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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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19 mai 2022

L'ART EST-IL UN LANGAGE UNIVERSEL ?

DANS QUELLE MESURE L’ART EST-IL UN LANGAGE UNIVERSEL?

En présence d’une œuvre d’art à l‘égard de laquelle on veut manifester notre compréhension, on s’exclame « Ça me parle » présupposant que l’art est un langage et même que ce langage devrait être compris de tous puisqu’on n’hésite pas à se disputer avec ceux qui ne l’apprécient pas.

Il semblerait donc que l’art soit un langage universel ou du moins supposé tel.

Cependant le fait même que l‘on puisse se disputer, comme s’il y avait une vérité en art à laquelle certains accèderaient et d’autres non, témoigne qu’il y a des divergences possibles et qu’en conséquence même si l’art est un langage, celui-ci ne serait pas universel et ce d’autant que les individus diffèrent dans le temps et l’espace, de par leur histoire et culture et ce d’autant plus que l’artiste est lui-même un individu unique dont on suppose qu’il exprime ses sentiments singuliers et contingents.

 La question requiert donc de se demander d’une part si l’art peut être considéré comme un langage en explicitant la nature et les fonctions de celui-ci ; puis en réfléchissant sur les limites à cette prétention à l’universalité ; enfin en s’interrogeant sur la possibilité d’inscrire l’universel dans le particulier.

 Le langage est la capacité de communique au moyen d’un système de signes, naturels, ou arbitraires lorsqu’il s’agit du langage verbal humain, lequel s’incarne dans des langues diverses, structurées selon une syntaxe et une sémantique.

De ce point de vue il y a analogie avec l’art qui effectivement est constitué de signes et communique du sens en s’incarnant dans des formes particulières.

En outre le schéma de la communication de Jakobson nous a appris que le langage satisfaisait six fonctions : référentielle ; expressive ; conative ; poétique ; phatique ; métalinguistique, qui à  l‘exception de la dernière sont à l’œuvre dans l’art.

Ainsi là encore l’art est un langage qui présente les caractéristiques lui permettant de légitimement prétendre à l ‘universalité.

Reste maintenant le contenu de ce qui véhicule l’art, et au premier chef les émotions qui sont sa matière première. La question est donc de savoir s’il y aurait des émotions susceptibles d’être partagées par tous les hommes. Or sachant que l’homme est un être jeté dans le monde, fait pour le travail, la relation, la mort, on peut penser que les hommes partagent les mêmes conditions et de fait les mêmes émotions et que l’art peut être le langage qui les exprime et les réalise en acte par delà les contextes spatio-temporels.

 Mais précisément là gît la difficulté, car qui dit langage dit implantation dans un contexte historique et culturel dont l’ignorance empêche la compréhension. Il faudrait donc apprendre ce langage, mais l’art s’apprend-il ou bien est-il l'objet d'une apprehension immediate?

 En effet quelle que soit la langue considérée, celle-ci véhicule les particularités  du contexte qui l’a vue naître de sorte que si le langage est une caractéristique universelle et nécessaire du vivant, les langues sont particulières et contingentes et requièrent qu’on les connaisse sans pourtant les com-prendre  comme en témoignent les difficultés de la traduction.

Merleau Ponty nous a du reste appris que chez l’homme tout comportement, toute émotion tient à la fois à la nature et à la culture. Or l’art, s’il manifeste bien des émotions communes aux hommes, s’exprime dans des conditions culturelles dont l’ignorance nous en rend le sens peu accessible et qui par conséquent peuvent nous rendre indifférents, comme en témoignent par exemple, certaines productions de l’art contemporain, tels que les ready made de Duchamp, ou bien les productions figuratives dont la ressemblance avec le modèle peut nous donner la nausée, comme le dénonçait Kant.

Quoiqu’il en soit l’universalité du langage artistique trouve là une limite d’autant que l’histoire de l’art qui va de scandales intégrés en scandales intégrés, n’est pas un long fleuve tranquille et que ce sont précisément les différences qui sont intéressantes car elles témoignent de la vie de l’esprit.

Pour surmonter cet obstacle il faudrait donc que l’artiste usât d’un langage défini et que le spectateur l’apprenne. Mais, et Kant l’a démontré, l’art ne s’exécute pas   ni ne s'apprehende en fonction de concepts ni de recettes, et c’est ce qui fait le caractère unique de tout œuvre. Chomo, artiste contemporain le dit avec éclat, ça vient des tripes, c’est spontané, ça vient de forces invisibles et c’est le matériau qui impose sa forme. De celle-ci l’artiste n’est pas maître et si l’artiste a un style c’est grâce à la nature qui donne ses formes à l’art.

Ainsi chaque artiste s’exprimerait-il de façon propre, unique, originale.

Quant au récepteur, on sait combien les jugements diffèrent et passent souvent à côté de l’essentiel faute d’accorder à l’œuvre de l’attention, du temps et de la patience, faute de ne pas se laisser apprivoiser par elle, faute de ne pas surmonter les préjugés qui nous tiennent lieu de jugements.

Aussi si on peut discuter en matière d’art, on ne devrait pas en disputer.

 Dès lors les singularités de l’œuvre et sa contingence la voueraient à être un monolithe entretenant avec elle-même un monologue. Pourtant par delà les cultures, les temps et les espaces, des œuvres nous « parlent » nous touchent sans que nous en ayons une connaissance préalable, serait-ce que l’universel peut s’exprimer dans le particulier?

 Dans leurs œuvres autobiographiques, que ce soit Saint Augustin, Montaigne, Rousseau pour la philosophie ou en littérature,  Sarraute, Sartre, Simone de Beauvoir… tous stipulent que lorsqu’ils parlent d’eux c’est du lecteur dont ils parlent. Lorsqu’on considère l’engouement à l’égard du rap à travers le monde on en a une éclatante illustration témoignant comme l’écrivait Kant que « est beau ce qui plait universellement sans concept ». Autrement dit le plaisir esthétique, éprouvé par le libre jeu de l’entendement et de l’imagination, serait la condition du jugement de goût et d’une prétention à l’universalité non fondée conceptuellement et néanmoins partageable. Ainsi dans le creux du particulier s’inscrirait l’universel.

Hegel balayait le contingent du contenu de l’art, voyant en celui-ci l’expression de l’esprit, entendons l’esprit des peuples, l’esprit des temps que l’art incarnerait en ces œuvres. Et il est vrai comme l’écrivait Baudelaire que l’artiste est un phare qui transcende le contingent pour nous faire prendre conscience des temps où nous vivons. On dit bien, que l’art exprime la sensibilité de son époque.

Ainsi les Natures mortes, expriment-elles un goût de l’opulence, du confort et de l’intime qui marquent une époque mais qui nous interpellent ; l’urinoir du Duchamp nous place dans une société techno-scientifique de grande consommation en série c’est pourquoi ce sont des ready-made ; Selinger témoigne d’atrocités ponctuelles mais qui illustrent les douleurs intemporelles de l’homme …

Tout art est  donc bien un langage élaboré ici et maintenant mais s’ouvrant à l’altérité du récepteur par delà temps et espace.

C’est pourquoi l’art est un ciment social capable de transcender les barrières grâce à des projets fédérateurs où chacun s’oublie au profit d’une œuvre collective comme nombre d’artistes l’ont fait, qui montrent ce faisant, lorsqu’il s’agit de l’adaptation d’une œuvre, songeons à l’ « Antigone » d’Anouilh ou à « La Princesse de Clèves », que l’art est bien un langage susceptible de devenir universel, capable de témoigner de l’esprit des temps mais aussi de les faire changer.

 

Une des formules des soixante-huitards

« Sous les pavés, la mer »

 témoignait poétiquement de cet espoir de changement.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

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Commentaires
B
...et si l'art, dans ce qu'il "remue" du côté de l'humanité, était au travers de l'œuvre, une formule inscrite dans une dimension universelle, qui véhiculée par l'artiste, serait un voyage d'âme à âme, une possibilité de vivre la vibration indicible, invisible, inaudible, nous transportant au-delà des mots, des notes, des images... <br /> <br /> Le voyage de l'âme, une quête peut-être essentielle dans notre finitude ?!...
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