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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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28 juillet 2019

LA MELANCOLIE

Giacomo Leopardi, À MOI-MÊME

LA MELANCOLIE

 

« Est-il beaucoup de

termes dans l’histoire de la pensée

dont l’ambivalence égale celle du

simple mot « mélancolie »

Klibansky « Sature et la Mélancolie »

 

 

Mélancolie : remarque liminaire

La mélancolie serait-elle la voie royale de l’inconscient ? Alain a écrit « c’est lorsque le moi fait problème que nait la philosophie ». La mélancolie serait-elle ce scrupule, ce petit grain de sable qui grippe la machine et oblige « à se demander pourquoi sans amour et sans haine mon cœur a tant de peine » (Verlaine).

C’est dire que le caractère inconditionnel de cette peine à la fois torture l’être et le force à s’examiner pour y porter remède. Serait-ce une structure psychologique de l’individu ? Une béance ontologique ? Une dimension métaphysique de l’être ?

L’introspection à laquelle invite et (ou) force la mélancolie par laquelle je deviens comme étranger à moi-même et qui se faisant me contraint moi « sujet » à m’examiner dans un « objet » problématique afin de me ressaisir en une improbable unité, me fait-elle découvrir ma part d’ombre, la part invisible où s’origine la visibilité à laquelle accède et se réduit ma conscience ? Ou bien la misère intérieure, voire mon néant pressenti ? La mélancolie me damne-t-elle ou me sauve-t-elle ? La mélancolie est-elle le signe apparent voire le symptôme de l’absence de sens dans un cosmos où plus rien ne résonne ni ne répond, ou la voie initiatique vers une lucidité supérieure ?

C’est en compagnie de pneumatologues et non de psychologues que nous tenterons d’approcher ces questions.

Une brève histoire de la mélancolie

Dans sa pièce intitulée « Du malheur d’avoir de l’esprit » Griboïedov fait répondre à son protagoniste à la question de savoir où il est bien « Là où je ne suis pas ». Réponse qui synthétise l’esprit même de la mélancolie sous la forme d’un déracinement de l’âme.  La mélancolie se signale comme vacance, indécision et errance. Peut-être est-ce la raison pour laquelle le sujet suscite toujours un tel engouement, car chacun connait, éprouve « ce quelque chose de douloureux comme une épine ». Pour ne citer que les vingt dernières années :

Livre : Vanités dans l’art contemporain (2005)

Exposition  : Génie et Folie en Occident – Grand Palais 2005

Starobinsky : L’encre de la mélancolie (2012)

Lars Von Trier (cinéaste) : Mélancolia  (2011)

Hopper : Exposition au Grand Palais (2012)

Colloques :         1) L’Ange du bizarre – Musée Orsay

                               2) Paysages et figures de la mélancolie – Musée Orsay

Miche Onfray : Deuil de la mélancolie ( 2013)

 Lemoine  - Cyrulnik : Une histoire de la folie avant la psychanalyse  -Edition Odile Jacob (2018)

Au vu de ces quelques éléments nous nous interrogerons sur la nature de la mélancolie. S’agit-il d’une maladie ou d’une grande lucidité ? D’un état de l’être ou d’un incident lié aux circonstances ? Est-elle réservée aux sensibilités hors du commun ou témoigne-t-elle de la misère de tout être ? S’agit-il d’un affect générant une absence de désir confinant à la tristesse ? Exprime-t-elle notre angoisse face au temps qui passe, à l’instabilité de toute chose, et à la mort ?

Peut-on et faut-il en guérir ?

Nous verrons au cours d’un parcours chronologique de l’antiquité à nos jours les réponses apportées à ces différentes questions. Nous renvoyons le lecteur à trois textes complémentaires, sur ce même blog, consacrés à Gogol, Goncharov, Melville.

 

I – Antiquité gréco-latine               Résultat de recherche d'images pour "hippocrate"

Le thème de la mélancolie ne date pas d’hier puisque le mot mélanos chole est d’origine grecque (Hippocrate et le pseudo Aristote( 3eme siècle  ap. JC) en ont fait des cas d’observation clinique). Son sens est aussi riche et varié que son histoire et son interprétation , à titre d’exemple  on la définie comme :  signe divin,  maladie (Aristote)  péché d’ acédie( manifestation du diable) ; spleen ( en grec la rate) ; génie au 18eme siècle et sentiment généré par la vue du sublime ; langueur et pamoison des salonières (17eme/18eme siècle) ; état de dépression ; absence de sens, d’espoir et de désir ; déracinement ; ennui, vide misère intérieure : apathie, atonie.

Bonnefoy définit la mélancolie « comme une espérance toujours renaissante et sans fin déçue, mais plus encore le manque de ce désir et d’un réel besoin de se satisfaire ».

D’après ces définitions il apparaît que la mélancolie a une double origine : somatique (bile sécrétée par le foie/rate) ; psychique « trou dans l’être » (Derrida).

Donc même si notre représentation de la mélancolie débute au XIX ème siècle avec les poètes maudits, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et les peintres romantiques, Friedrich, Fussli,  Runge, il n’en demeure pas moins que ce sentiment est depuis des millénaires l’objet de la réflexion des philosophes et de la représentation des artistes.

Ainsi le personnage d’Ajax incarne chez Sophocle le topos de l’ubris, de la démesure qui le conduit à massacrer un troupeau de bœufs qu’il frappe aveuglément alors qu’il croit abattre les chefs des Atrides. Sa folie a un double sens, elle est à la fois une furor pathologique mais aussi un fantasme dû à la tromperie d’Athéna. Le mélancolique est la proie de son imagination qui, en l’occurrence, l’exclut de la communauté humaine et de la protection des Dieux.

Cette histoire incarne tous les aspects de la mélancolie : l’ubris ; la solitude : la lucidité (puisqu’Ajax prend conscience de ce qu’il a exécuté), la culpabilité et le deuil (en l’occurrence de son honneur), l’angoisse. Mais qu’en est-il de la responsabilité d’Ajax ? Car s’il est bien comme Œdipe coupable, son destin lui échappe.

Platon quant à lui, évoquera la mélancolie par le biais de la Mania, ou délire, ivresse inspiratrice envoyée par les Dieux au poète dès lors en – thousiaste, c’est-à-dire en-théos, en Dieu.

La mania ne touche pas que le poète, mais aussi le philosophe ivre de discours, comme l’est Socrate. Aristote (à moins que ce ne soit le pseudo Aristote) consacrera un ouvrage à la mélancolie, « L’homme de génie et la mélancolie ». Le mélancolique explique-t-il dissocie l’âme du corps, et la mélancolie est à la fois cause et symptôme de cette dissociation. C’est dire que l’imagination l’emporte sur la raison. Aristote aborde la question en tant que médecin tout comme Hippocrate et explique le phénomène par un excès de bile noire qui (cf. théorie des humeurs depuis constestée) peut causer aussi bien inhibition qu’excitation. Les plus grands hommes en furent touchés c’est pourquoi la mélancolie a à voir avec le génie. A la fois poison et remède, la mélancolie est un pharmakon qui génère aussi bien la folie d’Ajax ou d’Héraclès, que la pensée extatique d’Empédocle de Socrate et de Platon. La bile agit comme le vin pour le meilleur ou le pire, et nos humeurs en sont tributaires. Or si la mélancolie est issue d’un dérèglement de la rate, elle est à classer parmi les maladies puisque la santé se définit par l’équilibre des humeurs, des qualités, des organes. Faut-il pour autant la guérir alors qu’elle est ce qui permet à l’homme de « contempler l’intellect dans sa pureté et attester du divinen lui. Le devin, le fou, le philosophe et l’artiste sont des figures de la mélancolie c’est-à-dire de l’extase (ek : en dehors ;  istémi : se tenir : se tenir hors de soi-même, en un autre que soi-même)

C’est pourquoi le mélancolique est inconstant, tour à tour hyperactif ou apathique ; imbu de lui-même ou dépréciatif ; intensément heureux ou immensément triste ; mais aussi et pour cause d’une extrême lucidité sur soi-même et sur le monde ce qui à la fois le déprime et le rend créatif dans une ultime tentative de projeter dans une œuvre ce qui lui pèse. Gogol avouera avoir écrit pour se distraire de sa mélancolie.

Pour  en revenir à Aristote, sa postérité sera importante, citons l’œuvre de Burton au XVIIème siècle ; ou certains passages de la correspondance de Descartes avec la Princesse Elisabeth ; ou encore Esquirol au XIXème siècle.

 

II – Antiquité et moyen-âge chrétiens

Nous retiendrons en particulier le « Livre de Job », les Psaumes, 87. 89 ; 101 et l’Ecclésiaste.

Dans le « Livre de Job » le champs lexical des ténèbres dit assez le regret d’être né, la difficulté d’être, la désespérance alimentée par un passé éteint, un futur sans espoir, un présent vide.

Quant à l’Ecclésiaste ou  Qohélet il affiche face à un Dieu inaccessible et inconnaissable, une seule certitude : la mort. Tout n’est que vanité, pour preuve la répétition du même qui voue l’agir à l’absurde. La connaissance n’engendre que mélancolie et ne soulage pas plus que les plaisirs. La mélancolie est la conscience de la présomption de la pensée, de la parole, de l’action.

Au Moyen-âge la représentation de la mélancolie qui prend le nom d’acédia, demeure inchangée comme le confirme la figure emblématique la Mélancolia d’Albrecht Dürer.Résultat de recherche d'images pour "melancholia durer"

Sur celle-ci un ange au premier plan qui se profile sur un paysage côtier, est dans la position canonique du mélancolique, assis, la tête penchée appuyée sur la main gauche. Il incarne la quête désespérée du savoir et de la sagesse. Des objets de science l’entourent, le marteau, la pince, le compas, le carré magique, le cadran solaire (arrêté sur Midi), la cloche, le sablier, la tête de mort, tous instruments qui figurent la vanité du savoir et la finitude. Un bestiaire l’accompagne, chien, chauve-souris, chouette, le tout se détachant sur un fond de couleurs symboliques : jaune, vert, noir, blanc, gris, bleu (pour l’ ancolie) rouge (sang du Christ). L’homme a donc à se choisir en tant qu’être humain dans un univers où la conscience de sa finitude l’incite à s’abandonner.

C’est pourquoi l’église a condamné la mélancolie ou acédie comme l’un des sept péchés capitaux puisqu’il est une tentation du diable.

 Ainsi selon Saint Marc (Evangile selon Saint Marc V – 1 – 2) elle possède incarne l’acédie. Il est possédé par le démon qui multiplie les passions de l’âme, il jouit  d’une force indomptable, Solitaire, il erre parmi les tombeaux n’espérant son salut que de celui qui expulsera son mal.

On pourrait multiplier les exemples, tel que Saint Jérôme ou Saint Antoine dont l’histoire fut narrée par Flaubert.

Signalons qu’au XIVème siècle Pétrarque dans « Dialogue intérieur » (1347) où il dialogue avec Saint Augustin, décrit la mélancolie comme un fléau qui ouvre « la route au désespoir et pousse les âmes malheureuses au suicide ». Il n’est question que de nuit de torture, mort cruelle, mais aussi et c’est là  que le diable se manifeste, « d’une certaine douceur» et « d’un plaisir amer que c’est malgré moi qu’on m’en arrache ». Le mélancolique éprouve donc une certaine complaisance pour son mal et c’est en quoi il pèche. Et si l’on se penche sur l’origine de ce mal il repose, ajoute Pétrarque, sur la mauvaise opinion de soi-même, la haine de la condition humaine, l’imagination et l’amertume ou taedium vitae (Sénèque).

Le paradigme de ces figures est bien sûr Adam, celui qui a refusé de pendre soin  de lui-même et d’autrui, celui qui s’est refusé à Dieu et qui de ce fait est voué au mal et au malheur (5).

Pris d’abattement, le mélancolique désespère de lui-même, de Dieu et de son salut, à moins que ce désespoir aiguillonne l’âme dans une quête de Dieu.

La mélancolie est donc le signe d’une faute dont les remèdes sont selon Saint Augustin : le travail, la sociabilité ; voire l’exorcisme et la trépanation afin d’évacuer les vapeurs.

 

III – La Renaissance

Cette période est marquée par un bouleversement radical de la représentation du monde que résume le titre d’un ouvrage d’Alexandre Koyré « Du monde clos à l’Univers infini ». Une soif encyclopédique de savoirs acquis dans des livres, mais aussi au cours d voyages ; la redécouverte de l’antiquité gréco-latine, dont les philosophies ;  le développement des sciences ; la création de l’imprimerie, tout cela impulse à l’Europe une nouvelle énergie. Certes les temps sont violents, l’Europe est en guerre, les superstitions ne sont pas éteintes mais des temps nouveaux adviennent (6).

La conception de la mélancolie s’en ressentira puisqu’elle renouera avec ses sources antiques pour redevenir la marque du génie. Ainsi Pic de la Mirandole, Marsile Ficin conjoignent la mélancolie aristotélicienne et la mania platonicienne et font de la mélancolie, l’apanage des hommes de culture.

« Les mélancoliques ont du génie » est l’un des titres de paragraphe de l’ouvrage de Ficin, « Conseils aux intellectuels » (1489) dans lequel il explique par des causes physiologiques, inspirées d’Hippocrate, les qualités de ces esprits subtils, échauffés, agiles et vigoureux mais aussi stables. Très inspiré par Platon, il créa même à Florence « La nouvelle académie néoplatonicienne ».

Mais face à la bile noire ou plutôt blanche favorable à l’élévation de l’âme se dresse la bile noire qui aux côtés de la pituite, du coït, de la réplétion et du sommeil matinal conduit à des actes monstrueux. A titre d’exemple, le coït est semblable à l’épilepsie. Parce qu’il blesse la pensée qui est sacrée et apparait tellement nocif qu’un écoulement de sperme au-delà de la mesure naturelle est plus dommageable qu’une perte de sang quarante fois supérieure (7).

De leur côté les artistes sont, au premier titre, concernés par le génie puisqu’ils sont possédés par la fureur démoniaque. Mais loin d’être vécu comme un don de Dieu, le génie est un insupportable et douloureux fardeau. A ce titre Michel Ange, le saturnien présente tous les signes du mélancolique comme l’attestent ses poèmes :

Je suis reclus céans comme la moelle

dans son écorce, pauvre et solitaire

tel un esprit captif en un flacon

….

bref est mon vol en cette obscure tombe

où Arachné avec ses aides, mille

toiles file, tournant comme fuseaux

…..

L’art, si prisé qui me valut naguère

tant de renom, m’a conduit à ceci :

pauvre, sénile, esclave aux mains d’autrui

je suis perdu si je ne meurs bientôt (8)

 

La puissance du génie est donc paradoxale, à la fois destructive et inhibitrice. Comme l’illustre aussi  Shakespeare dont Hamlet incarne lui aussi cette figure pâle, triste et languissante qui s’interroge sur la contingence de l’être, le passage de toute chose et l’illusion de ce que l’on croit et espère être vrai. Le monde n’est qu’un théâtre plein de bruit et de fureur où  se confondent songe et « réalité ». Dans cette perspective le mélancolique est-il une conscience éclairée qui voit mieux et autrement que les autres hommes ou/et qui est taraudé par la quête d’inaccessibles origines ?

 

IV- Le XVIIème siècle

Nous voudrions nous arrêter à une figure inattendue : celle de Descartes qui fut dans sa correspondance avec la Princesse Elisabeth affronté à la question de la mélancolie car la princesse fort érudite pratiquait  la philosophie et la poésie réputées pour susciter cette humeur.

Descartes dans la « Recherche de la Vérité » mais aussi dans la première méditation métaphysique évoque le déraisonnable ou extravagant qui s’imagine avoir un corps similaire au diamant, ou bien être Roi, ou bien cruche ou avoir un corps de verre, à l’instar du personnage du Licencié de Verre, personnage imaginé par Cervantès (9).Résultat de recherche d'images pour "descartes"

 Ce sont des mélancoliques qui ont « le cerveau (tellement) troublé et offusqué par les noires vapeurs, de la bile… ».

Où trouver remède à cela, non dans la métaphysique qui risque d’enfermer dans la solitude d’une réflexion hyperbolique, mais dans la philosophie morale.

Il s’agit de recouvrir l’unité de l’âme et du corps par trop occultée. L’âme n’est pas en effet comme le pilote en son navire qui peut descendre de celui-ci. Le remède est donc celui préconisé à l’égard des passions.

Dans sa lettre de juin 1645 à Elisabeth, Descartes préconise de ne considérer que des objets apportant de la joie, ne suscitant nulle passion ; de délivrer l’esprit de toutes sortes de pensées tristes ; de s’attacher à la contemplation par exemple du vol d’un oiseau. Ainsi la mélancolie peut elle être combattue grâce à la volonté qui serait la condition d’un art d’être heureux favorisant l’union sentie de l’âme et du corps. Descartes développe une métaphysique de la plénitude, de l’élan contre la pesanteur et la vacuité. Or son corps pèse au mélancolique et faute du sentiment de son union avec l’âme, qui met le corps debout et lui confère son élan, il peut atteindre au seuil de la folie.

«  Le sentiment de l’union substantielle confère à l’homme son équilibre moral ».

 A la même époque Robert BurtonRésultat de recherche d'images pour "robert burton frontispice"

 écrit une somme sur la mélancolie, à laquelle Starobinsky consacre une longue analyse dans « L’Encre de la Mélancolie ».  Dans l’Anatomie de la mélancolie, l’auteur se propose d’étudier les structures et formes de la mélancolie du point de vue d’un physiologiste. Il recense tout ce qui a été écrit à ce propos depuis l’antiquité, ayant pour objectif de pouvoir avant tout se soigner lui-même.

Il se donne pou surnom « Démocrite junior » pour s’inscrire dans une tradition matérialiste et à l’instar de Rembrandt il se fixe pour objectif d’effectuer une anatomie du mal dont l’âme souffre.

Dans cette œuvre érudite s’il en est, Burton procède en historien, anatomiste, satiriste. De lui J.Pingeaud (10) écrit « qu’il déploie la mélancolie dans une histoire qui ressemble à l’Histoire ». Mais l’auteur écrit aussi « en s’évertuant à éviter la mélancolie ». Il est comme disait Montaigne « la matière de son ouvrage ».

Le frontispice de l’ouvrage présente dix carrés qui illustrent chacun un caractère de la mélancolie. Démocrite l’anatomiste du savoir entouré de cadavres cherchant le siège de la bile noire ; la jalousie ; la solitude ; l’énamouré; la vanité ; l’hypocondriaque ; le superstitieux ; le fou furieux ; la bourrache et l’ellébore qui purgent de la mélancolie ; le visage de l’auteur.

Dans la partie « Précis de Mélancolie » il évoque la jouissance qu’on en tire mais aussi la haine que l’on ressent. Les sentiments à l’égard de l’humeur sont fort ambigus. Par ailleurs il la décrit comme une structure ontologique liée à la finitude de l’être et à son éloignement de Dieu à la suite du péché d’Adam. La mélancolie ne serait pas autre chose que l’effet de ce mal incurable.

Il en décrit les symptômes tant physiques que psychologiques de façon objective, didactique et morale.  

 

V – Le XVIIIème siècle

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Au siècle de la réhabilitation de la sensibilité, la mélancolie se fait d’une grande douceur, comme on peut par exemple le voir sur les tableaux de Watteau.  Et  s’incarne dans les « Rêveries du promeneur solitaire » de Rousseau qui écrit dans « Emile » : « La mélancolie est une amie de la volupté, l’attendrissement et les larmes accompagnent les plus douces jouissances et l’excessive joie elle-même arrache plutôt des pleurs que des ris ».

Avec Goethe elle investit les coeurs et les jardins (11).  

« Le chagrin, le dégoût de la vie avaient jeté des racines de plus en plus profondes dans l’âme de Werther » écrit-il dans Werther.

Les jardins s’ornent de ruines qui rappellent comme les vanités que le temps inexorablement passe. La mélancolie s’invite dans les Salons où se rencontrent la Duchesse de Rambouillet dans sa glaciale chambre bleue ou bien Mademoiselle de Scudery qui fait languir le Tendre au cours d’un labyrinthique voyage jusqu’à sa bien aimée.

L’Encyclopédie ne manque pas de la mentionner en en distinguant trois formes : la sentimentale, définie comme je-ne-sais-quoi d’agréable, de pastoral ; la religieuse, rejetée à cause de son origine adamique ; la pathologique, ramenée à une origine somatique nerveuse qui sera privilégiée au XIXème siècle.

 

VI – Fin XVIIIème – XIXème

1)      Maine de Biran – 1766-1874

Progressivement le sentiment mélancolique fait de regret, de nostalgie se transforme jusqu’à devenir « un sentiment pénible de l’existence » selon le mot de Maine de Biran dans son journal. A la fois philosophe, homme politique, il fut un précurseur de la psychologie grâce au concept d’une aperception immédiate de soi obtenue grâce à l’effort déployé dans une activité.

A propos de la mélancolie il écrit qu’elle est un sentiment pénible de l’existence lui conférant cependant cette lucidité qui préfigure la psychologie des profondeurs. A la différence des penseurs du XVIIIème et renouant avec la tradition antique il insiste sur la relation du corps et de l’âme, celui-là étant à la fois symptôme et déclencheur.

On trouve chez lui des expressions que répandra Freud « Je ne suis plus aujourd’hui maître chez moi » bien que le contexte soit différent.

L’agitation, le divertissement quoiqu’en dise Pascal sont des remèdes à la mélancolie, mais il y a en l’homme deux êtres, l’un d’instinct et d’habitudes, l’autre de raison et de réflexion dont l’unité se rencontre rarement.

Il faudrait que l’âme pût dominer le corps et ses passions pour que cessât notre vaine agitation. Il s’agit là de la nostalgie d’une unité originaire.

2)      Soren Kierkegaard  écrit qu’il a été « au plus haut point un mélancolique qui a eu le bonheur et l’adresse de pouvoir le cacher et c’est pourquoi j’ai lutté « Mais ce fond de tristesse Dieu me le laissa » (12)  

Mais la mélancolie n’est pas seulement cette lourdeur de l’âme, cette acédie qui laisse apathique, elle est aussi le confident intime, l’amante la plus fidèle aimée par sa victime. Mêm si elle lui découvre cependant sa stérilité, des tortures sans objets, sa vulnérabilité. Pareil aux damnés de Dante, le mélancolique est rassasié et éprouve une grande faim, abreuvé avec grand soif en proie à un doute incessant.

« La vie m’est devenue un amer breuvage que je dois cependant absorber comme des gouttes, lentement, une à une, en comptant. Loin de passer,  le temps est immobile et sa vie nulle, réduite à une grisaille insignifiante et vide. Et c’est enfin l’appel à la mort ».

La vie est ce vide métaphysique dans lequel git l’ennui.

A l’instar de Kierkegaard mais dans le genre romanesque,

3)      Dostoïevski  comme Gogol opère, selon le titre Du Père Evdokimov(13) une « descente aux enfers » pour explorer le mal « dans ses abimes et sa platitude, dans sa réalité proprement spirituelle, cette très intelligente et très perverse déchirure de l’être.

Dans l’un de ses premiers textes (1864) justement intitulé « Le sous-sol », Dostoïevski livre la longue méditation d’un homme à qui insupporte la répétition du même dont la formule 2 x 2 = 4 lui semble être le paradigme. Celle-ci est pareille à un mur auquel on se heurte, elle est achevée définitivement sans surprise ni changement. Elle incarne un principe de mort dont on peut avoir peur. Après tout la raison peut se tromper, on peut préférer son chien à son cocher et la souffrance au bien-être. La mélancolie est la grande lucidité. « L’unique cause de la conscience qui est en même temps un des plus grands maux de l’homme » est en effet la souffrance, le chaos, la destruction qui vivifient l’esprit »(14)

4)      Maupassant, dont on sait qu’il se suicida, consacra son œuvre au thème du mal de vivre qui s’enracine dans « L’inconvénient d’être né » (Cioran) et ce faisant d’avoir incarné et donc figé l’ensemble des virtualités que nous sommes sans l’être. Progressivement la vie se réduit, se sclérose, se ferme et les souvenirs sont plus nombreux plus que les possibles à venir. Tout semble vain, choses et efforts, attentes et projets. Le fatal « à quoi bon l’emporte » lorsque la solitude a chassé la préoccupation de l’autre. Le souci ne nous tourmente plus et pris par l’acédie on répond aux sollicitations par « I would prefer not » car  la répétition du même annihile toute action  (15)

 

     VII – Le XXème siècle

Héritier de cette longue tradition philosophique et littéraire, Sartre s’empare du thème dans « La Nausée » dont le titre initial était Mélancolia. Roquentinéprouve face à la répétition du même, un « écœurement douceâtre ». Le temps n’est plus qu’un présent plat, gluant pareil à la molle du lac qui cependant pour certains est synonyme de sérénité mais qui pour Sartre l’accablement d’exister. « Exister c’est en effet, être de trop ».  Et Sartre d’imaginer le surgissement du radicalement autre dans le quotidien.

Au « terme » de ce parcours dont le point n’est pas final, nous sommes rendus au seuil de la psychologie qui à la fin du XIXème siècle au début du XXème siècle se substituera à la philosophie pour assigner à la mélancolie des causes psychiques et non plus une origine ontologique. Il s’agira dès lors d’une maladie que de multiples remèdes tenteront de guérir.

On la catégorisera sous de nombreuses rubriques, à la façon de Burton. Elle deviendra sous leur plume une monomanie (maladie mentale réduite à une seule idée) définie par Esquirol (1819) comme « un délire partiel chronique, entretenu par une passion triste, débilitante et oppressive ».

Mais c’est avant tout à Freud que l’on songe en la matière avec son ouvrage « Deuil et mélancolie » dans la « Métapsychologie » où il compare et distingue les deux états en se demandant pourquoi pour certains l’affect du deuil peut être surmonté alors que d’autres sombrent dans la mélancolie, se désintéressent du monde (n’y investissent plus leur désir) perdent la capacité d’aimer et sombrent dans une permanente  tristesse et se mésestiment. Selon Freud la mélancolie est générée par une perte qui ôte tout sens à l’existence même si cette perte n’est pas clairement assignable. Qui perd-on en perdant l’autre ? Il est clair que l’on se perd mais cette conséquence n’explique pas ce qui a été soustrait à la conscience. Dans  le deuil  le monde s’est appauvri de l’objet disparu mais dans la mélancolie c’est le moi qui s’est appauvri.

Le moi est devenu sans valeur et l’on regrette d’être né au point de cesser de se nourrir comme Bartleby. Mais Freud soupçonne le mélancolique de trouver une satisfaction dans ces épanchements.

En définitive la perte du mélancolique, ce dont il fait son deuil, c’est de son moi. Or ceci repose sur le choix narcissique d’un objet de sorte que celui-ci ayant failli c’est sur le moi que se retourne la déception et la dévalorisation.

 

Conclusion

On peut se demander si notre époque connait aussi la mélancolie et si celle-ci ne joue pas un rôle majeur et invisible dans notre société laquelle semble bien agitée par l’angoisse du passage, par la béance du vide. Point de silence ni d’oisiveté, pas le temps de s’interroger sur soi. Le temps libre est devenir temps d’occupation, les week-ends nous jettent sur les routes. Tout s’emballe et dans cette tension vers on ne sait quel but, l’homme, qui cependant s’en plaint, démultiplie les technologies qui l’arrachent à soi et lui donnent l’illusion de communiquer, d’être en prise avec le monde, de la maîtriser comme il croit maîtriser sa vie qui le gouverne.

Et pourtant la conscience du vide ontologique est bien là, tapie au fond de l’être. On croit y remédier par des antidépresseurs, des séances chez le psy, ou les propositions de pseudo gourous.

L’homme est-il condamné à errer à la recherche de son être voire d’une unité perdue ? Faut-il un remède à la mélancolie et si oui,  n’est-ce pas nous ôter la part essentielle de ce qui fait de nous des êtres humains ?

Et nous laisserons la parole à Melville en guise de viatique :

« Qui, demande-t-il, saurait découvrir, dans l’arc-en-ciel, la ligne où le violet cède à l’orangé ? Si nous voyons clairement qu’une couleur en devient une autre, savons-nous préciser l’endroit où elles se séparent et se confondent ? Il en va de même de la raison et de la déraison. La question ne se pose pas dans les cas aigus. Mais parfois les nuances interdisent, même aux plus téméraires, de fixer la limite qui les sépare, à moins qu’ils n’appartiennent à la race des experts qui se font payer pour le faire, car certains, pour de l’argent, font n’importe quoi. Bref, il existe des cas où il est presque impossible de décider si un homme est en possession de ses facultés ou s’il commence à basculer dans la démence ».  Herman Melville « Billy Budd »

 

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Caspar David Friedrich

 

 

Anastasia Solange Chopplet

Conférence 2019

Conférencière et philosophe

 

 

(1) Elien le sophiste 175.235 historien, orateur de langue grecque

(2) Platon. Phèdre. 244-245 ; 265 a) b) République : IX – 573 c

(3) Collection « Rivages »

(4) Fabrice Roussel. Revue d’histoire des sciences. Le concept de la Mélancolie chez Aristote. 1988

(5) akedia : privatif /a / ; radical kédeo (prendre soin)

(6) voir sur le blog l’Humanisme

(7) Marsile Ficin « Conseils aux intellectuels » 1489

(8) Michel Ange «  Rime »

(9) Cervantès « Le Licencié de verre » In Nouvelles exemplaires 1613

(10) Jackie Pingaud «  Melancholia : le malaise de l’individu » 2008

(11) Goethe – « Les affinités électives » 1809

(12) « Ou bien…ou bien» ou « L’alternative » 1843

(13)Paul Evdokimov « Gogol et Dostoïevski ou la descente aux Enfers » 2011 – réédition

(14) voir sur le blog conférences consacrées à GOGOL et GONTCHAROV

(15) voir sur le blog la conférence consacrée à HERMAN MELVILLE incluant une analyse de « Bartleby Le Scribe »

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Commentaires
A
Un grand merci pour votre appréciation!
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J
Une analyse passionnante , d'une pertinence et d'une subtilité confondantes . Merci
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