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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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4 mai 2021

JOURNAL DE DEUIL

« Journal de deuil » écrit à la suite du décès de sa mère marque toute l’œuvre de Roland Barthes. C’est donc un affrontement vécu dans sa chair et son esprit qu’expriment ses mots « Deuil : non pas écrasement, blocage, (ce qui supposerait un « rempli ») mais une disponibilité douloureuse : je suis en alerte, attendant, épiant la venue d’un « sens de la vie » ». Avec  l’aimé c’est le sens de la vie qui s’en est allé. Certes le champ des possibles s’ouvre, infini, mais au prix de l’angoisse, voire de l’échec, car le sens attendu ne viendra peut-être pas. Le deuil, c’est la perte d’un autre qui fut un autre soi-même, c’est donc une amputation dont on parviendra ou non à se remettre, à laquelle on substituera ou non une prothèse. On fera ou non avec. On demeurera comme l’écrit Barthes, bloqué sur un passé dont on gardera la nostalgie sans pouvoir jamais retourner sur l’île bien aimée.

Le « rempli » ne laisse alors nulle place pour une ad-venue. On est écrasé, sidéré, sans force, ni voix, on n’y croit pas, on pense se réveiller d’un cauchemar et si la nuit apporte quelque soulagement, le jour impose la réalité.

Comment supporter la perte, l’irrémédiable perte qui rend précisément le sens de la vie absurde puisque rien ne résonne plus en l’autre? Avec lui on perd ses repères : dans le temps qui n’est plus partagé ni orienté vers lui : dans l’espace qu’il ne remplit plus de sa présence. Le temps s’est arrêté à l’horloge et les objets ne sont plus déplacés. Tout est suspendu, peut-être à une attente, mais l’autre n’étant plus là que peut-on attendre, s’il a emporté ce qui faisait la signification et la direction de la vie? Comment espérer la recouvrer?

On pourrait oublier et s’oublier dans le divertissement des multiples activités : travail, loisir, amis(es), amants(es)   de passage mais on sait bien que l’ivresse est éphémère et laisse le goût amer de la mort qu’on voulait fuir.

On pourrait feindre l’indifférence, prendre sur soi, se dire que « c’est la vie », alors que c’est précisément la mort.

On pourrait encore se réfugier dans quelque sagesse philosophique ou spirituelle. Penser que la mort est un processus naturel, que nous sommes de la poussière d’étoiles ou que quelque résurrection ou réincarnation nous attend.

On pourrait… mais la réalité du vide est là et de la présence il faut faire le deuil. S’habituer au silence de la maison lorsqu’on rentre, à l’immobilité de toutes choses. Le logis devient sarcophage et la tentation est grande de se figer à son tour.

Car après tout pourquoi regarderait-on vers l’avenir, vers les autres, vers l’horizon des possibles?  « A quoi bon » puisque tout ce qui vit est destiné à mourir?

Et puis un jour le ciel est plus bleu, le soleil plus brillant, quelque chose palpite en soi, manifeste l’envie de vivre à nouveau. Le deuil ouvre sur la disponibilité, on n’est plus dans le refus, on soulève l’écrasement, on est « en alerte ». La force de vivre pointe au cœur de l’effondrement comme les herbes sur les trottoirs, improbables mais bien vivantes.

L’irrémédiable, l’irréparable, l’incompréhensible et l’injuste, se muent, dans le creuset alchimique du deuil, en pierre philosophale, la lumière pointe.

De mort je redeviens vivant, un vivant « en alerte, attendant, épiant la venue d’un sens de la vie ».

Mais cela ne suffit pas pour vivre car l’attente n’est pas l’action. L’attente est l’expression de l’impuissance. On ne vit pas, on attend de vivre, on attend le miracle, le paradis, le salut d’un autre que de soi. On se fait croyant. Certes on vit mais sans force, livré au hasard ou au destin. Et l’on souffre car la « disponibilité est douloureuse » d’une part car elle est trahison à l’égard de celui qui n’est plus, et d’autre part parce que le désir est manque et le manque douloureux. On espère néanmoins qu’« avec le temps ça s’arrangera » que le temps, toujours lui, sera réparateur. Mais qu’est-ce que le temps auquel on prête une intentionnalité et une finalité, si ce n’est une idolâtrie de l’esprit?

Avec le temps on accèderait au bonheur et à l’oubli, pensée névrotique dirait Clément Rosset.

Rien ne se substitue à la réalité. On ne peut y sélectionner les évènements, en éliminer les cruautés, tout est à prendre et rien n’est à laisser et cela s’appelle vivre et cela requiert la force de vivre dont l’expression ultime est l’amor fati qui fait du souffrant un surhomme voulant l’éternel retour du même sans rien en éliminer.

Ainsi faudra-t-il que Barthes comme tous les orphelins du monde veuillent revivre ad vitam aeternam le deuil de leur mère pour savoir vivre leur vie « dans l’approbation inconditionnelle en quoi consiste la joie » (Clément Rosset), sinon l’attente phagocytera la force de vivre et l’individu demeurera sur le quai à regarder partir les navires vers les lointains.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière eet Philosophe

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