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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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13 avril 2022

Lecture pascalienne de la Princesse de Clèves

UNE LECTURE PASCALIENNE DE LA PRINCESSE DE CLEVES

 

I – CONTEXTE D’ECRITURE ET INFLUENCE JANSENISTE

 

Pascal est l’auteur des « Pensées » parues en 1670. Sans entrer dans le dédale de l’organisation de celles-ci, on peut dire que l’auteur les avait pensées en deux parties : « Misère de l’homme sans Dieu », « Bonheur de l’homme avec Dieu ». Dans la première il se livre à une analyse de l’existence de l’homme vouée au di-vertissemnet en vertu de la conscience de sa misère intérieure, Pascal inaugure de la sorte l’existentialisme chrétien. Dans la seconde, il élabore une apologie de la religion chrétienne.

Or il semble bien que le « roman » de Madame de La Fayette se compose de la même façon.

L’auteure qui admirait Pascal et l’avait lu, n’a pas hésité  s’en « inspirer » affiche ainsi son adhésion au courant janséniste dont Pascal avait exposé les problématiques dans les « Pensées » et les « Provinciales ». Mais sans doute son ouvrage porte-t-il aussi les traces du « Traité des Passions » de Descartes paru en 1649 et adressé à une femme la Princesse Elisabeth Palatine ; ainsi que de Corneille faisant dans ses tragédies prévaloir le devoir sur la passion, autrement dit l’homme tel qu’il devrait être ; sans oublier le « Don Juan » de Molière écrit en 1664-1665, bien que Molière fustigeât Madame de La Fayette dans les « Précieuses ridicules » ; ni non plus les rhéteurs de l’Eglise, Bossuet et Fénelon ; ni enfin les ouvrages de Saint Cyran, inspiré de Saint Augustin, ayant donné naissance au jansénisme, dont le nom vient de Cornelius Jansen.

Retenons de ce courant chrétien qu’il fut une contestation au jésuitisme jugé trop laxiste car innocentant grâce à leur casuistique les exactions des Grands. Nombre d’aristocrates y adhérèrent et constituèrent  la communauté des Solitaires de Pont Royal où ils se retiraient ponctuellement ou définitivement sous la houlette de Saint Cyran. Pascal y était d’autant plus attaché que sa sœur Jacqueline y mourut en 1661 après avoir converti son frère au jansénisme. Enfin n’oublions pas que Racine fut élève de Pont Royal et écrivit ses dernières pièces dont « Esther » sous l’influence de la pensée janséniste qui développe une conception pessimiste de l’homme condamné par le péché originel dont seule la Grâce nécessaire et suffisante de Dieu peut le sauver car le mérite personnel n’y suffit pas.

L’œuvre de Madame de La Fayette se développe donc dans cette spiritualité dont le corrélat est le courant des Moralistes du XVIIème au nombre desquels La Rochefoucauld ami de l’auteure et lui-même à l’origine des « Maximes ». Parmi les Moralistes, il faut aussi retenir le « Discours sur les passions de l’amour » de Jean Donat et les « Maximes »  de Saint Cyran.

C’est dire d’emblée l’audace et la nouveauté de « La Princesse de Clèves » qui inaugure un genre littéraire nouveau, le roman intimiste et un contenu dévoué à l’introspection psychologique à visée spirituelle. C’est dire aussi que son roman, bien que d’inspiration janséniste, est hérétique puisque le genre relève du divertissement.

Cependant Madame de La Fayette confère ce faisant au roman une profondeur que les « sagas » de l’époque, « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé ou la « Clélie » de Madame de Scudéry ne visent ni n’atteignent. Dans les deux cas on a affaire à des romans précieux qui multiplient les péripéties plus ou moins vraisemblables auxquelles sont en butte les amoureux avant de pouvoir concrétiser leur union.

 

II – ANALYSE DE L’ŒUVRE AU REGARD E PASCAL

 1) Qu’est-ce que l’homme?

Tout semble tenir au concept de « divertissement » à condition de lui associer ses corollaires : ennui, passion, misère, amour-propre, imagination.

D’emblée le paradoxe fondamental s’impose, celui du désir. L’homme cherche à se divertir de lui-même et à échapper à l’ennui grâce à une constante agitation ayant pour but de posséder un objet dont il attend plaisir, calme et repos, mais dès que sa proie est atteinte « tout le beau de la passion est passé » et il s’ennuie de sorte qu’il est pris dans le cercle vicieux du désir toujours nécessairement insatisfait pour demeurer le douloureux stimulant de la vie.

Chercher dans le divertissement le repos, entendons la sérénité de l’âme que ne tourmente plus l’inquiétude d’une quête hasardeuse est un non sens. Tant que l’homme attend d’amours humaines le comblement de son désir d’absolu, il est condamné à l’échec. Aussi fragile qu’un roseau, voué à la mort, inconstant, incrédule, timide et téméraire à la fois, n’aimant que soi, sa nature même le voue au mal et au malheur que connurent Adam et Eve dont l’humanité est l’héritière. La passion amoureuse est une tentation diabolique, prometteuse de bonheur elle voue à un enfer sans fin.

Telle est l’anthropologie pascalienne résumée dans la pensée intitulé « Qu’est-ce que le moi » qui conclut que nous n’aimons jamais personne que pour des qualités d’emprunt et qu’il ne faut donc pas blâmer ceux qui s’en parent car ils n’ont pas d’autres choix tant que leur être se réduit à leur apparaître.

 2) Le divertissement : une promesse de bonheur?

Or c’est bien le portrait que Madame de La Fayette dresse de l’homme de cours à qui c’ « est une peine insupportable d’être obligé de vivre avec soi et de penser à soi ». Ainsi tout son soin est de s’oublier soi-même, et de laisser couler ce temps si court et si précieux sans réflexion, en s’occupant de choses qui l’empêchent d’y penser. C’est l‘origine de toutes les occupations tumultueuses des hommes et de tout ce qu’on appelle di-vertissement qui est paradoxalement le contraire du bonheur.

La cour, ce microcosme de la société, constituant un « autre monde » est un théâtre où se pavanent de pseudo dieux, malades d’ennui. Même le Roi sans divertissement se trouve être le plus malheureux des hommes, aussi consacre-t-il son temps à la chasse, que ce soit celle des animaux ou des femmes  que  Don Juan définit comme des proies. Dans tous les cas de figure il s’agit de jeux, abondamment décrits dans « La Princesse de Clèves ».

Mais qu’en espère-t-on, qu’en obtient-on, si ce n’est un ennui lancinant et en  fait le constat d’une impuissance puisque le passionné est aliéné au regard de l’autre qui nourrit son amour propre?

Parmi ces hommes de cour, le Duc de Nemours semble être le paradigme du divertissement. Multipliant les proies il ne se contente d’aucune au point de rompre ses fiançailles avec sa royale promise alors que tout est conclu. Amateur de chasse comme de femmes, il est courageux, beau, galant, convoité mais faute d’un obstacle digne de lui, il est toujours insatisfait, jusqu’à la Princesse de Clèves qui est un gibier de qualité. Comme lui, belle, élégante, de haute lignée, elle lui est cependant inaccessible car son éducation austère sous la houlette de Madame de Chartres, sa mère, son mariage, quoiqu’il ne fût pas d’amour avec Monsieur de Clèves et ses aspiration au repos, bien qu’elle fût très jeune, elle a 15 ans, sont des obstacles qui stimulent autant qu’ils désespèrent le Duc.

 3) Passion versus repos

L’un et l’autre tombent en amour lors du bal. Pour l’un et l’autre, c’est un sentiment inattendu, surprenant, extra-ordinaire,  à la fois condition d’une prise de conscience de soi et d’une mise à  l‘épreuve.

Le Duc, comme nous l’avons dit, rencontre un défi digne de lui, mais qui loin de s’avérer un divertissement se révèle une traversée du désert, l’amenant au-delà du désir, dont il se dépouillera au point de devenir l’ange déchu de la « Melencolia » de Dürer  plongé dans une apathie dont rien, ni le ciel ni la terre, ni le savoir ne peuvent le sortir. Son regard erre vers un au-delà indéfinissable. Le Duc deviendra, à la mort de la Princesse de Clèves, une « âme errante ».

Quant à la Princesse elle découvre la passion que le Prince n’a pu éveiller en elle, lui qui cependant s’était contre toute convenance marié par amour et non par raison. A ce sujet notons que l’amour, s’il se rencontre ne l’est que hors-mariage. Le mariage est trop sérieux pour être dédié à la passion.

Et c’est sans doute l’une des raisons qui fait que la Princesse n’épousera pas le Duc. Régulariser l’amour c’est le condamner, car la guerre est patente entre la raison et les sens. C’est du reste bien l’analyse rationnelle de la passion qui permet dans le « Traité des passions » de maitriser les effets de celles-ci en les ramenant  leurs causes.

C’est pourquoi parmi les moyens de surmonter la passion la raison n’est de nul secours elle qui au contraire, est susceptible de se mettre à son service lorsque l’imagination, la « folle du logis » la trouble. Aussi Madame de Clèves se tourne-t-elle vers Die qui la soulagera de vivre peu d’années après.

La fin du roman nous laisse sur de multiples interrogations et en premier lieu le refus de Madame de Clèves d’épouser Nemours alors qu’elle est veuve.

Nous en avons déjà avancé une, ajoutons que sa décision peut être motivée par sa culpabilité à l’égard de son mari dont le fantôme sera toujours présent ; mais aussi par le retour d’une éducation un temps oublié ;  mais encore par le refus du divertissement dont elle témoigne tout au long du roman, lui préférant le repos ; enfin par la quête d’un amour absolu que seul Dieu peut lui procurer. Madame de Clèves se retire-t-elle par crainte de vivre ou par aspiration au repos de l’âme?

L’homme dans la misère et le vice auquel il est nécessairement condamné par le péché originel ne peut être sauvé qu’en Jésus Christ et comme Pascal le soutenait et y invitait ses amis libertins, il faut parier, parier pour une éternité de bonheur au détriment de quelques instants de passion..

Madame de La Fayette s’adresse-t-elle ainsi aux libertins de la cour en montrant la misère du Duc sans Dieu et le bonheur de Madame de Clèves avec Dieu? Il est donc nécessaire de chercher Dieu hors du monde où sa quête est trop difficile.

« Nous sommes embarqués » écrivait Pascal, en pariant ou non car il en va de notre vie éternelle et non pas de notre vie terrestre, or le repos n’est pas dans le divertissement qui est une ignorance monstrueuse mais en Dieu.

 Aussi Madame de Clèves s’éteindra-t-elle doucement dans le repos de celle qui a remis son âme à Dieu alors que le Duc sera condamné à ne pas trouver le repos. Ainsi retrouve-t-on la tripartition du paradis ; le repos en Dieu ; l’enfer du divertissement ; et le purgatoire de l’errance.

Après avoir connu l’enfer de la cour et effleuré le paradis, le Duc trouvera-t-il la voie du salut?

 

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

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