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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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6 avril 2022

LE DEUXIEME SEXE - SIMONE DE BEAUVOIR

LE DEUXIEME SEXE – SIMONE DE BEAUVOIR

 

Confinés avec... Simone de Beauvoir – série de podcasts à écouter – France Culture

 

La sentence marquante du « Deuxième Sexe » : « On ne naît pas femme on le devient » est unplagiat du « On ne naît pas homme on le devient » d’Erasme.

Dans les deux cas il est question de refuser un déterminisme biologique, culturel, éducatif au profit d’un choix définissant l’individu comme un pro-jet. Dans les deux cas on a affaire à une approche existentialiste faisant précéder l’existence. Dans les deux cas aussi, si l’homme est libre de se choisir, cela signifie qu’il est responsable de ce qu’il est, y compris d’avoir accepté et intégré des choix pré-définis.

La servitude est toujours volontaire.

Beauvoir faisant sienne la sentence d’Erasme se situe dans la lignée des humanistes du XVIème siècle, mais contrairement à Erasme ou La Boétie, son existentialisme est athée.

 

I – GENESE DU DEUXIEME SEXE

 1) Etonnement initial

Un livre du hasard. Simon de Beauvoir ne choisit pas de l’écrire par conviction politique, ni pas solidarité avec les femmes. Ce n’est pas un texte à l’origine engagé ou issu d’une revendication ou d’un ressentiment à l’égard de son milieu ou d’expérience malencontreuse. « Ma féminité ne m’avait gênée en rien ». Simone de Beauvoir se dit une privilégiée (titre d’un essai de 1955 et  d’un ouvrage de G. Fraisse).

Issue d’un milieu bourgeois, elle a mené les études qu’elle désirait, a été l’une des premières agrégées de philosophie. Estimée de ses camarades masculins dont Sartre, elle n’a pas connu l’inégalité ni la discrimination.

Pourquoi donc a-t-elle écrit « Le Deuxième Sexe »? Parce qu’elle avait envie de parler d’elle, à l’instar de Leiris dans « L’Âge d’homme ». S’étant ouverte de son projet à Sartre, celui-ci lui demande qui elle est pour parler delle. La réponse est évidente : une femme, mais qu’est-ce qu’être une femme?

Il lui faudra donc d’abord répondre à cette question pour pouvoir entamer son œuvre autobiographique « Les mémoires d’une jeune fille rangée » (1958) ; « La force de l’âge » (1960) ; « La force des choses » (1963) ; «Tout compte fait » (1972) ; sans compter « Une mort très douce » (1964) où il est question de la mort de sa mère et « La Cérémonie des adieux » (1981) long dialogue avec Sartre.

Jamais elle ne s’était sentie inférieure ni infériorisée parce que femme, au point écrit-elle que « ça n’a pour ainsi dire pas compté ».

Mais devant l’insistance de Sartre elle se résout à y regarder de plus près. Et c’est alors qu’elle a une révélation, le monde qui l’entoure est un monde masculin, le monde dans lequel elle est née, a grandi, est un monde masculin dont l’évidence constitue la norme et qu’elle n’avait jamais songé à contester. Elle ’a intégré comme une seconde nature ce qui relevait de la culture (Pascal).

Conséquence, elle fut si intéressée, écrit-elle dans « La force des choses » qu’elle abandonna « le projet d’une confession personnelle pour s’occuper de la condition féminine dans sa généralité ».

Commence alors un très long labeur qui consiste en recherches à la bibliothèque nationale afin de composer ce qui deviendra la première partie du « Deuxième Sexe ». « Les faits et les mythes » avec une troisième partie consacrée spécifiquement aux Mythes que les romanciers : Montherlant, D. H. Lawrence, Claudel, Breton et Stendal ont créés autour de la femme. Dans cette même première partie le premier chapitre est consacré à ce qui constitue, croit-on, le destin de la femme : les données biologiques, le point de vue psychanalytique et celui du matérialisme historique et ce n’est qu’une fois achevée cette recherche qu’elle pourra aborder dans le seconde partie, l’expérience vécue de la femme : de l’enfance à la maturité qu’elle soit mariée, mère ou hétaïre pour s’achever par la vieillesse qui, notons- le fut une préoccupation incessante de celle qui avant quarante ans se considérait comme vieille. Le 8 janvier 1949 elle écrivait : « Quarante et un ans. Ma vieillesse couvait. Elle me guettait au fond du miroir ».

Pour en revenir aux mythes outre ceux mentionnés, ils sont légion et recouvrent la femme d’un voile épais de représentations dont religions, superstitions et idéologies sont autant de moyens pour l’homme de réifier la femme et de la réduire à la mutité des rôles imposés.

D’emblée, écrit Beauvoir, l’homme se pose en sujet et la femme en objet, c’est « L’Autre » (titre qu’elle a envisagé avant d’opter sur une proposition de Bost pour le « Deuxième Sexe ») dont il oublie qu’elle est celle grâce à qui il se pose en s’y opposant. Altérité incomprise qui ne voit dans la relation à celle-ci la condition de la construction de l’identité. L’Autre est ramené au statut d’inférieur devant dépendre de la place que le sujet lui confère pour exister. Mais quelle reconnaissance pour le maître reconnu par un esclave?  L’Autre est alors voué à un double bind puisqu’il doit à la fois renvoyer au maitre une image flatteuse de celui-ci, tout en demeurant à la place inférieure où il l’a mise. L’idée de dépendre de celui qui dépend de moi est bien sûr insupportable et ne peut donner lieu qu’à des quiproquos et conflits.

Levi Strauss la confirma dans ses analyses lorsqu’elle lut les « Structures élémentaires de la parenté » que même dans les sociétés matriarcales « le mâle demeure l’être essentiel ».

Dès lors Simone de Beauvoir va se mettre à regarder les femmes c’est-à-dire à opérer une conversion de son regard qui va avoir pour effet de la décentrer par rapport à sa situation de privilégiée et de la recentrer sur la condition féminine qu’elle découvre alors. A l’évidence d’être femme se substitue la question : qu’est ce qu’être une femme? Pour la première fois en occident la réponse ne va plus de soi, c’est-à-dire la réponse que les hommes apportent à cette question, dont pour la plupart ils ne voient pas l’intérêt, pas plus non plus que nombre de femmes. On n’aime guère que soient interrogées les évidences surtout lorsqu’elles sont devenues des conventions définissant la norme et le normal lui-même compris comme naturel.

Simone de Beauvoir opère alors une véritable révolution copernicienne, certains ne le lui pardonneront pas surtout à propos du deuxième tome qui aborde des questions à caractère sexuel : l’initiation sexuelle ; les lesbiennes ; les prostituées et hétaïres.

Il s’agira en effet, et c’est la thèse que défend tout le « Deuxième Sexe » de déconstruire le mythe naturaliste pour lui substituer la réalité de la condition de la femme issue d’une culture. Si les différences de genre entre hommes et femmes existent bel et bien  leur orientation (choix sexuel) sont issues de constructions culturelles qui, par conséquent peuvent et doivent être déconstruites afin que la femme puisse faire d’un destin prédéterminé, son histoire. C’est ainsi que Simone de Beauvoir a pensé la deuxième partie du « Deuxième Sexe ». L’expérience vécue où elle entreprend « de raconter systématiquement de l’enfance à la vieillesse comment se créent les dissemblances entre hommes et femmes ». Ce faisant elle examine les possibilités que ce monde offre aux femmes, celles qu’il leur refuse, leurs limites, leurs malchances et leurs chances, leurs évasions, leurs accomplissements.

Au cours de ses recherches elle découvre que la représentation de la femme est liée à des causes économiques tel l’héritage et l’on pourrait trouver moult exemples de cet aspect ; la dot ; les mariages de raison ; l’extension des domaines ; les alliances entre pays… qui font de la femme un bien échangeable.

Progressivement sa recherche montre à quel point la femme, pourtant inférieure est un rouage économique, social, politique, culturel important, sans que les hommes le reconnaissent ni que les femmes en prennent conscience. De même que Marx avait donné aux ouvriers une conscience de classe et leur avait révélé leur liberté, de même Simone de Beauvoir tente-t-elle la même entreprise en défendant les droits et la femme et en l’incitant à une prise du monde par la  pensée et l’action afin de se transcender, c’est-à-dire de parvenir à une assomption de soi. La liberté descend ainsi du ciel des idées sur la terre de l’action. Parler de la condition féminine c’est parler d’une situation d’aliénée, or cette condition étant justifiée par une philosophie essentialiste, c’est elle qu’il faut tout d’abord débouter. « On ne naît pas femme on le devient » a écrit Simone de Beauvoir pastichant Tertullien (« On ne naît pas chrétien on le devient ») et Erasme or cet emprunt n’est pas anodin car il s’inscrit dans un siècle qui certes ne fait guère de place à la femme mais qui revendique d’exister avant d’être.

Rappelons ce qu’écrivait Pic de la Mirandole dans son essai « De la Dignité de l’Homme » (1496) :

« Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c’est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes, selon ton vœu, à ton idée… C’est ton propre jugement auquel je t’ai confié qui te permettra de définir ta nature… ».

Certes l’existentialisme de Sartre et Beauvoir n’est pas chrétien, mais comme l’a revendiqué Sartre c’est un humanisme. On sait avec quelle virulence fut combattu l’existentialisme dont on taxa la morale de dépravée alors qu’il s’agissait au contraire d’une « affirmation d’optimisme… parce qu’elle dissipe les mensonges et les faux mythes ». C’est un apprentissage du des-espoir.

Beauvoir elle-même eut à subir des attaques ad hominem « Je suis une folle… J’ai des mœurs les plus dissolues… j’ai pratiqué tous les vices avec assiduité ».

Le procédé est connu et sans intérêt ni effectivité. Peut-on aux deux sens du temps possibilité et permission, juger de l’œuvre et des idées d’un auteur à partir de sa vie? Dès lors qu’on résiste aux classifications, aux conventions, on encourt toutes les critiques. Or l’existentialisme faisait exploser celles-là en revendiquant un mode de vue transgressif mais parfaitement voulu et assumé. Pour dévaloriser l’œuvre on attaqua la femme ou plutôt son refus d’incarner l’idéal féminin : mariage ; famille ; maternité, le tout assorti des qualités naturelles au sexe : docilité (voire soumission) ; patience ; sens du sacrifice, lui-même originé dans un profond sentiment de culpabilité et d’infériorité. Or on sait que la culpabilité affaiblit et rend malléable voire maniable, mais d’un autre côté le sacrifice intensifie le sentiment d’être nécessaire.

Dans une interview à France Observateur de mars1960 intitulée « Aujourd’hui Julien Sorel serait une femme » Beauvoir, à la question de savoir de quoi les femmes se sentent-elles coupables, répond : « De tout. De travailler. De ne pas travailler » car soit elle néglige sa maison, soit elle ne vit pas sa vie de femme, voire n’est pas une vraie femme. « Ni celles qui restent chez elles, ni celles qui travaillant ne trouvent aujourd’hui dans leur condition la pleine réalisation d’elles-mêmes ».

C’est sur ce fatras composé au cours des siècles et par des instances reconnues, que la femme doit se construire en prenant la parole. La démarche d Beauvoir est en ce sens phénoménologique puisqu’elle cherche à écarter toutes les représentations de la femme et les interprétations de son comportement pour la décrire telle qu’elle est et non pas telle qu’on voudrait qu’elle fût. Or le discours tenu sur elle lui apparait comme un discours de vérité, elle est ce qu’on en dit alors qu’on l’a privée de parole et même d’existence langagière, les écrivaines et autres auteures sont d’apparition récente et timide. Force est donc de constater que la femme n’a qu’une existence virtuelle et qu’elle s’y complait. Car si les hommes sont responsables les femmes ne le sont pas moins, elles sont coupables d’une servitude volontaire qui alimente le pouvoir de ceux qui les dominent. Dans l’article cité, elle reproche aux femmes de trop penser à elles-mêmes, à leur moi et d’être dès lors incapables de se transcender dans un projet. Bien sûr on leur donne en échange quelques hochets mais pour encore plus assurer leur mise sous tutelle. Il leur faudrait chuter pour savoir marcher mais on leur propose de s’éviter cette peine et elles l’acceptent tout en éprouvant du ressentiment à l’égard de ceux auxquels elles s’aliènent, pourtant volontairement. Ne pourraient-elles pas, après tout, dire non?

Oui, mais à une condition, que sa situation économique change. Là est en effet le nerf de la guerre. Sans salaire comment accéder à l’autonomie? Et  « justement » on ne salarie pas la femme au foyer. Et Beauvoir place cette condition avant l’action politique, car après tout les femmes ont en France, acquis le droit de votre après guerre, mais cela n’a rien changé à leur situation ni aux mentalités.

C’est pourquoi elle prend l’exemple de l’Union Soviétique où le socialisme en permettant aux femmes de travailler, leur a conféré les conditions de leur libération. C’est du moins ce qu’elle soutiendra avant de déchanter. En effet en 1968 elle reconnaitra que même « les femmes les plus capables parviennent difficilement à se faire donner des postes de responsabilité » et pourtant il y avait eu la guerre, mais l’égalité arrachée au prix du sang durant la deuxième guerre mondiale, n’avait pas eu l’effet durable escompté.

Dans son livre « La guerre n’a pas un visage de femme » (1983) Svetlana Alexievitch adopte une démarche qui dans le fond à le même objectif que Beauvoir, observer la femme telle qu’elle est, lui redonner la parole, extraire de la gangue des discours entendus la véracité de l’expérience vécue.

Elle y décrit le quotidien terrifiant des femmes au front, mais surtout elle insiste sur leur volonté d’aller au front, non pas pour s’égaler aux hommes mis par amour de la patrie, ce qui a pour effet de les transcender. Dès lors elles conquièrent les mêmes droits que les hommes, les mêmes médailles, la même reconnaissance même si elles rencontrent des réticences. Mais une fois la guerre finie, on les oublie, elles se taisent et le parti les ignore.

Beauvoir devra elle aussi se rendre à l’évidence, le socialisme n’est pas la panacée, ni la terre de la liberté, il n’est que de se rappeler des monstruosités commises par Staline.

 

II – L’ACTIVISME

 Mais il faudra attendre jusqu’aux années 60 pour que Beauvoir constate que « La société n’a pas changé : la femme n’est pas encore devenue une être humain à part entière ». Elle écope toujours d’emplois subalternes, peu travaillent et surtout les mentalités et philosophies n’ont pas changé.

Aussi dans une conférence donnée à Sao Paulo en août 1960 elle conseille « aux femmes de choisir de participer davantage dans les domaines sociaux, économiques, culturels et politiques. Le but à atteindre c’est l’indépendance des femmes par le travail ».

Elle-même s’engage sur la cause féminine auprès du MLF dans les années 1970. Cela ne signifie pas qu’entre temps elle soit demeurée muette. Au contraire elle a multiplié les conférences à travers le monde. Nous avons déjà évoqué son voyage à Sao Paulo, il y en aura d’autres. Ainsi celui au Japon en 1966. Elle y donnera trois conférences dont deux « Mon expérience d’écrivaine » et « La femme et la création » pour s’expliquer sur le vieux poncif de l’incapacité naturelle de la femme à être créatrice.  « Pour pouvoir écrire… il faut d’abord s’appartenir » affirme-t-elle. Et d’expliciter les causes qui l’en empêchent en commençant par l’identification de la petite fille à sa mère, qui la marqua du sceau indélébile de la relativité à un être lui-même secondaire ; en outre tandis qu’on propose au petit garçon un idéal de dépassement de soi, à la fillette on enjoint la modestie et l’obéissance ; de la sorte l’un éprouve le besoin de construire une œuvre et ce d’autant qu’il est à même de prendre une distance à l’égard du monde et de le remettre en question, tandis que la femme est plongée dans la perpétuation du même et s’avère créatrice en tant que mère ; par ailleurs la femme manque de confiance en elle, définie comme un être faible et sensible elle est incitée à chercher une protection et ce d’autant plus qu’elle n’est pas indépendante économiquement.

Par conséquent pour prétendre écrire et non pas se livrer  à un passetemps de femmes désœuvrée, il faut faire table rase de son conditionnement et posséder un cogito en l’occurrence de femme. L’année suivant au Caire en 1967 « elle demande l’égalité celle-ci n’étant pas l’identité ». Mais elle ne pense plus que le travail soit la seule voie de l’égalité.

« Je ne pense pas qu’aujourd’hui le travail donne nécessairement la liberté… Elle ne peut se libérer par le travail que dans une société socialiste » car là l’ouvrier n’y est pas exploité par le capital.

Cependant à Zagreb en 1968, elle constate que  « la situation non seulement n’a pas beaucoup changé mais qu’elle a empiré et ce car la femme ne jouit toujours pas de son indépendance économique laquelle est « la condition sine qua non de toute indépendance : morale, psychologique » et ajoutons, politique.

Une véritable campagne antiféministe s’est organisée favorisée par la démocratie bourgeoise qui vise avant tout à servir ses intérêts. Par ailleurs le chômage augmentant les femmes en sont les premières victimes.

Comme d’habitude on ne fait appel aux femmes qu’en cas de besoin (la guerre) ou lorsque les hommes sont pourvus. Enfin Beauvoir argue d’une troisième raison, la non politisation de la femme, qui a son tour favorise celle de l’homme, en l’occurrence l’époux qu’elle tache de maintenir dans les rets du foyer.

Or ceci n’est pas propre aux pays capitalises, partout les préjugés ont la vie dure. Et si les hommes considèrent les femmes comme moins capables, les femmes, pensent certaines, se montrent inférieures. Ce qui paradoxalement les rapproche.

Outre donc son essai, et ses conférences, Beauvoir va aussi passer à l’action dans le Nouvel Observateur le 14 février 1972 elle s’en explique.

Alors qu’en 1949 elle pensait que « le socialisme résoudrait automatiquement les problèmes de la femme », elle se rend compte que « pas plus dans les pays socialistes que dans les mouvements gauchistes l’égalité n’a été obtenue ». (Elle est aussi revenue sur l’identité de la situation de l’ouvrier et de la femme au foyer qui elle ne produit pas de plus values).

Son militantisme se fait radical « les femmes doivent se défendre également par la violence » sans toutefois adhérer à certaines idées féministes touchant les rapports sexuels nécessairement oppressifs. Sa position en matière d’amour est bien plus nuancée, ni angélisme, ni diabolisation, l’amour écrit-elle est fait de défi, vengeance, surprise… « vous tombez amoureux lorsque la vie a perdu toute saveur » (propos rapportés dans « Une célèbre française explique ce que l’amour est et ce qu’il n’est pas » – 1965).

Elle réaffirme, mais cette fois-ci de façon plus polémique, ses idées en matière de famille et de maternité, lesquelles doivent être dissociées « Je suis pour l’abolition de la famille, écrit-elle, c’est par l’intermédiaire de la famille que de monde patriarcal exploite la femme, lui extorquant chaque année des milliards d’heures de travail invisible ».

C’est en 1973 que la présidente de l’Association « Choisir » se prononce en faveur de l’avortement dont elle signe le « Manifeste des 373 salopes ».

Refuser l’avortement est un crime d’une part parce que c’est condamner « les femmes les plus déshéritées à mettre au monde des enfants non désirés » et d’autre part parce que ceux-ci sont voués à la délinquance.

Quant à savoir si le fœtus est une personne, se pose-t-on la question lors d’une fausse couche? Empêcher la femme d’avorter c’est la river au foyer, l’empêcher de travailler à l’extérieur et donc contribuer gratuitement à l’économie.

Elle élargit du reste son champ d’action à la « condition féminine du troisième âge » où l’inégalité et la ségrégation sont pires encore car basées sur l’apparence physique. Dira-t-on, à la différence d’un homme, qu’une femme est une belle vieillarde? Et si l’on considère la fréquentation des instituts de beauté et la fréquence des opérations esthétiques, en particulier dans les métiers de représentation on ne pourra qu’être convaincus.

A la même époque Brel chantait  « Mourir cela n’est rien mais vieillir… ».

En 1972 parait « La femme révoltée », une interview d’Alice Schwarzer dans le Nouvel Observateur.

Celle-ci demande à Simone de Beauvoir pourquoi elle a attendu 23 ans avant de s’engager. Elle répond que la situation n’ayant pas changé, elle se sent un devoir à l’égard de celles qui ne sont pas privilégiées. Non seulement il faut changer les mentalités mais le système tout entier ce qui en est la cause et dont le mâle profite. Mais suffit-il de supprimer le capitalisme pour supprimer l’oppression, rien n’est moins sûr. En définitive c’est la famille qui est responsable de cet état de fait, or même en Chine la famille demeure la cellule de base (film H6). « Je pense qu’il faut supprimer la famille » répète-t-elle et on le lui a suffisamment reproché, mais l’a-t-on comprise? Parle-t-elle de supprimer les liens affectifs? Non au contraire, mais un type de structure politico-économique. En tout état de cause le problème de la femme est un problème de cet ordre.

La position de Beauvoir à l’égard de la famille est révolutionnaire puisqu’elle souhaite dissocier maternité et mariage et constate qu’un enfant « ne saurait s’épanouir nulle part aussi bien qu’au sein de la famille ». Question réactivée actuellement par la possibilité pour un couple homosexuel d’adopter un enfant (et pourquoi pas pour la femme célibataire).

Les années passent mais le bilan demeure le même et inlassablement Simone de Beauvoir continue son combat. En 1976 dans un article du Nouvel Observateur « Quand toutes les femmes du monde… », le ton de Beauvoir se fait intensément polémique et le texte résume bien la situation toujours d’actualité de beaucoup de femmes de par le monde qui sont nombreuses à connaitre les violences psychologiques et physiques diffuses ou non.

Aussi la philosophe est-elle déçue « J’avais certaines illusions sur les pays socialistes… et je pensais que l’émancipation de la femme serait presque nécessairement amenée par l’avènement du socialisme », or « aucun régime ne mérite vraiment d’être appelé socialiste ». Aussi un nouveau féminisme est-il né où il ne s’agit plus de « travailler avec les hommes » mais en tant que femme pour les femmes.

La question est toujours à l’ordre du jour et s’est élargie tout en se compliquant de la distinction entre genre et sexe avec la revendication de choisir sa sexualité tout comme la femme doit aussi avoir le choix de choisir sa condition en toute responsabilité.

Reste que Simone de Beauvoir pose autant de problèmes qu’elle en soulève, comme le confirment les critiques qu’on lui a faites.

 

III – QUESTIONS A SIMONE DE BEAUVOIR

 - Dans le Figaro Littéraire en date du 29 septembre 1969, Suzanne Lilar reproche à Simone de Beauvoir de neutraliser le sexuel et d’identifier la femme et l’homme par désexualisation, elle aurait même fait de la femme « l’homme manqué d’Aristote et de Saint Thomas ». Ce dont se défend Beauvoir en arguant de la spécificité biologique de la femme qu’elle ne nie pas mais qui ne suffit pas à justifier quelque discrimination que ce soit.

 Mais dès la parution du deuxième Tome, les attaques peu philosophiques mais surtout moralisatrices avaient fusé. Mauriac écrivit aux Temps Modernes « J’ai tout appris sur le vagin de votre patronne » reléguant le « Deuxième Sexe » au rang de livre pornographique. Beauvoir l’attribue à son éducation chrétienne inclinant les hommes vers le sadisme, mais aussi à l’inquiétude des hommes en France à l’égard de leur situation économique et de leur statut social. Réduire la femme à sa sexualité hystérique, c’est invalider toute tentative d’égalité.

 - Dans la même veine Armand Hoog, attribua le « Deuxième Sexe » à « l’humiliation de son auteur d’être femme douloureusement consciente d’être enfermée par les regards des hommes dans sa condition …» ce qui était encore une façon de prêter à la femme une infériorité certaine par rapport à l’homme.

 - Même Camus l’accuse « d’avoir ridiculisé le mâle français ». Il était face à la femme, la conscience et le regard, et elle, l’objet.

 - La droite honnit son livre mais la gauche aussi. Une internationale masculine s’arma.

 - Mais c’est surtout son chapitre sur la maternité qui lui valut le plus d’attaques sans qu’on eut compris que là encore elle défendait la liberté contre l’aliénation des conventions. Il s’agissait d’élargir les modalités et les objectifs du destin de la femme et des conditions de son épanouissement.

 - Quant à lui refuser de s’exprimer sur la maternité parce qu’elle n’avait pas été mère, autant refuser à un anthropologue d’étudier une société dont il n’est pas originaire. Suffit-il de pratique une langue pour la connaitre?

 - A propos de l’avortement on lui objecta l’argument des futurs contingents : et si l’on supprimait un Mozart ou un Mao, à quoi elle répond que « peut-être on épargne au monde un Hitler. Tout cela n’est que fariboles ».

En fait là encore il s’agit de réprimer la femme et de la tenir au foyer tout en procurant à la société de futurs consommateurs, travailleurs, soldats, dirigeants.

 - Quant au divorce auquel elle est bien sûr favorable il s’agit d’en transformer les conditions particulièrement dégradantes pour la femme.

 Mais outre ces objections de fait on pourrait aussi la questionner sur le rapport théorie-expérience. « Qui pourrait comprendre ça s’il ne l’a pas connu lui-même? » écrit Alexievitch à propos de la guerre. Question de distance, il s’agit de n’être pas juge et partie tout en étant dedans et dehors. Mais il s’agit aussi de conjoindre le concept et l’expérience car l’un sans l’autre est vide tandis que l’autre est aveugle.

Beauvoir échappe-t-elle à la difficulté? Sur le plan conceptuel elle est armée, sur celui de l’expérience on peut s’interroger car jamais elle ne laisse la parole aux femmes mais recouvre celle-ci d’un savoir théorique. Pire elle dévalorise voire méprise souvent les lettres qui lui sont adressées. Seul le discours savant serait-il vérace, authentique et renseigné? Ce faisant elle adopte la position de surplomb des hommes à l’égard des femmes.

En outre si on rapporte toute différence entre l’homme et la femme (sensibilité – esthétique) à la situation, comme expliquer que celle-ci ait pu surgir? Ne sont-ce pas des différences innées entre l’homme et la femme qui ont généré des situations favorables pour les perpétuer? Peut-on nier que l’homme et la femme sont dissemblables? Certes non, et Beauvoir ne le fait pas, ne serait-ce que sur le plan biologique, mais alors pourquoi ne pas admettre aussi que les différences psychologiques soient naturelles sans que bien sûr cela ne cautionne aucune discrimination?

 

CONCLUSION

 Beauvoir est-elle parvenue à répondre à la question de savoir ce qu’est une femme? Certes non et elle aurait récusé cette question. Par contre elle a répondu à la question de savoir comment elle le devenait dans une société déterminée par le masculin, afin de la désaliéner d’une situation donnée, nourrie de mythes, de paroles de philosophes. Bien sûr elle pose la question à partir de sa place de privilégiée et lorsqu’elle évoque des carrières ce sont celles des professions libérales au point que Jeannette Thorez Vermeersch y voit « une insulte aux ouvriers ».

En tout cas ce fut une œuvre d’avant-garde et un efficace exemple d’existentialisme appliqué.

En quoi consiste donc le fait d’être femme? Non pas dans une nature mais dans un face à face avec une situation à laquelle on réagit, ceci explique qu’on ne peut définir la femme mais observer le sens qu’elle confère à une situation qu’elle juge.

Mais comment restituer à la femme la possibilité et les moyens de choisir son histoire? Question récurrente, surtout si l’on considère que depuis « Le Deuxième Sexe » la situation n’a que timidement évolué en Europe et que nombre de problèmes perdurent à travers le monde, et à laquelle Simone de Beauvoir répond par le projet :

 « Tout sujet se pose concrètement à travers des projets comme une transcendance ; il n’accomplit sa liberté que par son perpétuel dépassement vers d’autres libertés… »

Simone de Beauvoir – « Le Deuxième Sexe »

 Le Deuxième sexe », de Simone de Beauvoir - 21 livres à lire au moins une fois dans votre vie - Elle

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

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