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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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11 janvier 2023

EXTRAIT DU "MANUEL" D’EPICTETE

EXTRAIT DU « MANUEL » D’EPICTETE

Comment être sinon heureux du moins capable de supporter son destin telle est la question que l’esclave philosophe se pose et que reprennent après lui les stoïciens de l’antiquité au nombre desquels l’empereur Marc Aurèle. La réponse requiert de s’interroger tout d’abord sur soi-même comme l’enjoignait Socrate « Connais-toi toi-même » connais tes pouvoirs et tes devoirs, connais ta place parmi les hommes, dans le monde, connais-toi comme mortel, comme vulnérable, comme un atome pensant dans l’univers.
Dans cet extrait de son « Manuel » Epictète présuppose cette injonction de Socrate et y répond d’une part en situant l’action de l’homme dans son rapport à autrui et d’autre part dans l’ordre de l’univers auquel il faut donner son assentiment. A cette condition, et telle est sa thèse, les choses ne toucheront pas l’âme car elle se saura libre de juger les choses comme elle le veut. « Tout est affaire de jugement de valeur » de sorte que notre malheur ou bonheur dépend de nous.
Telle est la thèse qu’Epictète soutient ou plutôt l’exercice spirituel auquel il se livre et invite le lecteur à pratiquer.

Epictète pose d’abord un principe sous la forme d’un constat que chacun peut faire, il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres pas. Cela ressort du bon sens, mais par contre les exemples qu’il fournit peuvent être sujets à caution et présupposent une conception spécifique du monde.
Ce qui dépend de nous sont nos pensées lesquelles incluent nos opinions, la tendance, entendons l’impulsion, à agir qui peut relever d’un penchant naturel, les désirs ou inclinations qui nous attirent vers un objet.
Comment désirs, inclinations et impulsions pourraient-ils être en notre pouvoir alors qu’ils provoquent attirance et répulsion à notre corps défendant?
C’est là qu’il est requis de se connaitre soi-même afin de les contrôler et les maitriser, c’est là aussi que doit intervenir le jugement objectif qui permettra d’évaluer les objets de désir et de les ramener à ce qu’ils sont afin qu’ils ne s’imposent pas à ma volonté et que je ne sois pas tributaire de celui qui me les aura vantés et aura ainsi créé en moi de faux besoins en me faisant miroiter une jouissance éphémère et aléatoire.

A ces conditions tout ce qui relève de mon jugement sera sous son contrôle en vertu de cette prohairesis ou principe directeur propre à chaque être et assumant trois fonctions principales : l’assentiment (1), l’impulsion active ou vouloir provoqué par les représentations et le désir. Impulsions et désirs ne sont donc pas à condamner mais à contrôler afin de les orienter vers des actions salutaires.
Il faut donc distinguer entre causes intérieures et extérieures lesquelles nous rendent dépendants.
Il faut agir en fonction de sa nature propre et non pas commune. En dehors de celle-là il n’y a ni bien, ni mal, ni juste, ni injuste.
Au nombre des choses (causa) qui ne dépendent pas de nous on rencontre la santé, la richesse, l’opinion des autres, les honneurs.
Là encore il y a lieu de s’étonner. Se soigner ne relève-t-il pas de la décision d’aller consulter? Mais dès lors je dépends du médecin qui décidera de mon régime. En outre mon capital santé m’est donné à la naissance et ma constitution même si je puis l’améliorer ne sera pas changée. Enfin je ne suis pas à l’abri d’une maladie, d’un accident inattendu qui appartient au cours inexorable de la Nature, et qui m’était réservé par le destin. Le déplorer est à la fois inutile et absurde car à quoi bon désirer autre chose que ce que veut la Nature. Descartes le formulera dans l’une de ses maximes morales : « Il vaut mieux changer ses désirs que l’ordre du monde ». Dira-t-on d’un accident qu’il est injuste? Non. Il est dans l’ordre de la Raison universelle qui préside au cours des choses. Si on n’adopte pas cette attitude alors on est voué à l’intranquillité de l’âme.
Cela n’empêche pas bien sûr d’insérer sa causalité dans la causalité du monde afin de réaliser son devoir, en quoi consiste la vertu qui vise à exercer sa bienveillance à l’égard d’autrui. Pour ce faire il faut exercer et contrôler son impulsion qui est la force active de l’action basée sur les représentation et connaissance que l’on a de l’homme et du monde. Or si je me persuade que seuls sont en mon pouvoir les objets susmentionnés alors m’en sachant responsable, je ne m’en prendrai ni aux dieux ni aux hommes et n’aurai pas ainsi d’ennemis. Mais on peut encore s’étonner, car l’autre peut vouloir me nuire, me mentir intentionnellement. Certes, mais il ne dépend que de mon jugement de dépendre de lui et de ses intentions à mon égard. Or je n’ai aucun contrôle sur son principe directeur, ses tendances, désirs, pour preuve Socrate malgré sa plaidoirie fut condamné à mort. Donc il me faut à l’égard d’autrui consacrer cette distinction qui m’évitera de lui en vouloir de ce dont je suis la cause. C’est pourquoi il ne sera pas mon ennemi. Mon seul ennemi c’est moi-même.

A propos de la richesse on peut objecter que celle-ci dépend de mon action mais relève aussi du hasard et des intentions d’autrui qui sont hors de mon contrôle. Hasard des guerres, des décisions institutionnelles, de la perte d’une cargaison…
Quant à l’opinion des autres et l’on sait que la doxa n’est pas fondée en raison, qu’elle est contingente et singulière, elle relève elle aussi de la préférence propre à chacun et qu’elle est hors de mon contrôle. Socrate aura eu beau opposer des raisonnements de bon sens à ses accusateurs, ils n’auront pas varié d’opinion parce que celle-ci relève de leur désir et non de leur jugement objectif. Alors à quoi bon avoir de la rancune et du ressentiment à leur égard et me rendre aussi dépendant et malheureux?

Epictète en déduit dans une sous-partie que seul ce qui par sa nature, laquelle consiste à être le fruit de notre jugement, dépend de nous, est soumis à notre volonté. Par contre tout objet qui ne relève pas de notre préférence, éclairée par la raison, nous est indifférent car ils dépendent d’une autre volonté que la nôtre. Ils sont même « sans force propre » puisqu’ils dépendent pour leur réalisation du concours d’autrui.
C’est le cas de l’opinion et des honneurs qui nous rendent esclaves d’autrui dont nous dépendons du bien vouloir et du caprice. Sénèque, autre philosophe stoïcien, fut condamné à mort par son élève Néron.
Tout le champ sémantique du texte : dépendre ; venir ou non de notre action ; libre volonté ; entraver, empêcher… indique suffisamment que l’enjeu du texte est la liberté qui implicitement est la condition de possibilité, si ce n’est du bonheur du moins de l’évitement du malheur.

A la suite de cette explication, Epictète peut convertir sa pensée en exercice spirituel en enjoignant son lecteur de se remémorer et de méditer ses conseils afin d’en faire une manière de vivre en philosophe. Il place son lecteur devant une alternative de type hypothético-déductive qui n’est pas sans rappeler celle des dialogues socratiques.
Soit, en croyant qu’est soumis à notre volonté un objet dépendant de celle d’autrui, on se condamne à l’inquiétude, au ressentiment, et à l’aliénation ; soit en pensant (et on notera la distinction qu’opère Epictète entre croire et penser) la distinction entre ce qui dépend de soi ou d’autrui, c’est-à-dire en jugeant de façon rationnelle ce qu’il en est objectivement alors on connaitra l’ataraxie et l’autonomie. On ignorera les illusoires entraves et on sera le seul responsable de ses actions, de sorte que l’on n’aura aucun ennemi. Le seul responsable sera soi-même, le reste relèvera des indifférents. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le terme « indifférent » ne connote pas le désintérêt à l’égard d’autrui.
Au contraire il est l’expression d’un respect à l’égard de ses préférences qui peuvent différer des miennes et auxquelles je laisse de la place pour s’exprimer. Comprendre que la liberté est l’indépendance à l’égard d’autrui, c’est aussi a contrario comprendre qu’il ne faut pas le rendre dépendant de mes jugements. Donc s’il faut parvenir à s’arracher à la dépendance à autrui pour être autonome, il faut qu’autrui puisse en faire autant.
Les indifférents sont donc ces objets sur lesquels je n’ai nulle prise et réciproquement pour autrui.
Par conséquent cela ne signifie pas qu’on ignorera autrui : au contraire on accomplira ses devoirs à son égard, on sera bienveillant et on agira dans la cité, mais tout en sachant prendre la distance qu’exige la tranquillité de l’âme. Dès lors l’homme sera comme un dieu parmi les hommes comme le laissait espérer Epicure, c’est-à-dire un être ne connaissant pas le manque, autarcique, tranquille, ataraxique et autonome.
(1) se rapportant au domaine de la représentation et de la connaissance.

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