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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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18 novembre 2020

LA FOI A L'EPREUVE DES TEMPS

LA FOI A L'EPREUVE DES TEMPS

 

 

 

SOMMAIRE

Ouverture

1. OUE COMPRENDRE PAR RELIGION ?

1)  Questionnement liminaire

2)  Quelques définitions : points de vue de l'histoire et de la sociologie

3)  Critère de légitimité

11. ORIGINE DES NOUVEAUX MOUVEMENTS RELIGIEUX

l) Qu'est-ce que la modernité ? 2)"Retour du religieux" '

3) Exit le christianisme

111. LE CHRISTIANISME A-T-IL ENCORE UN ROLE A JOUER ?

l) Fonction critique 2) Fonction d'expérience dans un monde désespéré

3) Fonction de rupture

IV. DES MOYENS POUR LUTTER CONTRE LA CRISE

l) Un dialogue interreligieux avec les NMR ?

2) Des moyens pratiques

3) Le renouveau charismatique

Bilan et ouverture

Bibliographie

Ouverture

Face à un processus global de retrait des religions, lesquelles sont soit qualifiées de superstitions d'un autre âge soit au mieux considérées comme un refuge contre l'exclusion et une défense lorsque l'identité personnelle est menacée, la question se pose de savoir si et comment la religion et en l'occurrence le christianisme, élabore des modes de présence à l'espace social sans cependant dominer celui-ci ni s'y diluer. Or placé devant le consumérisme, le matérialisme, l'hédonisme, une "philosophie" du bricolage et de l'intérêt immédiat ainsi qu'un droit à une "liberté" sauvage qui caractérise notre temps, le christianisme qui se prévaut d'une identité issue d'une tradition transmettant une solidité patiemment acquise, semble anachronique et voué à une fin déjà précédée par celle de Dieu.

C'est pourquoi l'objectif que nous nous proposons dans cet essai est d'évaluer tout à la fois l'ampleur des répercussions de la crise moderniste sur le christianisme en particulier et la religion en général, les réponses qu'élabore l'Eglise et qui reposent sur une distance critique à son propre égard, enfin les moyens qu'elle se donne pour surmonter sa propre crise identitaire et les perspectives qu'elle peut ouvrir à la modernité pour sortir de son malaise et lui offrir la Bonne nouvelle. Le sujet étant des plus vastes c'est à travers le prisme de sa confrontation avec les nouveaux mouvements religieux que nous mènerons notre enquête, mouvements qui amorcent ce que l'on nomme couramment "retour du religieux" et qu'incarnent tout à la fois le nouveau souffle des aumôneries, des communautés de base et des synodes diocésains ; les formes orientales de sagesse à tendance mystique : les intégrismes de tout bord; les phénomènes ésotériques ; un religieux naturel (Le New Age).

Or les réactions du christianisme à ces diverses tendances présupposent tout d'abord une définition claire et distincte de la religion ainsi qu'une problématisation précise de l'ensemble des questions qui doivent être au préalable traitées. C'est pourquoi nous nous demanderons tout d'abord ce qu'il faut entendre par religion, car si on veut répondre tout à la fois aux critiques que la modernité adresse au christianisme qui la taxe de secte et la distinguer justement de celle-ci pour évaluer si elle peut faire face et comment à la marée des nouveaux mouvements religieux il nous faut élaborer un concept opératoire de la religion, pour ensuite le confronter à celui de secte et évaluer si effectivement les reproches adressés au christianisme s'avèrent légitimes ou non et si dans la négative, fort d'une identité spécifique, le christianisme peut être l'agent de la recomposition du paysage religieux.

Le corollaire de cette première question consistera à se demander quelles sont les origines des nouveaux religieux" dont les contours sont si flous qu'il englobe tout autant les sectes, que diverses formes de gnose, ou pratiques magiques, sans négliger les multiples formes d'ésotérisme, ou (9 croyances dans les extra terrestres. On aurait envie de dire, et la religion dans tout cela ? N'est-elle plus qu'un signifiant flottant dont se prévaudraient à titre de caution toutes les formes de spiritisme ?

Mais là encore les réponses exigent des détours et en l'occurrence celui d'une réflexion sur la postmodernité. Comment en effet comprendre ce qu'est une secte, c'est-à-dire à quels besoins elle répond, quels désirs elle satisfait, quelle place elle trouve dans la société contemporaine, à quelle valeur de vérité et à quelle légitimité elle peut prétendre si l'on n'analyse au préalable les facteurs de la crise moderniste qui tout à la fois et paradoxalement induit une critique rédhibitoire des religions et engendre une nébuleuse mystico-ésotérique ?

C'est sur ce paysage que s'inscrit ce qu'on a malencontreusement nommé le "retour du religieux" à propos duquel on peut craindre qu'il n'annonce l'exit du christianisme qui de façon fort ambiguë aurait contribué à sa propre occultation faute d'avoir su négocier un engagement dans le monde qui ne l'aurait pas pour autant dilué dans celui-ci.

Aussi convient-il de se demander si le christianisme a encore un rôle à jouer au coeur de la crise moderne. Or nous pensons que non seulement elle peut mais elle doit assumer cette tâche à son propre égard comme à l'égard d'une modernité en crise en s'affirmant tout d'abord comme l'instance critique qu'elle n'aurait dû cesser d'être. Or qui dit instance critique signifie tout à la fois distance réflexive à l'égard de ce qui se donne pour vrai et dialogue avec la totalité des voix qui s'adressent à elle. Toutefois le dialogue a pour condition nécessaire l'affirmation d'une identité qui ne souffre pas de compromis et sans laquelle l'Eglise ne peut remplir, ce qui est sa mission;véhiculer l'espérance .

La voie du dialogue inaugurée par Vatican II a donné pour tâche à l'Eglise d'instaurer un échange interreligieux avec les religions traditionnelles, la question se pose maintenant de savoir s'il est possible de l'élargir aux NMR qui se veulent les représentants les plus authentiques du monde contemporains et la solution à sa crise identitaire.

C'est pourquoi nous nous risquerons à suggérer quelques propositions élaborées sur le modèle du dialogue interreligieux en vue d'en instaurer un avec les NMR et examiner les moyens dont dispose l'Eglise pour annoncer l'Evangile hic et nunc, c'est-à-dire pour donner à espérer que la contrainte des 5 déterminismes quels qu'ils soient peut être transcendée en vertu du pouvoir nouménal de l'âme qui possède  la capacité, que manifeste l'Evangile, "de s'abstraire et de se détacher , malgré toutes les installations dans le monde car l'âme est ouverture à la possibilité de la résurrection" (1)

1. OUE COMPRENDRE PAR RELIGION ?

l. Questionnement liminaire

Pline l'avait déjà dit, "le christianisme est une secte", et nos contemporains de reprendre à l'envie en y ajoutant "qui a réussi". L"'isme" était déjà le signe d'un figement précoce et annonciateur (si ce n'est dénonciateur) d'une idéologie qui prendra 20 siècles plus tard le doux nom d'opium. Mais autres temps autres sens, de la secte de Pline à celle de notre fin de siècle (on excusera l'occultation des maillons intermédiaires) il y a une dérive qui d'un terme inoffensif, la secte désignant à l'origine un  groupe dissident ayant fait sécession à l'intérieur d'une église existante, fait "un monstre délicat qui  dans un bâillement avalerait le monde"(2)Le christianisme et ses consoeurs ne serait-il après tout qu'une Sokka Gakkai des temps anciens dont Ikeda du reste s'inspire dans la perspective sotériologique, universaliste et syncrétique qui est la sienne ? Or si l'emprunt est possible faut-il en déduire qu'il y aurait quelque analogie essentielle ?

                                              Question liminaire : Que comprendre par religion ?

On s'étonnera peut-être de cette tournure elliptique mais nous l'avons voulu telle afin d'éviter les difficultés que poserait l'emploi d'un déterminant défini ou non dans une tournure telle que "qu'est-ce que la/une religion ? Le détour s'impose donc si l'on veut distinguer secte et religion, si toutefois la distinction est légitime, car après tout l'opinion n'a pas toujours tort et peut être les nouveaux mouvements religieux sont-ils plus à même de répondre à ses aspirations. L'honnêteté intellectuelle et la considération de l'humain exigent que l'on prenne au sérieux la préoccupation de l'ultime (3)sous quelque forme que ce soit. Qu'elle trouve à s'exprimer dans un engagement social, politique, spirituel, dans une institution religieuse ou un- NMR l'exigence première est que l'humain y soit respecté. C'est pourquoi l'évaluation de la religion comme de la secte s'impose afin que conscient des tenants et aboutissants des propositions spirituelles offertes, l'individu soit à même de s'engager sans être sacrifié

Cela dit quelques précautions liminaires s'imposent encore car la question de la nature de "la" religion nous interdit de répondre par l'énumération des multiples formes qu'elle peut revêtir De même que la beauté n'est pas une belle femme, de même la religion n'est-elle pas le christianisme ou l'islam ou le judaïsme d'autant qu'à ce jeu qui consiste à prendre le monothéisme comme modèle on se heurte très vite à la difficulté de qualifier par exemple le bouddhisme. En outre on pourrait objecter comme St Augustin le fit pour le temps qu'il est impossible de définir une chose aussi présente à l'expérience de chacun et aussi concrète, et ce d'autant plus que la religion souffre mal les limites qu'impose une définition. Tout au plus pourra-t-on la caractériser par ses traits, les plus remarquables. Notre hésitation induit une distinction entre sentiment religieux et religion et nous dirions volontiers qu'au sein de la religion considérée sous son aspect formel agit un sentiment religieux essentiel. D'aucuns n'ont pas hésité à le considérer, sous la forme de l'expérience du sacré comme constitutif d'un homo devenu religiosus après avoir été bien d'autres choses.

Cette question de la nature et de l'origine du religieux, rejoint par conséquent celle d'une nature de l'homme, doué d'une dimension religieuse innée, unique et universelle s'incarnant dans diverses manifestations concrètes. Un tel élargissement induit que la religion excède ses origines historiques et échappe de ce fait à une totalité voire une totalisation au profit d'un infini qui semble bien être l'une des exigences de notre modernité toujours en rupture avec les autorités quelles qu'elles soient, jusque y compris la sienne. Or il semble que les sectes exploitent justement cette aspiration d'un "moi" religieux (en occultant qu'il est aussi un "je" pensant) que les religions établies négligeraient. La religiosité ne serait pas morte mais connaîtrait de nouveaux avatars. Recomposition du paysage religieux signifiée par la formule "retour du religieux" ou résurgence d'une religiosité en décomposition constituant une nébuleuse mystico-ésotérique proliférante, voilà le problème que pose la confrontation secte/religion. Faut-il en déduire que les religions en tant qu'événements historiques ont une durée de vie limitée aux conditions qui les ont vues naître et qu'en conséquence le christianisme, religion romaine lidà un pouvoir, une organisation sociale, une représentation du monde et de l'homme, n'est pas à même de satisfaire aux exigences de la modernité, de sorte que les nouveaux mouvements religieux, seraient plus aptes à répondre à ces nouvelles aspirations ? Par le fait et de façon paradoxale on y retrouverait l'acception originelle de la religion latine signifiant un ensemble d'observances, de mises en garde, de règles, d'interdictions, sans se référer ni à l'adoration d'une divinité, ni à des traditions mythiques, Dans cette mesure certaines sectes seraient plus légitimement qualifiées de religions que celles établies

Mais ceci supposerait d'une part que l'on réduise celles-ci à leur être historique, d'autre part qu'on invalide leurs capacités de renouvellement de l'expression de leur message, et qu'enfin on en occulte le contenu même dont la portée qui se veut universelle intéresse l'humanité tout entière au-delà de ses contextes spatio-temporels. Là encore présupposé : il existerait une nature humaine innée portant en elle l'image du divin (qu'on songe au pacte de pré-éternité en islam , au Tat Twan Asi de l'hindouisme ; ou à l'Alliance du judéo-christianisme...) et susceptible de la transformer en ressemblance. Hors de ces religions n'y aurait-il point de salut, l'humanité serait-elle réservée à celui qui développerait ces germes divins ?

C'est bien ainsi que le christianisme l'a conçu durant des siècles. il n'est que de rappeler la Bulle du Concile de Florence "Cantate domino" d'Eugène IV en date du 4 février 1442 selon lequel "aucun de ceux qui vivent en dehors de l'Eglise non seulement les païens, mais aussi les juifs ou les hérétiques et les chismatiques ne peuvent avoir part à la vie éternelle, mais iront au feu éternel". De nos jours au contraire, après le salutaire Vatican II, on admet, sur la base de l'unité du genre humain à partir de son origine divine, que les religions quelles qu'elles soient ont pour fonction de répondre "aux énigmes cachées de la condition humaine"(4), c'est à dire aux questions existentielles fondamentales que tout être rencontre. Dans cette mesure le fait religieux est décrit comme permettant une certaine "sensibilité à cette force cachée qui est présente au coeur des choses et aux événements de la vie humaine". Dès lors on qualifiera de religion, non pas l'institution susceptible de systématiser son savoir mais la sensibilisation qu'elle permet à cette force cachée qu'est Dieu. Chaque religion est ainsi une voie s'organisant en croyances, rites et règles, pour certaines, mythes.

Si l'on admet cette définition, force est de constater que les sectes qui se proposent elles aussi comme des réponses à l'inquiétude des hommes, présentent tous les réquisits d'une religion et qu'elles peuvent dès lors entrer en dialogue interreligieux avec leurs aînées sur la base d'une interrogation commune sur la vie, la mort, la souffrance, le sens. Du reste n'est-ce pas comme un défi pastoral que les sectes sont considérées par l'Eglise qui admet ainsi une légitimité fondée sur le fait qu'elles peuvent être l'expression d'un désir de Dieu ne cessant de se faire jour dans l'existence humaine ?

Il n'en demeure pas moins que cette attitude de l'Eglise est à l'image du paradoxe christique puisqu'il s'agit de confesser Christ comme unique sauveur tout en reconnaissant que d'autres religions, voire certaines pratiques contemporaines, peuvent être des voies de salut

Le dialogue au péril de l'identité, les voies de Dieu au risque du syncrétisme, les semences du Verbe au détriment de la mission, tels sont les inévitables écueils d'un nécessaire éclatement vers l'autre dont le refus signifierait la négation même de l'essence du christianisme.

On objectera bien sûr que l'Eglise tout en limitant l'extension d'un christianisme qui commit tant d'exactions qu'elle n'a plus bonne presse, universalise une dimension christique qui ramène dans son sein les diverses confessions qui sont autant de chemins vers elle. Justin, en prétendant la philosophie chrétienne universelle et Clément d'Alexandrie en élaborant l'idée d'une pédagogie de Dieu dans sa révélation aux hommes avaient d'une certaine façon indiqué la finalité non seulement des autres religions et confessions mais aussi de la philosophie.

On ne sort donc pas de la religion et pareil au système hégélien, ne pas en être c'est en être encore. D'où comme une sorte de tentation totalitaire du christianisme qui invaliderait tout véritable dialogue, dévaloriserait toute autre confession en tant que "recherche incomplète mais réalisée souvent avec sincérité et droiture de coeur"(5) et l'imposerait comme le modèle de la vérité. Dès lors quelle parole reste-t-il aux autres croyances religieuses ? On soupçonnerait même une intention cachée à l'égard des nouveaux mouvements religieux (euphémisme préféré au terme de sectes) que la mission se donnerait pour objectif d'évangéliser en vertu de l'unicité divine " personne ne pouvant demeurer en dehors ni en marge de l'oeuvre de Jésus Christ"(6) . La mission de l'Eglise étant donc d'entrer dans un dialogue de salut avec tous, on comprend pourquoi elle considère les sectes comme un défi pastoral. Cette analyse pourrait servir de paradigme quant aux attitudes adoptées par le christianisme à l'égard des sectes, qu'elles lui soient externes ou internes car il n'est pas exempt des dérives sectaires dont on connaît la virulence, voire la violence.

Ocean Greyness, 1953 by Jackson Pollock

Les sectes ont donc ébranlé les certitudes identitaires sur lesquelles reposaient les confessions ancestrales d'une part en montrant l'insuffisance d'une appartenance religieuse héritée puisqu'on peut connaître un profond sentiment religieux sans se prévaloir d'une religion spécifique ; d'autre part en soulignaht l'inadéquation des religions aux exigences et curiosités modernes telles que l'intérêt pour l'ésotérisme, les phénomènes de voyance, la parapsychologie, les préoccupations de santé, les considérations eschatologiques, l'appartenance à une communauté refuge face à l'hostilité du monde ambiant, les besoins affectifs, l'inquiétude d'un ego dévalorisé, incertain, ébranlé par les malaises de la modernité... Plus encore les sectes placent l'individu devant le délicat problème des choix face au pluralisme des religions. On ne se contente plus d'hériter de la foi de ses parents, on peut la renier, en choisir une autre, lui être indifférent, on peut opter pour une sagesse orientale. Tout est possible lorsqu'on peut composer son menu à la carte.

L'attaque est rude voire meurtrière et nécessite à un double titre de savoir ce que l'on comprend par religion pour défendre les religions traditionnelles tant contre des attaques diffamatoires à l'égard de leur message que contre l'assaut des sectes qui se prévalent par ailleurs d'en être l'accomplissement.

Là encore les problèmes abondent comme en témoigne la multiplicité même des définitions, ou plutôt caractérisations. Quel point de vue choisir ? Historique, sociologique, psychologique, philosophique, théologique ? Faut-il considérer la religion comme l'objet possible d'une science ? Quelle relation établir entre la religion entendue comme ensemble organique, cohérent, systématique de croyances, de rites, de règles, institutionnalisées et le sentiment religieux de l'individu ? Corollaire : comment concilier le caractère universel et obligatoire de la religion, avec la particularité d'un désir qui se veut libre adhésion ?

 2. Quelques définitions - points de vue de l'histoire et de la sociologie

Mais sur la voie de la régression à l'infini on n'en finit pas de se perdre et perdre son but, par conséquent il nous faut bien adopter un point de départ en l'occurrence le plus extérieur c'est-à-dire historique.

L'histoire des religions a en effet besoin d'un concept lui permettant de distinguer les phénomènes religieux des autres et il admet pour ce faire qu'il y a religion dès lors qu'on est en présence d'un corps constitué de croyances sur des êtres surhumains, des rites assurant la relation des hommes à ces êtres, de tabous délimitant le champ du sacré interdit à l'homme du champ" du profane où il est libre de ses activités, de mythes fondateurs. La religion apparaît comme particulier d'effort des sociétés pour s'assurer le contrôle e qui se donne pour absolument autre, pour l'investir de valeurs humaines, lui conférer un sens et ce faisan' s'arracher à la nature. L'intérêt d'une telle définition est d'être suffisamment large pour englober tous les phénomènes religieux, mais son inconvénient est de l'être tant qu'elle ôte à la religion sa spécificité pour n'en faire qu'un produit culturel au même titre par exemple qu'un mouvement politique. En tout cas nous ne sommes pas en possession d'un critère distinctif à l'égard des sectes.

Au regard de la sociologie et en particulier de Max Weber la religion se caractérise par une référence au surnaturel, une forme d'action communautaire, une perspective qui concerne l'ici-bas, une exigence de rationalité. Mais à cela plusieurs remarques : d'une part la référence à la divinité ne suffit pas à définir la religion, puisque le bouddhisme par exemple est une religion sans dieu, comme nombre de sectes notons-le ; d'autre part l'action communautaire n'est pas propre aux religions , la préoccupation de l'ici-bas est aussi le souci des sectes et semble peu compatible avec la préoccupation de l'ultime qui signalent les religions , enfin l'exigence de rationalité semble plutôt référer à la théologie des monothéismes qui cherchent à élaborer un discours sur Dieu, qu'à l'animisme ou au chamanisme, quoique dans tous les cas de figure le logos s'exerce sur des objets irrationnels et sur des convictions qui le sont tout autant. Quant à la définition durkhéimienne de la religion comme "un système solidaire de croyances, et de pratiques relatives à des choses sacrées... unissant en une même communauté morale appelée église tous ceux qui y adhèrent" (7) elle ne nous fait pas pénétrer à l'intérieur de la religion, car elle repose sur l'identification du sacré et du social inaugurée d'une certaine façon par Feuerbach.

Dans cette perspective, les définitions fonctionnelles la caractérisent comme "un ensemble symbolique fournissant du sens et permettant aux individus d'inscrire événements et expériences dans un ordre

donné du monde" (8) . Mais là encore quelle différence spécifique avec ce qui dans une société à trait aux problèmes ultimes, aux significations fondamentales sans qu'il soit question d'une relation à un tout autre ? Plus encore, la religion devient l'un des moyens grâce auquel les institutions sociales se voient justifiées grâce à une validation suprême les situant dans un cadre sacré. Qu'advient-il dès lors du sentiment religieux de l'individu ? S'agit-il d'un fantasme ? De la trace d'un attachement névrotique au père ? Qu'advient-il de la religion elle-même si on la rencontre partout ?

Force est de reconnaître que sans l'existence d'une réalité transcendant le monde empirique, point de religion. Corollaire : un ensemble de moyens symboliques mettant en relation l'homme et l'au-delà ainsi que le caractère communautaire des formes rituelles.

Est-ce suffisant ? Point encore et D. Hervieu-Leger d'y ajouter le critère de la tradition. "On dira religieuse, toute forme de croire qui se justifie entièrement de l'inscription qu'elle revendique dans une lignée croyante" écrit-elle dans un ouvrage sur les néo-ruraux (9).

Le sentiment collectif d'appartenance à une lignée de croyants apparaît comme primordial dans la mesure où il est ce grâce à quoi on relie son expérience présente vécue collectivement à celle vécue dans le passé. De la sorte l'inscription dans une tradition légitime religieusement cette expérience. Il s'agit donc ici de mémoire, de transmission, d'enracinement pour que puisse exister une conscience religieuse dont l'essence consiste à s'appuyer sur le passé et se pencher vers l'avenir. Mais cette définition pêche par le fait qu'elle n'est que l'une des possibles du croire et que dans cette perspective, de l'aveu même de l'auteur, l'olympisme peut être traité comme une religion à part entière. N'y aurait-il pas finalement occultation de la source même de toute religion à savoir un "charisme fondateur" comme le nomme JP Willaime ? Celui-ci met en effet l'accent sur les notions de charisme-fondateur, pouvoir, maître et filiation à partir desquelles il propose de définir la religion comme "une communication symbolique par rites et croyances se rapportant à un charisme fondateur et générant une filiation (10). La religion aurait donc pour fonction d'instaurer un lien social, une organisation durable et un univers mental des représentations que l'homme se fait de lui-même, d'autrui, du monde et du transcendant.

3. Critère de légitimité

Au vu de ces définitions une question se fait jour et qui constitue un premier maillon de différenciation entre religion et secte, c'est l'oubli d'une interrogation sur la légitimité de la religion, car celle-ci n'apparaît pas dans le concept sociologique de la religion qui ne nous offre pas dès lors les moyens de la distinguer d'une secte. Or tant que ce critère est absent rien ne légitime la religion comme telle, ni ne la définit clairement et distinctement.

Si nous reprenons les critères d'une certaine rationalité, de la constitution d'une communauté de règles, de croyance et de rites, d'une tradition, et d'un charisme fondateur alors on pourra admettre (en appliquant le principe de falsifiabilité de Popper qui veut qu'un objet soit vrai tant qu'il n'a pas été démontré faux) qu'une religion est illégitime voire fausse si elle introduit du non-sens dans la vie humaine et induit des effets néfastes pour l'être et la société.

Une religion pour être légitime se doit avant tout de ne pas être irrationnelle, d'être pensable en termes universels, de concourir au développement de la liberté de l'homme ainsi qu'à son humanité, d'encourager charisme et justice, de participer au lien social. A ces conditions une religion pourra se prétendre vraie. C'est ce que JP Willaime résume en définissant "le christianisme comme un certain style de comportement altruiste dans le quotidien qui se fonde sur une communication symbolique avec un charisme fondateur... qui transmis par une lignée croyante s'organise en institutions religieuses ou églises et s'exprime par des rites et un discours explicables en symboles » (11)

On nous objectera sans doute qu'il s'agit là d'une définition lacunaire de la religion, mais dans la mesure où celle-ci renvoie à un Dieu auquel seul un discours apophatique convient alors on comprendra la modestie du résultat.

Face à cela les nouveaux mouvements religieux sont-ils des religions comme ils le prétendent ? Sont -ils nécessaires et légitimes ? Constituent-ils la religion du XXIe siècle ? Ou bien sont-ce des produits de la post-modernité qui passeront comme la mode qui les a engendrés ?

11. ORIGINES DES NOUVEAUX MOUVEMENTS RELIGIEUXRevue Acropolis » Le « Printemps » de Botticelli, représentation de l'Amour ou métamorphoses de l'âme

1. Qu'est-ce que la modernité ?

Des réponses ne peuvent d'emblée être fournies, il nous faut là encore tout d'abord élaborer un concept critique de notre objet à savoir : la secte.

Indépendamment de l'origine historique du terme, celui-ci n'est couramment employé et ce dans son acception moderne que depuis environ 25 ans. Apparu dans le paysage religieux de façon tout aussi soudaine qu'inattendue il semble n'avoir point de genèse ou plutôt être si intimement lié à la postmodernité qu'il en est comme une sécrétion. Question liminaire : qu'entendre par la modernité à laquelle réfère le préfixe post ?

 Le singulier est déjà trompeur car notre histoire a connu plusieurs modernités depuis son siècle officiel d'apparition, le XVIe s. Mais notre propos n'est point d'en retracer l'historique. Retenons seulement que née avec Descartes peaufinée par Kant, attaquée par les philosophes du soupçon, expirante de nos jours, son caractère essentiel est la rupture. C'est pourquoi elle naît en période de crise et inaugure une ère nouvelle jusqu'à ce que devenue obsolète elle s'autodétruise pour renaître de ses cendres. Critique elle est par conséquent rationnelle, en tant que telle elle est l'apanage d'un sujet qui érige la subjectivité responsable en valeur universelle.

Avec Descartes elle s'est affirmée dans la maîtrise et la possession du monde au moyen d'une technoscience rendant Dieu inutile, après cependant qu'il eût donné la chiquenaude nécessaire à l'ébranlement originel. Inutilité voire dangerosité signifiée par les théologiens capables de malhonnêteté intellectuelle et d'exactions, qu'on se rappelle: Galilée, Gi ano Bruno, Darwin, ou Freud.

Or de la méfiance à l'égard des théologiens au soupçon quant à ce message biblique qu'ils sont censés véhiculer il n'y avait qu'un pas, qui deviendra pas de géant, au point de faire de "Dieu la victime expiatoire de la science„ (12)

Pourtant foi et raison n'avaient pas semblé incompatibles aux théologiens des trois monothéismes, qu'on songe à St Thomas, Ibn Rush ou Maïmonide, mais la raison s'émancipant progressivement de la tutelle intellectuelle, puis morale et enfin socio-politique de la religion, permettra à l'homme d'atteindre des objectifs ici-bas et d'être l'inventeur de ses valeurs. Lorsque Kant écrit son Opuscule "Qu'est-ce que les lumières" il a bien en vue cette libération de l'homme à l'égard de la religion. Il nous faut, dit-il, et c'est là la tâche qu'il assigne à la modernité, passer de l'état de mineur, à celui de majeur, c'est-à-dire conquérir notre liberté contre une paresse et une lâcheté qu'entretient en grande partie la religion. Pensons celle-ci dans les limites de la simple raison et laissons la métaphysique en dehors du champs du savoir. Dieu devient un postulat de la raison pratique sur la base duquel c'est l'homme qui érige une morale du devoir sans qu'elle lui soit dictée par quelque transcendance. L'univers peu à peu se désenchante, entendons qu'il se dépare des mythes qui faisaient office de facteurs d'intelligibilité, et réduit à une substance étendue animée de lois physiques il devient l'objet de la seule raison qui borne ses investigations au champ des phénomènes tandis que les noumènes demeurent hors de toute représentation

Raison triomphante susceptible d'assurer le bonheur de l'homme en accroissant son potentiel technique, mais raison réduite peu à peu à sa seule dimension instrumentale. Certains, tel Rousseau, dévoileront les ferments corrupteurs de la modernité fière de ses arts, de ses sciences, de ses institutions de son éducation qui érigent l'injustice, l'inégalité, l'aliénation en loi naturelle. Mais que vaut une réaction spiritualiste devant les perspectives d'un progrès que l'on croit linéaire, continu et cumulatif ? Passe Rousseau arrive le positivisme et son horizontalité qui aux questions existentielles répondra par l'exploitation de l'homme et du monde, la consommation, la productivité, la rentabilité, l'efficacité, la massification, en un mot la substitution de l'avoir à l'être. Renan en énoncera le Credo « Organiser scientifiquement l'humanité, tel est donc le dernier mot de la science moderne... je vois plus loin encore... La raison après avoir organisé l'humanité, organisera Dieu", ce qui signifie que 'l'oeuvre moderne •ne sera accomplie que quand la croyance au surnaturel, sous quelque forme que ce soit, sera détruite„ (13)

Certains résisteront à cet amalgame entre surnaturel et religion tel, assez paradoxalement, Nietzsche qui évaluera tous les dangers de l'être rivé qu'instaurera la modernité nihiliste.

Nous voici parvenu au carrefour, où la modernité coupée d'un enracinement subjectif et rationnel qui avait permis l'instauration de la révolution techno-scientifique, l'autonomie de la conscience individuelle, la transmutation des valeurs, la souveraineté du peuple, la dialectique de la rupture, le sens de l'histoire, et une vision eschatologique de l'avenir sur fond d'espérance, se détournera de ce qu'elle aurait dû être c'est-à-dire absolument moderne. Baudelaire et Rimbaud avaient annoncé l'homme moderne "(14) ce solitaire d'une imagination active, voyageant à travers le grand désert d'hommes [1] celui qui dit oui à l'éternel retour car c'est la vie elle-même qui est sacrée et pas autre chose, celui qui fonde ce que rien ne fonde. Le moderne est un généalogiste qui ose déshabiller les théories, et les institutions comme les édifices, qu'on songe à Beaubourg dévoilant son intériorité fonctionnelle ou à la pyramide du Louvre plus mystérieuse encore de ce qu'elle laisse deviner sous sa nudité. "La modernité c'est le mouvement plus l'incertitude" à écrit Balandier, la modernité ce sont les mobiles de Calder

Mobile sur deux plans - Centre Pompidou

Mais notre héritage c'est celui du positivisme. Quelle modernité nous a-t-il donc léguée ? Non pas celle d'une aventure indéfinie et inquiétante mais de ce fait créatrice, concevant l'humain dans ses dimensions horizontales et verticales, mais une modernité étriquée visant le bien-être domestique, complaisant à une subjectivité uniformisée ; s'engluant dans l'événementiel et un quotidien privé de tout avenir, de toute transcendance ; offrant une combinatoire généralisée de valeurs, jouant au changement plutôt que faisant la révolution ; ayant réduit l'autre à n'être qu'une force productive efficace et rentable. Le pouvoir politique s'y est incarné dans la figure d'un Etat hégémonique et centralisé dont G. Orwell a dénoncé la transcendance abstraite face à un sujet ou plutôt un individu ployé par une bureaucratie omniprésente à laquelle il tente d'échapper en se repliant sur ses intérêts privés à moins qu'il ne cherche refuge auprès d'une secte compatissante ou dans quelque extasie.

L'homme de la tradition inclus dans un consensus magique, religieux et symbolique s'est mué en conscience autonome, avant d'apprendre qu'après la mort de Dieu, celle du sujet (troublante coïncidence) avait été annoncée par les sciences humaines lui ayant dévoilé que "je est un autre", qu'il est parlé par un "on" insaisissable, déresponsabilisé par son inconscient, aliéné par les forces politiques et sociales, et réduit à n'être qu'un système de signes. Piégé dans un tel réseau d'aliénations, menacé de perdre son identité X se jette à corps perdu dans une consommation des biens et des valeurs y compris spirituelles dont on lui assure qu'elles feront de lui un homme heureux, sans spécifier cependant s'il sera pour autant humain.

Dépris de son identité, l'individu l'est aussi de sa durée c'est à dire de son être même. En effet, la contemporaine a fait du temps un objet mesurable, chronométrique, et irréversible et avec l'irréversibilité c'est la condition irréparable de l'existence humaine qui s'affirme condamnant l'individu à subir son passé comme un déterminisme, alors qu'au contraire la religion offre les moyens de commuer l'irréparable du fait accompli en vrai présent, en véritable commencement, grâce au pardon qui est la promesse d'un passé réapproprié, devenu, de ce fait, révocable.

Par ailleurs, fini la temporalité personnelle rythménpar les travaux et les fêtes qui étaient tout autant consécration de la nature que de l'homme. La linéarité que requiert la productivité trace une flèche  vers l'avenir, mais c'est oublier que le présent n'est pas un point mathématique mais un pont jeté entre le passé et l'avenir, une mémoire et une anticipation. Or la mémoire s'évanouit pour sombrer dans l'inconscience et avec elle la tradition, la culture, l'identité du sujet et le sens du devoir. Le christianisme le sait bien, lui que la transmission néglige en même temps qu'elle dévitalise notre culture privée de sa dimension religieuse.

C'est pourquoi l'histoire ne connaît plus de sens, mais en a-t-elle jamais eu ? Hegel avait dans une incroyable fresque décrit le progrès dialectique de l'Esprit (qu'il lui avait semblé apercevoir à cheval en la personne de Napoléon) constituant la logique même de l'être traversé par une raison susceptible de toutes les ruses, même les plus atroces, pour parvenir à ses fins. Mais qu'est-ce-que l'atrocité aux yeux d'une providence acheminant l'Histoire vers sa fin ? Une composante nécessaire de l'économie du Salut répond Hegel, un scandale persistent à penser des contemporains tels que Ricoeur. Face à cela la modernité qui ne connaît pas l'éternité a sécrété une nouvelle temporalité, celle désabusée et  incrédule de la simultanéité. On y vit dans l'instantané , l'actualité, la quotidienneté grâce à des média omniprésents qui font du temps un facteur négligeable ou du moins réduit à un présent privé d'épaisseur.

La restauration de Vizir, le dernier cheval de Napoléon, a débuté aux Invalides

Sans passé, ni avenir, sans mémoire, ni idée de progrès, la durée historique s'estompe pour céder la place au contemporain.

Enfin corollaires de cette situation la culture et les moeurs font l'objet d'une exaltation subjective, d'un désir qui n'a de cesse que dans la consommation où il s'abîme en se satisfaisant, où condamné à l'insaisissable il ne connaît que l'éphémère. On prône une éthique de la communication sans respecter l'autre dont le nom dit assez la distance qui doit en séparer on élabore une éthique de l'authenticité  alors que le sujet inquiet, menacé, aliéné, cherche dans les images, l'avoir, et les mythologies qu'on lui propose les succédanés d'une identité qu'il ne trouve pas en lui-même. Aurait-on oublié qu'être c'est penser et que pour penser par soi-même il faut douter, dire "non", récuser les autorités, refuser ce qui se donne pour vrai ? Qu'est-ce alors qu'une éthique de l'authenticité dont le sujet s'identifie à toutes les modes pour être moderne ? Qu'est-ce qu'une culture, qui au lieu de travailler à l'être se réduit à une consommation rapide d'objets et d'événements sensationnels ? Lipovetsky a parlé d'un empire de l'éphémère corollaire d'une ère du vide, soulignant qu'au jeu du changement pour le changement, c'est à la mort du sens qu'on assiste dans un univers à la Godot où le signifié mué en signifiant flottant devient le support de n'importe quel sens sans l'être d'aucun.

La modernité n'a plus valeur de rupture mais s'alimente de toutes les cultures qu'elle amalgame dans une dialectique qui en s'apaisant ne connaît plus que la sclérose. Et l'homme dit modernegde s'accommoder d'une culture qui n'est plus qu'un syncrétisme lui même privé de son sens originel : la résistance collective des Crétois aux attaques des ennemis.

2. "Retour du Religieux " ?

Au vu de cette succincte analyse de la modernité contemporaine dont le caractère problématique est remarquable on serait tenté de penser que l'évolution des sciences et techniques, les changements politiques et économiques, les bouleversements sociaux, mais aussi la philosophie sous sa forme positive et matérialiste, contribuèrent à l'éclosion d'un monde désenchanté où le religieux ne devait plus avoir de place, où du moins fort limitée quant à ses ambitions politiques, ses valeurs éthiques et son engagement social, songeons à la loi de laïcité de 1905 dont l'effet n'est pas si pervers qu'il y paraît puisqu'elle a libéré l'Eglise de préoccupations peut-être trop éloignées du sens de sa mission. Rendue à la sphère du privé sans toutefois se désengager du monde la religion a vu de la sorte sa liberté juridiquement limitée et de ce fait respectée. Fermons la parenthèse.

Qui aura bien lu Freud, chantre et fossoyeur de la modernité, saura que le refoulé opère toujours un retour et qu'à vouloir nier le désir, en l'occurrence, celui de Dieu, il n'en acquiert que plus d'énergie Sans doute n'est-ce pas un hasard, à moins que ce ne soit un lapsus des plus révélateur, que l'on parle depuis 25 ans d'un "retour du religieux. Mais « retour » de quoi ? du sentiment religieux, du besoin mystique, de l'irrationnel, d'angoisses millénaristes, d'une exigence d'authenticité, d'un retour aux sources de l'Evangile primitif, d'inquiétudes identitaires, de croyances en des pratiques magicoguerrisseuses, d'une sagesse venue d'Orient, d'une gnose salvatrice, d'ésotérisme... ? A moins que ce retour ne soit celui de Jésus (dont on a supprimé la qualité de christ, de même qu'est occulte Dieu), comme en témoigne l'omniprésence de sa référence dans la plupart des nouveaux mouvements religieux.

L'hyperbole religieuse qui fleurit partout jusque y compris sur les stades ou dans les meeting politiques témoigne de ce "retour". On puise sans vergogne dans le vieux fond des symboles chrétiens pour souligner la sacralité des événements.

Quel sens prêter à ce phénomène ? Retour ou fin de la religion ? Fin ou reviviscence du christianisme ? Retour présupposant perte, mais de quoi ? Retour de la religion, de la religiosité, d'un amalgame mystico-ésotérique ? Recomposition ou décomposition du paysage religieux ? Désir de Dieu ou mode ? Préoccupation de l'ultime ou de soi ? Les questions n'en finissent plus.

3. Exit le christianisme ?

Mais tout d'abord dans quel contexte ce "retour" s'opère-t-il ? Dans un univers globalement athée en tout cas ayant déserté les lieux de culte et ses pratiques, même si un sens du sacré demeure, quoique sécularisé,puisque la société fonctionne hors de toute référence et critère religieux ; ignorant de sa propre tradition religieuse dont les établissements scolaires ont refusé jusqu'à récemment la transmission, ce qui contribue à une religiosité aux contours flous ; matérialiste et sceptique au point de ne plus même croire aux idoles qu'il a lui même forgées et qui pourraient concourir à sa perte. Mais avant tout tragique au regard de ce qui a sans doute fait basculer le monde moderne sûr de ses possibilités illimitées grâce aux techno-sciences dans un relativisme invalidant tout désir de durée, tout espoir dans le futur, tout sens de l'histoire, à savoir : Auschwitz, Hiroshima-Nagasaky, Tchernobyl. Non seulement le présupposé humaniste d'une nature humaine bonne mais corrompue par les institutions qui fondait les droits de l'homme a vacillé, mais c'est encore toute l'idéologie de la  perfectibilité humaine et du progrès illimité, cumulatif et linéaire tant théorique que pratique qui s'est évanoui. A preuve l'effondrement des grands systèmes politiques, tel que le marxisme dont la perspective eschatologique, héritée quoiqu'on en dise du judéo-christianisme a été démenti par les faits. Faut-il mettre le christianisme au nombre de ces systèmes totalisants qui ont vécu sur l'espoir naïf d'un avenir meilleur alors que les malheurs et les maux persistants du monde le démentent ?

Revisiting Maurizio Cattelan's Sculpture of the Pope Struck by a Meteorite - Artsy

Serait-ce pour cela que notre société vit comme si Dieu n'existait pas ?

Cependant et parce que sans repère l'individu en souci se tourne vers ce qui s'offre à lui, mais c'est en l'occurrence vers ce qui a sû s'adapter aux désirs d'un ego plus soucieux de soi que d'exigences théoriques et éthiques. Au malaise de l'individu la secte offre donc un refuge d'allure plutôt carcérale puisqu'elle se présente comme un groupe fermé exigeant une totale qui se substitue à un engagement à l'origine volontaire ; prétend détenir la vérité, laquelle a été révélée au fondateur qui la distille à prix fort aux quelques élus qui seront sauvés ; se fonde sur la nature affective et de fait irrationnelle du lien au sein du groupe ; exerce une autorité arbitraire par le biais d'un leader charismatique qui bien que despote n'en est pas pour autant éclairé ; encourage une attitude d'exclusion à l'égard du monde incarnant le Mal ; répond à l'anonymat et à la solitude que connaît l'homme moderne.

Que fait l'Eglise ou plutôt que n'a-t-elle pas fait face à cela et pour être oubliée au point d'avoir à relever un défi dont on la tient pour responsable ?

On l'accuse d'avoir démissionnée, devant un athéisme croissant et souvent agressif, de s'être découragée devant l'indifférence et les désaffections des siens, d'avoir cédé aux coups de toir de la sécularisation mais aussi d'avoir favorisé la recherche d'une foi sans religion pour avoir donné libre cours à des expressions marginales du religieux, tel que le Renouveau charismatique né vers les années 70. A contrario, on lui reproche un engagement trop prononcé sur les voies de la politique alors qu'aux dires de L. Pauwels c'est dans l'espace intérieur que se joue la rencontre avec Dieu. N'a t-elle pas aussi bradé son héritage en cherchant à s'adapter aux exigences d'un monde pragmatique, bien que son origine même l'inscrive dans le refus, dans l'opposition aux déterminismes ambiarts. Hors de l'histoire et pourtant en elle, tel est le message du Christ inscrivant son universelle médiation la particularité d'une histoire. L'aurait-elle oublié ? Aurait-elle oublié qu'être "dans le monde" ce n'est pas être "du monde" et que son rôle est d'être un pont jeté entre elle et ce qui est au delà d'elle ? Croyant universaliser son message a-t-elle cédé aux séductions de la mondialisation ?

Pouvait-il en être autrement ? Pareille à la démocratie qui affirme et vit ses idéaux au péril de son intégrité, l'Eglise ne peut véhiculer son message universel qu'en se tenant à l'écoute d'un monde qui change, en instaurant et préservant un constant dialogue avec lui, en tenant compte des multiples voies par lesquelles le logos s'exprime et qu'elle a à charge d'amener à la conscience de soi pour y dévoiler les semences du Verbe à l'oeuvre. La fidélité au message qui est originellement dialogique exige de courir le risque d'une religiosité aux contours flous mais dans laquelle et en vertu du contexte qui est le nôtre, se fait entendre la voix de fin silence.

111. LE CHRISTIANISME A-T-IL ENCORE UN ROLE A JOUER ?

1. L'instance critique

Est-ce à dire que l'Eglise doit renoncer à sa mission car si des voies multiples et hétérogènes expriment le message divin alors à quoi bon la mission, à quoi bon même l'Eglise et le christianisme ? Celui-ci doit-il accepter sa fin comme un avatar voulu par Dieu ? Doit-il se fondre dans un syncrétisme qui sera la religion du XXIe siècle, sous prétexte que les religions historiques, réduites à leur expression purement institutionnelle sont mortes avec le contexte socio-politique qui  les a vues naître. C'est aller vite en besogne et présupposer tout d'abord qu'une religion n'est qu'un  produit historique, or cette lecture matérialiste se trouve invalidée par les faits puisqu' "au sein de notre modernité globalement athée pullulent les expressions du sacré et les nouveaux mouvements religieux. Il n'est que constater le succès que connaît le Pape à chacun de ses voyages y compris et surtout dans les pays de l'Est et récemment à Cuba pour apprécier au delà des enjeux politiques et économiques la vague d'espoir (ou d'espérance, la question reste ouverte) qu'il est capable de susciter comme si c'était justement hors d'une modernité elle-même désenchantée que se trouvait le salut. Par  ailleurs et par voie de conséquence annoncer la mort de la religion en tant qu'institution c'est en occulter le message qui lui transcende tous les espaces-temps pour s'adresser à l'homme en tant qu'être susceptible de devenir humain en activant la parcelle divine qui est en lui, à condition toutefois qu'il accepte de se laisser aimer. Dès lors parler d'un dépassement de la tradition chrétienne n'a pas de sens puisque d'une part elle a pour fin de transmettre une identité chrétienne en soi nécessaire et universelle s'adressant au sujet humain au-delà du moi phénoménal, et d'autre part dans la mesure où elle est reprise continuelle du sens dans le cadre d'une interprétation traditionnelle, elle est vivante, innovante, s'enrichissant d'apports divers, se livrant à une réinterprétation critique de ses sources, sans cesse en dialogue avec un monde qui change.

Bref elle est mouvement dans un monde en mouvement, elle est moderne sans toutefois adopter, une modernité nihiliste qui tire sa paradoxale et mortifère identité de l'absence revendiquée de sens. A ce jeu on perd la terre de vue, et on en oublie l'autre au détriment du même.

De là les réactions fondamentalistes qui se replient frileusement sur leurs dogmes et leurs communautés où l'autre ne pénètre pas ; de là les sectes qui sont autant de clubs clos sur eux-mêmes de là les manifestations éphémères, ponctuelles et fermées telles que les soirées techno. L'Eglise dont le message se veut d'écoute et d'accueil n'a-t-elle plus rien à dire, où bien le dit-elle mal, ou bien ne l'entend-t-on pas ? Le Pape l'a compris, qui voyage et fait ainsi subir à l'Eglise l'épreuve de l'altérité afin qu'elle puisse être reconnue dans son identité. Refusant tous les relativismes qui érigent de nouvelles idoles et sentent bon l'opium, il récuse les triomphalismes qui confondent sauvetage et Salut.

Sans âge dans son message la religion n'en prend que lorsqu'elle prétend à des réponses définitives c'est pourquoi elle peut contribuer à un réveil de la conscience humaine, à condition de demeurer une instance critique à l'égard du monde comme d'elle-même. L'homme moderne dans l'oubli de Dieu l'est aussi de lui-même et ce n'est pas tant un retour du religieux qui est en jeu, qu'un réveil de la réflexion qui s'est évanouie dans la paresse et la lâcheté des évidences. Dans cette mesure l'Eglise chrétienne est o combien plus moderne que les nouveaux mouvements religieux qui fleurent le traditionalisme le plus intransigeant, voire le fondamentalisme, tout en se prétendant l'accomplissement de religions qui précisément ont renoncé à ces formalismes, songeons aux décisions prises par Vatican II et en particulier à la déclaration conciliaire Nostra Aetate qui commence par ces mots : « A notre époque où le genre humain devient de jour en jour plus  étroitement uni... l'Eglise... dans sa tâche de promouvoir l'unité et la charité entre les peuples examine ici d'abord ce que les hommes ont en commun et qui les pousse à vivre ensemble leur destinée ». Arrêtons-nous quelques instants pour souligner à quel point la déclaration prend pour paradigme l'incarnation du particulier dans l'universel dont elle respecte et encourage la dialectique. En effet tandis qu'est affirmée l'unité du genre humain en vertu de son origine divine et de son unique fin dernière; l'identité de chaque peuple, de ses pratiques et croyances l'est tout autant car il ne s'agit ni de retomber dans les ornières de la récupération à tout prix, d'où l'exigence de différence, ni non plus de souligner celle-ci au point que nul dialogue ne soit possible, les hommes ne partagent-ils pas un ensemble de questions existentielles et métaphysiques traversant les temps et les espaces ? Et même si elles s'expriment de façons différentes selon les contextes elles demeurent les analogon de préoccupations originelles, tout comme le sont les réponses données par les diverses religions qui dès lors s'abreuvent à la même source. C'est du moins ce qu'affirme Nostra Aetate qui « trouve dans les différents peuples une certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine ». Cependant l'Eglise n'a ni à déprécier ce qui n'est pas elle, ni à renoncer à son identité et à sa mission qui demeure « d'annoncer sans cesse le Christ qui est la voie, la vérité et la vie Mais outre le dialogue interreligieux ainsi amorcé avec les religions non chrétiennes elle se doit d'être à l'écoute des voix séculières qu'il s'agisse de celle de l'éthique humaniste des droits de l'homme, ou de la philosophie de la communication afin de demeurer dans un éveil critique à l'égard de soi et du monde pour avoir au milieu des nations une belle conduite ».

Si telle est la fonction qu'elle se doit d'assurer alors la crise moderniste n'est pas tant une menace qtl'un défi aussi bien théologique, que liturgique, et pastoral. En tant que conscience critique du monde peut-elle aider celui-ci à surmonter sa crise et se défier des formes qu'elle prend et qui la touchent plus particulièrement, à savoir les nouveaux mouvements religieux ?

Ce  qui est sûr c'est qu'il ne s'agit en aucun cas d'un renouveau du christianisme qui induirait qu'en deçà d'interprétations de plus en plus éloignées du message original celui-ci puisse être rendu à sa pureté première. Serions-nous moins chrétiens que les autres ?

Non, pas plus que nous ne sommes plus chrétiens qu'eux. Ni progrès ni régression n'ont ici de sens Parlons plutôt d'analogon et considérons que même dans une société post-chrétienne il ne peut être question d'une résurgence nostalgique de la chrétienté, ce qui serait d'autant plus inquiétant qu'elle prendrait l'allure d'un passeisme dont on connaît les risques et le poids. Il n'est que de lire à ce sujet les « Considérations inactuelles » de Nietzsche.

Mais l'instance critique pour nécessaire qu'elle soit est elle une fonction suffisante pour que le christianisme puisse assumer la condition de l'homme moderne ?

Si l'on accorde que celui-ci est globalement nihiliste c'est-à-dire qu'il ne croit pas que la vie, faute d'un sens, d'une fin, d'une unité, d'une vérité, vaille la peine d'être vécue et qu'en conséquence si Dieu est mort alors tout est permis, la tâche urgente qui s'impose est de redonner à l'homme foi en sa propre valeur. Bien sûr, on peut opter pour d'autres voies que la religion et du reste nombre de philosophes contemporains s'y emploient, tels L. Ferry ou Comte -Sponville lequel tente d'enraciner la transcendance dans l'immanence en appelant aux grandes vertus (politesse, fidélité, prudence, tempérance, courage, justice, générosité, compassion, miséricorde, gratitude, humilité, simplicité,  tolérance, pureté, douceur, bonne foi, humour, amour (éros, philia, agapé) qui furent celles de  l'antiquité et qui demeurent celles du sujet qui s'efforce de faire l'être à la ressemblance du devoir être, comme en témoigne l'humanitaire contemporain originé dans un humanisme laïc qui se veut une alternative à l'éthique chrétienne. Comme l'écrit Comte-Sponville « On n'a pas besoin de croire en Dieu pour percevoir que l'amour vaut mieux que la haine, que la générosité vaut mieux que l'égoïsme... On n'a pas besoin de croire en Dieu pour percevoir la grandeur morale, humaine, spirituelle des Ecritures en général et du Nouveau Testament en particulier »(15)

On remarquera donc que ces vertus n'ont rien de contradictoires avec le christianisme qui en sesait même plutôt la source et qui ne doit pas manquer d'en tenir compte pour opérer sur lui-même un retour critique. Mais est-ce suffisant, d'une part pour satisfaire le désir d'ultime que manifeste notre monde et d'autre part pour fonder une éthique, un lien social, une réponse aux questions existentielles ? L'homme peut-il être la mesure de toute chose ? Peut-il faire l'économie de la transcendance ? Ramené à lui-même découvre-t-il une grandeur sans Dieu ou bien seulement sa misère ? La crise que nous traversons est-elle le résultat de cet éloignement ou bien l'épreuve en quelque sorte initiatique pour que le vieil homme périsse et qu'en naisse un nouveau ? Pourrait-on en dire autant du christianisme qui alors opérerait non pas un retour mais une croissance dans un monde qu'il contribuerait à créer en s'en faisant entendre ?

En tout cas comme le souligne J. Vernette « Si l'Occident s'éveille à nouveau au religieux, c'est peut-être que « voici venu le temps favorable (2 Co - 5.2) le temps de l'espérance(16).

2. Fonction d'espérance au milieu d'un monde désespéré

Peut-on cependant encore espérer face à toutes les composantes de la post-modernité que nous avons longuement analysées et qui se résument en trois mots sécularisation, individualisme- pluralisme ? Rappelons leurs caractéristiques

- La sécularisation s'exprime par la disparition des motifs religieux référés au transcendant qui fait passer la religion pour le refuge de l'irrationnel tandis que sa crédibilité en matière de légitimation du monde s'efface devant la rationalisation scientifique qui se rend maître et possesseur d'une nature réduite à de la matière étendue.

-        L'individualisme se signifie par la philosophie hédoniste du Carpe diem qui consiste à jouir, dans l'urgence, d'un maximum de biens. Résultat, l'homme devenu mesure de toute chose développe un narcissisme qui réduit l'autre à n'être qu'un moyen au service de ses fins ; accorde une primauté inquiète à son corps et à sa conservation post-mortem et met à son service toutes les techniques qui lui assurent une consommation effrénée.

-        Enfin l'individualisme ne serait rien sans le postulat que la liberté est un droit aussi bien économique que politique, théorique et éthique, ce qui conduit au refus de tout type d'autorité traditionnelle et institutionnelle. Ainsi s'ouvre la perspective illimitée d'un pluralisme qui n'a rien d'une pluralité.

Dorénavant, l'individu fait son menu à la carte, et la carte étant riche il n'a que l'embarras d'un choix que n'étaye guère une information critique. D'où en même temps la vulnérabilité d'un moi, crédule, en proie à toutes les manipulations, en manque d'affection, vivant dans un monde cynique et dur où la loi, dit-on, est celle du plus fort.

Les voyages du pape François dans 7 pays à majorité orthodoxe - ZENIT - Francais

Face à cela la religion se heurte au pluralisme des sollicitations elle qui prône des pratiques régulières et identiques se met l'individu à dos en incarnant une autorité institutionnelle ; s'affronte à la laïcité puisqu'elle souligne la dimension religieuse de la culture• enfin contrarie l'individualisme hédoniste en préconisant l'engagement. En effet à moins de renoncer à son identité une religion ne saurait sacrifier sa dimension sacrée, ses rites, sa fonction intellectuelle face aux questionnements existentiels , sa conscience d'appartenir à une lignée croyante, ainsi que le charisme fondateur avec lequel elle entretient une communication symbolique. Fort de ses éléments c'est donc à partir de son identité spécifique que le christianisme répond au défi de la crise moderniste et lui fournit des voies si ce n'est de salut du moins d'apaisement.

3. Fonction de rupture

C'est en cela que la fonction de rupture de la religion joue à plein, contrairement à ce que  préconisent les sectes, car si elle est effectivement l'instance qui permet d'entrer dans le monde grâce à l'ordonnancement à la loi, elle est aussi ce par quoi le scandale arrive de sorte que dans un monde en crise elle peut offrir à l'homme de penser autrement à condition d'une part que l'individu soit animé par l'inquiétude et d'autre part que l'Eglise ose au péril de sa vie tirer le prisonnier hors de sa caverne. Quelle valeur aurait en effet une vérité pour laquelle on n'accepterait pas de mourir ? Enfin la religion est avant tout écoute de la Parole ce qui signifie qu'elle s'inscrit dans une dimension historique, puisque toutes les religions, souligne Nostra Aetate, sont les véhicules réalisant concrètement la relation à Dieu dans la relation au monde. Par conséquent ce qui fait la légitimité du christianisme c'est qu'il propose comme réponse à la crise moderne tout comme au défi des nouveaux mouvements religieux, une conversion à une manière d'être avec autrui par imitation de Jésus Christ. Croire c'est écouter la Parole et s'engager dans une voie où il n'est pas tant question de croyance que de foi c'est-à-dire d'une adhesion à un état d'esprit s'éprouvant dans un pluralisme respectueux de la pluralité des pensées, fondé sur un droit voire un devoir de liberté, et corrélativement antagoniste de tout sectarisme, hédonisme effréné, pluralisme incohérent

Position on le voit qui au premier abord semble aux antipodes de nos choix de société mais qui s'avère la limité grâce à laquelle la crise de l'individu en quête d'une identité reconnue et complète peut être résorbée. Mais les dérives sont nombreuses qui vont dans le sens de ce qui précisément renforce la crise en prétendant la résorber.

En effet, les sectes ont cette caractéristique paradoxale de vouloir sauver l'individu en supprimant le sujet. Offrant un groupe pour que l'individu y trouve une chaleur humaine, elles exigent une allégeance totale dans un monde clos , se prétendent détentrices de la vérité éradiquent tout esprit critique ; induisent une identification irrationnelle au groupe ; affichent un pouvoir arbitraire en soumettant l'individu corps et âme à un leader charismatique , développent une véritable paranoïa à l'égard du monde, et encouragent une attitude d'exclusion face à celui-ci tout en se réclamant d'un universalisme qui lui fait développer, du moins pour cerThines, un syncrétisme phagocytant , enfin prenant en charge les besoins de sécurité, d'assurance, de convivialité, de stabilité, les désirs d'irrationnel , et les soucis thérapeutiques, elles réactivent les plus destructrices névroses de l'individu

Très paradoxalement l'individu qui au nom de la liberté, du pluralisme et de l'individualisme récuse tout à la fois la société et le christianisme accepte une situation d'aliénation intolérable et rétrograde.

Outre le sujet ce sont aussi les religions historiques qui sont mises en péril, non pas qu'elles ne sachent relever le défi, mais face à ce qui se présente comme leur accomplissement, et qui n'en est en fait qu'une négation radicale, qu'on songe à l'emploi de la figure de Jésus chez les Témoins de Jéhovah, les Mormons ou les Raéliens, ou encore au bouddhisme revu et déformé par la Soka Gakkai, elles n'ont plus même voix au chapître car d'emblée elles sont condamnées. Ce qui souvent se présentent comme des mouvements soft et gentle refusent en fait tout dialogue, alors que les religions historiques le pratiquent entre elles. Dans ces conditions un dialogue interreligieux est-il possible ?

IV DES MOYENS POUR LUTTER CONTRE LA CRISE

  1. Un dialogue interreligieux avec les sectes 

En tous cas la chose fut tentée lors de rencontres d'experts tenues à Vienne, aux USA, en Afrique,  aux Philippines à l'initiative de la Fédération Internationale des Universités catholiques. Il y eut aussi  diverses encycliques Ecclésiam Suam, Ad Gentes, et des textes essentiels tels que Evangelii Nuntiandi et Redemptoris Missio ainsi que le 4e Consistoire extraordinaire d'Avril 1991 sur les sectes et NMR sans oublier le document romain du 20 juin 1991 qui associe intimement dialogue et annonce, l'un étant orienté vers l'autre. Mais le dialogue avec les NMR présente de considérables difficultés bien qu'il ne faille pas les condamner sans discrimination (Cardinal Arinze Avril 1991) mais justement en vertu de la mission même de l'Eglise dialoguer avec eux en même temps que défendre les chrétiens contre les groupes dangereux.

Un tel dialogue exige d'être adapté à la situation locale,vrespectueux de l'identité de l'autre, de partager son expérience de témoin, d'accepter une critique mutuelle, mais aussi de se préserver contre les tentatives plus ou moins agressives de récupération. Tel est le programme que se propose le mouvement "Pastorale et Sectes" créé par F. Vernette qui considère les sectes comme un defi pastoral. Dans cette perspective l'objectif est double, d'une part instaurer un dialogue, d'autre part se donner les moyens d'annoncer l'Evangile hic et nunc.

  1. Des moyens pratiques

Mais les dispositifs pastoraux sont-ils adaptés à ces défis, qu'il s'agisse de la méfiance, de l'indifférence, de la tentation sectaire, ou de la dichotomie entre la soif de spiritualité et son expression dans l'Eglise ?

Celle-ci doit-elle céder aux exigences du temps ? Quelle communauté peut-elle offrir aux jeunes en quête d'un climat spirituel ? Comment annoncer le Dieu de Jésus Christ aux adeptes des sectes ? A cela les groupes de prière ou du Renouveau, les mouvements spirituels charismatiques, les comunautés du Père Gouze ou de Taizé sont autant de réponses, ainsi que l'ouverture des ISTR qui considèrent les questions à un niveau théorique. Globalement la politique est de donner les moyens de retrouver le sens d'une expérience spirituelle personnelle en parlant au coeur. Dans cette perspective le dialogue interreligieux indique des pistes à suivre mais à condition d'effectuer des déplacements significatifs

Ainsi faudrait-il encourager la recherche personnelle et l'interrogation sur le sens des Ecritures en avalisant une approche herméneutique au-delà de toute interprétation qui se voudrait définitive. A ce propos notons que le flou sémantique du champ religieux entretient l'idée d'une identification entre spirituel et irrationnel, et une tendance à confondre les différentes croyances dans un amalgame ou après tout des mots différents couvrent les mêmes realités. Clarté et distinction lexicale et sémantique s'imposent donc. Qu'on considère à ce sujet la confusion entre incarnation et réincarnation entre celle ci et la vie éternelle ; entre réincarnation et résurrection ; métempsychose et résurrection ; messie prophète - Gourou - Maître spirituel , spirituel-irrationnel ; salut-santé , miracle... Imprécision dont les sectes profitent grandement, il n'est que de considérer le vocabulaire des Témoins de Jéhovah En outre il s'agit aussi de refuser la dichotomie entre la foi et la raison afin de ne pas dévaloriser le rationnel au profit du seul émotionnel. Bien sûr, dans la mesure où le christianisme se spécifie par son agir on comprendra que sa crédibilité passe par des figures aussi charismatiques que l'Abbé Pierre ou Mère Thérésa, mais avec le risque lié à la faillibilité des personnes.

C'est pourquoi il est préférable a contrario d'encourager la lecture éclairée des Ecritures et la connaissance d'une tradition qui définit la spécificité religieuse du christianisme. Ceci demande dès lors une conversion de l'être qui au lieu de se cantonner au rôle passif de consommateur s'affirme comme producteur de sens, à condition d'assumer un. engagement personnel et une responsabilité critique. C'est pourquoi l'Eglise doit se donner pour tâche une alphabétisation des jeunes qui ne craigne pas d'aborder en contrepoint gnose, magie, occultisme, parapsychologie. Cependant il ne faudrait pas négliger l'aspect émotionnel de la religion, lequel passe par des rassemblements, du type de ceux qu'a inaugurés J-Paul II qui disait aux directeurs de pèlerinage « Vous avez en main une clef de l'avenir religieux de notre temps » faisant allusion aux hauts lieux de la religion populaire dans sa quête de sacré.

De même les paroisses jouent-elles un rôle primordial en tant que service public du besoin religieux, puisqu'elles assurent le contact entre l'Eglise et les gens(17) . Accueillis, écoutés dans leurs demandes et leurs inquiétudes, dans leur besoin de recentrage et d'identité, les gens seront moins tentés de chercher ailleurs des réponses parfois dangereuses. C'est aussi tout un langage symbolique sensible à l'imaginaire, à la poétique et à la sensibilité humaine qu'offre la paroisse par le truchement des sacrements et de la liturgie sans pour autant activer un irrationnel asšoiffé de pratiques magiques à teneur ésotérique offrant prise à toutes les manipulations. Car c'est toujours un épanouissement de la totalité de l'être qui est visé où l'imaginaire, comme l'affectif, et le spirituel ne sont pas exclusifs du rationnel. Ce faisant elle offre là un langage différent de celui du monde profane sans cependant s'inscrire en rupture avec celui-ci. Du reste ce n'est pas par hasard que les NMR se structurent de la même façon que les religions avec un rituel, une liturgie, des sacrements, un langage spécifique, dans leur cas ésotérique et qu'ils se prétendent eux aussi des religions en occultant soigneusement la visée matérialiste, qui est pour les sectes, essentielle. Reste que la paroisse doit accepter les différentes formes sous lesquelles s'exprime le besoin religieux même s'il est d'origine païenne. Combien de quêtes authentiques se sont ainsi tournées vers d'accueillantes sectes pour s'être heurtées à un dogme chrétien présenté de façon rigide. Ne s'agirait-il alors que d'un problème formel, et, dans une culture après tout judéo-chrétienne, les sectaires ne seraient-ils que des déçus du christianisme en quête malgré tout de ses symboles sous quelque forme qu'ils se présentent ? Ainsi s'expliquerait l'omniprésence de la figure de Jésus dans la plupart des sectes, à moins que celles-ci ne s'emploient à réutiliser des symboles qui profondément enracinés dans l'imaginaire occidental peuvent encore faire leur preuve. Suffirait-il que le christianisme abandonne un certain formalisme dont l'Eglise serait la figure pour convaincre de l'authenticité de son message ?

Après tout ne pourrait-on être de bons chrétiens sans Eglise comme en témoignent les dissidences de Mrg Lefebvre ou Gaillot ?

Si l'on réduit l'Eglise à n'être qu'un appareil institutionnel, oui. Alors on pourrait grâce à la seule pratique des Evangiles et à la fidélité à Jésus Christ être un chrétien fidèle à l'esprit.

3. Le Renouveau charismatique

La Kumbh Mela, plus grand rassemblement religieux au monde, débute en Inde

Les mouvements charismatiques en sont la preuve eux qui prônent à l'instar du néo-pentecôtisme des années 50 une immédiateté de la relation au divin manifestée par des signes tels que guérisons et libérations d'esprits mauvais. Les chrétiens font ainsi personnellement l'expérience de la Pentecôte grâce à l'effusion de l'Esprit leur permettant d'annoncer Christ ressuscité. Religion de communauté émotionnelles, celle-ci s'incarne dans des groupes de volontaires engagés obéissant à une véritable logique de coalescence puisque chaque rencontre renforce liens et croyances au point de créer une excitation collective proche de la transe. En outre ces groupes manifestent une certaine répulsion à l'égard de toute formalisation doctrinale, et de toute autorité qui voudrait limiter l'autonomie du groupe, lui indiquer une ligne de penser, se prévaloir d'une connnaissance spécifique.

Au contraire cette approche intellectuelle est conçue comme inutile voire nuisible à la finalité du groupe. Prévaut donc l'expérience spirituelle partagée au sein d'une « structure » fluide.

On retrouve là les exigences de la religiosité moderne (caractère pragmatique de la démarche; expérience; émotion; épanouissement personnel et collectif ; absence d'obligation; contact souple) et certaines des caractéristiques sectaires ce qui impose de se demander s'il n'y aurait pas là une dérive de ce type puisque l'émotionnel l'emporte sur le rationnel, l'effusion sur l'analyse humaine. Quoiqu'il en soit l'Eglise elle-même considère ces mouvements favorablement après quelques hésitations mais n'est-ce pas le signe d'un éclatement pastoral concevant que chacun compose son menu à la carte ? L'Eglise si elle accepte d'être mise à distance, voire recusée ne trahit-elle pas le christianisme dans ce  qu'il est essentiellement à savoir le peuple de Dieu signifiant concrêtement le Royaume ? Cependant le Renouveau redonne à la foi une place que l' Action catholique préoccupée par son engagement 'dans le monde avait tendance à négliger, par ailleurs il adapte le christianisme aux exigences modernes, convient aux jeunes de part sa convivialité, sa tonicité et son pluralisme, revalorise l'institution écclésiale par laquelle elle a été reconnue, satisfait au courant humaniste par sa vocation altruiste. Pourrait-on y voir une alternative aux sectes ? Oui, mais à condition toutefois de ne pas céder à l'engouement pour l'irrationnel, et le surnaturel ce qui passe par l'étude des Ecritures dont l'Eglise est précisément la garante. Sans ce rappel de l'esprit du christianisme c'est à court terme un anthropomorphisme du spirituel qui menace le renouveau-charismatique puisqu'en immanentisant la transcendance il la réduit aux limites humaines et surtout se prive de la dimension d'altérité sans laquelle la rencontre est précisément impossible. N'oublions jamais qu'au-dessus de l'arche d'alliance les keroubim ne se touchent pas car le vide est l'entre deux de la relation.

Le charisme est-il donc l'alternative chrétienne à la recomposition du champ religieux ?

On pourrait en effet le penser dans la mesure où il allie « la valorisation de l'adhésion au primat de l'expérience individuelle, à la subjectivisation des croyances et fluidité des engagements communautaires »(18). Cependant cela suppose à la fois que l'on définisse ce « nouveau » christianisme  en vertu des exigences modernes ce qui le prive notons-le de mémoire. D'autre part il ne s'agit là que d'une représentation, en tant que telle lacunaire et orientée vers la post-modernité dont on pourrait retenir d'autres traits tels que la mise en avant d'une rationalité instrumentale, de structures hiérarchiques, de valeurs de rentabilité, productivité, efficacité, ce qui aurait pour correspondant un tout autre paysage religieux que figure justement l'organisation des sectes. Enfin l'objection corrolaire est qu'il faudrait définir l'état de post-modernité auquel correspondrait cette nouvelle figure du religieux, mais le peut-on ? Est-on sorti de la crise moderne ? Doit-on même en sortir car après tout, la crise, c'est-à-dire cette capacité suraigüe d'analyse de soi qui surgit face à des expériences nouvelles et inquiétantes, n'est-elle pas la condition de possibilité d'une société et pour notre propos d'une Eglise tonique susceptible de se recomposer en vertu des dénis qu'elle subit ?

BILAN ET OUVERTURE

Pape Innocent X Francis Bacon -

 La crise moderniste à laquelle est confrontée l'église chrétienne est le résultat d'un double processus contradictoire qui consiste tout à la fois à dissoudre la religion au moyen d'un rationalisme triomphant et à sécréter une utopie dans laquelle elle puisse se projeter comme un progrès indéfini à réaliser. Or cette utopie reconstitue les conditions mêmes qui président à une pensée religieuse affirmant que le réel n'est pas ce qui est donné mais ce vers quoi l'on va. C'est pourquoi tandis que l'Eglise est contestée par contre la religion marquée du signe de l'utopie exploitée par les NMR revient en force.

Corrélativement ce n'est pas sans inquiétude que l'on voit se développer une forte tendance  apolitiquè)au sein des NMR, songeons aux Témoins de Jéhovah, aux Evangélistes ou Pentecôtistes. Denême les millinarismes prônent le désengagement social, et le prosélytisme est préféré aux luttes sociales, tandis que paradoxalement on note dans les NMR un solide conformisme de droite.

Face à cela l'Eglise constitue le meilleur de la démocratie laïque et de notre héritage humaniste dont on peut se demander s'il peut subsister sans son substrat judéo-chrétien.

Les NNR lancent donc un triple défi, aux institutions politiques et sociales, à l'Eglise, voire à la philosophie lorsque des méditations transcendantales cherchent à supplanter celle-ci.

Outre ce plan juridico-politique, dont la pierre d'angle est la séparation de la sphère publique et de la sphère privée, plaçant religion et enseignement des prêtres du côté privé et accordant la prévalence à un Etat transcendant et abstrait laissant de moins en moins d'autonomie aux groupes et aux individus, la modernité présente deux autres plans. L'un celui du techno-économique défini par Raymond Aron comme « la connaissance scientifique vérifiée servant à l' organisation rationnelle de la production en vue d'une productivité maximum » (19)

Dans cette perspective la nature, réduite de la matière étendue n'est plus le paradigme d'une harmonie voulue par Dieu servant de doux guide. L'homme, distinct d'une nature indifférente, voire hostile , réduite à un réservoir de forces productives, vit cette dichotomie comme une déchirure entre lui et lui-même et développe pour s'en divertir de dangereuses nostalgies de la nature à tendance spiritualiste.

Le troisième plan est double à la fois philosophique à la suite de la révolution copernicienne opérée par Kant qui consacre la relégation de la métaphysique hors de la sphère de la connaissance et réduit ses objets à de simples postulats dans la mesure où le sujet n'appréhende que des phénomènes en fonction des catégories à priori de sa sensibilité et de son entendement et d'autre part psychologique, le moi devenant le point focal des sciences humaines qui entreprendront l'élaboration d'une anthropodicée qui elle-même s'évanouira avec les philosophes du soupçon. Reconnu dans ses  dimensions psycho-affectives, son droit à l'épanouissement, et à l'autonomie l'individu cède à l'attraction de ce qui prend en charge son ego au détriment de toutes les réalités collectives.

Telle une tabula rasa l'individu n'est plus originé dans un lignage, une religion, une langue... mais  doué de son seul vouloir et d'une raison dont la principale fonction est la rationalisation de sep désirs, il est à l'écoute du moindre signe de ceux-ci. Abîmé dans son moi a-t-il encore la capacité d'accepter de se recevoir d'un autre que de lui-même ? Faisant preuve d'une constante méfiance à son propre égard est-il encore susceptible d'accepter sans hésitation d'être aimé ? Devenu solipciste est-il en mesure de vivre une relation saine à l'autre ? Le problème essentiel du refus de l'Eglise ne consisterait-il pas en fait dans le refus de Dieu, (on remarquera que justement le NMR n'y font pas référence ou très vaguement) conçu comme une autorité toute puissante ? Mais n'est-ce pas là de la mauvaise foi ? Ne conçoit-on pas de la sorte Dieu et son intermédiaire l'Eglise par crainte d'une altérité qu'on ne sait négocier ? Le refus de se recevoir de l'Autre explique la fracture avec l'Eglise mais cependant le désir de Dieu perdurant on revendique une religion sans Eglise. Plus profondément encore n'est-ce pas faute d'une connaissance de soi en tant que créature de Dieu digne d'amour que l'individu incapable de s'aimer refuse de l'être et s'étourdit dans l'ivresse du divertissement où il ne rencontre que sa misère qui l’éloigne plus encore de soi et de Lui ?

Tout cela doit donner et a déjà donné à réfléchir à l'Eglise qui s'emploie à tenir compte • du pluralisme, en pensant un œcuménisme planétaire comme le nomme Geffré ; de l'individualisme en s'ouvrant au dialogue interreligieux ; du libéralisme en acceptant le droit de s'engager puis de se retirer ; de l'hédonisme en s'employant à être à l'écoute du moi; et enfin du relativisme, en s'initiant à toutes les formes de croyances. Mais bien qu'elle se situe dans la première génération post traditionnelle marquée du sceau de la mobilité, de la reversibilité et de l'interchangeabilité de tous les repères elle n'en verse pas pour autant dans cette crise de confiance en soi qui rend toute les valeurs illusoires et illégitimes.

Parce qu'elle est consciente d'avoir à fonder sa crédibilité l'Eglise a pour devoir de définir et de défendre son identité spécifique contre la tentation du syncrétisme ce qui signifie qu'elle se prévale d'une tradition assurant la transmission du message évangélique ; qu'elle ose face au déni de l'autorité et à une philosophie soft and gentle affirmer le sens et la valeur de l'altérité permettant une distance de l'individu à l'égard d'un moi qui n'est pas le soleil autour duquel tournerait le sentiment religieux confondu avec l'amour de soi ; qu'elle n'évite pas à la suite de la théologie de la mort de Dieu de s'interroger sur le sens du mal et de la souffrance dont on tient Dieu pour responsable ; enfin qu'elle récuse la dichotomie foi/église car arguer de sa crise institutionnelle pour l'évacuer c'est mettre son essence même en péril puisque l'Eglise excède les limites d'une simple institution. Cependant elle a à s'interroger sur sa « capacité de prendre en compte, comme une donnée de son fonctionnement et comme une condition de sa crédibilité... de cette mobilité particulière du croire qui l’affecte en l'obligeant à composer avec une dynamique de circulation des signes religieux »(20)

Quelle théologie rend-elle possible cet avenir? Quelle théologie pour aujourd'hui et demain ? Vatican II a amorcé une réponse en élaborant une théologie du dialogue fondée sur celle du logos,  une telle théologie présuppose un sujet doué de raison, libre et responsable car face aux exigences rationalistes de la modernité, il lui faut s'inscrire en faux contre les accusations d'irrationalité qui relèguent la religion dans l'émotionnel. De même que Kant distingua une fonction théorique et une fonction pratique de la raison, peut être faudrait-il élaborer le concept de raison théologique afin de poursuivre la tâche infinie qui consiste à sauvegarder la fonction de réflexion libre, universelle, spéculative au sein de l'humanité tout entière et que la réduction de la raison à sa fonction instrumentale a occulté, pour le pire.

A ce propos nous voudrions pour conclure nous arrêter sur la proposition faite par Geffré d'un nouveau paradigme théologique qu'il définit comme « une corrélation mutuelle et critique entre l'expérience chrétienne fondamentale et notre expérience historique aujourd'hui Autrement dit il s'agit au sein de la crise qui a ébranlé la raison et instauré une dichotomie entre celle-ci et la foi, de repenser à la fois un nouveau statut de la raison rendue à sa plénitude, et les conditions d'une collaboration entre foi et raison, de façon à démontrer que ce n'est ni la mort de Dieu, ni la techno-science qui confèrent à l'homme bonheur et liberté, mais au contraire la foi en Dieu. Pour preuve l'instauration en Amérique latine d'une théologie de la libération, de la résistance et de la justice. C'est par conséquent à la tâche d'une réunification de l'être que la crise moderniste appelle l'Eglise comme du reste le laisse deviner les aspirations universalistes et syncrétistes de la religiosité  ambiante.

La tâche de la théologie écrit Geffré est « la recherche d'une nouvelle crédibilité qui concilie à la fois les exigences de la foi et les aspirations d'une expérience intégralement humaine »(21).

Au vu d'un certain nombre de constats, au nombre desquels l'évènement d'Auschwitz qui vit l'éruption du mal radical dans l'histoire et la nature humaine ; la fin de l'Européocentrisme dans l'Eglise ; l'émergence du dialogue interreligieux en tant que dimension intrinsèque de la mission, Geffré propose un nouveau modèle de raison théologique cherchant à concilier la foi et la rationalité essentielle de l'homme. Il lui reconnait trois caractères

* Tout d'abord son historicité, pour souligner l'identité entre raison théologique et raison spéculative (l'intellectus fidéi), identité avérée dans l'herméneutique où la théologie reconstruit le sens à partir d'hypothèses interprétatives qui ne se donnent jamais pour absolument véraces.

De la sorte la nouvelle intelligence que la raison théologique cherche du message évangélique doit à la fois s'enraciner dans l'expérience chrétienne initiale qu'elle poursuit et tenir compte de notre expérience historique contemporaine. Autrement dit elle doit procéder par déplacements analogiques , puis sa dimension pratique, car il ne faut pas oublier que le christianisme est avant tout un agir exigeant une dialectique incessante entre théorie et pratique et en l'occurrence d'une pratique qui n'a rien à voir avec un bricolage où le désir décide de ce qui est bien ou mal.

La pratique est donc la pierre de touche de la théorie et non pas une incarnation de celle-ci. Cependant pour pratique qu'elle soit cette raison n'est pas pour autant pragmatique et les impératifs qu'elle se donne sont de l'ordre du catégorique et non de l'hypothétique, ne pas tuer ne peut souffrir d'exception et il s'agit pour lors d'y obéir par devoir et non par contrainte ou par intérêt en considérant que la valeur essentielle est en l'occurrence le respect de l'humain. Mais cette pratique doit en même temps assumer une fonction critique à l'égard de ses présupposés et des implications de son agir, autrement dit elle ne peut faire l'économie du théorique.

Dans cette perspective , engagée dans le monde, la théologie ne doit pas refuser sa dimension politique et se dire neutre, car le refus de prendre parti témoigne nécessairement d'une position qui en général cautionne le pouvoir en place. La pratique chrétienne tout à fois sociale et historique témoigne du message évangélique, pour preuve la théologie de la libération qui montre que le Royaume de Dieu s'expérimente déjà dans le processus de libération humaine. A contrario de la théologie « blanche » corrolaire des systèmes dominants, cette théologie accompagne les vaincus de l'histoire.

De ce fait c'est une nouvelle figure historique du christianisme qui peut ainsi se faire jour et qui sans se diluer dans le pluralisme ni sacrifier au syncrétisme défende une pluralité issue de l'unité d'une multiplicité au sein d'un œcuménisme planétaire conduisant à une réflexion sur les conditions de possibilité de l'inculturation de la foi

 Enfin son caractère oecuménique qui présuppose le dialogue avec toutes les formes de confessions et de croyances dans lesquelles l'Eglise reconnait une dimension christique sans qu'elles soient pour autant chrétiennes. En effet -L'identification christianisme et dimension christique prêterait au christianisme comme religion historique une universalité essentielle à laquelle son historicité ne lui permet pas de prétendre. La figure du Christ qui incarne l'éternel dans le temps, l'universel dans le particulier, l'essence dans l'existence, doit permettre de prévenir de telles dérives totalitaires et instaurer une révolution copernicienne qui verrait le christianisme comme les autres religions tourner autour du Mystère puisque selon Rosenzweig « c'est l'essence de la vérité que d'être en partage ».

Ainsi c'est en travaillant sur l'image de lui-même que lui renvoie la crise moderniste, à savoir son irrationalité, sa pratique abstraite du réel, son impérialisme à l'égard des autres confessions et sa véracité absolue que le christianisme pourra sortir de cette crise et aider à résorber les malaises de la modernité.

Cette attitude dynamique ne saurait cependant prendre forme sans conditions. D'une part que l'agir ne soit pas une réactiorrau sens nietzschéen du terme c'est, à-dire un refus de ce qui ébranle et inquiète le christianisme et auquel il opposerait une fin de non recevoir fondée essentiellement sur la haine de ce qui lui échapperait, mais cet agir ne doit pas non plus incarner une volonté de puissance totalitaire et destructrice, il doit bien plutôt se faire communicationnel selon les modalités d'une raison pratique fondant l'éthique sur l'intersubjectif. C'est pourquoi la deuxième condition est le dialogos (le partage d'un 'logos qui aurait pour origine le Logos vers lequel il cheminerait) qui s'avère la pierre de touche de l'agir religieux. En définissant le dialogue comme « cette impulsion intérieure de charité qui tend à se traduire en un don extérieur » Paul VI a défini l'essence même de la forme du dialogue que l'église doit adopter et dont les maîtres mots sont : charité, impulsion, don extérieur, c'est donc un aller-vers missionnaire qui a pour fonction le partage heureux et amoureux (agapé) du patrimoine qui lui a été confié ainsi qu'à tout chrétien. En ce type de dialogue la religion retrouve son sens originel, celui de l'abstention respectueuse face au mystère sacral ; du scrupule (grain de sable) devant ce qui doit rester sain et sauf, intact ; du laisser-être au prix parfois du sacrifice de soi. En ce type de dialogue le christianisme apparait comme la figure d'un mystère toujours en retrait dont la présence absente ne cesse de le travailler.

En ce type de dialogue c'est la trace christique qui se profile puisque le dialogue humble, modeste fragile et vulnérable porte les stigmates d'une kénose qui annule le Dieu tout puissant de nos consciences coupables au profit du Dieu d'amour qui dispense l'infinie consolation dans laquelle l'humanité tout entière pourrait se retrouver.

Crise moderne oui, de la foi peut être pas, plutôt retour d'un refoulé qui dit bien qu'après le détour par le positivisme, le scientisme, le matérialisme, la foi fait entendre la voix de fin silence pour dire que la crise touche les occultants mais non pas l'occulté car le désir de Dieu ne meurt pas mais se nourrit de son insatisfaction.

 

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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Sectes et réveil religieux. Salvator. 1976.

Sectes, que dire ? Que faire ? Salvator. 1994

JP WILLAIME

Sociologie des religions. Puf. Que sais-je ? 1995.

 

 

 

 

 

 NOTES:

(1)     M. Abensour .• "Le Mal élemental" in E. Levinas : La philosophie de l'hitlérisme. Rivage Poche. Petite bibliographie. 1997.

(2)     Baudelaire : Au lecteur in Mes Fleurs du Mal

(3)      Expression usitée par le théologien et philosophe P. TILLICH

(4)     NOSTRA AETETE –Préambule

(5)     Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi 8/12/1975. Paul VI.

(6)     Discours de JP II aux membres de la Curie Romaine sur Assise' 22/12/1986.

(7)     E.Durkheim : Les Formes élémentaires de le vie religieuse - 1912

(8)     JP Willaime : Sociologie des religions. Que sais-je ? PUF. 1995.

(9)     (10) D. Léger et B. Hervieu : Des communautés pour les temps difficiles. Centurion. 1983.

(10)  

(11) I l JP Willaime : op-cité.

(12) CL ALLEGRE : Dieu face à la science  Bayad 1997

(13) E. RENAN : L’avenir de la science

(14) [1] Baudelaire : Oeuvres complètes T. III. L'art romantique. Critique littéraire III « Le peintre de la vie moderne » IV La modernité » Beauval. Paris.

(15) Intervieuw in Figaro du 21/03/96

(16) J. Vernette. Sectes et réveil religieux.

(17) (17)Voir à ce propos G. Pietr « La paroisse et la demande religieuse du grand nombre » in « Document Episcopal ». 1985.

(18) D.HERVIEU LEGER et F CHAMPION : Vers un nouveau christianisme Cerf 1986

(19) R ARON : Programme d’enseignement à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. VI section 971-73 p 169

(20) D. Hervieu Léger : La Religion pour Mémoire. Cerf. 1993.

(21) Cl. Geffré « Le nouveau paradigme d'une théologie chrétienne post-moderne ». in L'Europe au sortir de la modernité. Cerf. Cerit. 1987

 

 

 



 

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