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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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27 septembre 2021

POURQUOI CREE-T-ON?

POURQUOI CREE-T-ON?

Au premier abord la question telle qu’elle est posée pourrait inclure aussi bien la création d’un commerce, de biens sociaux, de besoins ou d’emplois mais il ne s’agit pas tant d’interroger les différents objets qui peuvent être concernés que l’essence même de la création dont le paradigme nous semble être l’art. C’est donc à ce champ d’action que nous nous tiendrons.

La question apparemment simple se complexifie de ses présupposés car pour y répondre, encore faut-il définir la nature du « créer ». S’agit-il d’un travail ou d’un jeu? S’interroger sur la prétention d’un acte originel ab nihilo a l'instar du geste divin et se demander si après tout, il ne s’agit pas plutôt d’une reproduction. Présente-t-on ou représente-t-on? A moins qu’on ne transforme. En outre se pencher sur ce qui fait qu’il y a création impose de distinguer les causes et les raisons qui y président. Est-on agi par des causes qui nous déterminent ou vise-t-on des objectifs précis?  Enfin cette interrogation présuppose que l’on puisse effectivement comprendre à la fois ce qu’est la création et pourquoi l’on crée. Mais ce processus n’échappe-t-il pas à une saisie rationnelle? Voire la compréhension ne serait-elle pas une réduction du caractère énigmatique de la création?

Examinons tout d’abord, sans prétendre à l’exhaustivité, le processus de la création artistique. Il est manifeste que celui-ci tient à la fois au travail puisque l’artiste s’affronte à un matériau qu’il soit réel ou virtuel, naturel ou artificiel, au moyen de techniques qu’il peut, comme son matériau, créer. Dubuffet parlant de l’artiste, le définit comme « un homme du commun à l’ouvrage ».

Mais s’en tenir là, serait occulter le caractère ludique de l’art. Celui-ci est, en effet, et en même temps jeu, non pas au sens d’un loisir mais d’un jeu des possibles a l’instar de celui de la vie. L’artiste crée des  mondes possibles outrepassant les lois naturelles, mais aussi les conventions quelles soient esthétiques, morales ou sociales, en quoi, à l’exemple de la philosophie, l’art est une discipline libérale. Wole Soyinka résume cela en écrivant que « l’artiste est un explorateur visionnaire » qui, ajouterait Klee, « n’imite pas le réel mais rend réel ». Le créateur voit mieux et autrement que les autres hommes, c’est pourquoi il est un phare.

L’artiste Chomo lui donne même pour fonction de donner une âme aux choses, à moins qu’il ne la leur découvre.

Cela étant dit, on peut tenter de cerner les causes qui président à la création artistique en se référant à la théorie aristotélicienne des quatre causes.

Tout d’abord la cause matérielle, évoquée ci-dessus puis la cause efficiente qui produit l’objet, en l’occurrence l’artiste et les moyens qu’il emploie, la cause formelle qui est la forme qu’empruntera l’œuvre par exemple une statue et enfin la cause finale ce en vue de quoi elle sera produite, tel que témoigner d’un évènement. Ainsi peut-on répondre à  la question de savoir quelles sont les causes, c’est-à-dire les conditions de possibilité qui président à la création d’une œuvre.

Mais cette réponse est-elle suffisante? Certes non car si on a bien affaire aux éléments formels de la création, susceptibles de s’appliquer par ailleurs à toute invention technique, force est de constater que ce sont avant tout les raisons qui nous inter-essent, à savoir les buts que poursuit l’artiste. Pour traiter cet aspect nous allons faire appel aux fonctions de la communication.

Si on admet que l’art est une forme de langage, alors on peutaconcevoir que sa fonction première est l’expression puisque le créateur exprime nécessairement ce qu’il est par ce qu’il fait. Ainsi nous interrogeons-nous sur son identité, sa psychologie, son histoire, ses désirs et ses manques, en particulier lorsqu’il s’agit d’œuvres à caractère autobiographique, qu’on songe aux « Confessions » de Rousseau, écrites pour exprimer sa culpabilité, celle de Sartre interrogeant l’origine de son parcours intellectuel, ou encore celle de Cyrulnik dont la réflexion sur son enfance de petit juif condamné à mort l’amène à jeter les fondements de la résilience. En créant l’individu se crée, se donne une identité, voire fait de lui-même une œuvre d’art. Bien sûr son passé est une re-présentation issue d’une interprétation, mais une personnalité est-elle autre chose que le fruit d’un récit?

Nathalie Sarraute dans « Enfance » s’interroge sur le bien fondé de cette entreprise, sur sa légitimité, son utilité, après tout pourquoi faire le récit de soi?

Le peintre fait de même dans ses autoportraits, songeons à ceux de Rembrandt ou de Van Gogh ou encore de F. Bacon posant inlassablement la question « Qui suis-je »? Comment suis-je devenu ce que je suis? Quelle connaissance ai-je de moi-même? Et au fond du regard que l’artiste porte sur lui-même une réponse surgit, irrémédiable, « je suis un être fait pour la mort » et paradoxalement c’est l’acte attestant de sa vie qui lui donne cette réponse, de sorte que, comme l’écrivait Malraux, l’art est un anti destin, autrement dit ce par quoi l’être résiste à la mort dont l’inquiétude le nourrit. Affirmation vitale donc. C’est pourquoi l’art est mémoriel puisqu’il portera la trace de l’artiste une fois disparu comme il porte la trace de ceux auxquels il peut être rendu hommage. Ainsi l’art fait-il sens, à la fois parce qu’il résonne chez le regardeur, le lecteur, l’auditeur qui peut s’identifier ou du moins se reconnaître en l’œuvre, mais aussi parce qu’il confère du sens au chaos. C’est ainsi que Dieu, dans la genèse crée le ciel, la terre, les eaux en les séparant. Aux ténèbres il fait succéder la lumière.

Dieu est du reste la figure même du créateur, c’est sans doute pourquoi le poète écoute la muse et s’en fait le porte-parole. Il exprime ainsi sa relation au cosmos et à ses forces qu’il craint et qui l’attirent. La frontière s’estompe entre le profane et le sacré.

L’artiste exprime ainsi ses désirs et qui dit désirs dit manques. C’est pourquoi on considère souvent que l’art est fait pour divertir, mais en fait il n’en est rien, au sens banal du terme. L’art au contraire plonge dans le labyrinthe de l’inconscient dont par sublimation il exprime en les détournant de façon poétique, les pulsions.

En second lieu si on reprend le schéma de la communication, tout langage a une fonction conative, c’est-à-dire, une action sur le destinataire, au point que dire serait faire. C’est le fameux fiat lux. Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut. Injonction qui est paradigme de l’acte performatif. Or tel peut être l’un des objectifs d’une œuvre d’art, en suscitant des émotions, sentiments susceptibles de mettre le récipiendaire en action. C’est ainsi que Shelomo Selinger, hanté lui-même par des cauchemars relatifs à sa déportation en camp d’extermination, veut, grâce à ses œuvres monumentales en granit, à la fois témoigner, rendre hommage et graver dans les mémoires le souvenir de ces atrocités afin que les individus disent non aux manipulations générant le grégarisme. Mais de la lumière jaillit aussi de ses statuts pour témoigner qu’elle doit et peut l’emporter sur les ténèbres.

C’est dans une perspective similaire que Mr Macron a sollicité deux artistes, l’un musicien, Pascal Dusapin et l’autre plasticien, Hans Kieffer lors de l’entrée au Panthéon de Maurice Genevoix en novembre 2020 afin de rendre hommage aux disparus de la première guerre mondiale, mais aussi de rassembler les français dans une mémoire collective de leur histoire constituant leur identité. On pourrait aussi citer les poèmes d’Eluard et d’Aragon et plus près de nous les chansons de rappeurs créées pour rassembler et  faire agir les gilets jaunes. Le rap contribue du reste à forger une conscience politique, critique, songeons à Orelsan qui fustige une société petite pensante, engluée dans la consommation et le doigt sur la couture du pantalon. D’autres y risquent leur liberté, voire leur vie, comme l’illustrent les Pussy Riot en Russie.

Créer peut être à ce prix là, le prix de la vie, mais vivre sans liberté « c’est renoncer à sa dignité d’homme et à sa moralité ».

En troisième lieu, créer, c’est, si l’on poursuit dans les fonctions du schéma communicationnel, assumer une fonction poétique, autrement dit : élaborer un nouveau langage. Qu’est-ce qui en effet permet de reconnaitre un auteur? C'’est son style défini par Kant comme « ce par quoi la nature donne ses règles à l’art ». Le style est unique, original, ne tient à aucune « recette », à aucun concept du beau. Le style c’est ce langage si particulier grâce auquel l’artiste crée un monde possible à partir de la représentation de ce qui est. Par le style il fait advenir des personnages, des sentiments, il suscite des émotions inconnues, partage son imaginaire, et se transforme en démiurge. Ainsi n’est-il pas un suiveur, mais répétons Wole Soyinka, « un explorateur visionnaire ».

Nous avons donc répondu à la question de savoir pourquoi l’on crée, mais cette réponse est-elle suffisante car si elle a bien cerné l’avant et l’après de la création est-on pour autant renseigné sur le pendant? Si on répond par l’affirmative cela signifie que le processus créateur est com-préhensible c’est-à-dire dé-finissable, a-raisonné aux limites de la raison. Mais précisément la création n’est-ce pas ce qui échappe à toute assignation? Chomo le proclame haut et fort, l’art est spontané et en tant que tel inattendu, soudain, impétueux, antagoniste de la discursivité par quoi se définit le cheminement de la raison. L’art plonge ,dit-il, dans le labyrinthe de l’inconscient, d’un inconscient qui ne se réduit pas à celui d’un individu mais qui s'enracine dans les énergies cosmiques. Autant dire que la création est une énigme.

N’est-ce pas du reste la raison pour laquelle les dieux en sont les initiateurs?

Dans un documentaire réalisé par Clouzot, Picasso est filmé à l’œuvre, sans un mot, ni une explication il dessine. Pense-t-il à ce qu’il veut réaliser? Est-il agi par cette force mystérieuse qui a nom inspiration. Joue-t-il avec les formes d’un monde possible? En tout cas surgit sous nos yeux étonnés un univers de formes qu’il recombine. Ainsi donne-t-il à voir l’invisible, ainsi nous invite-t-il à désinstrumentaliser les objets pour qu’ils se donnent dans leur énergie première, dans leur identité propre.

Alors les objets deviennent des personnages comme dans l’opéra « Casse-noisette », le monde s’anime, la matière s’autonomise. Devant un bloc de pierre Chomo s’exclame « ça barde », la pierre s’impose au burin, guide la main de l’artiste et s’exprime. C’est aussi ce que nous apprend Sylvie Germain à propos de Magdiel dans « Les personnages », ceux-ci arrivent, s’imposent, se dessinent progressivement, alors l’artiste est confronté à lui-même dans ce miroir qu’est son œuvre à la fois autre lui-même et autre que lui-même. Avec son œuvre il fait l’épreuve de l’altérité et du faire chair du verbe.

« On ne choisit pas ses personnages » écrit l’auteure, voire ceux-ci peuvent emmener dans des voies d’écriture inexplorées et de conclure « La réalité était un souffle exhalé par un rêveur et qui se déposait en buée, en fleurs de givre, en poussière solaire sur la grande nuit cosmique ».

Dès lors l’univers tout entier échappe aux distinctions rationnelles, aux brisures arbitraires et se révèle en lien. L’art s’avère alors le média grâce auquel on peut refaire du lien, avec soi, les autres et le monde, comme peut l’illustrer le « bœuf » d’un groupe de jazz.

Wole Soyinka ne dit pas autre chose lui qui fonde son œuvre théâtrale, romanesque, poétique sur une métaphysique du totalisme ou la matière et l’esprit (se) correspondent. Le monde est plein de dieux écrivait Aristote, plein d’esprits répond en écho Wole Soyinka.

C’est pourquoi, selon Chomo, l’artiste doit être total, tout à la fois musicien, plasticien, poète, sculpteur… pour exprimer les énergies cosmiques à l’œuvre.

C’est à la source même de l’énigmatique force vitale que puise l’artiste, mais à condition de retrouver ce regard innocent de l’enfant qui s’émerveille exempt de critiques et de jugements. Enfant qui rit, enfant qui danse à l’instar de celui qui clôt les métamorphoses qu’évoque Zarathoustra ou de Picasso dont son fils Paul disait qu’un cendrier et une pomme suffisaient à l’occuper pendant des mois.

Ainsi l’artiste nous pose plus de questions qu’il n’offre de réponses et nous reconduit à l’énigme de la question « pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien? »

 

ANASTASIA CHOPPLET

 

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