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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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27 octobre 2019

FASL AL MAQAL D’IBN RUSHD DIT AVERROES

ETUDE DU FASL AL MAQAL (TRAITE DECISIF) D’IBN RUSHD DIT AVERROES

‘La Vérité ne peut contredire la Vérite’

 

«La philosophie est la compagne de la Révélation

et sa soeur de lait»

Ibn Rushd

 

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SOMMAIRE

Ouverture

I.  IBN RUSHD, LE REFORMATEUR

 1. La vie et l’oeuvre

2. Présentation du Fast Al Maqâl

3.La scolastique musulmane

 

  1. II.        ANALYSE DE L'OEUVRE   Première partie : précautions liminaires

a)         L'objectif de l’auteur

b)         Méthodologie

  • Les 5 qualifications
  • Le syllogisme démonstratif

c)          Réfutation des objections

d)         Un projet universel

 2-Deuxième partie : la solution rushdienne

a)         Thèse de l’auteur

b)         Les conditions de l’interprétation

c)          L’impossibilité du consensus théorique : trois problèmes métaphysiques

d)         De la responsabilité du philosophe

3-Troisième partie : La finalité de la Révélation

 Envoi

Bibliographie

 

 

 

Lorsque Uzbek arriva à Paris on s’étonna et on lui demanda «Mais comment peut-on être persan?». Or cette question qui trahit la quasi impossibilité de penser du tout autre se révèle l’analogue de celle que l’on pose au philosophe : comment peut-on être philosophe et croire en Dieu ? Question récurrente qui de Philon d’Alexandrie à nos contemporains a trouvé des réponses diverses mais jamais suffisantes. |

Or Ibn Rushd n’échappe pas à la nécessité de s’affronter au problème et d’y apporter après Philon et avant Maïmonide et St Thomas une réponse inscrite dans une histoire spécifique.

En effet le débat ne s’instaure pas avec lui puisque déjà Al Farabi, Al Kindi, Avicenne, Al Ghazali pour ne citer que les plus prestigieux, y avaient apporté leur contribution. Mais ils n’étaient pas les seuls puisque les hachwiyya, motazilites et ascharites avaient pris position pour ou contre le recours à la raison en matière d’intelligence de la foi, et par conséquent pour ou contre l’usage de la philosophie.

Au coeur de ce débat, la position d’Ibn Rushd était pour le moins difficile puisque tout à la fois falacifa (philosophe) et Kadi (juge) il s’avérait un fervent admirateur de la philosophie grecque et en particulier d’Aristote dont la tradition en a fait le Commentateur, et un croyant convaincu devant officiellement se prononcer sur les matières religieuses.

D'où notre question initiale: (comment) un Kadi peut-il être philosophe? (Comment) un philosophe peut-il être croyant? Un esprit laïc s’étonnera de la question et répondra peut-être à la façon de

Moïse Mendelssohn que la révélation n’est pas de l’ordre du dogme mais de l’orthopraxie et qu'après tout il suffit de se conformer à la Loi pour être un bon fidèle, tandis qu’au plan philosophique et métaphysique libre à chacun de penser ce qu’il veut. Or même si quelque chose de cet ordre s’esquisse peut-être chez Ibn Rushd à propos de la masse des croyants, il est cependant impensable de dissocier foi et raison car ce sont les mêmes questions qui se posent à l’une et à l’autre quant à l’essence de Dieu et ses attributs ; quant à sa science du monde ; quant à la création ex nihilo ou à l’éternité des existants. |

Par conséquent nous pensons que, pour Ibn Rushd, la question ne se pose pas en termes de choix et Encore moins d’exclusive. Par contre, et comme le lui imposaient et sa position de Kadi et son honnêteté intellectuelle, il lui fallait bien répondre à la question de la nature, de la fonction et des limites de la philosophie face à la religion. Comme toute réponse, celle d’Ibn Rushd s’élabora en fonction des publics qu’il visait à savoir : les philosophes, et en particulier les alfarabo-aviciniens à tendance platonisante, Al Ghazali aux attaques duquel il répondra dans le Tahafüut al tahafut ; les théologiens à tendance sectaire ; les juristes orthodoxes ; et la masse des croyants.

 

I. BN RUSHD, LE REFORMATEUR

  1. La vie et l’oeuvre

 

Résultat de recherche d'images pour "cordoue au XXIIeme siecle"

 

 

 

 

Sans vouloir nous étendre sur la vie et l’oeuvre d’Ibn Rushd précisons cependant quelques points importants.

Comme on le sait il naquit à Cordoue d’une famille de juristes malékites professant le libre examen ou usage de l'opinion personnelle du juriste. Par ailleurs outre les hadith il étudia la théologie (kâlam) ash’arite se caractérisant par la recherche d’un juste milieu entre l’excès de rationalisme incarné par les mutazilites qui voulaient élever la raison au rang de critérium des choses de la foi et l’excès de littéralisme prôné par les hachwiyya dénigrant la philosophie conçue comme hostile aux dogmes religieux. A leur propos Ibn Rushd écrit que «cette secte prétend que la connaissance qui mène à la connaissance de Dieu est fondée sur l’autorité et non sur le raisonnement» à quoi il rétorque que Dieu invite lui-même les hommes à se servir de preuves rationnelles. Ce faisant Ibn Rushd dénonce un littéralisme étroit et anthropomorphe ne pouvant mener qu’à un irrationalisme hostile à la philosophie, et il prend position dans la querelle qui agitait les théologiens sur la question de savoir quelle part faire à la connaissance intellectuelle dans la définition de la foi. Mais les agharites ne trouvent pas non plus grâce à ses yeux car s’ils pensent «que la croyance en l'existence de Dieu ne peut être établie que par la raison»” leur tentative pour observer un juste milieu entre les hachwiyya et les mutazilites verse généralement dans l’antirationnalisme comme en témoigne l’incohérence de leurs méthodes démonstratives. Restent que les mutazilites, en réaction aux hachwiyya voulurent inaugurer une théologie rationaliste fondée sur le principe logique du meilleur exigeant que Dieu obéisse à une nécessité logique ou métaphysique puisqu'il ne peut faire que «ce qu’il sait être avantageux pour ses serviteur». On peut résumer leurs tendances sous les chefs suivants : le principe de raison ; la négation d’attributs éternels ; le libre arbitre : la négation du caractère miraculeux du Qoran ; une religion rationnelle dont la religion révélée est un adjuvant ; l'interprétation allégorique obligatoire pour les versets ambigus. L’on verra sur ce point précis la totale divergence d’Ibn Rushd qui au demeurant se plaisait à déclarer que «les motazilites ont, en général, plus de solidité que les asharites dans leur argumentation.

 L'éducation d’Ibn Rushd ne se limita pas à la connaissance de l‘Islam puisqu'il étudia aussi la médecine et en particulier Galien grâce auquel il eut accès à la philosophie grecque et en particulier Aristote quoiqu'il connut aussi Platon et les néoplatoniciens.

Tour à tour médecin, philosophe, kadi et par conséquent adonné à la connaissance de la loi musulmane tirée du Coran et des hadith, cet esprit encyclopédique s’efforça de démontrer Ja compatibilité de l’aristotélisme, porteur en germe de toute vérité définitive, et de la foi Révélée, ce qui présupposait qu’une seule et même raison avait été mise par Dieu en tout homme et qu’en outre la Révélation était globalement intelligible.

Nous disons globalement car il est des questions où la raison ne peut répondre par voie démonstrative et dès lors, quant aux mystères des origines et des fins dernières, elle est relayée par la révélation. Cependant dans la mesure où le Coran présente d’une part des Propositions qui sont en accord avec la philosophie et qu’on reçoit à la lettre et d’autre part des propositions qui ne s’accordent pas avec elle et sont par conséquent équivoques alors il est nécessaire de recourir au tawil c’est-à-dire à l'interprétation et, c’est cette méthode permettant de dégager le sens caché du sens obvie qu’Ibn Rushd se propose d’exposer dans le Fasl.

2. Présentation du Fasl AI Maqâl

Résultat de recherche d'images pour "Fasl AL Maqâl"

Nous pourrions définir ce traité comme une propédeutique analogue aux Catégories d’Aristote ou bien au Discours de la Méthode de Descartes car on y trouve en fait les conditions de possibilité logique d’une exégèse rigoureuse, de ses moyens, limites et fins. Or ce travail s’avère nécessaire à l'élaboration du traité suivant «Des méthodes de démonstration des dogmes religieux» d’une part d’un point de vue juridique et d’autre part d’un point de vue logique.

En effet le projet théologique d’Ibn Rushd requiert la légitimation des autorités qui jugeront si le Propos de l’auteur convient ou non au Coran. C’est pourquoi tout le début du Fasl s'emploie à démontrer l'accord de la philosophie avec la religion, et à retourner la critique des théologiens contre eux, puisqu’en refusant l'usage de la philosophie ils font preuve d’impiété à l’égard du Coran qui, lui, en recommande l'exercice. Bien sûr la Parole We s'exprime pas en ces termes mais un hadith précise qu'il ne faut pas hésiter à se rendre en Chine pour aller chercher la science, et le Coran dans un Vérset équivoque (S. IlI-7) semble aller dans ce sens. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

D'autre Part, comme nous l’avons annoncé, cette propédeutique est nécessaire d’un point de vue logique Puisque pour valider une «Démonstration des dogmes religieux» il faut expliciter la méthodologie qui fonde la légitimité d’une herméneutique du texte sacré. L'intérêt de la demarche d’Ibn Rushd est qu’elle ne présente pas d’exclusive puisqu'elle se nourrit autant de la logique aristotélicienne que l’auteur a commentée dix ans auparavant (Seconds Analytiques) que du qiyas (raisonnement analogique). Par conséquent, et grâce à ce second biais, l’auteur peut à nouveau souligner la profonde analogie qui existe entre philosophie et religion. Cependant nous aurons l’occasion de voir qu’Ibn Rushd en fin diplomate qu’il est ne se montre amical avec les théologiens que pour mieux leur porter l’estocade.

Mais il y a aussi une dimension anthropologique essentielle dans le Fasl puisqu’Ibn Rushd fonde sa défense de la philosophie sur la distinction, du reste traditionnelle depuis Aristote, entre trois catégories d’esprit auxquelles correspondent trois voies de connaissance et trois types d’argument. Ne pensons pas qu’il s’agisse là d’une discrimination arbitraire de la part d’IBn Rushd, bien au contraire il en trouve l'illustration dans le Coran et s’émerveille du fait que la miséricorde divine ait su se manifester à tous et selon des truchements adaptés à leurs capacités car Dieu n’impose jamais à une âme ce qui dépasse ses forces.

C’est ainsi que les hommes se distinguent en:

 -masse des croyants qui accèdent à la connaissance de Dieu grâce à des arguments rhétorico-poétiques

-en théologiens, sensibles aux arguments dialectiques et en philosophes seuls aptes aux arguments démonstratifs.

A chaque groupe correspond un accès différent à la connaissance de Dieu mais nul n’en est exclu, et nul ne peut se targuer d’un accès privilégié à la Révélation. Cependant les arguments dialectiques n’ont pas le même statut que les deux autres et Ibn Rushd en dénonce le possible usage sophistiqué dès lors qu’ils sont au service d’un donné à défendre. Mais en tout cas, il n’y a pas de double vérité comme les commentateurs latins d’Averroes se sont plu à le soutenir, l’une relevant de la philosophie, l’autre de la Révélation. Pour les uns la foi trouve sa source dans l’image et l’allégorie, le sens obvie du texte leur suffit ; pour les autres c’est la dialectique qui les persuadera de la non contradiction du texte face aux exigences rationnelles de l’homme ; pour les derniers la foi trouvera sa raison dans la science de l'interprétation démonstrative.

Ceci étant établi Ibn Rushd pourra ensuite, en cette même année 1179, rédiger son second traité où il dénoncera le caractère sophistiqué des démonstrations des théologiens et par conséquent la non validité de leur méthode, en ce qui concerne par exemple la dialectique des contraires qui consiste à nier tout ce que l’on peut dire d’un objet. Ainsi ils soutiennent que le monde existe mais qu'il n’est ni Créé à partir du néant, ni à partir d’un préexistant. Quelle confusion dès lors dans l'esprit du peuple! Doit-il douter du texte sacré dont le sens obvie lui indique pourtant clairement ce qu’il en est? Ce Serait le mener à l’infidélité. Or celui qui mène à celle-ci est lui-même un infidèle. D’où l'urgence d’éradiquer ces germes sectaires.

Dans le Fasl, Ibn Rushd avait à plusieurs reprises et longuement insisté sur la question de savoir si la masse des hommes religieux doit ou non pratiquer l'interprétation et avoir accès à celle des théologiens. Or, soucieux de maintenir la foi au coeur des croyants, afin qu’ils ne risquent pas d’y perdre leur âme et leur salut, il avait répondu par la négative vouant les théologiens et certains philosophes aux gémonies.

Seuls en effet le philosophe et l’homme du commun ont une égale certitude de la loi révélée, même si leurs moyens d’accès diffèrent du tout au tout. C’est pourquoi dans le troisième volet de son projet théologique le Tahafut-al Tahafut (L’incohérence de l’incohérence) rédigé en 1195 en réponse au Tahafut-al Falacifa d’Al Ghazali Ibn Rushd poursuivra deux objectifs. D’une part il réfutera les vingt thèses de Ghazali contre les philosophes et portant entre autre sur le problème de la création du monde dont Ibn Rushd soutient déjà dans le Fasl et à l’instar d’Aristote, l’éternité  sur la connaissance des singuliers par Dieu, question qui hantera le moyen-âge et que l’on retrouvera chez Maïmonide ; sur la résurrection des corps et l’immortalité de l’âme. D'autre part il dénoncera les effets pervers de ceux qui comme Ghazali veulent vulgariser les résultats de la science sans s'inquiéter des conséquences sur des esprits inaptes à les comprendre et à les juger, mais aussi de ceux qui, tel Avicenne tentent de soumettre les données de la loi révélée aux conclusions de la science, ou enfin des théologiens qui ignorent et refusent la science démonstrative. De la sorte, ceux- ci se livrent à des interprétations (tawil) indues, par exemple à propos de la Sourate XI-9 où il est bien spécifié que le Trône et l’eau existaient avant ce monde-ci ainsi qu’un temps avant les 6 jours, ceci fondant la thèse de la prééternité du monde soutenue par Ibn Rushd. Tous ces thèmes sont déjà en filigrane dans le Fasl qui dès lors apparaît rétrospectivement comme un appareil critique, au sens kantien du terme, visant à nettoyer le champ de bataille de la théologie, et à promouvoir une approche simple, claire, logique, précise d’un texte débarrassé de ses scories interprétatives et dès lors rendu à la foi de l’homme du commun, dont le théologien comme le philosophe doivent apprendre que la foi suit la raison jusqu’à ses limites mais qu’elle va plus loin qu’elle,  de sorte que,  de ce dont on ne peut parler il faut se taire.

  1. La scolastique musulmane

Néanmoins pour pouvoir se taire nous dirions volontiers qu’il faut avoir auparavant parlé, ce qui signifie en l’occurrence, en avoir acquis le droit contre ceux qui se prétendent détenteurs de la vérité, grâce au Kalam ou apologie défensive, et de fait réductrice, de l’Islam.

C’est Pourquoi Ibn Rushd a dû au nom de la religion s’attaquer à la théologie au moyen de la philosophie ce qui peut sembler pour le moins paradoxal. Aussi pour éviter tout contresens nous faut-il res_ituer le Fasl dans le contexte de la scolastique dont on sait que la question par excellence

Concernait les rapports de la foi et de la raison, ou en d’autres termes de la religion et de la philosophie. Or on ne peut comprendre la démarche d’Ibn Rushd si on ne distingue pas la scolastique musulmane de la scolastique chrétienne.

Un premier paradoxe saute aux yeux dans l’entreprise de la scolastique en général et d’Ibn Rushd en particulier c’est l’incompatibilité apparente entre les doctrines péripatéticiennes et les dogmes de l’Islam. Dans un cas on a affaire avec le Dieu Aristote à un moteur immobile dont la perfection consiste précisément en l’absence de mouvement puisque tout mouvement dénonce un manque, par conséquent ce Dieu n’est pas une personne, il est dépourvu d'amour, de volonté. Centré sur son auto-contemplation il ne s’occupe plus du monde une fois qu’il l’a créé. Celui-ci dès lors fonctionne en vertu de ses propres lois et si l’âme se tourne vers Dieu c’est parce qu’elle est mue par son désir de perfection laquelle consiste pour tout être à retrouver son lieu naturel. Par contre la représentation de Dieu telle, qu’elle est véhiculée par l'Islam est celle d’un Etre qui bien que radicalement transcendant, en quoi l’analogie avec le Dieu Aristote est fondée, est doué de science, volonté, liberté, veille sur ses créatures au moyen de sa Providence et déverse sur elles une incommensurablé miséricorde. Une relation d’amour existe donc entre lui et ses créatures qui le prient et l’honorent.

Par conséquent toute tentative d’accord entre foi et raison est-elle vouée à l’échec?

La question est d’autant plus grave que le rationalisme conduit au réalisme et celui-ci au monisme puisque l’idée d’être apparaît comme le genre suprême lequel absorbe toute autre idée. Or le monisme induit le panthéisme qui fait figure d’hérésie aux yeux du monothéisme puisque toute différence essentielle entre Créateur et créature est supprimée.

Comment Ibn Rushd va-t-il dès lors résoudre la question de l’accord entre foi et raison?

Il le fera tout d’abord en tempérant le monisme par le recours aux catégories aristotéliciennes qui démontrent que l'être peut se dire de multiples façons, de sorte que la philosophie et la religion pourront être conçues comme deux expressions différentes d’une seule et même vérité, l’une adéquate aux hommes de démonstration et l’autre, symbolique, aux hommes d’arguments oratoires. Le Coran est dans ces conditions une transposition voulue par Dieu, en figures et paraboles, des verities philosophiques, thèse fort proche de celle de Philon d'Alexandrie.

Du reste le Coran stipule bien que les philosophes doivent interprèter rationnellement les images et arguments oratoires du texte, mais leur interdit de dévoiler leurs interprétations aux masses.

On aura remarqué que dans tous les cas de figure la théologie est passée sous silence, voire éliminée, nous en avons déjà explicité les raisons, mais on pourrait rétorquer que c’est là porter atteinte à la religion et qu’en voulant la préserver de la théologie on la détruit.

Or tel n’est pas le cas en Islam où justement la théologie n’est pas la gardienne de l’orthodoxie contrairement au christianisme!" Au lieu en effet d’un magistère dans la dogmatique qui serait l’apanage de spécialistes c’est à la umma qu’est dévolu le rôle de préserver le sens du Coran, aussi chacun est-il libre, dans la mesure de ses compétences, d'interpréter. Mais dans cette mesure une parfaite unanimité d’ordre théorique c’est-à-dire à l’égard d’un dogme, est impossible, comme le souligne du reste Ibn Rushd dans le Fasl. Aussi ne peut-on au nom de la idjma récuser les interprétations rationnelles des philosophes.  Bien plus en leur récusant ce droit, qui est aussi un devoir, on risque de fermer les portes de l’ijtihad et de scléroser le sens du texte. C’est pourquoi toute tentative en ce sens doit être combattue afin que le sens se creuse à l'infini des interprétations des fidèles guidés par Dieu. Dès lors tandis qu’en christianisme la question scolastique concerne la philosophie et la théologie, en Islam elle concerne la philosophie et la religion.

Dans ces conditions la «tentation» théologique est qualifiée de maladie mentale et morale et ce n’est qu’en détruisant le monstre théologique, fléau de la religion et de la philosophie, que la paix pourra être restaurée et la Parole divine respectée.

C’est donc la liberté de penser que revendique Ibn Rushd et en cela du reste sa défense est d’une parfaite actualité face aux intégrismes contemporains qui se prévalent de la connaissance de l’unique vérité fidèle au Coran, oubliant qu’une parole vraie ne peut être que libre et plurielle.

Cependant Ibn Rushd est prudent car tous les humains ne peuvent interpréter les symboles, mais en tout cas on voit parfaitement maintenant que son orientation, et par conséquent ce sur quoi il fonde l’accord de la religion et de la philosophie, n’est pas une démonstration rationnelle des dogmes religieux mais une convergence plurielle et variée des interprétations soit littérales soit démonstratives de la vérité révélée, étant entendu que Dieu s’adresse à tous les hommes sous des formes différentes mais dans la plus parfaite unicité de la vérité. Faisant fi de tout dogmatisme, lequel oublie qu’il est lui-même le résultat d’une interprétation, Ibn Rushd entend retourner à l'esprit même du Coran et dans cette perspective les voies religieuses et philosophiques convergent tandis que le (Faux) problème de savoir qui de la foi ou de la philosophie est l’esclave de l’autre ne se pose pas.

La vérité est unique et toute démultiplication est porteuse de dissidences et de violences dont les sectes théologiques doivent être tenues pour seules responsables. Dès lors la philosophie se trouve innocentée du chef d’accusation d’infidélité et d’hérésie à l’égard du livre révélé.

Reste maintenant à pénétrer dans le détail, et parfois les méandres de la démonstration rushdienne.

 

  1. II.        ANALYSE DE L’ESSAI

La traité d’Ibn Rushd comporte trois parties dont la première établit non seulement la légitimité de La philosophé en matière d’exégèse coranique mais encore son obligation ; la seconde se propose de répondre aux objections à cette thèse (§ 18 à 48) en développant la théorie des trois catégories d’esprit ainsi que l’interdiction de divulguer les résultats des interprétations aux masses ; enfin la dernière pose les canons de l’interprétation allégorique.

1. Première partie : Précautions liminaires

a) L'objectif de l’auteur

Ibn Rushd se propose de rechercher si d’un point de vue juridique «l’étude de la philosophie et des sciences de la logique est permise par la Loi Révélée ou bien condamnée ou encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant qu’obligation».

Nous apprenons donc d’emblée que c’est en tant que kadi rendant une fatwa que l’auteur s’exprime ; secundo dans la mesure où tout type d’examen du Coran relève de la Loi, il s’agit de convaincre les juristes que son entreprise est justifiée par le texte même et ce faisant de se mettre à l’abri de l'accusation d’hérésie des docteurs de la Loi ; tertio Ibn Rushd emploie le terme philosophie mais il serait erroné de le considérer dans son sens grec il s’agit plutôt de la hikma équivalant à la sophia ou Sagesse" engage à la reconnaissance de la Raison divine dans la Création(§2). De la sorte la hikma est comprise par Ibn Rushd comme la sagesse propre à la connaissance par les causes finales, c’est-à-dire la métaphysique (§2-§10)  dont la finalité est d’élaborer une preuve physico- téléologique de l’existence de Dieu puisque c’est par ses oeuvres qu'il se révèle et que la philosophie se propose d’étudier celles-ci selon un modèle naturaliste emprunté à Aristote qui établit un rapport d’analogie entre Dieu et l’Artisan, la nature et l'artefact ”. L’horizon de la hikma est l’étude d’un ordre universel finalisé révélé par la philosophie et invitant à reconnaître la Raison divine dans la Création. Or la hikma est proposée par le Coran meme (§2) comme le moyen d’accéder grâce à la démonstration, selon l’auteur, de type aristolélicien, à la compréhension de l’oeuvre divine. Pour Ibn Rushd donc une sagesse humaine relevant du seul effort intellectuel de l’homme est possible et demeure autonome sans s’opposer à la sagesse divine ce qui présuppose l’unicité de la raison et de la Sagesse et l’intelligibilité de la Création à l’ordre de laquelle Dieu aurait conformé l'intelligence humaine ; enfin, quarto, l’auteur introduit la traditionnelle distinction religieuse qui permet d’évaluer et de classer toute action selon cinq critères qui font office de décrets divins absolus, et qui ce faisant, sont au fondement de toute législation religieuse, morale, civile, criminelle, sociale, économique et politique.

b) Méthodologie

  • Les cinq qualifications

 

 

 

 

 

 

 

qualifications

en cas d'accomplissement

en cas de non accomplissement

Ordonné, : prescrit ma'mour biki

1) Wadjib                                                                                                                                                                                                          

obligatoire                                                                                                                                                                                        

récompense                                                                                                                                                                                                                         

peine

2) Mandoub laho mostahibb

recommandé méritoire agréable à Dieu

récompense

pas de peine

 

3 Mobâh

licite, permis

ni récompense ni peine

Défendu désagréable à m’ahd hour

4) Makroûh

blâmable, désagérable à Dieu

pas de peine

récompense

5)Harâm

interdit

peine

récompense

 

 

Dans ce tableau Ibn Rushd situe d'emblée la philosophie parmi les actes obligatoires ou bien recommandés puisque le Coran prescrit de réfléchir sur les étants(§3). En outre cela situe la | philosophie parmi les actes qui s’ils sont accomplis entraînent une récompense mais par contre pas de peine en cas de non accomplissement, Or nous verrons qu'Ibn Rushd insiste à plusieurs reprises sur cette «innocence» du philosophe qui n’est pas blâmable en cas d’échec dans ses démonstrations, mais qui inversement s’il se dérobe à cette obligation encourra une peine. De même celui qui y est inapte Sera châtié en cas d’accomplissement et récompensé en cas de non accomplissement car pour lui cet acte est hâram.

* Le syllogisme démonstratif

Ceci étant établi,  il s’agit pour Ibn Rushd de démontrer que la philosophie relève des actes wadjib. Or à propos des sourates du Coran qu’il cite, il indique que ce sont des énonciation(s) équivoque(s) du caractère obligatoire de l’usage du syllogisme rationnel ou du syllogisme rationnel et juridique (§3). Or il s’agit là d’un point fondamental car s’il est établi que la philosophie recourt à la même méthodologie que les juristes alors ceux-ci ne pourront que reconnaître la légitimité de soi caractère obligatoire. En quoi consiste le syllogisme rationnel et juridique (qiyas)? Celui-ci a été élaboré pour des raisons de circonstance puisqu’après la mort de Mohamed il était nécessaire d’élaborer un procédé permettant de traiter les cas non prévus. Or c’est au moyen d’une part d’un raisonnement analogique permettant de subsumer le cas particulier sous la loi révélée, et d’autre part d’une induction précédant le syllogisme que cela est rendu possible. L'induction ou ta’lil se propose de rechercher la ‘illa (cause - fondement - raison d’être) en vertu de laquelle Dieu, sans que l’on sache pourquoi, ordonne ou défend un acte qui est dès lors qualifié selon l’un des cinq critères énoncés ci-dessus. La ‘illa fournit par conséquent la majeure partie d’un syllogisme dont la conclusion sera particulière. Par exemple à la question de savoir si l’usage de rhum est permis on procède de la façon suivante:

a)         On se réfère au Coran : V - 90

b)         L'usage de vin est classé hâram.

c)          Illa de cette défense? Le vin est interdit en tant que boisson fermentée et enivrante.

d)         Les boissons fermentées et enivrantes sont hâram. Or le rhum est une boisson fermentée etenivrante.

Donc le rhum est hâram.

 

La conclusion est donc obtenue par la subsomption d’un acte particulier au moyen de la mineure, sous la majeure qui elle-même subsume une espèce générale d’actes sous l’un des 5 types de qualification.

Notons que la détermination de la ‘illa ne vise pas à expliciter le pourquoi de l’interdit ou de l’ordre mais d’en déterminer l’objet, le contenu selon les textes révélés qui l’expriment.

Dès lors Ibn Rushd peut tirer la conclusion que si le syllogisme est d’un usage recommandé, alors la démonstration qui est le syllogisme parfait le sera d’autant plus (§4).

 

Dans son ouvrage «Le livre du salut», Avicenne définit la logique et distingue cinq classes de Syllogisme dont nous ne retiendrons que ceux nécessaires à notre propos, à savoir :

  • Le syllogisme sain ou démonstration qui établit des définitions saines ;
  • Le syllogisme admissible ou persuasif qui s’il est fort produit un assentiment similaire à la certitude et se nomme dialectique ;
  • Mais lorsqu’il est faible produit une opinion prévalente, c’est alors un syllogisme oratoire.

Ces trois types de syllogisme empruntés à la logique aristotélicienne!” seront mutatis mutandis adaptés à la scolastique musulmane et seront pour Ibn Rushd la clef de voûte de l’accord de la philosophie et de la religion.

On peut résumer leurs traits distinctifs de la façon suivante(§5) :

 

 

 

 

Syllogisme démonstratif

Principes ou propositions

Processus

Effet

Destinataire

1e de la rasion, évidents                                                                                                                                                                                                 

déduction d'une conclusion

certitude

science et philosophie

Syllogisme dialectique-éristique

probables mais acceptés de tous

démonstration approximative

conviction

discussion réfutation

Syllogisme oratoire (rhétorique)

adaptés à l'intelligence, passions, disposition

dialectique appliquée

persuation

masses ignorantes

 

c)          Réfutation des objections

Cela étant établi Tbn Rushd peut en toute légitimité poser l’analogie suivante : de même que le juriste recourt à des syllogismes pour établir des qualifications légales, de même le philosophe doit-il, pour examiner rationnellement les étants, comme le prescrit le Coran, user de syllogismes rationnels (§6). Ainsi le philosophe est-il à l’abri de l'accusation d'innovation blâmable qui, on le verra, sera imputée aux théologiens, tandis que le philosophe sera élevé au rang de défenseur de la Religion.

L'innovation blâmable ressort aux pires d’entre les choses car elle instaure une modification du dogme ou des prescriptions de la Révélation de sorte qu’elle rompt par ailleurs la sunna qui avec le Coran et les hadith est l’une des trois sources de la loi révélée. C’est pourquoi toute innovation est dangereuse tant d’un point de vue théologico-juridique que d’un point de vue social. Aussi Ibn Rushd prend-il la précaution de préciser que de même que le syllogisme rationnel n’existait pas à l’origine de l’Islam de sorte que son emploi ne se trouve pas directement justifié par la sunna, de même le syllogisme juridique naquit lui aussi plus tard sous la pression des circonstances.

d) Un projet universel

Par ailleurs la philosophie s’inscrit dans une tradition, celle de ses prédécesseurs grecs (§8) dont il faut tenir compte, puisqu'ils ont déjà abordé les questions métaphysiques que le Coran induit à son tour. Et il est intéressant de voir comment appliquant la conception de la sunna à la tradition philosophique Ibn Rushd développe une vision du progrès et de l’histoire, linéaire, continue, cumulative, universelle et par conséquent optimiste, ayant pour fondement un véritable dialogue avec tous les philosophes et savants qu’ils soient ou non de la même religion (§9). On est loin des littéralistes bornés et à la limite, hérétiques (§15), les Hachwiyya qui au nom du respect du Livre rejettent tout usage de la raison et sombrent de ce fait dans un anthropomorphisme idolâtre dont la philosophie préserve. Mais a contrario Ibn Rushd ne se fait pas l'idolâtre des philosophes grecs puisque leurs théories et méthodes ne seront retenues qu’à condition d’être compatibles avec la Révélation, et qu’eux-mêmes  témoignent de vertu morale, d’honorabilité légale (adala), et fassent preuve d’intelligence innée(§13) , c’est-à-dire d’une disposition naturelle à l’étude des sciences théorétiques (fitra).

La position qu’adopte l’auteur est, on le voit, difficile puisqu'il se situe dans un entre deux où trop ou pas assez de raison est tout aussi préjudiciable. C’est pourquoi il récuse la critique de ceux qui taxent la raison de véhicule de scepticisme voire d’athéisme (dans la mesure où refuser l’inexplicable et avoir besoin de preuves c’est déjà douter et défend l'usage de la raison au nom de la Révélation et pour celle-ci afin d’en préserver la pureté, et de chasser les doutes que précisément les interprétations multiples et contradictoires des théologiens instaurent. Vu sous cet angle Ibn Rushd procède à une défense de l’idjtihad (§13)  prenant en compte les données d’une histoire et d’une culture plurielle inscrite dans un contexte. Et peu importe, dit-il en termes quasiment Kantiens, si parfois l’homme trébuche et tombe cela n’invalide en rien la tentative et la nécessité de marcher, après quelques chutes il saura quoi faire.

Mais ce type d’objection faite à la philosophie, relève d’un emploi dialectique voire sophistiqué du qiyas basé sur une inversion des causes et des effets puisqu'on impute à la philosophie ce qui relève de la nature humaine. Ceci étant établi, Ibn Rushd va préparer le coeur de sa démonstration grâce à deux paragraphes de transition qui s’articulent sur les distinctions logiques effectuées précédemment (voir ci-dessus tableau n° 2).

Il affirme en effet, qu’ «il existe une hiérarchie des natures humaines pour ce qui est de l’assentiment (§16)», car chacun possède une nature spécifique qui le rend apte à saisir tel type d’argument plutôt que tel autre, bien que le but, c’est-à-dire la connaissance de Dieu, soit unique. On peut donc dire qu’Ibn Rushd élabore une anthropologie sur la base des aptitudes cognitives (et morales) des hommes. De la sorte, la Philosophie qui développe une argumentation démonstrative est requise pour induire l’assentiment de Certains esprits et par conséquent elle poursuit par ses méthodes le même but que les autres types d'arguments que l’on trouve dans le Coran. Par conséquent elle s’inscrit dans un système religieux global à visée universelle (cf SXVI-125). On aura du reste la confirmation de cette thèseau §14 où à propos de la même profession de foi trois niveaux de compréhension se révèlent opératoire sans que pour autant l’un prévale sur les autres quant à la qualité de la croyance.

On raconte en effet que le prophète demanda un jour à une esclave «Où est Dieu » Elle répondit «Au ciel» et le prophète l’affranchit. Elle s’en était tenue au sens obvie du texte. Un dialecticien y voyant un symbole limitatif, aurait répondu que Dieu est partout. Enfin un philosophe aurait dit que «Dieu n’est nulle part» car les deux autres cas de figure en le localisant en faisaient un être corporel.

Mais en tout cas un point commun rapproche ces réponses c'est que «Dieu est».

 

2. Deuxième partie : la solution rushdienne

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a) Thèse de l’auteur

Cette seconde partie commence par l’affirmation de la thèse à démontrer : «la vérité ne peut être contraire à la vérité» (§18) qu’il fonde sur le syllogisme suivant :

  • La Révélation est la vérité
  • Or la Révélation appelle à pratiquer l’examen rationnel
  • Donc cet examen ne peut contredire le Texte révélé.

En conséquence la vérité (démonstrative) ne peut être contraire à la vérité (révélée). Mais ne pourrait-on interpréter la thèse dans le sens contraire comme, nous le verrons, le laisse entendre Ibn Rushd puisque révélation et raison ne peuvent être contradictoires et qu’en ce cas le sens caché dévoilé par l’interprétation surmonte les contradictions du sens apparent} Bien sûr on peut rétorquer que la majeure est un postulat qu’il s’agit d'accepter comme une évidence et que dans ces conditions le syllogisme prend des allures tautologiques, mais Aristote apporte en l’occurrence sa caution à ce procédé faute duquel on est condamné à une regressio ad infinitum.

Nous venons d'introduire la distinction entre deux types de sens, l’un obvie, l’autre caché et la différence est essentielle car il s’agit de fixer les limites de l'interprétation. Tout texte est-il interprétable? (§22)Dans quelles mesures ?  Comment?  Par qui ?

Telles sont les questions qui vont être abordées.

b) Les conditions de l'interprétation

Dans la mesure où le Texte présente des versets équivoques la nécessité de l'interprétation s'impose, mais s’il y a désaccord entre les exégèses coranique et philosophique laquelle sera-t-elle fausse? Faudra-t-il sacrifier la foi ou la raison? Ni l’une, ni l’autre répond Ibn Rushd à condition d’une part de ne pas interpréter ce qui ne doit pas l’être lorsque le Texte énonce une Connaissance à  propos d’un étant et d’autre part de distinguer entre sens obvie (dhahir) et sens caché (bâthin) puisqu’en cas de contradiction entre le sens obvie et l'interprétation philosophique celui-là devra être interprété grâce au ta’wil : l'interprétation allégorique visant à l’accord de la vérité religieuse et philosophique .

Auxparagraphes 38 - 39 - 40, l’auteur s’explique longuement sur cette question et l’on peut dors et déjà visualiser le problème et les alternatives de la façon suivante:

 

 

 

 

 

   interpretation                                                                               sens obvie

versets univoques

-

+

versets univoques : people

 versets univoques : savant

-

+

                            +

                             -

 versets oscillant entre

 

                                  : univoque

                                   : équivoque

En ce cas

pour le savant

ex entre la modalité de la

vie future  

 

 

+vrais ----récompense

fausse ----0                         

 

 

 

 

 

 

Pour l’ignorant

-

 

 

Cela étant précisé, revenons aux modalités du ta’wil. Celui-ci consiste, au sens étymologique, en un retour à un état originel ce qui mutatis mutandis prend le sens d’un mode d'interprétation dépassant l’exégèse philologique. le Coran le préconise (XII 4-6 ; 43,45 : XVIII 70-82 : UT 5) pour interpréter les visions oniriques, les conduites énigmatiques, mais le réserve aux prophètes et selon Ibn Rushd aux philosophes en vertu de la sourate III 7 sur laquelle nous reviendrons.

Toutefois le ta’wil doit observer les conditions de la rhétorique de la langue arabe ou madjaz (§20). Celui-ci consiste dans l’emploi d’un mot dans un sens autre que son sens original. On distingue le madjaz verbal de type lexicographique et le madjaz mental qui repose sur l’art Ccynégétique puisqu'il s’agit de supputer quel est l’auteur réel d’une action, par exemple dans la phrase «le blé s’est bien vendu» l'identité du vendeur est à établir. Si Ibn Rushd prend de telles précautions c’est bien pour prévenir les interprétations qui s’aventureraient dans des lectures d’emblée erronées puisqu’incompatibles avec emploi correct de la langue.

Mais il n’en demeure pas moins qu'il tient là l’un des éléments du reste traditionnel de l’accord entre philosophie et religion toutes deux recourrant du reste au ta”wil ($ 28).

Ibn Rushd met donc ici en place une procédure exégétique visant à accorder le sens obvie du texte et celui obtenu par démonstration philosophique (§21) en vertu de trois paramètres: le cadre consensuel de la rhétorique arabe, la théologie, l'interprétation habituelle.

Fort de cela Ibn Rushd peut proclamer qu” «il n’est point d’énoncé de la Révélation dont le sens obvie soit en contradiction avec les résultats de la démonstration» (§22)  d’autant plus que les Ecritures fourniront toujours un énoncédont le sens obvie confirmera l'interprétation.

Ce faisant on remarquera que le dernier mot demeure au sens obvie c’est-à-dire à la Parole de Dieu. Mais alors pourquoi ces équivoques?

Comme on peut s’y attendre la réponse de l’auteur ne sera pas de type historico-culturel, mais d'ordre théologique. Il y voit en effet une volonté de Dieu fondée d’une part sur les aptitudes de chacun lesquelles induisent un type d’assentiment et représentation spécifiques dont il reprend la typologie, et visant d’autre part à signaler «aux hommes d’une science profonde» et à eux- seuls qu’il y a lieu de procéder à une interprétation. Afin de justifier ce propos Ibn Rushd réfère à la Sourate III 7, et il y revient à plusieurs reprises dans son ouvrage au §28;41; 57, c’est en dire toute l’importance. L’interprétation de cette sourate a fait couler beaucoup d’encre car selon le découpage qu’on en effectue le sens diffère du tout au tout.

Voici le verset dans la traduction de L. Gauthier :

«C’est lui qui nous a révélé le Livre, dont certains versets sont clairs et positifs et constituent la mére du Dire et d’autres sont ambigus… or nul n’en connaît l'interprétation (ta’wil) si ce n’est Dieu/et les hommes d’une science profonde// (ils)disent : Nous y croyons tout cela vient de notre Seigneur».

Or le membre de verset souligné peut varier selon qu’on le coupe après Dieu/ ou profonde //. Dans le premier cas aucun homme n’a accès à la connaissance du sens caché, dans l’autre oui et c’est bien sûr la solution que préconise Ibn Rushd. De la sorte il justifie l’herméneutique philosophique, respecte la tripartition des esprits, et indique qui est apte à interpréter. Un tableau élaboré visualise clairement le propos du §28.

 

 

Interpretation

Assentiment

Classe n°1

-

+(réthorique)

Classe n°2

+(dialetique probable)

+(dialectique)

Classe n°3

+(démonstrative certain)

+(demonstrative)

 

Néanmoins la question demeure de savoir quel sens du texte on doit retenir en cas de conflit et là Ibn Rushd se trouve confronté à la délicate question du poids de l’idjma à laquelle il va consacrer les §24 à 29.

L’idjma est la troisième et en pratique la plus importante des bases du droit religieux musulman (usul). C’est théoriquement l’accord unanime de la Umma sur une règle divine. Reste à savoir quiconstitue la idjma: l’opinion du peuple tout entier ou bien celle des théologiens, ou encore celle des compagnons du Prophète.

 Ibn Rushd ne se prononce pas sur la question mais du fait qu’il la réduise aux prescriptions d’ordre pratique (§25;26) , pour de multiples raisons, laisse supposer qu’il se ralliait à la position des mutazilites définissant l’idjma comme une déontologie s’adressant à la conviction du Croyant. En distinguant ainsi les questions d’ordre pratique et théorique et en invalidant l’idjma pour ces dernières d’une part Ibn Rushd revendique que les questions théoriques soient l’affaire de spécialistes d’autre part il rejette le poids de l’ idjma risquant de faire obstacle à toute recherche. Nonobstant il fragilise celle-ci ce qui ne peut manquer d’avoir de l’effet sur sa validité. Enfin il récuse l’accusation d’infidélité puisque d’un côté son propos concerne les questions théoriques, et d’un autre aucun consensus en matière théorique n'étant possible l'examen rationnel est toujours possible voire nécessaire. De la sorte son épistémologie inclut un principe tout à fait moderne celui d’incertitude qui veut qu'une théorie ne soit valide qu’à partir du moment où elle est falsifiable. Mais en même temps, et Descartes fera de même, il ne veut pas ébranler les fondements de la société et affirme par conséquent la validité de l’idjma en matière pratique.

c) L'impossibilité du consensus théorique: Trois problèmes métaphysiques

Afin d’étayer sa thèse quant à l’impossibilité d'établir un consensus en matière théorique, mais aussi de répondre à l’accusation contradictoire (puisqu'il n’y a pas de consensus sur ces questions) d’Al Ghazali à l’encontre des philosophes, accusation qu’il expose dans son Tahafut al Falasifa auquel répondra le Tahafut al Tahafut d’Ibn Rushd, celui-ci se réfère à trois problèmes métaphysiques qui ont tout à fait l’allure de ce que Kant taxera d’idées cosmologiques indécidables à savoir :

  • l'éternité ou l'adventicité du monde  (§29-30)
  • la connaissance que Dieu a ou non des particuliers  (§30/32)
  • la corpoité ou non de la résurrection et les modalités de la vie future (§34 à 42)

Dans le cadre qui nous est imparti il nous est impossible d’expliciter l’argumentation d’Ibn Rushd qu’il développe du reste dans la «Démonstration des dogmes religieux», précisons toutefois qu’à l'instar d’Aristote il prône l’éternité du monde (§31). Pour ce faire il distingue trois types d’être : selon qu’ils sont soumis à la génération, c’est-à-dire à l’engendrement dans le temps à partir d’un donné préexistant et par l’effet d’une cause, il s’agit des corps ; ou bien n’étant ni engendré puisque rien ne lui préexiste, ni causé puisque rien ne le fait être, il s’agit de l’ Agent de tout, appréhendable Seulement par la démonstration, à l'exclusion de la sensation : enfin reste un être intermédiaire qui ignore la génération puisqu’étant tout il ne peut être tiré de quelque chose de sorte qu'il est par conséquent éternel, tout en étant cependant causé par l'effet de la volonté divine et c’est le monde.

Aussi selon que l’on choisit d’insister sur la génération ou sur la causation, on dira que le monde estprééternel ou bien adventice.

Or dans tous les cas de figure, comme le démontrera plus tard Kant on a affaire à de l’indécidable car chaque thèse révèle les insuffisances de l’autre. De ce fait AI Ghazali ne peut taxer d’infidélité ceux qui soutiennent la thèse péripatéticienne car la sienne, comme la leur, repose sur un choix quant à l’origine du monde, engendré ou causé. Mais il n’en demeure pas moins que la thèse adoptée par Ibn Rushd lui permet d’éviter la difficile question du commencement et la tentation anthropomorphique qui verrait le geste créateur divin à l’image de celui de l’homme. Enfin dans la mesure où il adopte le postulat aristotélicien du changement signe d’imperfection alors il récuse la thèse d’un commencement du temps et donc du monde puisque le temps étant le nombre du mouvement et que seuls les corps sont en mouvement il faudrait donc admettre que Dieu fut non créateur puis créateur, ce qui d’une part induirait une imperfection en Lui puisque tout mouvement dénote un manque à combler, et d’autre part impliquerait qu’une autre cause que Lui-même l’ait mis en mouvement, or la perfection, comme nous l’avons dit, est absence de celui-ci. Donc Dieu ne pouvant de par sa perfection même changer il est nécessairement créateur de toute éternité et le monde est éternel bien qu’il soit causé par Dieu dont l’antériorité n’est pas temporelle mais causale. L’image suivante illustrera le propos : si je meus un objet avec ma main, celle-ci et l’objet avancent ensemble, donc il y a coïncidence dans le temps, mais cependant ma main est cause du mouvement de l’objet." Cependant on peut objecter à l’auteur que s’il y a du préexistant cela fait de Dieu non pas son créateur mais un démiurge sur le modèle platonicien.

Quoiqu'il en soit si l’on se reporte au Texte révélé les théologiens «sur le monde ne sont pas conformes au sens obvie»(§33) , comme le confirment les sourates XI 7, XIV 48, XLI 11. On arrive donc au paradoxe suivant: la philosophie comprend et défend mieux le Coran que les théologiens ! Mieux vaut donc une thèse philosophique en accord avec le sens obvie qu’une interprétation théologique en désaccord, l’essentiel étant la véracité et la cohérence du texte.

En ce qui concerne la connaissance des particuliers(§29) il taxe en filigrane les propos d’AI Ghazali d’anthropomorphes puisqu'il conçoit la science divine sur le modèle de celle de l’homme, or celle-ci est discursive et muable, ponctuelle, diverse puisqu'elle tient aux objets qu’elle étudie, on ne peut donc concevoir qu’il en soit de même pour Dieu qui dépendrait dès lors des objets. Aussi le problème est-il mal posé et là encore la théorie aristotélicienne va se trouver plus conforme aux dogmes que les interprétations des théologiens. En effet dans son «Commentaire de la métaphysique», Ibn Rushd écrit que Dieu «en tant qu’Il ne connaît que lui-même, connaît les étants par son être qui est la cause de leur être». Connaïssant donc son Etre Il connaît ipso facto les étants en tant qu’ils sont puisqu'il est cause de l’être.

Dieu n’a donc pas une science des étants comme d'objets extérieurs à lui quant à leur être, au contraire sa science est prééternelle et non pas adventice comme celle des hommes puisque pour Lui

d)         De la responsabilité du Philosophe

Il n’en demeure pas moins, et la question a déjà été soulevée, que la démonstration philosophiquepeut être erronée, le philosophe en est-il pour autant un infidèle coupable d’innovation blâmable ?

Non pas, et cette précision va permettre à Ibn Rushd d’élaborer une typologie de l'interprétation qu’il reprendra et dont voici la visualisation.

 

Premise

Conclusion

interprétation

Syllogismes

Probables

Certaines

Sens propre

S. symbolique

 

 

1

+

Accidentellement

+

+

 

-conclusion

-premisses

2

+

Accidentellement

+

 

+

+conclusion

-premisses

3

+

Non Accidentellement

+

+

 

+premisses

-conclusion

4

+

Non Accidentellement

+

 

+

+élite+p

-foule+c

 

Et l’auteur de conclure «d'obligation de l’élite devant tels areguments est de procéder à cette interprétation: l'obligation de la foule de leur attribuer leur sens obvie.. Car la nature de ces gens ne les dispose pas à davantage» (§53)

Ce principe est confirmé par la sourate II 286 qui met ainsi Dieu à l’abri de toute accusation d’injustice.

Par contre il est du devoir du savant d’exercer ses talents et de participer au maintien de l’idjtihad au sens juridique du terme c’est-à-dire comme effort individuel d'interprétation de la Loi à partir de ses sources. Par conséquent philosophie et religion regardent dans le même sens, la connaissance de la Loi et doivent se prêter mutuellement et naturellement appui. On suppute ce faisant qu’Ibn Rushd devait voir dans cet antagonisme un faux problème obéissant à des enjeux d'ordre politique.

 

Pour en revenir à la question de la responsabilité du savant Ibn Rushd procède à une analogie:  « Dieu n’impose à chaque homme que ce qu'il peut porter ».  (§36)

 

 

ERREUR

JUGE SAVANT/SAVANT

JUGE IGNORANT/PHILOSOPHE IGNORANT/IGNORANT

Pratique

 

Pardonable

 

condamnable

 

 

Théorique

 

Pardonnable

 

Pêcheur/ Infidèle

-          impiété

-          innovation blamable

 

 

         

 

  

L'infidélité touche aux dogmes fondamentaux de l’Islam, à savoir l’existence de Dieu, les prophéties, les tourments dans l’au-delà, or les nier est inexcusable,(§37)  puisque grâce à ses divers types d’arguments le Coran est à même de convaincre tout homme.

Du reste des hadith confirment cette lecture. «Qu’un juge produise un effet de Jugement personnel et tombe juste, il sera doublement récompensé, qu’il se trompe il aura une récompense simple».

Par contre si le sens obvie est absolument évident alors tenter de l’interpréter, c’est-à-dire d’y voir le symbole d’un sens caché sera un acte impie. Enfin la responsabilité du sage s'étend plus loin encore | car il ne lui suffit pas d’obéir au devoir d’interprétation mais encore faut-il qu’il en use à bon escient. C’est pourquoi l’accusation d’infidélité en cas d’interprétation indue a pour corollaire l'interdiction de divulguer aux ignorants un sens caché qu’ils ne comprendraient pas. «Or celui qui invite à l’infidélité est infidèle». Il se comporte même comme un oppresseur pour les musulmans(§66) . Dès lors on aura compris que les accusations de scepticisme et d’athéisme dirigées contre l’usage de la démonstration rationnelle en matière d’herméneutique se trompent de cible car ce sont ceux qui divulguent ces interprétations à des ignorants qui sont responsables de ces effets. Ibn Rushd quant à lui préconise même une politique coercitive d'interdiction de diffusion pour préserver tout à la fois la philosophie et le peuple des croyants(§46,56) . C'est pourquoi l’auteur, en tant que Kadi, promulgue sa réponse sous la forme d’une fatwa afin d’éloigner le danger social(§66)  que représenterait un scepticisme généralisé en matière de Loi, car n’oublions pas que le Droit fondé sur la Loi coranique organise la cité. Aussi douter de la Loi est non seulement un acte d’impiété qui met le fidèle en danger de mort spirituelle mais aussi un acte de rébellion contre l’ordre social.

  1. Troisième partie : La finalité de la Révélation

Ibn Rushd dans la troisième partie de son ouvrage insiste sur l’usage et la finalité de l’interprétation dont il faut user avec les mêmes précautions que le médecin use de ses medications(§61). Et de même que des médicaments utilisés par un ignorant ou à mauvais escient peuvent provoquer la mort, de même la connaissance du Livre peut soit mener à la piété révérencieuse soit au pire mal: le doute quant à la parole divine. Dans ces derniers paragraphes, qui pour la plupart reprennent, développent ou synthétisent les résultats acquis, Ibn Rushd multiplie les métaphores médicales(§59-60-61-62) afin de souligner le caractère thérapeutique du Coran non seulement quant aux effets qu’il exerce sur l’âme, mais aussi de façon très pragmatique sur les soins corporels. En quoi on remarque que l’Islam, comme le judaïsme du reste, est avant tout une loi visant «à enseigner la science vraie et la pratique vraie» (§49) plutôt qu’une métaphysique. C’est en effet grâce à l’observance des actes stipulés par le Livre à savoir les actes extérieurs et corporels d’une part et les actes psychiques d’autre part que le fidèle assurera sa beatitude(§50), à condition toutefois de ne pas se livrer à des interprétations intempestives du texte et que l’on interdise aux théologiens de divulguer des théories non seulement dangereuses mais aussi fausses qui sont à l’origine de violences et de dissidences sectaires.

Aussi faut-il exclusivement se reporter au texte et au texte seul qui indique par quelles voies et disciplines adaptées à chacun on peut connaître Dieu et assurer son salut (§67) . Ainsi que nous le disions au début Ibn Rushd fait office de réformateur face à la théologie et même de protestant puisqu’au nom de la pureté et de la véracité du texte il procède à l'éradication des dissidences qui substituent au respect du Texte (§68)  des intérêts d’ordre personnel ou du moins une volonté de puissance dogmatique. Face à cela Ibn Rushd répond par l’idjtihad ; l’étude du Texte qui indique lui-même les méthodes à suivre (§7); le respect des capacités de chacun ; la sélection des interprétants ; la limitation de la diffusion.

A ces conditions le dessein de Dieu, à savoir «assurer la félicité humaine» sera observé et la convergence de la philosophie et de la religion établie dans les termes d’une essentielle parenté permettant de considérer que «la philosophie est la compagne de la Révélation et sa soeur de lait»(§72)  

Envoi

 

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Alors que le titre de l’ouvrage d’Ibn Rushd tel que l’a traduit L. Gauthier par «accord» aurait pu nous faire croire que son auteur voulait opérer une réconciliation entre la philosophie et la religion comme si celles-ci étaient antagonistes, chacune s’accordant une véracité dont l’autre serait dépourvue, bien au contraire tout l’ouvrage nous a prouvé qu’il n’y avait pas deux vérités à concilier mais une finalité réalisée par diverses voies selon les publics concernés. Par conséquent l’universalité et la véracité du projet divin rassemble philosophie et religion pour en faire les voies d’accès à la connaissance et à la pratique vraies. La question de la conciliation s’avère donc un faux problème bâti sur une scission fictive et perpétuée par la confusion entre scolastique chrétienne et musulmane. Qu’a démontré Ibn Rushd?

1)         L’essence même de l’Islam contenu dans le Coran est de nature oecuménique puisque tous les esprits et tous les hommes sont interpellés en fonction de leur qualités mentales et grâce à des méthodes et arguments explicités dans le Livre. |

2)         Dans la mesure où la philosophie use de méthodes logiques similaires à celles des juristes elle ne contredit pas la Révélation et ne peut être accusée d’innovation blâmable.

3)         Bien plus la philosophie péripatéticienne que promeut l’auteur s’avère un meilleur vecteur de compréhension des dogmes que les théories des théologiens.

4)         Elle n’instaure pas, contrairement à eux, de sectes, puisque seuls les esprits aptes ont le droit d'interpréter, et elle ne diffuse pas ses interprétations. Cependant elle n’en fait pas un savoir ésotérique réservé à une élite au contraire elle appelle à un travail collectif.

De la sorte, Ibn Rushd établit :

1) Que la philosophie contribue selon sa spécificité à la connaissance de la Révélation.

2) Qu'elle travaille à la paix sociale en préservant le peuple des théologiens et en limitant l’activité de ceux-ci.

3) Qu'elle s’accorde avec la foi profonde du peuple puisqu’elle ne contredit pas celle-ci et qu’elle lutte pour lui contre les théologiens.

4) Que la philosophie ne peut vivre et faire vivre une foi dynamique qu’à condition de s'exercer librement et de façon plurielle, ce que la religion doit elle aussi pratiquer.

Entre un conformisme juridique imitatif imposé par les malékites qui est.une perversion du droit et une éristique théologique, fait des ascharites pervertissant le Kalam, Ibn Rushd propose une voie moyenne.

Or la question sur laquelle nous voudrions ouvrir notre propos est celle de l’actualité de cette démarche.

À notre époque qui est celle de la distinction, voire du fossé grandissant entre la foi et la raison, ce qui est un effet pervers d’une laïcité mal comprise, on voit se développer des attitudes inquiétantes partagées entre des intégrismes rejetant avec horreur les effets d’une modernité agnostique qui les inquiète, et un rationalisme étriqué et déssechant réduisant l’homme à l’onidimensionalité d’un cobaye observable en laboratoire tandis que toute manifestation d’ordre spirituel passe pour superstition.

Or l'Islam n’a-t-il pas déjà vécu un phénomène similaire avec l'introduction de la pensée grecque dans son univers? N’a-t-il pas été confronté à une césure irrémédiable lorsqu’à la révélation coranique comme unique Ste de vérité vint s’adjoindre la lumière hellène? N'’a-t-il pas aussi connu des comportements de rejet intransigeant comme ceux des hachwiyya, ou au contraire des attitudes conciliatrices comme justement celle d’Ibn Rushd acceptant tout type de savoir pourvu qu’il mène à Dieu parce qu’après tout comme l’affirmait Aristote «d’Etre se dit de multiples façons ?». Notre époque ne vit-elle pas un phénomène similaire et dans cette mesure la solution proposée par Ibn Rushd n’est-elle pas à méditer ?

Aux uns il dit que les vérités de la foi s’éprouvent mais se prouvent aussi et aux autres que ces faits ne sont ni arbitraires, ni fortuits mais qu’il s’agit de signes à intelliger.

Sans raison la foi est aveugle et sans celle-ci la raison est vide.

Une même vérité se dévoile de façon obvie ou cachée mais nul n’en est exclu. Dés lors Ibn Rushd nous invite, que nous soyons ou non musulmans, croyants ou non, à une recherche collective et pluraliste de la vérité afin de contribuer au développement tout à la fois intellectuel et éthique de l’homme, et c’est en quoi Ibn Rushd fait partie de l’héritage de l'humanité.

Croyant, Ibn Rushd le füt, philosophe aussi, vivant cette paix de l’être accessible dès lors qu’on comprend qu’une voie unique ne peut mener qu’au sectarisme et à la violence (c’est ainsi que les religions sécrètent leurs propres ennemis) tandis qu’une philosophie libre, multiple et plurielle fondant un rationalisme ouvert à toutes les dimensions de l’être est le meilleur défenseur de la religion.

Quant à nous «Il est temps de nous souvenir qu’Islam et Raison ne sont pas incompatibles et de renouer avec l’une en renouant avec l’autre»'

 

ANASTASIA CHOPPLET

Philosophe et conférencière

 

 

BIBLIOGRAPHIE

ARNALDEZ

« La pensée religieuse d'Averrocs » 1) La doctrine de la creation dans Ie Tahafut. Sltidia Islantica 1957 n° VII , 2)« La théorie de Dieu dans Ie Tahafut » ibd VIII ; 3) « L ’immortalité de l’Sme dans le Tahafut » ibd X 1959.

 

 AVERROES

 Discours décisif. G.F. Paris 1996.

 

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 T I ; T II - Traduction de D. Masson. Folio. 1967.

 

H CORBIN

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CATH. DAVID & J-PH. DE TONNAC        L 'Occident en quéte de sens. Maisonneuve et Larose. Paris 1996. 

 

ENCYCLOPEDIE   PHILOSOPHIQUE UNIVERSELLE     Les Notions philosophiques. T I. T II. PUF. 1990. 

 

ENCYCLOPEDIE DE L'ISLAM    Pour le detail des articles voir le Glossaire. New York 1993  Paris 1996.

 

N. FAROUKI            La loi et la raison. Flammarion. Paris 1996.

 

C. FERJANI Les Voies de l'Islam. Histoire des religions. CERF CRDP. Besançon 1996.

 

 L. GARDET Le Problème de la Philosophie musulmaneEtude de philosophie médiévale. Mélanges offerts a E. Gilson. 1959.

 

L. GAUTHIER           La pensée musulmane. Alger 1957.

« Scolastique musulmane et scolastique chrétienne ». Revue d'histoire de la philosophie Juillet/Sept , Oct/Déc. 1928,

Ibn Rushd. Les Grands philosophes. Paris 1948. La Théorie d’Ibn Rochd sur les rapports de la religion et de la philosophie

Paris 1909.

 

A. EL GHANNOUCHI La démonstration des dogmes religieux selon Averroes. These 3e Cycle. Paris. 1966-67.

 

M.R. HAYOUN  Averroes et 1’Averroisme. Que sais-je ? Paris 1991.

 

G QUADRI La philosophie arabe Payot. Paris 1960.

 

A. DE LIBERA  Penser au moyen âge. Seuil. Paris 1991 .

 

 

Réseau Internet

Enfin signalons quelques references fournies grace au réseau Internet Encyclopedia Britannica. 1995. Ibn Rushd (6 pages).

Macquarie University. Islamic political philosophy : Al Farabi, Avicenna, Averroes (Pol. 167).

-           Tape 8 : Averrocs. The incoherence. Thirteenth discussion. (Phi-232 Medieval philosophy).

-            Tape 7 : Al Ghazali and Averrocs.

The Third Nordic Conference. Finland 19-22 june 1995. La vision de la culture venant des grecs chez quelques théologiens et philosophes de l’islam àl'âge classique. A. Elamrani Jamal.

Jacques Maritain Center : GC 2.60 , 2.69.

Center for the study of democratic Institutions 1993 : Islam and scientific fundamentalism ; Progress of faith, retreat of reason  By Ances, Munawar Ahmad.

 

 

GLOSSAIRE

Notions Philosophiques

T I p 141               AQL : intellect = noûs. Intellect agent des aristotéliciens

                               Ange de la Révélation.

                               « Connais-toi tu connaîtras, ton créateur ».

                               Intellect en puissance ou matériel : capable de devenir toute chose – en puissance à                  l’égard de toutes les formes

                               Intellect actif : capable de produire toute chose : Forme séparée – Dieu agent

                               Intellect caractérisant l’exercice de la pensée : Intellige les formes séparées mais                         rapport à la matière puisqu’incarné en un corps.

 

                               Intellect acquis : stade d’intellection des formes déjà abstraites de la matière dans                      l’intellect en acte, déjà intelligibles en puissance dans l’intellect potentiel.

 

                               Intellect Agent : ext. A l’âme humaine.

                               Pour Averroes : unicité de l’intellect pour toute l’espèce humaine et éternité.                                               Conception unitaire du genre humain.

T I                           AL ASH’ARI : Fondateur de l’Ecole de Théologie orthodoxe portant son nom.                                  Principaux ponts d’opposition avec les Mu’Tazilites.

                               1) Dieu doué d’attributs éternels : connaissance vue, parole. Au contraire pour                                                  Mutazilites, Dieu n’a pas d’attributs distincts de son essence.

                               2) Les expressions kuraniques : mains, visage de Dieu attributs réels de Dieu sans être                                  pour autant corporels.

                                   Au contraire, Ash’ari les interprète dans le sens de « grâce » ou « essence ».

                               3) Kur’an : parole de Dieu attribut, éternel, incrée

                                   ≠ Le kur’an est crée.

                               4) Vision possible de Dieu dans le monde futur

                                   ≠ Dieu ne peut être vu ce qui impliquerait qu’il soit corporel et limité.

                               5) Omniprésence de Dieu, qui veut toute chose bonne ou mauvaise et crée les                                                 actions des hommes en créant chez lui la possibilité de faire chaque acte.                                            ≠ Réalité du choix dans les actes humains

 

                               6) Tout musulman pêcheur demeure musulman mais sera puni en enfer.

                                     ≠ Le coupable n’est ni croyant, ni incroyant.

 

                               7) Réalité des divers traits eschatologiques, le Bassin, le Pont, la Balance et                                           l’intercession de Mohamed.

                                    ≠ Niés et interprétés rationnellement par les Mutazilites.

 

                               Kalam ou argument rationnel appliqué à la défense de la doctrine orthodoxe par                          Ashari.

T I (Paris)             BATIN : Intérieur, ésotérique ≠                 Zahir, extérieur

T I (N-Y)               BATINIYYA : Nom donné aux Isma’éliens et shi’ites au Moyen-âge, à cause de l’accent                              mis par le bâtin, sens caché, interne, derrière le sens littéral. Le bâtin représente un                           monde ésotérique de réalités spirituelles cachées // à la réalité (zâhir).

                               Fonction de l’écriture : attirer l’attention sur le monde caché tout en le voilant de                        symboles.

                               Division de l’humanité en khass, élite appartient à la secte sous l’obédience de                                             l’imam représentant Ali, connaissant le bâtin et ‘âmm, masse ignorante.

                               La tâche du ta’wil était de remplacer ce qui semblait une naïve interprétation du                          Kuran par un système intellectuel sophistiqué s’originant dans une cosmologie                                         d’inspiration néo-platonicienne ; une eschatologie de type cyclique.

 

T II                         DALIL (sémeion) : signe ou indication, preuve par la déduction d’une cause à partir de Terme général            de son effet, de l’universel à partir du particulier.

Pour signifier :             ≠ syllogisme déductif.

Preuve                     Cf Aristote : dernier chap. des 1e Analytiques. Nomme ce syllogisme Enthymème (une                              des prémisses est sous-entendue kiyâs îdjazi).  Pour les philosophes arabes une                           déduction se fait toujours d’une cause à prtir de son effet, c’est-à-dire à partir d’un                       signe.  

                               En outre les philosophes arabes distinguent, comme A dans les 2e Analy. La preuve                    qu’une chose est, de la preuve pourquoi elle est (cause, raison). 

                               Preuve pourquoi une chose est : part. de l’univers la cause : déduction effet                                  particulier.

                               Raisonnement par analogie (kiyas) d’inspiration hypothétique (empruntés aux                                             stoïciens) utilisé par les Mu’tazilites, théologiens rationalistes de l’Islam, pour                                                critiquer les traditions.

                               Raisonnement basé sur les signes, les exemples, base de la jurisprudence.

                               Al Ghazali insiste sur son usage en droit ainsi que les Ash’arites, nominalistes comme                 les stoïciens, et niant l’existence des formes et causes formelles fondent leur                                           argument sur le raisonnement par analogie.

 

                               ENTHYMENE : syllogisme à premisses probables, ou formé sur des signes (mantiq).

                               Le signe peut occuper 3 positions différentes :

                                               Soit moyen (lait, signe d’enfantement) → 1er figure

                                               Soit extrême → 2e et 3e figure : Conclusions réfutables.

 

                               La conclusion de la 1re figure, irréfutable est appelée dalil par les philosophes (IR). Le                  dalil indique de quoi il est signe, mais non la cause de la conclusion.

                               Ex : Avoir du lait est signe de l’enfantement mais non sa cause.

                               Procède d’un raisonnement qui fait connaître ce qui est antérieur dans l’ordre de                        l’être par ce qui est postérieur.

                               Pour IR le dalil est l’outil privilégié de la démonstration en physique et métaphysique,                               car permet d’aller des choses les plus claires pour nous, aux plus claires en soi ; ou                              des postérieures aux antérieures. Permet d’arriver aux principes 1ers.

                               Ex ; Démonstration d’une substance séparée à partir du mouvement.

 

 

T I p 950               FALSAFA (philosophie) : s’inscrit dans l’univers intellectuel spécifique où domine                          l’exégèse théologique (kalam). Ennemis des théologiens. (Citation p 951 – Av.) 

                               « O hommes ! Je ne dis pas que cette science que vous nommez science divine soit                    fausse, mais je dis que moi je suis sachant de science humaine ».

 

                               Falsification = falsifiable = vérifiable.

                               Critère de démarcation entre la science et la métaphysique. Une théorie est                                  falsifiable si elle est réfutable empiriquement. Si elle implique la négation d’au moins                         un énoncé d’observation possible.

 

T I p 1112             HALQ : Création.

                               Adventicité ou éternité du monde.

                               Le temps est le nombre du mouvement, il n’y a pas de mouvement sans mobile donc                               pas de temps avant la création.

                               D’où doctrine de la création ab aeterno, le monde ne peut exister per se, il requiert                   une cause éternelle, de sorte qu’il est en tant qu’effet lui aussi éternel en vertu du                          principe ; une cause efficiente coexiste avec son effet. (Sans son effet la cause ne                      peut s’attester efficiente).

                               Averroes a entrevu les antinomies kantiennes.

 

T I p 1143             HIKMA (sagesse)

(Sophia)              A l’origine d’inspiration divine.

                               Assimilation par le philosophe d’autant que dans le Coran l’hikma engage la                                    reconnaissance de la Raison divine dans la création pour lui donner le contenu                                              rigoureux de la science.          

                               Hikma : spéculation sur es choses selon l’exigence naturelle de la démonstration ≠                      sagesse trompeuse (ikma mumawwaha) ou sophistique.

                               Selon les philosophes, s’étend au corpus des sciences grecques (phy-math-métaphys)                             + éthique, politique = sagesse pratique.

                               Pour Averroes la sagesse est propre à la connaissance par les causes finales, id est la                  métaphysique (recherche des causes formelles et finales).

                               Horizon de la hikma : étude d’un ordre universel finalisé à la Loi révélée, par les                            philosophes et invitant à reconnaître la Raison divine dans la Création. Atteindre par                  les seules ressources humaines, la connaissance des principes séparés de l’univers :                           l’Un et ses attributs, Dieu et les intelligences célestes : stade ultime de la sagesse                      induisant la théologie naturelle.

                               D’où problème conciliation hikma/sharia (Loi révélée)

                               Problème que reprend IR

                               La hikma est proposée par le Coran même comme moyen, grâce à la démonstration,                 d’accéder à la compréhension de l’œuvre de Dieu.

                               Pour Averroes une sagesse humaine relevant du seul effort intellectuel de l’homme                  est possible et demeure autonome sans s’opposer à la sagesse divine.

 

T I p 1223             ILLA : Cause

                               Renvoie à la conception aristotélicienne de la causalité.

                               Cause 1ère « Créatrice, agissante, donnant la perfection,  n’est pas en mouvement ».

                               Chez les théologiens tout vient de Dieu. Il n’y a aucune nature dans le monde.

 

                                IDJMA

                               Base du droit religieux musulman. Accord unanime de la Umma sur une règle (hukm)                imposée par Dieu. Techniquement c’est la doctrine de l’opinion des théologiens                     reconnus d’une époque.

                               Validité attesté par le Coran : « Ma communauté ne se réunira pas sur une erreur ».

                               Elle permet de pallier à l’interruption de la Révélation à la mort du Prophète.

 

                               IDJTIHAD

                               Fait de se donner de la peine. Usage du raisonnement individuel ; utilisation de la                        méthode du raisonnement analogique (kiyas) ; l’idjtihad de tout peuple aboutit à                   l’accord et s’affirme comme infaillible. L’idjtihad personnel est admis mais comme                      faillible.

 

T I p 1416             KALAM (théologie) scolastique de l’islam

                               Ethymo : Parole-énoncé-discours.

                               S’est développé à partir des théories asharites comme discipline autonome.

                               Origine : nécessité d’expliquer rationnellement des passages du texte ; nécessité d’en                             rendre compte ; défense contre les tentatives de réfutation venant des théologies et                              croyances rencontrées au cours de son expansion, au moyen des outils argumentatifs                     de ses adversaires.

                               Problèmes différents de ceux qu’avait affrontés l’Islam à ses débuts contre le                                               polythéïsme.

                               Défi relevé au Xe s. grâce à l’élaboration d’un appareil conceptuel sophistique                                               emprunté aux philosophes, théologiens, herméneutes, schémas dialectiques ignorés                               des arabes.

                               D’où   conceptions systématiques et argumentées sur des questions philosophiques :                               origine – durée de l’univers ; questions éthiques : mal ; questions théologiques :                         nature de la divinité et attributs.

                               Spéculations théologiques prenant la figure d’une construction rationnelle.

                               - Les nécessités de la lutte idéologique ont amené les théologiens à connaître les                         théories et méthodes de leurs rivaux et à en user.

                               -Luttes politiques dans la Umma.

                               - Contexte politico-idéologique de naissance du Kalam

                                Sollicitation du dehors nécessitant de proposer des réponses islamiques aux autres                    modèles interprétatifs de l’univers ; et du dedans par les problèmes politiques et                           éthique de  la Umma. D’ù tâche encore actuelle de proposer aux musulmans un                             cadre de pensée à l’intérieur duquel ils puissent comprendre la complexité du monde                             nouveau.

 

                               MADJAZ 

                               Terme de rhétorique désignant un trope et généralement l’emploi d’un mot dans un                                sens ne correspondant pas à la signification originale.

                               Il y a 5 catégories de Madjaz s’organisant en 2 rubriques : madjaz mental/verbal. Se                    présente sous forme de métaphore et de métonymie.

                               Employé en exégèse coranique en vue d’une interprétation philologique correcte et                 en vue d’éliminer tout anthropomorphisme.

 

T II p 1576           MAWGUD : étant

                               Existant qui peut être en puissance ou en acte.

                               « Peut se dire selon 3 significations : selon toutes les catégories, selon ce dont on dit                  qu’il est vrai et selon ce qui est séparé par une essence hors de l’âme, qu’il soit                            représenté ou non. En ce cas peut être en acte ou non (en puissance) ».

 

T II p 1768           MU’TAZILISME (VIIIe s.)

                               Courant théologico-philosophique, le plus rationaliste de l’Islam.

                               Fondateur : Wasil.

 

                               5 thèses :

                                               - absolu unicité de Dieu Refus de tout attribut.

                                               - liberté de choix de l’homme.

                                               - éternité eu séjour en Enfer pour quiconque y est.

                                               - statut intermédiaire (ni croyant, ni incroyant) de celui qui ne s’est pas                                              amendé d’une faute grave

                                               - devoir pour chaque croyant d’ordonner le bien et d’interdire le mal (y                                              compris djihad).

 

                               Ces thèses sont à considérer dans le cadre d’une idéologie politique combattue, celle                               des Umayyades.

 

                               Ex : Attributs divins : parmi ceux-ci omniscience : donc Dieu sait de toute éternité que                                      les Umayyades doivent régner.

                               Ex : Activité continue de Dieu qui sait que les hommes sont des marionnettes devant                                       se soumettre aux décrets de Dieu via les Umayyades.

                               Si l’homme est libre, il est possible de fonder une morale politique, de s’opposer au                   pouvoir et de juger les actes de tout-à-chacun, autrement si l’home est irresponsable                            alors tout jugement est inutile et les versets juridiques aussi.

                               De même l’eschatologie n’a plus de sens avec ses promesses et récompenses si                          l’homme n’est pas responsable de ses actions. Enfin si l’homme est libre, alors Dieu                   n’est pas responsable du mal.

                               Ex : Si la faute est grave, statut mixte. Ni croyant car autrement violation de                                           l’obligation du respect des lois de l’Islam pour vivre en société. Ni incroyant, alors                                      djihad permanent dans la société.

 

T II p 1634           MILLA ou din : religion

 

P 1774                  NUBUWWA : prophétie

                               Support de la révélation du Livre. Elle est toujours associée au Livre dans le Coran

                               (Cf. S. III 73).

 

                               Elle se caractérise par :

                                               - une puissance imaginative vigoureuse qui permet de traduire en images et                                     symboles ce que l’âme du prophète saisit de l’intellect.

                                               - noblesse d’âme et force.

                                               - lucidité intellectuelle et intuition forte.

 

                               Pour Averroes, la prophétie est de même essence que la vision imaginative dans le                    songe vrai. Limitée à la connaissance des futurs contingents. Averroes distingue                   connaissance spéculative, science démonstrative et connaissance des futures par le                         songe. Mais dans les deux cas c’est le même intellect en acte qui fournit principes                      universels et connaissance des futurs.

 

 T II p 2134           QIYAS : Syllogisme : analogie

                               Etymologiquement = mesure, mesurer, c’est-à-dire faire correspondre une chose à                   une autre.

                               Qiyas : correspondance et analogie entre deux choses qui se ressemblent.

 

                               1) Chez les juristes : inférence par analogie. Renvoie d’un cas d’application (far’) dont                                    le statut légal n’est explicite ni dans le coran ni dans la Sunna à un autre cas déjà                                    défini, cas de base (asl), au moyen d’un lien commun (illa).

                                   Idem chez le grammarien régularisant des faits linguistiques en fonction d’un                                 modèle définitif.

 

                               2) Dans l’argumentation théologico-dialectique : 2 objets, ayant des traits communs.                       Le jugement de l’un, connu, peut s’appliquer à l’autre inconnu.

 

                               3) Chez les philosophes : s’applique au syllogisme.

                                    Syllogisme :

                                               - 2 prémisses incluant un sujet et un prédicat.

                                               - moyen terme prédicat de la mineure

                                               - moyen terme sujet de la majeure

                                     Syllogisme en deux catégories :

                                                  Simple                                                                                             composé

                                     - syllogisme catégorique                                                constitué de X syll.

                                     = 4 modes ; 17 figures                                            de 2 prémisses → conclusion

                                     - syllogisme hypothétique                                              prémisse → conclusion

                                    Conjonctif  disjonctif → origine : Théophraste          prémisse → conclusion

                                                                                          Les Stoïciens

                                     - syllogisme par l’absurde

                                      

                                        1 seul démonstratif et apodictique → Barbara.

 

T II p 2301           SARI’A : Loi révélée

                               Sar’ : Chemin à suivre (S. XLV – 18)

                               Pour les philosophes la Sar’ est un concept éthique et politique → gouvernement des                               cités nécessaires pour la subsistance de l’espèce humaine éternelle // nomos en grec.

                               La Sar’ est le second domaine de la milla.

                               Le Kalam est le premier domaine de la milla.

                               Les principes de la Sar’ sont hors de doute. Elle est la science pratique législative. Les                  arts politiques nécessaires conditionnent l’acquisition de la sagesse spéculative (sc.                   théoritiques).

                               L’acquisition des vertus et de la sagesse, pratiques conformes à la loi révélée, est                        préalable et indispensable à l’acquisition des sciences spéculatives.

 

T II p 2303           SARMAD : éternité – ante (azal-qidam) et post (abad)

                               Eternité ab ante, c’est-à-dire :

                                               → ce qui n’a pas été, non être/qui n’a pas besoin d’un autre pour subsister.

                                               → n’a pas de cause de son existence (puisque tout objet causé a été néant                                         avant d’être).

                                               → dure à jamais.

                               Eternité post : continuation de l’existence durant des temps déterminés infinis du                      côté de l’avenir ; (azal) continuation……………….du passé.

 

                               Abad : durée dont on ne peut imaginer la fin par la pensée.

                               Azali : ce qui n’a pas été précédé par le néant.

 

                               Ce qui existe se divise en 3 parties :

                                               - ce qui est éternel, ab ante et post : Dieu

                                               - ce qui n’est pas éternel, ab ante et post : Monde

                                               - ce qui est post, et non ab ante : vie future

 

T II p 2445           TASAWWUR : Représentation – Conception –Concept - Imagination   

                               - Réalisation de la forme de la chose dans l’intellect, ou

                               - Perception de la quiddité sans que l’on porte sur elle jugement qui affirme ou qui                        nie.

                               Distingue entre représentation immédiate de l’objet perçu, et jugement sur l’objet.

 

T II p 2545           TASDIQ : assentiment – jugement

                               Consiste à attribuer de son propre choix la véracité à celui qui rapporte quelque                           chose.

                               « La science qui fait connaître ces voies et par laquelle ces voies nous font parvenir à                  la représentation des choses et à l’assentiment, cette science est la science de la                             logique ».

 

T II p 2547           TA’WIL : Interprétation

                               Etymologie indiquant le retour à un état originel ou premier. Puis désigne tout mode                 d’interprétation coranique qui dépasse l’exégèse philologique, la métaphysique et la                                philosophie en usent particulièrement.

                               Le Coran en reconnaît la valeur :

                                               - vision onirique : S XII 4-6 ; 43-45.

                                               - conduite énigmatique : S. XVIII 70-82.

                                               - lettre du Coran : S. III 5.

                               Le Ta présuppose dans la Parole révélée un ses ext. Apparent (zahir) et un sens                           intérieur caché (bâtin). Instrument de mise en rapport des doctrines des philosophes                   et de la Révélation coranique.  

                               Nécessité d’ordre dialectique car propre au théologien, assure la défense de la                                             religion.

                               Le zahir : paraboles et allégories.

                               Bâtin : significations évidentes à ceux qui démontrent.

                               L’interprétation  correcte de la Loi Révélée n’appartient qu’aux prophètes qui                                               accèdent à la connaissance certaine de Dieu par voie démonstrative (S. XXXIII 72).

 

T II p 2773           ZAHIR : apparent – ésotérique

                               La dialectique bat-zah → courants de l’interprétation –ta’xil et du commentaire tafsir.

                               Ta’wil est la remontée par le jeu des forces humaines et de l’assistance divine vers la                                 signification spirituelle profonde de ces données.

 

T II p 2768           WAGIB AL’WUGUD : être nécessaire / MUHKIN AL’WUGUD : être possible

                               Création ex nihilo par un Dieu transcendant absolument → contingence de tout être                  créé. Selon le kalam orthodoxe l’acte de créer dépend du libre-arbitre de Dieu →                     perte pour l’être de toute stabilité ontologique.

                               Impossibilité de remontée ad infinitum.

                               Chaque être a besoin d’une cause c’est l’être possible, mais si ad infinitum alors nul                    être nécessaire pour causer le possible.

                               Preuve de l’Etre nécessaire à partir de la cause efficiente.

                               Etre dont l’existence n’a pas de cause, ne reçoit pas son existence d’un autre.

                               Tout ce qui n’est pas nécessaire est possible.

 

                               L’Etre possible se divise en deux sortes :

                                               - le possible éternel

                                               - le possible engendré dans le temps : monde sublunaire.

                               Tout être possible a une cause qui le fait sortir de sa possibilité et le rend nécessaire.

                               Tout possible par soi, devient nécessaire par autrui.

 

                               WAHY / Révélation

                               Etymologiquement signifie : se hâter – aller autour –reconnaître.

                               De très nombreuses références dans le Coran : ex : XCIX S « La terre est l’objet d’une                                révélation divine ». 

                               Désigne les moyens de communication entre Dieu et l’homme, par l’intermédiaire                      des anges.

                               Le principal objet de la révélation est Mohamed S XIII 25. C’est lui à qui les paroles                       l’Allah sont révélées. Caractère divin des révélations. Cf S LIII 4.                                    

 

 

 

 

 

 

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