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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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14 mai 2019

OMBRE (ÉCLAIRÉE)

OMBRE (ECLAIREE)

 

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Contradiction, faux-problème ou paradoxe, telles sont au premier regard les interrogations que soulève l'oxymore inspiré de l’obscure clarté» de nos manuels de stylistique.  '

 

Ambiguïté redoublée car à qui s'adresse cette ombre ? Est-ce celle que rencontre le prisonnier de la Caverne (1) qui, au sortir de celle-ci, réalise dans l'aveuglement du soleil l'obscurité de son ignorance heureusement éclairée au point de se muer en ombre vaincue par la lumière ? Est-ce celle du plasticien qui, déclinant la lumière dans l'ombre, suggère une énigmatique palpitation sise en la pénombre ? Ou bien celle du clair de lune détachant de l'arbre une ombre furtive où s'agitent le gnome et la fée ? A moins que ce ne soit fort étrangement celle portée du cadran solaire qui, mariant le çiel et la terre, indique à l'homme ce qu'il doit à l'ombre. Dès lors, s'esquisse la voie d'une interrogation : l'homme aurait-il nécessité de l'ombre pour se guider?

 Ombre éclairée : insurmontable paradoxe. Or celui-ci, comme le symbole, donne à penser. De leur coexistence dira-t-on la possibilité ? Ni ténèbre pourtant, ni obscurité, mais ombre. Celle-ci éclairée devrait disparaître, pourtant elle demeure  plus forte que la lumière qui pourrait la tuer. Ombre plus forte que sa mort. Seul le vivant possède une ombre, la perdre, c'est disparaître. Ombre d'un vivant, l'ombre est donc un disparaissant-perdurant, la présence de l'absence, le non-visible du visible, l'immatériel de l'être au monde. « Lieu d'une inscription de vérité »(2), entre deux, mi-lieu, ombre sans laquelle rien n'aurait lieu, lieu tenant de l'énigme  du monde qui dit le désir de l'indicible inscrivant l'infini au cœur de notre finitude.

 Qui de l'une éclaire l'autre car ici point d'affrontement, de vainqueur, ni de vaincu mais épreuve d'une dialectique subtile.

 Qui de l'une éclaire l'autre ? La lumière dira-t-on ? et l'ombre de disparaître. Et si l'ombre éclairait la lumière? Songeons à Latour, n'est-ce pas la pénombre qui palpitant d'une inassignable clarté la fait advenir ? Advention de la lumière  au monde, advenue de l'enfant à l'humanité. L'enfant serait-il si l'ombre ne présidait à son incarnation ?

 

Et l'ombre de faire sens. A nos sens, pénétrés d'une lumière qui épaissit  le mystère de l'ombre ; à notre esprit pressentant dans sa chair l'inouï à venir ; à notre agir sommé par l'ombre d'éclairer sa relation à ce monde qui nous pré-occupe.

 Ne pas subir l'ombre comme la force obscure qui nous choisit, ne pas l'irradier d'une artificielle lumière mais l'éclairer comme en sont éclairés ces tableaux dont la pénombre attire par le regard et qui pourtant recèle en son secret une invitation au voyage.

 Respecter l'ombre, la regarder à plusieurs fois car à son être aérien, impalpable et impénétrable, je m'inter-esse comme s'il en allait de mon être dans ce muet non­ visible.

 Serais-je au seuil de la découverte ? Serait-ce l'autre que je pressens?  L'autre  dont le visage n'est-à-voir que dans la mesure où l'ombre y est portée, ombre de sa chair au monde que voile le corps alors que s'y inscrivent, malgré lui, les signes d'une émotion qui lui échappe et qui fait palpiter sa face éclairée d'une vie sortant de l'ombre. Ainsi pensé;, l'ombre éclairée requiert ou n'est possible que dans le cadre d'une ontologie de l'emergence, celle que suggérait Montaigne peignant disait- il, non pas l'être mais le passage, ou bien celle explorée par  Heidegger sur ces chemins qui, au creux de la pénombre des bois, ne mènent nulle part . L'ombre éclairée  invite à l'errance latitudinaire, sans but certes mais non pas sans fin. Errance qui, d'un chemin à une clairière, conjoint l'insaisissable clarté à la pénombre comme pour signifier l'irréductibilité de l'être à tout confinement objectif. Socrate nous en avait prévenu « Je ne sais qu 'une seule chose, c'est que je ne sais rien » car face à la prétention du savoir absolu, il n'avait pour seule arme que celle de l'ignorance dont la cessation sonne le glas du savoir.

 

Face à la part d'ombre, la raison doit baisser la garde, celle qu'on symbolise par une lumière qui la brûle de l'intérieur.

 

L'ombre atténue, diffuse, adoucit, embellit aussi. L'ombre suggère le lointain  alors que  la lumière  vise  le prochain.  L'ombre dit  le repos  et l'incertaine souvenance des « jeunes filles en fleurs ». Accompagnant les célébrations, elle rend l'atmosphère propice à la révélation, elle rend le silence profond et voile au regard inquisitorial le miracle du passage. Car c'est au seuil que se tient l'ombre éclairée par la lumière que

l'on quitte ou retrouve. Elle se fait compagne du néophytique pour substituer à l'aveuglement de la lumière ou de l'obscurité, la pénombre de la forêt à laquelle le temple emprunte son ombre portée qui instaure la nuit dans le jour (3).

 

Et le poète de chanter le temple nature « où de vivants  piliers laissent parfois  sortir de confuses paroles » alors que « l'homme y passe à travers des forêts  de symboles» (4).

  

Est-il encore besoin de préciser que l'ombre est éclairée comme si elle était l'objet passif d'un hypothétique agent lumineux alors qu'elle distille la clarté sans laquelle l'homme demeurerait un égaré ? « Ombre » dirons-nous sans autrement la qualifier pour ne pas briser l'équilibre miraculeux qui fait basculer l'œuvre dans la médiocrité.

 

Parcellaire et émergeant, tel apparaît dès lors l'être éclairé qui, sur la voie de l'ombre, pourrait rencontrer une âme pour lui murmurer :

 

Mon Dieu ne fais pas de moi un Savant ou un ascète, ou un proche. Si Tu décides de m'introduire dans ta

Science, initie-moi  à une infime parcelle

De tes secrets. Bistami (Les dits de)

 

 

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ANASTASIA SOLANGE CHOPPLET

Professeur de philosophie

 

 

 

(1)   Platon, République, Livre VII

(2)   Merle au Ponty Le visible et l'in visible, Chiasmes et entrelacs

(3) Abdelwahal Meddb : La forêt, la lettre -Préentation du catalogue de René Feurer "Douze dits de Bistami"

(4) Baudelaire : Les Fleurs du Mal - Correspondances

 

 

 

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