obligations civiles ? Dans cette mesure l’application de la loi civile n'était elle pas impossible ? L'état d'ignorance réciproque  des exigences et priorités de l'autre rend difficile de trancher entre ce qui est nécessaire et indifférent.

locke john - ZVAB

C'est pourquoi Locke afin de surmonter ce dilemme  élaborera « une théorie de la nature de l'autorité politique et des fondements de l'obligation d'obéissance aux lois de la société »  dans " La Lettre sur la tolérance".

Là ses position s'assouplissent. Il réitère d'emblée son principe de base quant aux objectifs de l'État : « la conservation et l'avancement des intérêts civils » outre la possession de tout ce qui préserve l'intégrité physique, la liberté et la propriété.

Bien qu'il diffère de Hobbes quant à la nature originelle de l'homme, méchanceté pour l'un, bonté pour l'autre il accorde à son prédécesseur que les hommes entretiennent entre eux un climat de guerre incessante . Ceci nous éclaire sur le concept d'état de nature qui définit bien sûr une  hypothétique réalité de l'homme et non une période historique. L'état de nature est ce qui résiste et s'oppose à un état de civilisation, et peut donc resurgir à n'importe quel moment de l'histoire. Or pour l'empêcher il faut instaurer un État qui protégera les biens et les personnes, assurera la paix et c'est là que la religion intervient comme potentiellement et réellement facteur de troubles mais aussi ciment social. Qui donc devra trancher en l'occurrence? On a déjà vu que le législateur n 'en a pas les compétences ni le savoir mais qu'on peut au nom de la liberté laissée aux croyants le soin de juger s'il faut ou non obéir aux lois instaurées. Par exemple lui faudra-t-il obéir aux lois préservant la propriété, la vie, la liberté et les biens s'il juge que les vrais biens ne sont pas de ce monde et qu'en conséquence il préférera choisir de ne pas travailler mais de s'adonner à la vie spirituelle ? A-t-il confié au législateur le soin de son salut? Non car celui-ci n'en pas les compétences et cela ne relève pas de ses attributions et objectifs.  D'un autre côté si le  croyant y est contraint, son obéissance, pour le coût formelle sera-t-elle est réelle et fiable ? Ce fut le cas des juifs convertis de force.

En conséquence le magistrat ne pouvant assurer le salut des âmes force lui est de tolérer qu'il dépend à chacun de l'assurer sans en être empêché par la loi. Ce qui délimite le champs du politique au civil, c'est l'argument libéral, à condition toutefois que la pratique religieuse n'affecte pas les droits, ni les intérêts temporels et spirituels d'autrui, ce qui signifie que la tolérance doit s'étendre à toutes les formes de pratiques qui doivent mutuellement s'accepter sans penser que l'une serait détentrice de la vérité qu'elle pourrait de ce fait imposer aux autres. Auquel cas  le gouvernement se devrait d'intervenir au nom de la paix qu'il doit préserver. On voit donc se profiler ce qui deviendra la laïcité qui  est à la fois une façon de dire que le magistrat n'a pas compétence pour décider de questions du reste indécidables puisque leur fondement n'est pas l'objet d'un savoir démonstratif et que sa tâche se limite à faire coexister des croyances différentes .

Cependant face au dilemme Locke tranche en affirmant que le magistrat peut et doit statuer en ce qui concerne les choses indifférents, ou du moins qu'il juge telles et ce de façon bilatérale, dans la mesure où il ne nuit pas au salut du croyant qu'elles sont réglementées et qu'il soit indifférent aux autres que le croyant les pratique. Tombe dans le cas des indifférents tout ce qui n'est pas expressément prescrit par Dieu et qui de ce fait tombe dans celui des obligations. Reste que les prescriptions divines et les obligations humaines peuvent coïncider dans le meilleur des cas ( cf les dix Lois). Mais en tout cas si les péchés ne nuisent pas à autrui ni au bien public le magistrat n'a pas à les punir. Ce qui signifie que le magistrat n'a pas non plus à se prononcer sur le plan moral. On tombe dans la zone d'incertitude que ne tranche pas la légalité car cela relève de la conscience morale et des valeurs de chacun. La liberté de la « privacy » est ainsi sauve. Locke tient fermement la distinction entre république et théocratie comme y invite du reste le christianisme « il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

En ce qui concerne maintenant les opinions professées par les différentes religions le magistrat doit-il intervenir? Oui si elles affectent le comportement des croyants de telle sorte qu'elles nuisent à autrui. Ainsi le magistrat punira-t-il des propos incitant à la haine, au meurtre, mais il statuera aussi à propos de l'éducation des enfants, du travail, du mariage, de la santé, la sexualité, des jours de fête chômée, des pratiques alimentaires (abattages rituels) et vestimentaires...                                                             On pourra s'étonner qu'il puisse exister des divergences alors que Dieu a doué les hommes de la même raison, que tout homme connaît la loi naturelle dont découle le droit naturel et les devoirs conjoints. Alors comment expliquer les désaccords entre  les croyances et les lois, entre les religions, du reste pourquoi n'y a-t-il pas une seule religion ? On pourrait en dire autant des régimes politiques, pourquoi de telles disparités entre eux ? C'est oublier que l'homme est agi par des passions qui génèrent autant de rivalités : la jalousie, la crainte, la domination, le lucre et avant tout le manque de discernement de l'essentiel qui lui fait voir la paille dans l'oeil de son voisin et non la poutre dans la sienne. Tout doué de raison qu'il soit l'homme est avant tout déterminé par ses passions comme le démontrera un compatriote de Locke au XVIIIe siècle, Hume.

En tout cas la question cruciale est de savoir qui de l'État ou de l'église est le plus à même de gouverner? Faut-il délimiter leur champ d'action ? Encourager leur collaboration? Exclure d l'un ou l'autre ?

Reste à savoir de quel côté  le croyant doit pencher en cas de dilemme, on pourrait croire que l'obéissance à la loi doit prévaloir, et bien non, au contraire le fidèle doit obéir à sa conscience car il en va de son salut éternel. Mais d'un autre côté d'une église qui mettrait en péril la société civile ne peut être tolérée.

En pratique cependant  la religion catholique ne fut pas tolérée en Angleterre pour des raisons de sécurité et d'allégeance au roi. Locke conclut sur une affirmation est une réponse à nos contemporains en matière d'obéissance aux lois du pays dans lequel on réside. Il n'est en effet pas de tolérance à l'égard des ennemis de la tolérance qui s'ils étaient au pouvoir supprimeraient les autres religions. Quant aux athées et on ne peut non plus les tolérer car ils sont incapables de tenir une promesse car « si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale ». Dieu demeure et demeurera encore longtemps le garant de la moralité, la formule" hors de l'église point de salut" exclut que l'on puisse être humaniste et athée.

  Ce rapide et lacunaire tour d'horizon des idées politiques du XVIIe siècle, il nous aurait en effet fallu explorer le traité théologico-politique de Spinoza[1], nous attarder sur Pascal[2] ne pas négliger les juristes, ni le jansénisme, nous a cependant permis de saisir « les années de braise » de ce qui se transformera en feu au XVIIIe siècle. Certes les écrivains ne s'engagent pas, s'ils sont pensionnés par le roi mais ils le mettent en garde. On demeure royaliste et chrétien mais on n'en pense pas moins. Bientôt les philosophes réfléchiront sérieusement à des alternatives au pouvoir absolu, ce qui remettra radicalement en question le statut de l'église.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

ANASTASIA CHOPPLET

Conférenciere et philosophe                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            



[1] Voir conférences sur le blog

[2] id.

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