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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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20 janvier 2021

MACRON ET LA PHILOSOPHIE?

MACRON ET LA PHILOSOPHIE?

 

LA PHILOSOPHIE PEUT-ELLE ETRE ENTENDUE DU POLITIQUE?

 

 

Peu savent que Mr Macron fut assistant de P. Ricœur dont il écrit dans « Macron par Macron » qu’il l’a rééduqué ; qu’il rédigea un mémoire sur Machiavel et qu’il fit des études de philosophie poussées.

 

Pourquoi le rappeler? Est-ce ce dont a besoin la France, voire l’Europe? La philosophie est-elle nécessaire au philosophe, lui confère-t-elle cette sagesse rassurante de celui qui voit loin, réfléchit profondément, sait se gouverner, connait les valeurs qui assurent le bonheur et prend avant tout en considération le bien commun de façon désintéressée? En un mot le philosophe roi demeure-t-il le modèle ou le mythe fondateur de la cité rêvée?

 

Platon mit tout en œuvre pour le réaliser mais il échoua. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une chimère sans espoir de réalisation ou bien d’une utopie nécessaire?

Car sans utopie, ce bon non lieu présenté comme ligne d’horizon, un projet social est-il possible? Et quand bien même échouerait-il cela en invalide-t-il le sens et la valeur? Du droit ou du fait qui fonde l’autre? Les pragmatiques répondront les faits, les idéalistes le droit. Les uns se heurtant à une multiplicité irréductible, changeante, les autres lui opposeront une unité limitative et arbitraire, oubliant que l’un sans l’autre condamne à être aveugle et/ou vide.

Conséquence : il faut que le paralytique monte sur les épaules de l’aveugle, il faut joindre philosophie et politique comme nous l’ont appris Platon, Aristote, et plus près de nous Habermas ou Badiou sans oublier les autres, car peu ou prou, directement ou non, aucun philosophe ne peut, puisqu’il est question de vivre bien ensemble, négliger la question du politique (ce qui est une autre façon d’en  faire), ni le politique faire fi de la philosophie car quand bien même le voudrait-il, le peut-il au vu des contraintes culturelles, sociales et économiques qu’il ne maitrise pas.

 

Cependant rien n’interdit d’essayer et d’espérer gouverner sous l’égide des philosophes. C’est ce que fait Mr Macron en se prévalant en particulier de P. Ricœur.

La question le concernant est donc de savoir si, en quoi et comment sa formation et ses goûts philosophiques guident sa politique. La supposition, on l’aura remarqué, pèse considérablement car elle a un double enjeu ; d’une part le statut de la philosophie qui pourrait n’être qu’un moyen en vue d’une fin qui ne la concerne pas, auquel cas après avoir été la servante de la théologie, elle serait celle du politique : d’autre part l’essence du pouvoir politique qui serait une pure illusion, le président se contentant de se conformer aux lois du marché décidées à Bruxelles ou ailleurs. Dans ce cas la référence philosophique légitimerait une statue aux pieds d’argile décorant un théâtre où se jouerait une pièce dont personne ne connaîtrait ni le déroulement ni la fin. De son côté le philosophe continuerait à débattre du politique sans jamais voir ses conseils, analyses et avertissements s’incarner dans une action politique, où si occasionnellement, songeons à Vàclav Havel (Président Tchèque) que l’exception confirme la règle.

 

Notre intérêt pour Mr Macron relève de la question plus vaste des relations de la philosophie et de la politique que nous avons étudiées pendant ce cycle de conférences. En l’occurrence la conjoncture actuelle nous permet de répertorier à travers le prisme des références de Mr Macron, les philosophes qui comptent au XXIème siècle en la matière.

Pour pratiquer cet examen, il faut en premier lieu connaître le parcours philosophique de Mr Macon et ce faisant, présenter rapidement les idées des philosophes qu’il cite ce qui nous permettra, peut-être de répondre à la question de savoir ce qu’il reste des philosophes chez Mr Macron et ce au delà des polémiques incendiaires d’un Michel Onfray (Magasine littéraire – juillet 2017 –N° spécial N° 581 – p 81).

 

E. Macron affirme que tout homme politique a une philosophie et lui ne s’en cache pas, mais c’est une philosophie en action. « Il faut aller au corps à corps. Il faut débattre pour déconstruire une parole dans le rapport aux faits. C’est toute la question de la relation entre fait et représentation ».

Mais cela suffit-il à faire de sa politique une philosophie? Une idée est-elle réalisable et à contrario une action doit-elle être l’incarnation d ‘une idée? Faut-il rechercher une philosophie sous-jacente à une politique ou celle que celle-ci produit?

En tout cas il sera important de retenir les problématiques que les philosophes ont élaboré, telle que celle qui pour Ricœur définit le labyrinthe politique : « Le rêve impossible de combiner le hiérarchique et le convivial » rêve dont il avait fait l’épreuve et l’échec alors qu’il était le doyen de Nanterre en mai 68.

A ce propos Mr Macron affirme que « Ricœur a dressé une voie parallèle à celle de notre vie politique et philosophique… depuis 30 ans » qui consiste à se « situer uniquement par rapport aux textes », position qui lui valut de désagréables déboires en 68, alors que pourtant il pratiquait une « polyphonie des interprétations » et pensait que chacun pouvait réfléchir sur un sujet, certes sans être un spécialiste, mais en étant renseigné, comme en témoigne sa philosophie qui ne fait pas système.

Mais ces facteurs  sont-ils compatibles avec la vérité en politique, si tant est qu’il y en ait une et qu’on s’entende sur sa définition. Celle de Platon est incompatible avec celle, effectuelle, de Machiavel sur lequel E. Macron commit un mémoire sous la direction d’Etienne Balibar.

 

A cela E. Macron répond que si la vérité unique est une forme de violence, au contraire celle issue de la délibération témoigne de recherche de vérité. Mais la difficulté consiste à ne pas en mésuser ni en abuser car alors avec ses atermoiements, ses résistances et son long temps, elle devient un obstacle à « l’urgence de la décision ». Entre autoritarisme et inaction, la politique doit trouver la juste mesure que préconisait Aristote car dans les deux cas de figure la politique est confrontée au mal, quand elle-même ne le génère pas.  Dès lors l’action politique prend une « dimension tragique » qui engage fortement l’homme politique.

 

Qu’est-ce que le mal en politique? Et même peut-on le définir comme un absolu alors qu’il est tributaire d’une action. A ce propos Machiavel dénonçait la pitié comme plus nocive que la cruauté et l’on sait que « l’enfer est pavé de bonnes intentions »

Mais si E. Macron rappelle que Ricœur évaluait le mal à l’aune de « l’impardonnable » ce qui l’intéresse avant tout c’est la résilience. Comment faire avec le mal, comment se réconcilier?

Suffit-il de nommer le mal pour pardonner, peut-on jamais oublier ou bien s’habitue-t-on? Se réconcilie-t-on ou se résigne-t-on?

 

En tout cas le dirigeant  politique ne peut pas plus se résigner que pratiquer le cynisme. Et Macron d’affirmer « Je crois à l’idéologie politique » mot piégé s’il en est auquel il confère sa définition étymologique de « construction intellectuelle qui éclaire le réel en lui donnant un sens et qui donne ainsi une direction à votre action ». On aurait envie de demander au président : en quoi croyez-vous ? On sent bien qu’il à lu Kant : « Un concept sans expérience est vide, une expérience sans concept est aveugle ».Il faut donc bien une idéologie pour guider l’action politique et informer le réel. Reste qu’il pose comme principe que cette idéologie, qui a une valeur de vérité, doit être délibérative et adaptative. Il s’agit là encore de trouver une troisième voie entre absolu et relatif.

Retenons que Machiavel attribua l’échec de Borgia et de Soderini à leur manque d’adaptation aux changements de situation. L’un pêcha par sa violence, l’autre par sa « gentillesse » autrement dit, pour Machiavel, sa mollesse.

De même qu’il y a conflit des interprétations, il y a conflits des idéologies mais l’action demande de choisir, comme Descartes, homme d’action s’il en fut, le rappelle alors qu’il se donne trois maximes ad hoc en attendant de construire une morale définitive qui ne verra pas en tant que telle, le jour.

 

On pourrait objecter que le problème se pose à tout dirigeant si et lorsque son parti ne partage pas ou plus son idéologie, mais encore faudrait-il que le parti en ait une, ce que nie Mr Macron réduisant l’engagement à payer sa cotisation. C’est faire peu de cas de ceux qui y croient. Mais il en fait de même pour les intellectuels. Quant aux hommes politiques, ils valorisent l’émotionnel plutôt que la virtù. Et l’on retrouve implicitement la critique machiavélienne d’une action qui s’origine dans la passion et non dans la raison.

On ne dirige pas avec de bons sentiments, qui peuvent n’être qu’un leurre et une ruse, or le peuple est sensible à ceux-ci. La question de la gouvernance se pose en termes d’effectivité et non d’affectivité.

 

Faute de cette distinction le politique devient l’otage de l’opinion et de ses sautes d’humeur.

On « like » tel mot, telle action, on « twitte » (comme les petits oiseaux). Le critère d’appréciation n’est plus qualitatif mais quantitatif. Bref on ne pense plus. Penser comme le définit Descartes c’est « entendre vouloir imaginer mais aussi sentir… » (« Principes de la philosophie » I, 9) ce qui n’exclut nullement le doute. Or Mr Macron lorsqu’il enjoint à « rehausser le politique au niveau de la pensée » appelle a élargir la réflexion sur le rôle accru de l’Etat, à « reconstruire notre imaginaire politique »  en vertu de deux dimensions qui constituent le titre même du dernier ouvrage de P. Ricœur « Politique, économie et société » paru en 2019 composé de textes de années 1958 à 2003 Macron ayant été son assistant à la fin de sa vie pendant deux ans. Dans un article de l’Express du 6/10/2017 à propos de l’ouvrage de Dosse « Le Philosophe et le Président », l’auteur insiste sur la proximité, disons la complicité intellectuelle entre eux, l’un exerçant sur l’autre la maïeutique socratique, l’autre assistant à l’élaboration de « La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli » qu’il commentait accompagné de « notes d’orientation » et de conseils éditoriaux.

C’est pourquoi Macron parle de « compagnonnage ». Il a sans doute trouvé chez Ricœur le courage et la volonté d’être et de faire dans l’adversité, la détermination et l’optimisme emprunté à Alain de « penser printemps » et la voie difficile de la conciliation des contraires au lieu du raisonnement binaire  de l’alternative pratiquée par Machiavel en quoi il y a divergence avec Macron qui cherche les médiations sans pour autant faire preuve d’indécision. Penser la complexité, Edgar Morin ne cesse de s’y exercer depuis des décennies. Complexus signifie ce qui est tissé ensemble. A l’heure actuelle, le politique, le social, le démographique, l’économique, le religieux, l’écologie doivent être pensés ensemble. Il faut penser en termes de relation et de non spécialités. Nous sommes à l’ère planétaire avec ses incertitudes. Il faut enseigner, dit Morin à penser la complexité et ajoutons-nous,  à gouverner en terme de complexité. Or la formule  « en même temps » de Macron exprime une pensée qui en tient compte mais qui bien sûr est très inconfortable et requiert une gymnastique permanente  de l’esprit, ainsi qu’un recul critique à l’égard de ce que l’on tient pour vrai.

C’est pourquoi le philosophe est nécessaire au politique pour lui fournir les concepts médians qui lui permettront de tracer des diagonales. Mais « sur quel concept idéologique refonder l’action politique? » Et Macron d’évoquer Etienne Balibar avec lequel il prépare un DEA sur Hegel dont Balibar ne se souvient pas et Jurgen Habermas. Avec le premier d’obédience marxiste, il découvrit Marx, Lénine, Althusser et peut-être l’ouvrage de celui-ci « Machiavel et nous », Spinoza, Rauls…

Balibar pense en situation dans son cas en terme de conjoncture, en prenant la situation dans ce qu’elle a d’inattendu et contraignant, c’est la fortuna de Machiavel. Il faut donc s’avancer pour savoir dans quelle situation on est. Il faut d’abord s’impliquer dans la situation pour la comprendre. On est déjà et toujours embarqués certes mais il faut le vouloir, ainsi met-on à l’épreuve ses idées. Mais l’influence de la conjoncture doit s’assortir d’une réflexion morale et politique. Car la situation renvoie à ses idées, à ses convictions et à leur défaillance. Qu’est-ce que l’émigration, les gilets jaunes enseignent au politique? Sur quoi interrogent –ils le politique ; citoyenneté, communauté, exercice de droits? Mais l’idéal d’universalité se heurte à la communauté puisqu’il récuse toute exclusion et pourtant la citoyenneté n’est jamais totalisante.

C’est là entre autre l’un des problèmes majeurs auxquels se heurte tout politique s’il veut réinventer la politique et gouverner en s’adressant au peuple tout entier et non à une catégorie sociale.

Un autre problème sur lequel Balibar a dû attirer son attention est celui de la conjonction liberté-égalité. On ne peut choisir, il faut les mettre sur un pied d’égalité alors qu’ils sont antagonistes.

Calliclès déjà affirmait que l’égalité bridait la liberté.

Comme Ricœur, Balibar pense que le philosophe est dans la cité, qu’il est sur les frontières, seuils, marges, car c’est là que les problèmes surgissent. Là encore le public est nécessaire afin de délibérer, argumenter, partager au-delà d’un cercle de spécialistes. C’est pourquoi aussi les domaines abordés doivent être multiples

Mais qu’en est-il de l’écoute que l’on prête à ceux qui n’ont pas de pouvoir? Mais qu’en est-il aussi de la confiance accordée à ceux qui ont le pouvoir? Si la société (civile) est face à l’Etat alors que celui-ci tient son pouvoir d’elle est censé gouverner par et pour le peuple on est alors dans une situation schizophrénique qui invalide la nature même de la démocratie puisque le kratos et le dèmos sont dès lors antagonistes et s’empêchent mutuellement d’agir. Faut-il renforcer le kratos qui faute de pouvoir n’est plus capable de défendre le dèmos qui lui-même se suicide en demandant au kratos de gouverner sans pouvoir? La Fontaine a répondu à la question dans sa fable « Les membres et l’estomac ».

Et le problème est d’autant plus crucial et urgent que l’Europe exige de penser la place de l’Etat en son sein. Les intérêts particuliers, nationaux sont à penser sur une plus vaste échelle à laquelle les pays d’Europe résistent violement prêts à céder ou ayant cédé aux dérives totalitaires qui en définitive ne peuvent que leur nuire. Mais Hegel nous l’a appris à propos de la philosophie « Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol » (Préface des « Principes de la philosophie du droit »). Cela peut fort bien s’appliquer à la conscience politique.

De ce point de vue Mr Macron semble bien conscient du problème lorsqu’il pose la question de la vraie souveraineté française puisqu’il la situe dans l’Europe seule susceptible de faire face au défi migratoire, économique, militaire que lancent par exemple la Chine, mais ajoute-t-il « ce paradoxe qui consiste à opposer le souverainisme et l’Europe est aussi un traumatisme français » qu’il tend cependant à nuancer en affirmant que « Par la langue la France est un pays-monde…  une terre d’immigration. Une terre où l’universel s’est pensé… que nous avons le monde dans nos tripes et vocation à nous mêler des affaires de la planète »  Macron par Macron » p.63).

 

Reste que l’Europe pour l’instant est loin d’imposer sa souveraineté face aux puissances mondiales et que la souveraineté française a quant à elle vécu au point que son identité culturelle, qui présuppose une unité, vole en éclat. Faut-il le déplorer et se rattacher à un héritage séculaire, ou assister à l’émergence de ce qu’on ne saurait encore définir?

Quoi qu’il en soit, il semble bien que l’individu soit le point de mire d’une révolution copernicienne débutée au XVIIème siècle avec Descartes, poursuivie au XVIIIème avec l’émergence du droit et du fondement contractuel de la société et couronnée par les initiatives de la société civile s’instaurant en contre pouvoir  de l’Etat.

On peut du reste en constater les effets dans l’intérêt que les hommes politiques prêtent aux sondages, à leur côte de popularité, aux réseaux sociaux, sur lesquels ils se plaisent à intervenir en twittant.

 

L’individu n’est plus la créature de Dieu il ne disparait plus dans la masse confuse et anonyme que gouverne un Roi ou un régime totalitaire, il est devenu un interlocuteur et un partenaire qui compte et dont on attend qu’il se responsabilise. L’individu par exemple « va devenir maître de sa consommation » grâce aux innovations technologiques.

D’où la question philosophique d’une part d’élaborer des règles procédurales de délibération permettant dans une démocratie l’expression des opinions en vue de la protection des droits et de la paix sous les auspices de la raison et loin de toute ingérence des religions et doctrines politiques.

Dans cette optique Habermas que cite Macron, cherche à refonder l’idée de contrat social sur des valeurs politiques universelles. La protection de la liberté requiert l’érection de règles protégeant les droits de la personne contre le pouvoir (arbitraire) de l’Etat ce qui est un héritage du XVIIème siècle qui s’incarnera au XIXème dans la notion d’Etat de droit.

La démocratie libérale est placée devant le choix de promouvoir le droit assurant et encadrant la vie de l’Etat ou les droits des individus, c’est-à-dire leurs libertés. Autrement dit de faire confiance soit à l’Etat de droit, soit au peuple, en tant que volonté générale des individus.

 

Habermas quant à lui, refuse cette dichotomie pensant que l’Etat de droit doit favoriser la délibération collective. L’Etat doit donc fournir au peuple les moyens de réaliser ce qu’il doit vouloir. En termes kantiens on dira que c’est la liberté qui permet d’assurer la sécurité.

La réflexion d’Habermas est donc orientée vers une philosophie du droit proposant « une conception procédurale de la démocratie » et une « théorie délibérative de la vie politique » faisant de la discussion un instrument de participation. C’est en ce sens qu’est allé du reste le Grand débat national proposé par Macron.

 

On le voit il s’agit là encore d’établir des médiations permettant de conjuguer droit de l’Etat et volonté des citoyens.

Habermas repose la question de la légitimité de la démocratie en termes de principes généraux abstraits de normes sociales idéales et confronte ce modèle à l’observation empirique quant à son applicabilité.

Il évite ce faisant, de tomber dans le piège des critiques radicales de la modernité qui refusant tout progrès retombent dans les ornières du conservatisme voire pire,  que l’on a vu s’incarner dans le débat contre Marine Le Pen et Macron (l’une réhabilitant des valeurs conservatrices au nom du peuple et reprochant à Macron d‘être le président d’une élite et l’autre au nom du progrès, fondé en fait sur la rationalité technique dénonçant l’idéologie fermée de Mme Le Pen).

Afin de réconcilier raison et démocratie, Habermas pose tout d’abord que : l’Etat est une instance universelle dépassant les intérêts égoïstes et protégeant la liberté ; puis : que le politique doit se plier à des exigences morales en vue d’une « paix perpétuelle » entre les nations ; enfin : que le peuple est  souverain.

Dans le premier cas l’Etat n’est légitime que dans la mesure où les citoyens bénéficiaires du droit en sont les auteurs ce qui implique qu’ils puissent intervenir à tous les niveaux d’élaboration des lois. On en  revient à une conception délibérative de la démocratie dans laquelle s’inscrit Mr Macron puisqu’il prône « le développement indéfini des droits individuels et l’épanouissement du moi par la participation à l’émulation consumériste… réduisant le progrès à sa part la plus pauvre : le progrès technique et le bien être qu’il engendre » (Natacha Polony : 3/09/2016 – Le 1). Mais ce progrès rend-il plus humain et solidaire ou encourage-t-il un individualisme féroce faisant fi des inégalités sociales comme le souligne Habermas. Les mécanismes du marché et la responsabilité de chacun peuvent-ils les endiguer? Pire la société de marché n’encourage-t-elle pas la concentration des pouvoirs?

Face à l’alternative de la conception libérale ou républicaine prônant la souveraineté populaire, Habermas propose une troisième voie, la démocratie procédurale, consistant à réorganiser la vie démocratique autour d’institutions et de règles pour que tous les citoyens puissent y participer et mettre leurs avis, projets, idées à l’épreuve d’une discussion rationnelle. On est dès lors face à une application du dialogue socratique amélioré.

Cependant on en est loin et s’il y a effectivement appel à se prononcer via internet on peut se demander où est la délibération vers une intercompréhension.

On aura compris que le mot d’ordre des philosophes contemporains est la communication délibérative. Les politiques, soit par conviction, soit par démagogie leur emboitent le pas. Reste à savoir si les moyens mis à disposition jouent effectivement ce rôle et n’enferment pas au contraire dans des chapelles où l’on se retrouve entre gens du même monde.

En outre la vieille objection platonicienne revient : tout individu est-il apte à participer à la chose politique ou faut-il un long apprentissage? Peut-on espérer que d’un débat sorte une compréhension mutuelle et un projet valide? Si tel est le cas alors l’Etat ne devient-il pas obsolète, mais dans ce cas, comment établir les procédures qui rendent possible la démocratie délibérative? Mais après tout chacun l’appelle de ses vœux car le confort de s’en remettre à des décideurs que l’on pourra critiquer à merci est une forte tentation.

Les nations comme les individus ont des rythmes différents, des habitudes variées et sont comme le disait Machiavel animés par la crainte, le désir, l’égoïsme (1).

 

Outre la philosophie  la littérature pour reprendre la thèse de Slama (2) contribue à la fois à la singularité et à l’identité française. Et il est vrai que depuis des siècles (XVIème) les écrivains français ont joué un rôle fondamental et fondateur dans la chose publique. Songeons en se tenant à la France, à ces auteurs qui à la fois sont des écrivains soucieux du style et des penseurs engagés dans la gestions de la polis. Tout d’abord La Boëtie et Montaigne, puis Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Olympe de Gouges, Mme de Staël aux XVIIème et XVIIIème siècles ; Zola, Anatole France, Balzac, Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Jules Renard, Karr, Courteline… au XIXème. Au XXème siècle, ce sont Malraux, De Gaulle, P. Valéry, Céline, Primo Levi, G. Orwell, A. Huxely, Camus, S.de Beauvoir, Sartre (3), Mitterrand, la poésie dite engagée… Mais on assiste aussi depuis le XXème siècle à un divorce entre littérature et politique. Rappelons nous la charte du nouveau roman qui proclame que la littérature n’a pas d’autre objet qu’elle-même ou auparavant le mouvement Dada.

Certes Maalouf, Houellebecq en sont des exemples mais aussi des exceptions, force est de constater que la littérature n‘est plus politique. La question politique aurait-elle envahi d’autres champs de l’art, comme le cinéma ou le théâtre? (cf. Festival de Nancy). Mr Macron s’inscrit dans cet héritage puisqu’il définit lui aussi l’identité française par sa littérature. Loin de la considérer comme un divertissement, il entretient dit-il, un rapport fusionnel avec elle. Elle « éclaire chacune des situations que nous rencontrons ».

Plus largement « l’art est la plus belle voie d’accès au monde », c’est-à-dire à ce qui fait l’humanité de l’homme car il est « une transcendance qui nous rassemble » de sorte qu’elle est « le seul horizon valable de notre existence ».

Du reste depuis des décennies maintenant le philosophe fait de la littérature en particulier et de l’art en général, un objet privilégié de sa réflexion y compris politique.

Comment expliquer ce détour?

Se sent-il impuissant et inutile face aux enjeux actuels? A-t-il perdu l’espoir d’être entendu par les politiques? (4). La technocratie au pouvoir ne laisse-t-elle plus aucun horizon pour les utopies? Y-a-t-il encore un projet de société porteur d’un enthousiasme créatif? Englué dans une société plutôt morose, la littérature lui offre-t-elle une échappatoire?

Et pourtant le ministère de l’éducation nationale associe philosophie et littérature au programme d’ATS (préparation au concours aux grandes écoles) (5).

Mais si l’heure n’est plus à la littérature explicitement politiquement engagée, on peut admettre une définition plus large distinguant littérature engagée et littérature d’engagement, laquelle se présente comme une transfiguration du politique. Dans un cas l’œuvre littéraire témoigne des positions politiques de l’auteur et travaille l’œuvre de l’intérieur définissant les rapports de la littérature et de la politique, mais au risque de s’engluer dans l’idéologie. Serait-ce aussi pour cette raison que les écrivains contemporains ont « renoncé » à la littérature engagée d’autant qu’elle n’a pas produit que des chefs-d’œuvre?

Il n’en demeure pas moins que l’écrivain est de son temps et qu’il vit dans « l’espace entre les hommes » là où s’exerce un vivre ensemble où sont tracées les limites de la liberté.

Or c’est dans cet espace que l’écrivain peut créer des mondes possibles grâce à la fiction.

Il ne s’agit plus de transposer le politique dans la fiction mais de le transfigurer. De la sorte le politique peut prendre des formes à la fois variées et inattendues et imprégner la fiction qui s’en empare.

Et en effet on constate que toute une partie de la littérature s’oriente vers des sujets de société, tel que le travail, le statut des femmes, l’écologie, les migrants, les marginalisés, les sociétés traditionnelles, sida, racisme, spiritualité, nouvelles technologies… qui interrogent et interpellent le politique dans un contexte mondial qui révèle ses lacunes, ses orientations idéologiques et leur coût humain, de sorte que si l’on observe les rentrées littéraires, loin d’être absentes du paysage culturel, les interrogations politiques en terme d’affrontement mais aussi de propositions alternatives sont omniprésentes.

L’art demeure dès lors une source essentielle pour saisir la sensibilité d’une époque et ses grands enjeux.

Mais si l’on examine les sujets abordés par le Magazine Littéraire depuis ses cinq dernières années on constate comme l’écrit Rancière que « sa part est faible dans la reconfiguration du monde sensible ».

Cependant face à une littérature qu’il qualifie d’active et qu’il situe entre 1836 et 1950, la littérature actuelle dont il dit qu’elle travaille à se faire passive fait la part belle au fragment à l’insignifiant, aux perceptions  à des « modes d’existence jusqu’alors négligés… d’où son importance politique ».

 

En guise de viatique

 

Pour poursuivre le chemin de l’investigation il nous faudrait explorer les pistes et chantiers que nous proposent les penseurs contemporains ;

 

- tout d’abord déconstruire et repenser les concepts qui sont tenus pour des réalités, tels que la démocratie, le peuple, l’Etat, la liberté, la justice, la dichotomie nature-culture…

 

- substituer à la pensée de l’un et du simple celle du multiple et du complexe

 

- bâtir des ponts plutôt qu’élever des murs entre les cultures, les pays, les partis, les opinions les domaines de réflexion

 

- penser et vouloir la modernité dans ses multiples possibilités au lieu de la subir/accepter comme l’inéluctable extension des techniques.

 

- vouloir non pas un nouvel humanisme, mais individuellement et collectivement prendre soin de l’autre (cf. théorie du care aux Etats Unis) car l’autre est aussi le frère dont je dois m’in-quiéter et avec lequel je n’ai pas que des rapports de production –consommation.

 

- freiner (à tous les niveaux) pour prendre le temps de penser, de me soucier de l’autre, de cesser de considérer la nature comme inépuisable

 

- en un mot contribuer à réorienter la modernité car rien n’est jamais inéluctable et

 

« Tout faire pour rendre l’homme capable » (E. Macron)

 

« Favoriser la puissance de l’être, sa productivité ; sa puissance d’exister, sa potentia » (Dosse, commentant Ricœur)

 

 

Mais pour reprendre une pensée de Machiavel ; avant tout

 

« Savoir se faire aimer du peuple seul remède contre l’adversité »…

 

 

 

 ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

  

 

(1) Voir conférence Machiavel sur le blog

(2) Mr Macron en tout s’inscrit dans cet héritage puisqu’il définit lui aussi l’identité française par sa littérature.

(3) Sartre – Qu’est que la littérature? – L’auteur y affirme que toute œuvre est politique car elle reflète son temps. Dans cette mesure « elle est elle-même une idéologie ».

(4) Songeons à l’influence qu’eurent les lettres dans la formation des politiques au cours de l’histoire. M. Yourcenar – Les mémoires d’Hadrien.

(5) Ex : Programme 2019/2020 – La démocratie – Œuvres au programme : Tocqueville, Aristophane, Ph. Roth

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