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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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27 septembre 2021

POURQUOI PREFERER LA LENTEUR?

POURQUOI PREFERER LA LENTEUR?

« We try hard » affirme la publicité. Toujours plus vite, toujours plus fort. Mais l’équation a fait long feu comme invite à le penser le présent corpus en valorisant la lenteur voire l’immobilité. Position paradoxale s’il en est, puisque le détour par la lenteur serait nécessaire à l’action grâce à une triple recoïncidence que nous proposons d’analyser, avec soi-même, avec le monde, avec les autres.

 David le Breton dans son texte extrait de « Marcher – Eloge des chemins et de la  lenteur » paru en 2012 chez Métaillié, explicite les effets de la marche sur l’individu. Elle permet en effet de recoïncider avec soi-même, c’est-à-dire avec sa temporalité interne en se purifiant de toutes les tristesses , inquiétudes et tensions que suscite la vie en société. La suspension du temps allège en effet des soucis, et élargit de ce fait l’univers physique et mental, en remettant la pensée en mouvement comme l’illustre le personnage de Giono dans «L’homme qui plantait des arbres » (Gallimard – 1996) qui décide de planter des milliers de hêtres car il se sent vis-à-vis de la nature une responsabilité telle qu’elle lui fait inverser son échelle de valeur, comme le souligne Le Breton. Il suit son idée quitte à vivre en marge de la société car il œuvre pour l’être et sa propre humanité. Ainsi le retrait, la suspension du temps, voire la totale immobilité des paysans qui font la sieste dans le tableau de Van Gogh « La méridienne ou la sieste » (1889 – 1890) sont-elles propices à une activité certes, mais vécues différemment.

 Recouvrer son centre de gravité n’est pas la seule caractéristique de la marche et de la lenteur ou plutôt du ralentissement. Elle permet aussi de recoïncider avec le monde, de voir celui-ci mieux et autrement comme l’artiste, en l’occurrence Van Gogh nous y invite grâce à sa composition qui par le contraste des couleurs met en valeur l’immobilité des corps alors que les meules flambent au soleil.

Le marcheur éprouve aussi ce sentiment grâce à la lenteur de son déplacement qui lui permet de porter un regard dés- instrumentalisé sur le monde. De même qu’il s’est purifié, écrit Le Breton, de même apure-t-il son regard. Il regoûte à la « saveur du monde » en recoïncidant avec l’être là de sa présence.

C’est ce que ressent et vit l’homme qui plante des arbres lors de ses marches solitaires et silencieuses. Il vit au rythme de la croissance des arbres et jouit de la beauté du monde, tout comme le lièvre de la fable de La Fontaine « Le lièvre et la tortue » qui refusant de se précipiter, car il est sûr de son succès, se perd à batifoler dans la nature au lieu d’être pris par le souci de la course et paradoxalement ce n’est pas la tortue qui incarne ce rapport au monde, quoiqu’elle soit lente, mais le lièvre. A l’instar du paysan de Van Gogh, il prend même le temps de dormir.

 Enfin la marche permet aussi de se réconcilier avec les vivants et les morts comme l’affirme Le Breton qui adopte un vocable religieux où il est question d’une analogie entre la marche et un pèlerinage, voire d’une « longue prière aux absents ».

La marche réactive la mémoire et les conversations avec les disparus. Ainsi le personnage de Giono s’est-il réfugié dans la forêt après la perte de son fils et de sa femme et sans doute a-t-il commué leur mort en redonnant vie à la forêt.

Aussi la mort n’est-elle pas tristesse, non plus que la lenteur, la vieillesse, la solitude et le silence mais au contraire apaisement, sérénité et joie, de cette joie qui perdure en deçà des tristesses. L’homme a recouvré la joie avec la mémoire et il poursuit dans la forêt la conversation avec ses disparus et les arbres. Les paysans de Van Gogh reprendront la leur en se remettant au travail sous ce soleil éclatant au rythme duquel ils vivent. Quant au lièvre, peut-être se remettra-t-il de sa défaite en songeant aux agréments de sa promenade qui l’aura délivré de l’impératif de courir.

 La lenteur n’est-elle pas dès lors la condition de la liberté et partant du bonheur?

 

ANASTASIA CHOPPLET

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