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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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7 décembre 2020

LE PARA-DHI-GME

Suite de ce texte voir  LE NAIN JAUNE, statut des juifs en droit canonique.

Le para-dhi-gme

Etude sur le statut des non-musulmans en terre d’Islam     

L 'homme naît libre. Nul n'a le droit de l’asservir, de l'humilier, de l’opprimer, ou de l'exploiter. II n'est de servitude qu'à l'égard de Dieu.

Déclaration du CAIRE sur les Droits de l'homme en Islam. 25 juin 1993

 

TABLE DES MATIERES
Introduction


1. LES CONTEXTES HISTORIOUES DE LA DHIMMA

  1. La situation pré-islamique
  2. La situation islamique primitive
  3. La situation après la mort de Mohammed
  4. Les changements apportés par Umar
  5. Comparaison avec le statut des juifs en occident
  6. Entre tolérance et humiliation
  7. Le pacte de Nâgrân
  8. Pacte de Nâgrân et statut de Umar
  9. Définition du droit musulman : le fiqh
  10. Définition de la dhimma
  11. Caractères juridiques généraux de la dhimma
  12. La législation fiscale de Umar II
  13. Droit fiscal

II. LES PACTES FONDATEUR

A Le pacte de Nâgrân

B Pacte de Nâgrân et statut de Umar

III. LE STATUT JURIDIOUE DU DHIMMI

Définition du droit musulman : le fiqh

B  Définition de la dhimma

1 Caracteres juridiques généraux de la dimma

2 La législation fiscale de Umar II

3 Droit fiscal

a)    La djizya

b)   Le Kharadj

4 Droit civil

a)    Le culte

b)   Attitudes à observer devant les musulmans

c)    Le mariage

d)   Les successions des dhimmis

5 Droit administratif

a)    Le ghiyar

b)   Les fonctions

c)    Les dépLacemnenhs

6. Droit commercial .

7. Droit pénal

a)   Le Talion

b)  La dya

c)   Le témoignage

d)  Le jus religionis

Conclusion

Introduction

Il est des recherches qui laissent perplexes, la nôtre est de celles-ci. C'est pourquoi nous avons fabriqué un titre de même nature qui tient de l'anomalie linguistique afin d'exprimer à la fois le caractère ambigu de la dhimma susceptible de favoriser l'oppression du non-musulman, et le fait qu'elle puisse aussi être considérée comme un modèle à suivre en matière de traitement de l'étranger qui par suite de son statut acquiert des traits le singularisant pour en faire une figure à part. Considéré par les uns comme l'expression de la tolérance musulmane à l'égard des non-musulmans et par les autres comme l'origine de vexations, d'exactions voire de génocides, dont celui subi par le peuple arménien, le statut réservé aux dhimmis, c'est-à-dire aux non-musulmans, est l'objet d'interprétations antagonistes.

Dans les faits, moyennant un pacte signé, engageant les deux parties au respect de droits et de devoirs mutuels, la dhimma présente l'avantage de donner un statut légal au dhimmi juif, chrétien ou zoroastrien qui peut, si les clauses du pacte ne sont pas respectées, en appeler à la justice. Aucun domaine n'est négligé et c'est la raison pour laquelle notre travail reprend les grandes lignes du droit occidental afin d'examiner les composantes de ce statut tout en sachant qu'il s'agit là d'une cote mal taillée.

Tout d'abord, c'est au domaine de la fiscalité que nous nous intéresserons, car le Pacte, dont l'un des modèles fut celui de Nâgrân, stipule que la protection a pour prix la capitation qui assure au dhimmi la sauvegarde de sa vie contre toute attaque. Ainsi le dhimmi sans être pour autant un musulman jouit de la même protection que celui-ci et s'il ne fait pas spirituellement partie de la Umma sa présence physique y est acceptée et sauvegardée.

Soumis à la capitation, la djizya, qui l'exempt de la zakât, l'aumône légale due par les musulmans, le dhimmi propriétaire ou exploitant d'une terre devenue en principe par sa conquête bien de la communauté musulmane, peut moyennant le kharadj y demeurer et la cultiver ce qui assure à la Urnma un revenu substantiel et l'entretien de ses armées.

Par ailleurs nous examinerons sous les rubriques : droit civil et droit administratif, quelques unes des nombreuses lois édictées en matière de mariage, succession et culte à propos duquel on concède, avec plus ou moins de restrictions, de pouvoir préférer sa religion. De même sa tenue vestimentaire, son comportement à l'égard des musulmans font l'objet de codifications inégalement strictes où l'on hésite parfois entre des mesures visant sa conversion et l'humiliation pure et simple. Sous ces mêmes rubriques nous analyserons aussi la participation du dhimmi à la vie publique et privée de la cité.

Enfin, en matière pénale si l'on peut encore admirer la juridiction qui permet au dhimmi de choisir de relever de sa communauté, on notera que la loi du Talion n'est pas équitablement appliquée lorsqu'un musulman est en cause et qu'il en est de même à propos de la dya, prix du sang, ou de la fiabilité du témoignage d'un dhimmi.

Le débat reste donc ouvert et les dérives toujours possibles, c'est pourquoi afin d'examiner ce statut en évitant autant que faire se peut des prises de position excédant notre projet qui est d'exposer le statut juridique des dhimmis, nous avons soigneusement choisi les sources de notre exposé en ne retenant que

*  le Coran, dans la mesure où celui-ci est la source dont se prévalent toutes les écoles juridiques , * les hadith, pour les mêmes raisons

*  Al Muwatta, écrit par Ben Anas, fondateur de l'une des quatre écoles juridiques, l'école malékite

*  les textes de juristes et théologiens (exclusivement) donnés comme documents, dans les deux ouvrages de Bat Ye'or et de A. Fattal (cités en bibliographie).

Par ailleurs nous avons établi une table thématique de concordances (Annexe 3) fournissant quelques unes des références utilisées pour chaque composante examinée de la dhimma.

Enfin une série de textes en annexe proposent quelques uns des écrits ayant contribué à l'élaboration de la dhimma

 

1. LES CONTEXTES HISTORIOUES DE LA DHIMMA

  1. La situation pré-islamique

Bien que notre propos ait, dans la limite du possible, un objectif juridique, planter le décor historique de la dhimma s'avère nécessaire car la situation pré-islamique a fourni à la dhimma un certain nombre de ses traits spécifiques.

Bien avant la conquête musulmane les juifs s'étaient installés dans la péninsule arabique dans les deux régions du Higâz et de l'actuel Yemen, et ce avant l'arrivée des chrétiens. Ainsi certaines tribus arabes étaient-elles juives et chrétiennes. A Yatrib, la future Medine, vivaient nombre de juifs qui protégeaient les clans arabes au titre d'accord de voisinage, par contre à Wâdî-I-Qurâ ce sont les arabes Qudâ qui défendaient les juifs contre les exactions bédouines en paiement d'un tribut. Cette pratique que nous retrouverons au premier rang des obligations des non musulmans était donc une pratique courante en outre largement suivie dans les Empires Romains et Byzantins.

Quant aux chrétiens ils occupaient les régions plus au nord, à Dûmat-al-Gandal et avaient touché des tribus bédouines de Nâgd (au centre) de Yamâma et Bahrayn (à l'est). Par contre leur densité était plus forte à Nâgrân où ils furent persécutés au VIe s. par le roi Du Nuwas converti au judaïsme. Cest dans ce décor diversifié et cette atmosphère tendue que l'Islam naquit et se développa grâce à ses conquêtes parfois pacifiques, parfois violentes.

  1. La situation islamique primitive

C'est au cours de la conquête progressive de l'Arabie que se constitua le statut des dhimmis, selon que les non-musulmans se convertissaient d'emblée ou bien signaient un pacte à la suite ou non de combats et décidaient de conserver leur religion.

Bien que l'on considère que le pacte de Nâgrân fut le premier en date, il est bon de prendre en compte la diversité des traitements réservés aux non-musulmans lors des conquêtes. Ainsi à Haibar, les juifs vaincus après un mois et demi de siège, eurent la vie sauve, gardèrent leurs biens et purent cultiver leurs terres moyennant la moitié de leurs récoltes. Une fois par an un agent de Mohammed venait évaluer les terres pour fixer le tribut.

De même au Barhain, les habitants durent-ils s'acquitter d'une djyzya d'un dinar. A tabuk, Les terres en friche furent confisquées et réparties entre musulmans, tandis que la population devait s'acquitter de la djizya, et donner l'hospitalité aux musulmans qui le demandaient.

Ces quelques traités indiquent donc les premières et principales obligations des dhimmis.

Nâgrân fut le dernier en date des traités de Mohammed. Là, à la suite d'une entrevue en l'an 10 de l'hégire avec une délégation chrétienne, le prophète consentit à leur accorder sa protection en échange d'un tribut fixé en nature.

Disons, sans entrer présentement dans les détails, qu'ils conservaient leur organisation communautaire, leurs coutumes, le libre exercice de leur religion. Le texte du traité stipule "ils jouiront de la protection (giwar) de Dieu et de l'engagement (dhimma) du prophète Muhammad tant qu'ils se comporteront conformément à leurs obligations l ". Obligations sur lesquelles nous reviendrons.

Par contre les trois principaux clans de Yatrib-Médine furent éliminés et les expéditions contre les oasis du Nord de Médine en 628-629, s'achevèrent par des pactes mais à la suite des combats ce qui a une certaine importance pour le statut des non-nusubnans.nly eut pratiquement aucune expulsion, ce qui assurant la culture des terres permit aux musulmans d'en tirer un revenu substantiel et constant.

C. La situation après la mort de Muhammad

Les choses en restèrent à ce statu quo jusqu'à la mort de Muhammad pour après se transformer parfois tragiquement pour les non-musulmans et ce malgré les stipulations du Pacte de Nâgrân qui faisait, en principe, office de modèle en la matière.

Afin de justifier ces changements on en appela à certaines sourates du Coran via les hadith rapportant les paroles et faits du prophète à ce propos. Ainsi peut-on lire

"J'expulserai les Juifs et les Chrétiens de la Péninsule des Arabes, de façon à n'y laisser que des musulmans"

"Qu'il ne subsiste pas deux religions sur la terre des Arabes" 2

Or quand on examine les sourates se rapportant aux gens du livre principalement les Juifs et les Chrétiens, l'attitude de Muhammad est globalement tolérante et équitable, à la différence du reste de celle beaucoup plus dure qu'il manifeste à l'égard des polythéistes, considérés comme des idolâtres qui associent quelque chose à Dieu.

On peut y lire entre autre

"Ceux qui croient . les Juifs, les Sabéens et les Chrétiens - quiconque croit en Dieu et au dernier jour et fait le bien n'éprouveront plus aucune crainte et ils ne seront pas affligés"3

  Par contre le sort réservé aux polythéistes est moins enviable

"Nous jetterons l'épouvante dans les coeurs des incrédules parce qu'ils ont associé à Dieu" à qui nul pouvoir n'a été concédé.

Leur demeure sera le Feu

 Quel affreux séjour pour les impies ! " 4

Nous verrons du reste que si le droit offre soit la conversion soit la capitation (djizya) aux gens du livre, pour l'idolâtre surtout s'il est arabe, c'est la conversion ou la mort. Et cette différence d'ordre théologique démontre bien que dans Islam le théologique et le juridique ne se distinguent pas.

Par conséquent il semblerait que la tradition ait parfois étendu aux juifs et chrétiens le sort que Muhammad préconisait pour les idolâtres.(5)

D. Les changements apportés par Umar

Quoiqu'il en soit, après la mort du prophète la condition des non-musulmans se fit plus dure et si l'on compte qu'il y avait environ une dizaine d'obligations imposées par le Prophète, leur nombre s'éleva à plus du double dans le statut dit de Umar, à savoir Umar Ibn Al Kattab, à moins qu'il ne s'agisse de Umar II, qui, selon une tradition rapportée par Abu Yusuf, aurait expulsé les chrétiens de Nâgrân pour avoir pratiqué l'usure, formellement interdite par le Prophète, à moins que ce ne soit par suite de l'accroissement de leur population, voire de leur puissance militaire.

De fait le renforcement des lois à l'égard des non-musulmans est lié à un changement des conditions historiques politiques et économiques induites par l'extension des conquêtes sur des territoires de plus en plus vastes, et englobant au sein de la Communauté musulmane des dhimmis de plus en plus nombreux, au péril de son unité. De la sorte des raisons d'ordre politique, mais aussi théologique et culturel exigèrent une mise en forme juridique des idées religieuses en germe dans le Qoran

Nous avons souligné auparavant que l'Islam avait hérité de pratiques courantes entre les tribus arabes et les clans juifs ou chrétiens en matière de protection. A ce propos il est bon de rappeler que l'Islam emprunta aux Codes Justinien et Théodosien certains de leurs règlements qui servirent même, comme nous le verrons, de modèles pour certains juristes arabes notamment en matière de fiscalité.

 E. Comparaison avec le statut des Juifs en Occident

En Occident le sort des "infidèles" est variable. Le concile d'Elvire dénonce par exemple le mariage entre chrétiennes et juifs et les repas en commun. Les avis divergent entre St Jean Chrysostome et St Augustin quant à savoir s'il faut accorder un statut privilégié aux juifs, interdire le prosélytisme ou se montrer hostile. En principe ils jouissaient de la protection des personnes, ainsi les injures à leur égard étaient pénalement réprimées ; de la protection des synagogues, souvent bafouée en fait ; des privilèges de juridiction religieuse qui veut que les rabbins aient toute latitude pour juger des matières religieuses et civiles, ce que pratiquera aussi le droit musulman. De même Constance avait-il sévi contre ceux qui se convertissaient au judaïsme, privant tout chrétien converti de ses biens. Avec Honorius la peine de mort sera appliquée. On trouve aussi dans le Code Théodosien (XVI- 9) un titre relatif à la protection des esclaves chrétiens, interdisant leur circoncision et même l'achat d'un esclave chrétien par un juif. Il en ira de même dans le droit musulman quant à l'achat d'esclaves musulmans par des juifs ou des chrétiens. Enfin protection est accordée aux juifs convertis contre leurs anciens corréligionnaires.

Cependant là encore la situation va dégénérer qui verra la position privilégiée des juifs tourner à leur désavantage

         -  en 415 le Patriarche Gamaliel est déposé. La fonction disparait en 429.

         -  la fête d'Aman est menacée.

          - l'accès aux fonctions publiques interdit (438).

           -interdiction est faite de bâtir de nouvelles synagogues - interdiction aux juifs de juger les chrétiens.

          - destruction des synagogues dans les lieux déserts par crainte des rassemblements.

Quant au sort des païens il n'est pas enviable, au contraire (6) Ce qui a pour conséquence des conversions dont l'authenticité est douteuse.

Deux éléments forts sont à retenir de ce rapide tour d'horizon

a)        l'islam a partiellement hérité des pratiques pré-islamiques courantes en matière de protection des étrangers et nous pensons en l'occurrence au djiwar grâce auquel un étranger qui était hors-la-loi dès qu'il quittait son clan, recevait pour sa vie et ses biens la protection du clan auquel il n'appartenait

2

pas. Or Muhammad maintiendra cette coutume sous la forme de l'amân. Ainsi peut-on lire à propos de la sourate XIII verset 58, le hadith suivant "Les musulmans sont solidaires pour ce qui concerne la protection ; le plus infime d'entre eux peut l'accorder ; et celui qui n'observe pas l'engagement de  protection d'un musulman aura contre lui tout à la fois la malédiction de Dieu, celle des anges et celle des hommes "(7)

 

                                                             Architecte arménien de Constantinople (1707).

« La plupart des architectes et des charpentiers de Constantinople sont Arméniens. Ils ont un instrument qui sert de marteau d'un côté, et de hache de l'autre ; et en y joignant la scie, ils n'ont pas besoin d'aucun autre instrument pour faire une maison. »

Or la dhimma ne sera pas d'une autre nature puisque remplaçant la solidarité tribale par la solidarité religieuse la dhimma d'Allah sera dite une et indivisible assurant une protection permanente obtenue soit par conversion à l'Islam, soit par soumission politique à l'Etat musulman.

b)        Le statut juridique accordé aux dhimmis, resitué dans le contexte historique qui l'a vu naître, révèle que non seulement l'Islam mais aussi Byzance, Rome et Athènes furent amenées à statuer juridiquement sur le sort des étrangers d'une autre confession vivant sur leur territoire. Et si l'on peut déplorer les infractions de fait au droit, ceci n'invalide pas pour autant le caractère tolérant de celui-ci émanant d'une volonté politique.

F. Entre tolérance et humiliation

En effet il est souvent fait mention de l'esprit de tolérance des lois islamiques, notamment au XVIIIe s. et ce en vertu de la sourate 2-v256 "Pas de contrainte en religion". Du reste l'oppression des non-musulmans ayant statut de dhimmi était considérée comme une infraction à la loi. Là encore on peut lire dans le Qôran 'Quiconque opprime un protégé et lui impose de trop lourdes charges, je me dresserai moi-même comme son accusateur au jour du jugement" et l'on raconte qu'Umar fit abattre la maison d'un gouverneur qui s'était emparé de celle d'un juif pour construire la sienne à la place.

Si l'on considère en effet la théorie de l'abus de droit, toute infraction pouvant nuire à la Communauté y est vigoureusement dénoncée c'est pourquoi tout acte détestable d'un point de vue religieux est l'objet de peines, et "la préférence est donnée aux solutions les plus respectueuses de l'intérêt des parties en cause, sur les solutions qui ne sont que l'application rigoureuse des principes du droit"(8). Or dans la mesure où le dhimmi bénéficie d'un statut légal de protégé ces règles s'appliquent à lui.

Reste bien sûr à se poser la question de savoir jusqu'à quel point des insuffisances, des imprécisions, voire des lacunes du droit n'ont pas été à l'origine de ces dérives. Cependant l'honnêteté force à reconnaître que selon la façon dont les lois furent appliquées en vertu de l'interprétation du Qôran des périodes furent particulièrement favorables aux juifs et aux chrétiens en terre d'Islam. Ainsi au IXe s., le mécénat califal encouragea-t-il les controverses islamo-chrétiennes ; Chrétiens, Juifs et Sabéens furent reçus dans des cercles humanistes contribuant à la formation de la civilisation musulmane. Nombreux étaient parmi eux les médecins, alors qu'à d'autres époques l'exercice de la médecine leur fut interdite. Et au XIe s. devant les exactions faites aux Juifs et Chrétiens et la  ségrégation à laquelle les soumettait l'édit de Mutawakkil, Ghazzali faisait l'injonction suivante

"Elargis donc la Miséricorde du Très-Haut et ne mesure pas les choses divines aux étroites mesures officielles" (9)

 

 

Et l'on comprendra mieux cette prière lorsqu'on aura lu les faits rapportés par Bar Hebraeus(10), "Ce Khalife haïssait les Chrétiens et il les affligea en les obligeant à nouer des bandelettes de laine autour de leur tête ; et aucun d'eux ne pouvait sortir sans une ceinture et une cordelière. ou bien encore ceux relatés par l'historien Ibn Al Fuwati énumérant les humiliations diverses : port de vêtements spécifiques, travaux dégradants, attitude soumise lors du paiement de la djizya(11) . Mais n'oublions pas que pratiquement à la même époque les chrétiens jouissaient d'un statut privilégié sous les seldjoukides. Ainsi Kiliç-arslan (1156-1192) eut une politique de tolérance religieuse saluée par les chrétiens et son fils puiné menait à Istanbul une politique amicale à l'égard des chrétiens ce qui lui valut une fetwa de Kadi Tirmizi précisant qu'il ne pouvait accéder au trône. Les Chrétiens d'Anatolie avaient à cette époque conservé l'organisation de leurs Eglises et leurs institutions, et lorsque l'Empereur de Byzance, Michel Paléologue vint à Konya c'est l'évêque qui joua le rôle de médiateur entre lui et le Sultan, contrairement du reste à certaines stipulations interdisant que le chrétien puisse servir d'intermédiaire. Mais à la même époque en Mésopotamie, Syrie et Egypte étaient appliquées les principes du Pacte d'Umar(12).

Au XIVe s. encore Ibn Taymiyya, jurisconsulte Syrien de l'Ecole Hanbalite soutient que les possessions des non-musulmans doivent revenir aux musulmans en tant que biens illégalement usurpés de sorte que le djihad dans le dar-al-harb, la terre de guerre, est licite(13).

A travers ces vicissitudes on notera que la relation musulman - non-musulman a été l'objet de trois attitudes

l) soit amicale et tolérante mais condescendante à l'égard de ceux qui ne font pas partie de la Communauté musulmane et qui s'entêtent dans leur erreur malgré la multiplicité des signes. Cette attitude est dictée par de nombreuses sourates et induit au plan juridique le statut de protégé des gens du livre.

2)        soit franchement admirative aux premiers temps des abbasides.

3)        soit méfiante voire hostile, en fonction du reste de conditions historiques (par exemple le danger des croisades) et économiques défavorables.

4)         

II. LES PACTES FONDATEURS

A. Le pacte de Nâgrân

Ainsi que nous l'avons mentionné à plusieurs reprises le modèle des accords ultérieurs passés avec les non-musulmans des terres conquises fut principalement le pacte de Nâgrân établi entre Muhammad et la colonie juive indigène. Par la suite le statut de Umar, bien qu'inspiré de l'original, en différa par les restrictions apportées au statut de dhimmi, c'est pourquoi nous pensons bon de les examiner en détail.

Spécifions tout d'abord que ce contrat qui comporte droits et devoirs réciproques n'établit pas une égalité absolue avec les musulmans laquelle n'est concevable qu'entre les membres de l'Umma. En effet de par leur infidélité à Dieu Juifs et Chrétiens sont soupçonnés d'injustice et d'insincérité (ce qui justifiera le refus de leur témoignage et de leur capacité de juger un musulman) pour avoir manipulé le Livre et Muhammad les condamne sans rémission "Malheur à ceux qui écrivent le livre de leurs mains, et disent, ensuite, pour en retirer un faible prix : Ceci vient de Dieu"(14).

Aussi, en tant que gens du livre, car la situation des polythéistes sera sans accommodements, et à condition de faire allégeance à l'Islam et de payer tribu ils jouiront d'un statut juridique au sein de la Communauté, leur garantissant, comme tout contrat du reste, un droit limité mais assuré. Ainsi seront-ils protégés à la fois contre les bédouins si ceux-ci les attaquent, contre leur coreligionnaires n'acceptant pas leur soumission, contre les musulmans en cas d'exaction. C'est pourquoi il est interdit de combattre un peuple avec lequel a été conclue l'alliance(15) et qui attend une généreuse récompense pour sa soumission(16).

Il est fondamental de souligner que la dhimma s'inscrit dans le contexte du djihad, puisque ni ceux qui se convertissent, ni ceux qui demeurent en guerre au sein du dar al Harb ne sont concernés, seuls ceux qui ont fait acte d'allégeance sans combat sont appelés dhimmis et encore parmi ceux-ci seuls les gens du Livre. Ainsi est-ce un devoir religieux pour tout musulman de conduire le djihad contre quiconque refuse l'Islam après y avoir été invité4, et ce jusqu'à ce qu'il accepte d'entrer dans le statut de protection ou bien qu'il se convertisse. Par contre l'idolâtre n'a le choix qu'entre la conversion et la mort, de sorte que le sort des arabes polythéistes pouvait être beaucoup plus dur que celui des Juifs et Chrétiens.

 Par conséquent le djihad, défini juridiquement comme "action armée en vue de l'expansion de l'Islam et éventuellement de défense"(18), s'arrête dès que la soumission est obtenue et ne commence que si les personnes invitées à rejoindre l'Islam ont refusé. Mais il conserve contre les harbis un caractère perpétuel puisqu'il persiste tant que l'universalité de l'Islam n'a pas été établie parce qu'"ll n'appartient pas à un prophète de faire des captifs tant que, sur la terre, il n'a pas complètement vaincu les incrédules"(19)

On notera donc qu'en principe le djihad ne répond pas à des ambitions politiques ou à des besoins économiques puisqu'il cesse dès que son but a été atteint : obtenir la conversion ou le paiement de la djizya.

Ceci dit que comporte le pacte de Nâgrân

Pour plus de commodité, mais sachant à quel point la nomenclature utilisée est approximative nous emprunterons au droit occidental ses catégories afin d'effectuer un classement et nous mettrons, en regard des stipulations du pacte de Nâgrân, celles du statut de Umar tout en sachant que le premier fut passé avant tout combat, alors que le second intervint après défaite ce qui explique la situation plus dure des -non-musulmans

B. Pacte de Nâgrân et statut de Umar

                                                                                 PACTE DE NAGRAN                                                STATUT DE UMAR

(dont on ne sait s'il s'agit de Umar I ou

Umar 11 (717-720)

 

Obligations des protégés

 

 

Droit fiscal

 Tribut à payer aux mois de rajab et safar

Tribut, en échange de la sauvegarde des

 

en vertu de l'autorité du prophète sur toute récolte de fruit ; monnaie jaune ou blanche ; tout esclave. Plus une once par habit. Avec possibilité de paiement en nature.

 Aucune humiliation infligée [mais

 

personnes et des biens.

Droit civil

mentionnée dans le Coran (sourate IX

 

Etat d'humiliation (pouvant s'exprimer

 

29)].

 

par exemple par le soumet que donne le

 

   Approvisionnement des troupes et fournitures des envoyés du prophète pour un mois.

   Fournitures prêtées de 30 cottes de maille en cas de guerre, plus 30 chameaux, à restituer

 

Kadi au dhimrm apportant sa djizya).

Droit commercial

 Interdiction de l'usure

Obligation de Muhammad et droits des dhimmis

 

 

Droit civil

Protection de Dieu et garantie de Muhammad

Droit civil relatif au culte

 

sur

 

 

 

 les personnes et les biens

 

 interdiction pour les musulmans de

 

 la pratique de leur culte, leurs sanctuaires

 

pénétrer dans les lieux de culte non-

 

 aucun évêque déplacé de son siège

 

musulman et accueil de 3 jours

 

épiscopal, ni moine de son monastère, ni

 

 culte permis avec des restrictions (cloches

 

prêtre

 

sonnées à l'intérieur et chants assourdis,

 

 ne seront pas assemblés (mis en ghetto)

 

croix interdites)  ni construction ou reconstruction des

 

 pas de conflits armés

 

édifices religieux ,

 

 équité en cas de dû

 

  ni manifestation d'idolâtrie  ne pas lire ou enseigner le Coran ,  ne pas prévenir les conversions ne pas allumer de feu pour un mort , ne pas élever la voix lors de funérailles.

Droit civil relatif au comportement  pas de réunion en présence de musulmans ou dans leurs quartiers ,  se couper les cheveux à l'avant ;  porter le zunnar (ceinture) ,  ne pas ressembler aux musulmans

(vêtements, attitude, monture, gravure de cachet) ,  se tenir debout et humble devant un musulman  ne pas avoir de maisons plus hautes ,  ne pas garder un esclave musulman.

Droit civil international

• n'avoir ni armes, ni épées.

Droit pénal                 

pas de chatiment pour une faute

Droit commercial

 

antérieure à la soumission.

• ne pas vendre, ni montrer de vin.

Droit fiscal                  

pas soumis à la dîme.

 

Ajoutons qu'en matière de statut personnel c'est le jus religionis qui tranche, ainsi les tribunaux de droit privé seront-ils chrétiens pour les chrétiens, juifs pour les juifs

Au vu de ce tableau plusieurs remarques s'imposent

 La brièveté du pacte de Nâgrân par rapport à la longueur de celui de Umar précisant le détail de ses dispositions ; la densité des affirmations pour l'un, des négations pour l'autre.

   L'objet de leur propos : pour l'un le tribut et la préoccupation d'une aide pour les combats ; pour l'autre, le culte et les traits extérieurement distinctifs du dhimmi. Il faut sans doute comprendre l'omission de certains éléments du pacte par le fait qu'ils y étaient déjà mentionnés

   L'esprit de tolérance du prophète s'exprimant par l'accent mis sur les droits des dhimmis et les devoirs de Dieu et de Muhammad e au contraire l'absence totale de mention des obligations de Umar à l'égard de ceux qui ont demandé sa protection. Par conséquent on voit rapidement apparaître une tendance qui substitue l'obligation au droit et rend donc le contrat inéquitable puisque droits et devoirs ne se complètent ni ne s'équilibrent. D'autre part ces deux tendances seront à l'origine des interprétations et des applications divergentes de la dhimma. Cependant nous verrons que certaines stipulations de Umar qui n'ont pas leurs corollaires dans le pacte de Nâgrân les trouvent dans le Coran. Néanmoins il serait partial de considérer ce statut édicté par un Calife comme le modèle en la matière car d'autres leur furent bien plus favorables. ainsi celui passé avec les gens de Hira en 633 après leur reddition sans combat. Il y est stipulé que leurs lieux de culte seront respectés, ils pourront exhiber leurs croix et utiliser le NAQUS, les pauvres n'auront pas à payer la djizya étant eux-mêmes et leurs enfants à la charge du trésor musulman, leurs esclaves convertis seront vendus au marché et le prix leur en sera remis, nulle obligation ne touchera leur tenue vestimentaire si ce n'est celle de ne pas ressembler à la tenue des musulmans.

Après cette parenthèse disons pour revenir à Muhammad que cet exposé ne suffit pas à donner un tableau exhaustif de l'esprit qui présida  à l'élaboration du statut de dhimmi dont, à proprement parler, la conception juridique s'élabora ultérieurement au sein des quatre Ecoles juridiques qui par la voie de la Sunna se référaient aux dits originaux et authentiques du Prophète. Ceci explique peut être pourquoi la seconde version du pacte de Nâgrân prend les allures d'un Edit, du reste intitulé "Edit du prophète à tous ceux qui professent la foi chrétienne' et même si son authenticité est contestée c'est cependant lui qui tracera les lignes du statut du dhimmi.                                                                                                                                                                                                                                           

Mais en outre, il nous faut prendre en compte les sourates qui dans le Coran mentionnent directement ou non l'attitude à adopter à l'égard des non-musulmans, ainsi qu'aux hadith rapportant par l'intermédiaire de témoins directs ou non les paroles et gestes du Prophète éclairés par l'explicitation de leur contexte.

Pour ce faire nous avons établi une table non exhaustive des concordances permettant à la fois de mettre en exergue les positions prises dans le Coran, les hadith correspondants et des textes de juristes sur la même question. Le tout nous servira de matériaux de base pour traiter les composantes du statut de dhimmi.          

 

III. LE STATUT JURIDIOUE DU DHIMMI

  1. Définition du droit musulman : le fiqh

Avant tout il faut bien comprendre que le droit musulman ne peut être séparé de son support métaphysique puisqu'il est en son essence d'origine divine. C'est pourquoi le théologien-juriste est, en tant que tel, amené à statuer sur les questions d'ordre juridique en se fondant sur le Coran et sur le consentement de l'ijnaa.Ainsi est-ce un principe d'ordre supérieur qui préside au droit et les dhimmis ne sont pas traités en tant que vaincus, mais en tant que gens du Livre, c'est-à-dire juifs ou chrétiens, qui ont refusé l'Islam. C'est pourquoi ils jouissent à la fois d'une protection qui leur laisse le temps de la réflexion, puisque comme le dit le Prophète il faut accueillir chez soi l'incroyant dans l'espoir qu'il se convertisse, mais ils sont néanmoins soumis à des obligations que ne connaissent pas les musulmans et qui ont pour objectif de souligner qu'ils ne font pas partie de la Umma même s'ils y sont accueillis car ils se sont exclus des fils d'Allah C'est pourquoi ils connaîtront des règles analogues à celles des musulmans par exemple le paiement d'un impôt, mais tandis que pour le musulman la Zakat, l'aumône légale, sera un devoir rempli avec foi et à titre d'acte purificateur, par contre pour le dhimmi, la djizya, ou capitation, lui permettra d'acheter sa protection auprès des musulmans et sera, selon les cas, entachée d'infamie.

On l'aura compris "morale religieuse" et "droit positif' s'interpénètrent de sorte que le droit est avant tout une puissance morale dérivant de l'idée de justice. Ainsi Muhyi-d-Din Ibn al-Arabi déclare-t-il que "Celui qui donne à chacun ce à quoi il a droit est équitable. Ce don est l'équité c'est-à-dire la justice. Dieu n'a créé le monde qu'en vertu du principe de justice consistant à donner aux créatures ce à quoi elles ont droit"(20) Ceci signifie par conséquent que le dhimmi a des droits, en conséquence de quoi il jouira d'un statut légal, et tout contrevenant musulman ou non sera passible d'une peine. De la sorte les abus que connurent les dhimmis furent des infractions que l'on ne peut imputer au droit, mais à de mauvais musulmans car l'intention de nuire détruit son droit, selon le Prophète, et plus grave encore rompt la fraternité qui doit unir les hommes entre eux et avec Dieu.

  1. Définition de la dhimma  

1. Caractères juridiques généraux de la dhimma

Il est temps d'en arriver à une définition précise de la dhimma, c'est-à-dire aux conditions juridiques requises pour qu'un individu puisse bénéficier du statut de dhimmi, c'est-à-dire de non-musulman résidant dans un territoire conquis par les Musulmans et dont les droits publics et privés sont garantis alors qu'il ne jouit pas de droits politiques.

 

Disons que globalement la dhimma est un contrat synallagmatique comportant un caractère de sujétion et "qui est soumis, en ce qui concerne la force obligatoire et les conditions de validité, aux règles qui gouvernent, en droit privé les conventions passées entre particuliers ; expression libre et concordance de la volonté des parties et compétence dans le chef des autorités qui concluent la convention "

Par ailleurs : la dhimma se conclut entre un imam ou son délégué avec des chrétiens, juifs, sabéens, samaritains, zoroastriens rarement avec des païens ; elle s'exerce sur les dhimmis résidant dans le Dar Al Islam ; elle est permanente et héréditaire ; elle a effet de loi touchant le seul individu en infraction2

Ajoutons qu'en la matière les juristes arabes avaient eu des précédents, par exemple la déditio romaine passée avec une cité vaincue.

2. La législation fiscale de Umar II

Dans la législation fiscale de Umar II soucieux à la fois de conserver l'unité arabe, d'atténuer les griefs des non-musulmans et de concilier la vie politique avec les exigences de la religion on peut lire au paragraphe 2, une définition des conditions présidant au statut de dhimmi. Il y est dit en substance que .

 tout individu acceptant l'Islam, qu'il soit chrétien, juif ou mage et qui est soumis à la djizya,

' qui rejoint le corps des musulmans dans leur lieu de séjour (dar) et qui abandonne le lieu où il séjournait  jouira de tous les privilèges des Musulmans et sera soumis à tous les devoirs qui leur incombent

  • et ce sera le devoir des musulmans de s'associer à lui et de le traiter comme l'un des leurs.
  • en ce qui concerne sa terre et ses biens, ils constituent le butin (fay') que Dieu a donné aux musulmans collectivement  et si ces personnes ont accepté l'Islam avant que Dieu ne donne la victoire aux musulmans, elles en demeurent les propriétaires, mais c'est le butin donné par Dieu aux musulmans.

Le paragraphe 3 poursuit .

  • quiconque est en guerre contre les musulmans doit au préalable avoir été invité à accepter l'Islam  s'il accepte l'Islam, il jouira des privilèges des musulmans et sera soumis aux obligations de ceux-ci,
  • et il conservera les propriétés qu'il avait lorsqu'il accepta l'Islam o s'il fait partie des gens du Livre, paye la djizya et n'agresse pas les musulmans nous l'accepterons(21)

Vente d'une famille

A partir de ce texte nous pouvons dire que l'acceptation de l'Islam avec ou sans combat constitue un critère de sélection pour bénéficier de la dhimma. On peut dès lors distinguer plusieurs cas de figure Dans le contexte du djihad, que nous avons déjà défini, visant à l'expansion de l'Islam et qui, stipule la sourate IX 29, doit être mené jusqu'à ce que l'incrédule se soumette, trois cas se rencontrent soit . le peuple adhère spontanément à l'Islam et se convertit ; soit il résiste, combat et se trouve ainsi  vaincu, soit il fait allégeance sans combat mais sans se convertir et signe un traité ou bien capitule et signe ensuite un traité ; dans le premier cas, s'il s'agit de gens du Livre ils jouiront du statut de dhimmi à condition de payer la djizya.

Par conséquent les gens du livre jouissent d'un statut bien meilleur que celui de l'idolâtre, puisqu'en cas de combat celui-ci n'aura le choix qu'entre se convertir ou mourir tandis que le chrétien ou le juif pourra bénéficier de la dhimma et même s'il refuse et se retrouve dans le butin à titre d'esclave il pourra être racheté ou se convertir tandis qu'on ne rachète pas un polythéiste même parent (hadith TI ch XI). Cette catégorisation est sensible lorsqu'il s'agit de la conservation de leurs terres par les conquis Malek répond à ce propos à l'imam qui demande si les tributaires ont droit à leurs territoires ou bien s'ils sont pour les musulmans ceux qui ont signé untacte de paix et suivi l'Islam auront droit à leurs territoires et aux biens qu'ils possédaient ; par contre ceux qui ont été vaincus par force n'auront droit ni à leurs territoires, ni aux biens possédés même s'ils suivent l'Islam... "(22). Cependant cette question des terres, sur laquelle nous reviendrons, est d'un traitement difficile et variable car selon la conjoncture économique il a pu être profitable de laisser leurs terres à ceux qui avaient combattu comme le rapporte Abu Yusuf à propos des décisions prises par Umar. En règle générale nous verrons que la terre conquise devient fay land, propriété de la communauté musulmane mais que le dhimmi peut en demeurer l'exploitant et rester sur place au lieu d'être déporté à condition de payer la djizia, ce qui sera une source de revenus constants pour la communauté musulmane et une source d'approvisionnement pour les armées ayant le droit de séjourner trois jours chez un dhimmi, d'en être nourri, alors que sa monture n'aura pas à l'être. En outre, la femme, l'enfant, le dément, le vieillard, l'impotent et l'aveugle à moins qu'ils n'aient pris une part active au combat, sont épargnés, de même que la religieuse et le moine. Ainsi peut-on lire dans Al Mouwatta que Omar Ben Abdul Aziz écrivit à l'un de ses préfets : "On nous a rapporté que si l'Envoyé de Dieu... envoyait une troupe d'hommes, il leur disait : Faites l'expédition au nom de Dieu et luttez dans la voie de Dieu, vous abattrez ceux qui ne croient pas en Dieu ; ne fraudez pas, ne trahissez pas, ne défigurez pas vos victimes et ne tuez pas les enfants (933 11)". De même est-il défendu de tuer un tributaire sous peine de ne pas connaître l'Odeur du paradis.

Au vu de ces éléments on peut dire que la dhimma dont l'étymologie signifie foia engagement, se présente comme

   un contrat, indéfiniment reconduit, référant à l'antique pratique de l'Amam.

 dont la clause est d'accorder l'hospitalité et d'assurer la protection des gens du Livre tributaires, ceux-ci se définissant par opposition au musulman et à l'idolâtre.

   les contractants en sont : les gens du Livre, juifs, chrétiens sabéens, samaritains et zoroastriens plus tardivement et indirectement dans la mesure où ils sont reconnus gens du Livre grâce à l'Avesta.

   chacun doit assumer des obligations, pour le musulman assurer protection et hospitalité, pour le tributaire elles sont de différents ordres et peuvent entrer sous les rubriques (équivoques) du

                      Droit fiscal                  Paiement de la capitation et du Kharadj

                      Droit civil                    Respect du culte musulman

Comportement à observer (selon les époques) ; mariage ; succession.

                      Droit administratif      Ghiyar ; fonctions publiques ,                                    commerc rQL .

I                    Droit pénal                  Loi du Talion ; dya ; hudud ; témoignage ; jus religionis.

I        Ayant des devoirs le dhimmi a aussi des droits d'ordre

                     Civil                La protection , la pratique de sa religion.

                     Pénal                Le Jus religionis quoiqu'avec quelques restrictions.

Administratif Suivi des lois, usages internes, et décisions des chefs de sa communauté d'origine.

Foncier Conservation des terres, sous certaines conditions compte tenu du fait qu'en principe une terre conquise (terre de guerre dar al harb) devient terre de l'Islam (dar Al Islam) et donc propriété de la communauté musulmane.

Réexaminons maintenant ces differents éléments.

3. Le droit fiscal

 

Arménien avec sa femme (1720). (Costumes turcs.)

a) La djiaya(23)

L'obligation majeure à qui veut bénéficier du statut de protégé est de payer la djizya qui se définit comme une capitation payée par le non-musulman. Mais d'emblée nous nous heurtons à plusieurs problèmes dans l'emploi des termes puisque djizya a parfois été substitué à kharadj ou assimilé à lui.

*     Ainsi dans sa prescription fiscale Umar écrit-il que ceux qui payent la djizya relèvent de trois  catégories : le cultivateur qui paye la djizya sur ses produits, l'artisan sur ses bénéfices et le marchand sur son argent(24) Il ajoute un peu plus bas que la djizya est payée par les paysans, en fonction de leur terre. De même on peut lire chez les auteurs anciens : djizya des crânes ou kharadj des nuques ou des cous ou des têtes, alors qu'à l'inverse le kharadj impôt-foncier était parfois appelé djyzya de la terre (giryat al ard).

*     Dans l'application du tribut fonction des accords avec les peuples conquis.

*     et de l'héritage des régimes antérieurs par exemple le fait qu'Umar prenait des Nabatéens le 10e de leur marchandise selon la période anté -islamique. L'attestation s'en trouve à la sourate IX 29, déjà citée, laquelle vient après la sourate sur le butin, ce qui signifie bien que le régime de la djizya est lié à la conquête et constitue une alternative au fait d'assimiler le conquis et ses biens au butin, ainsi qu'un substitut à l'enrolement dans l'armée. On explique que dès la période Abbaside la djizya fut distinguée du kharadj comme l'indique Al Baladhuri (impôt sur le sol) par le fait qu'en se convertissant le dhimmi n'était plus soumis, en tant que musulman, à ce tribut, or afin de conserver cette source de revenu on distingua la djizya, impôt sur la personne cessant avec la conversion, du kharadj, impôt sur le sol, tout d'abord seulement payé par le non-musulman puis étendu aux musulmans. De la sorte on préservait la politique de conversion parfois empêchée pour des raisons économiques et les sources de revenu de la communauté. Par ailleurs la djizya était, en cas de conversion, remplacée par la zakat, aumône légale payée par les musulmans, ce qui in fine rééquilibra les comptes. Il va sans dire que les musulmans ne payaient pas la djizya, entachée d'une certaine infamie puisque cette imposition aux dires du Prophète "ne peut toucher que les Infidèles. Le jour, poursuit-il, où tout homme devra adopter l'Islam, à la fin du monde, le Fils de Marie viendra briser la croix, tuer le cochon et abolir la Gizya"(25)

La djizia était obligatoire pour les hommes, adultes, valides ce qui en exemptait les enfants, femmes, vieillards, invalides, esclaves, et nécessiteux (26), en fait tous ceux qui ne pouvaient être tués à la guerre, mais il fallait payer pour les absents et parfois même les morts(27). Dans tous les cas l'impôt étant perçu par le chef de la communauté non musulmane c'était à lui de veiller à la répartition proportionnelle de l'impôt établi en général par l'imam selon le degré de richesse. Payé en numéraire et en nature, la djizya était un impôt de quotité dont l'imam avons-nous dit fixait le taux, mais le plus souvent c'était un impôt de répartition dont le produit total, fixe et invariable était réparti entre les contribuables.

 

10. Paysan grec (1720).(Costumes turcs. )

A (28)  ce propos on peut lire le hadith suivant. Ibn Abou Nadjih demande à Modjâhid "Pourquoi donc les infidèles de Syrie sont-ils soumis à une capitation de quatre dinars, alors que ceux du Yémen ne payent qu'un dinar C'est qu'on a tenu compte du degré de richesse dans la fixation de la capitation", répond-il (T 2 Titre LVIII ch l). Ibn An Naqqash précise que "le djizié établi par Omar était de quarante huit dirhems pour les riches, de vingt quatre pour la classe moyenne et de douze pour les pauvres"(29) mais il va même beaucoup plus loin prétextant l'enrichissement malhonnête des dhimmis. Le temps passant et l'attitude à l'égard du dhimmi devenant plus sévère GHAZI AL WASTI stipule que celui-ci devra remettre sa capitation en position debout et recevoir un soufflet tandis qu'on lui dira "Paie les droits d'Allah o ennemi d'Allah, o infidèle

Par ailleurs, ni l'étranger séjournant temporairement, ni le frontalier qui pouvait être enrolé dans l'armée n'avait à s'en acquitter. Mais le commerçant, lui, devait le IOe de ses transactions même s'il s'installait dans un autre pays. La capitation était perçue par année lunaire et il est précisé qu'elle avait pour fonction, comme la zakat, de servir aux pensions traitements et oeuvres pies. Dans Al Muwatta il est précisé que "ceci était au profit des musulmans pour les aider et pour être hospitaliers à l'égard des voyageurs"(30). Par contre il est souligné que "la capitation a été imposée aux gens du Livre pour les humilier"(31)quoiqu'il ne fallut précise Abu Yusuf ni frapper, ni exposer au soleil, ni infliger de châtiments corporels répugnants aux contribuables mais user de douceur, les emprisonner et ne pas les relâcher avant qu'ils aient tout payé. A cette lecture on pourrait penser que l'imposition pesait plus durement sur les dhimmis et ce fut à certaines époques le cas, cependant on sait par la Chronique syriaque composée au début du IXe s. par le Patriarche monophysite Denys de TellMahré qu'en Haute-Mésopotamie la zakat fut plus lourde à porter par le musulman que ne le fut l'imposition indifférenciée djizya-kharadj pour le dhimmi "puisqu'on nota tous les biens des musulmans : cultures, bêtes, y compris les abeilles, pigeons, et les poules"(32), bien souvent avec surestimation. Et au XIIe s. l'impôt était dans le territoire de Zenghi, en Haute Mésopotamie si lourd que les paysans s'enfuyaient. A cela s'ajoute le fait que les différents impôts n'étaient pas perçus par les mêmes agents et qu'il fallait tous les nourrir et loger.

b) Le Kharadj

Nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer le Kharadj qui s'impose à l'attention dans la mesure où il est un impôt foncier et que la terre est le bien vital par excellence, et propriété d'Allah, mais aussi parce qu'il fut un temps confondu avec la djizya dans l'impôt global.

Au préalable il nous faut définir le statut de la terre qui est divisée en trois catégories

 Le dar al Islam, qui est la terre d'Islam administrée par la loi islamique et comprenant l'ensemble des territoires soumis à l'autorité musulmane, habités par les Musulmans, les Dhimmis et les

Musta'min, Harbis de passage munis d'un sauf conduit,.

e Le dar al harb, terre de guerre des harbis, issue du djihad cette catégorie remonte à l'époque médinoise où les non-musulmans harbi$ étaient invités à accepter l'Islam, mais refusant celui-ci ils  étaient en guerre permanente. Là, nulle protection de l'Islam ne s'étendait.

e Le Dar al Ahd ou Dar al-Suhl, terre de pacte, pays de trève considéré par certains juristes musulmans (Al Shafli) comme intermédiaire entre les deux précédents n'étant pas soumis à la loi islamique mais payant la djizya. Ainsi Al Mawardi affirme-t-il que les terres conquises par les musulmans, restaient la propriété de leurs anciens possédants à condition qu'ils payassent un tribut pour prix de paix, comme ce fut le cas à Nâgrân. Plus tard, cette charge fut considérée comme un kharadj. Vues sous cet angle les choses paraissent claires mais si l'on compulse les textes nous apprenons que lorsque le Prophète voulut expulser les juifs des terres de Kaibar, celles-ci "appartenaient aux juifs, à l'Envoyé de Dieu et aux musulmans"( 33) puisque "la Terre est à Allah et il en fait hériter qui il veut par ses serviteurs" (s VII 128) et à leur demande d'y demeurer pour les cultiver, le Prophète aurait accepté moyennant la moitié des fruits et pour un temps laissé à sa discrétion. Le prophète disposait donc des terres selon son bon plaisir, ainsi à Haibar et Fadak une partie des propriétés des juifs fut partagée entre les combattants comme butin et une autre laissée à la disposition du prophète.

Mais les motifs de cette clémence demeurent ambigus lorsque l'on lit par exemple les propos d'Abou Horaïra "On foulera aux pieds la protection accordée par Dieu et par son envoyé... et alors Dieu endurcira les coeurs des Tributaires qui refuseront de payer l'impôt sur leurs biens"(24) Ce qui signifie que si les charges sont trop lourdes les tributaires se révolteront et qu'il faut en conséquence les ménager. Plus explicite encore sont les propos d'Umar "Si je n'avais le souci des montures à préparer pour la guerre dans la voie de Dieu, je n'aurais rien réservé, fut-ce, un empan, du territoire de ces gens » (34)

Il semble par conséquent qu'il était de l'intérêt des musulmans de laisser les propriétaires des terres continuer à cultiver celles-ci.

A partir de ces décisions ayant pour modèle celles du Prophète, les écoles juridiques statuèrent sur le cas. Ainsi Ben Anas rapportant les dits de Malek distingue entre les deux cas de figure ci-dessus mentionnés.

"Ainsi, ceux qui ont signé un pacte de paix et ayant suivi l'Islam, auront droit et à leurs territoires et  aux biens qu'ils possédaient ; par contre ceux qui ont été vaincus par force n'auront droit ni à leurs territoires, ni aux biens possédés même s'ils suivent l'Islam car ils ont lutté contre les musulmans et les ont affrontés ; par conséquent leurs territoires et leurs biens seront d'appartenance musulmane.

Quant à ceux qui ont été pour la paix, ils ont ainsi défendu leurs personnes et leurs biens sans chercher à résister" 1

Mais des variantes apparaissent selon les écoles. Al Mawardi a laissé une classification célèbre des terres servant à déterminer l'assiette du kharadj. Il distingue

*      Les terres appartenant aux Musulmans payant le USR e Terres d'anciens Musulmans USR

*      Terres de nouveaux convertis USR (d'après Safi'i)

 Kharadj ou USR (Abu Harifa)(36)

*      Les terres prises lors des combats

*      Partagées comme butin, les nouveaux propriétaires payent le USR.

*      Converties en Waqf(37), c'est-à-dire immobilisées au profit des Musulmans, la culture en est laissée aux habitants qui paient le kharadj.

*      Les terres annexées par un traité de paix sont frappées du kharadj

*      Les terres abandonnées sont converties en waqfê, elles sont inaliénables et leur kharadj est perpétuel, elles sont cultivées soit par des musulmans, soit par des infidèles.

e Les terres de ceux qui ont capitulé à condition de garder la jouissance de leurs terres, sont converties en waqf, leurs propriétaires n'en sont plus que les "locataires" ils payent un kharadj perpétuel même s'ils se convertissent.

 Les terres de ceux qui ont capitulé à condition d'en rester propriétaires moyennant un kharadj. Ils peuvent vendre leurs terres, si c'est à un musulman le kharadj cesse et si c'est à un dhimmi les avis sont partagés. Cette terre fait partie du dar-al-ahd, ce que conteste Abu Harifa pour qui elle est dar al Islam et ses habitants sont des Dhimmis.

Par conséquent les terres conquises peuvent être partagées entre les combattants selon les modalités de la conquête (quint) ou bien considérées comme butin collectif administré par le Calife qui astreint le vaincu au tribut. Dans ce cas les terres restent exploitées par les dhimmis tout en constituant les biens collectifs fonciers de l'Etat musulman. Les non-musulmans ne sont pas alors propriétaires fonciers puisque leur terre est transférée au trésor public musulman, mais ils en conservent l'usufruit et peuvent en hériter.

Ceci étant établi, c'est donc sur la base du traité de Mohammed et des juifs du khaybar que fut établi le kharadj, impôt de l'Etat musulman propriétaire du sol par le djihad, perçu en nature et argent et bénéficiant à l'Umma. Or dans la mesure où, à l'origine cet impôt n'était dû que par les dhimmis, beaucoup se convertirent ou le tentèrent pour y échapper. Cependant l'impôt étant dû collectivement y compris pour les absents, les paysans s'opposaient aux conversions et même l'état musulman. C'est pourquoi on en vint à distinguer la djizya, cessant avec la conversion du kharadj que tous finirent par payer en tant qu'impôt foncier.

 

 

Patriarche arménien (1720).

 Nombre d'adaptations intervinrent car on répondait différemment à la question de savoir si des terres devaient être exonérées et lesquelles.

Ainsi les terres constituées en waqf au profit d'institutions charitables l'étaient-elles. Les terres dites 'mortes" c'est-à-dire inexploitables posaient le problème de savoir si leurs propriétaires étaient ou non passibles de l'impôt, et ce d'autant que certains les abandonnaient pour y échapper. C'est ainsi que le souverain uzbeg Muhammad Shaybani Khân demanda à son imam une fetwa pour statuer sur cette question qui établit que :

-  une terre de kharadj si elle est cultivée paie le kharadj

-  si son exploitation est abandonnée le gouverneur fait payer au propriétaire une somme équivalente et lui demande pourquoi il a laissé gaspiller les biens de la communauté.

Ainsi une terre était soit cultivée et soumise au kharadj, soit le propriétaire versait une somme équivalente. Mais l'impôt ne devait en aucun cas excéder, du moins en droit, la solvabilité du propriétaire ce que Umar avait souligné pour tout impôt l . En principe (VII au Mlle s.) l'impôt devait être du IOe de la récolte, pourtant il put monter jusqu'à 20 % au XIXe s. Or ceci s'explique par le fait que l'évaluation de l'impôt se faisait de façon plus ou moins arbitraire, calculée soit sur la superficie de la terre, soit sur son rendement, soit couvert par une somme forfaitaire, l'évaluation étant laissée à la discrétion du gouverneur du pays qui versait au Trésor ce qui restait, une fois déduction faite des dépenses de la province, ce qui pouvait donner lieu à de graves abus.

Nous terminerons cette analyse des impôts par un texte de Al Mawardi qui compare djizya et kharadj. Il établit entre eux trois points communs et trois différences

"l'un et l'autre sont prélevés sur les polythéistes pour marquer leur condition d'infériorité et leur humiliation"

"ils alimentent le fey et le produit en est affecté aux ayants droit au fey  le paiement en devient exigible avec l'achèvement de l'année mais pas avant cette échéance" (ce qui était une infraction commise par certains agents du fisc).

Quant à leurs différences, elles portent sur les points suivants

"la capitation repose sur un texte et le kharadj a pour origine des estimations personnelles

(idjihad)"

• le taux le plus bas de la djizya est établi par la loi, le plus haut selon l'idjihad, l'un etl'autre relèvent de celui-ci pour le kharadj 'l

"la djizya cesse avec la conversion, mais le kharadj demeure dans les deux cas »(39)

4. Droit civil

Nous mettons sous cette rubrique ce qui concerne le culte, l'attitude à observer devant les musulmans, l'usage des montures, les mariages et les droits en matière de succession.

 

Patriarche grec (1720).

a) Le culte

Bien que la liberté de conscience n'existe pas dans l'Islam où la religion est doctrine de l'état, on observe dans le Coran une attitude globalement tolérante à cet égard. Rappelons-nous le traité de Nâgrân "Du point de vue légal les Nagranites conservent leur statut quo ante... Aucun évêque ne sera déplacé... ni moine... ni prêtre". Ainsi à propos du culte, il est effectivement permis aux gens du Livre de pratiquer leur religion mais par contre les apostats sont voués aux gémonies (sourate III 86), ce que reprend le hadith suivant "La femme qui apostasie doit être mise à mort et on doit chercher à ramener les apostats dans la bonne voie". Plus loin on y lit le refus de Mo'adz de s'asseoir auprès d'Abou Moussa tant que les trois juifs apostats qui sont là enchaînés n'auront pas été mis à mort i . De telles mesures n'étaient du reste pas rares dans le monde antique, ainsi la législation byzantine était — elle, sévère contre l'apostat. Le chrétien converti au judaïsme voyait ses biens confisqués et le convertisseur était mis à mort. Les juifs dont les enfants se convertissaient pouvaient les déshériter (code théod. Loi 16 T VIII). L'adhésion à certaines hérésies, tel le manichéisme était punie de mort (code just. I/V, 12,3) de même que l'abandon de la religion nationale en Iran au VIe s. La chrétienté occidentale fut tout aussi sévère et brutale, que l'on songe aux décisions de Louis VII contre les juifs apostats.


Mais même à l'égard des gens du Livre non apostats les propos du Prophète ont valeur de condamnation. Il les accuse tantôt d'infidélité, de mensonge (s III 71), d'hypocrisie (s III v 118) met en garde contre eux, les menace, de châtiments douloureux (III 77). Pourtant il leur reconnait aussi de la droiture (III 144) particulièrement aux chrétiens "hommes les plus proches des croyants par l'amitié" (s V 82). Cest pourquoi les hadith rapportent qu'il faut faire preuve d'équité à leur égard et respecter leurs coutumes, et leur religion qu'ils ont le droit de pratiquer même si le Prophète a soutenu que deux religions ne pouvaient coexister (Al Muwatta 1651 - 18). C'est dire que les différentes écoles pourront élaborer des lois différentes en se fondant sur telle ou telle sourate pour justifier leurs positions.

Al Mawardi stipule-t-il que parmi les obligations de rigueur dans le contrat de capitation, les dhimmis ne doivent

-"ni attaquer, ni dénaturer le Livre Sacré,

- non plus qu'accuser le Prophète de mensonge ou le citer avec mépris, - ni parler de la religion islamique pour la blâmer ou la contester, - ni détourner de sa foi aucun musulman".

En outre il y a des éléments de la clause qui sont recommandables.

"ne pas froisser les oreilles musulmanes par le son de leurs cloches, la lecture de leurs livres et leurs prétentions relatives au Messie (défense do prosélytisme).40)

 

Prêtre grec (1720).

ne pas se livrer publiquement à l'exhibition de croix (de fait les croix seront ôtées des églises). Mais là encore les prescriptions furent suivies au gré des convictions des Califes. Prenons l'exemple de la fête de l'Immersion au Caire. Cette fête nocturne réunissait des milliers de chrétiens et de musulmans se tenant sur les toits des maisons, ou se promenant au bord du fleuve, mangeant, buvant et achevant la fête par une immersion dans le Nil. Or en 941 Muhammad al Ihsid présida lui-même la cérémonie ; en 977 elle fut interdite ; en 998 réhabilitée sous la présidence du secrétaire chrétien de Bargawan, elle disparut à nouveau en 1009... Et l'on peut faire le même constat pour nombre de fêtes et de rituels.

procéder en secret à l'inhumation de leurs morts, sans étalage de pleurs ni de lamentations (ce qu'avait du reste stipulé le Prophète dans la sourate IX 84 et que soulignera Al Damanhuri).

enfin ils ne peuvent élever en pays d'Islam de nouvelles synagogues ou églises qui sont le cas échéant démolies ; ils peuvent réédifier les anciennes synagogues ou églises tombées en ruine"(41)mais à condition de ne pas les agrandir (ce qui serait conforme à un hadith - point d'église dans l'Islam).

De même Malek Ben Anas convient que celui qui profère des injures contre le Prophète est passible de la peine de mort, sauf cependant s'il se convertit et en effet à la question d'un polythéïste demandant à Muhammad s'il est passible d'un jugement pour les fautes antérieures à sa conversion, le Prophète aurait répondu qu'il n'était pas soumis au prix du sang.

A tout cela s'ajoutent d'autres interdictions. Ainsi Al Damanhuri souligne que l'infidèle "n'a pas le droit d'acheter un Coran ni un livre de droit islamique ou de tradition prophétique ou d'en prendre en gage(42).. Sur le même sujet Ben Anas rapporte qu'il est interdit de porter le Coran au pays de l'ennemi "De peur que l'ennemi ne le souille »(43). Il n'est pas non plus permis à un dhimmi d'enseigner le Coran à ses enfants.

Au XVIIIe s. en Egypte Al Damanhuri rappelle qu'aucune église ou synagogue ne doit être érigée au Caire selon le dit du Prophète "Pas d'émasculation, et pas d'église, c'est l'Islam" ce que le théologien explique par l'analogie entre l'érection d'une église en territoire musulman et l'élimination de la virilité des gens du territoire.

Ibn Taymiyya stipule aussi que les quatre écoles de droit, les premiers imams, les compagnons du Prophète et leurs disciples "are unanimous in proclaiming that had it been the imam's will to destroy all the synagogues and churches in the lands of the believes (Egypt, Sudan, Euphrates, Syria(44)". C'est même là une obligation, et qui s'y oppose est en état de péché. Et même si un traité de paix permettait aux dhimmis de conserver leurs lieux de culte ils ne pouvaient en cc;gtruire d'autres. Mais en cas de défaite et sans traité alors tous les lieux devaient être détruits.

 

 

Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem.

On note l'absence de croix.

(E. Pierotti (1864), t. 11, pl. xxxl.)

 

Enfin, dans la mesure où les dhimmis pouvaient conserver leur religion, ils conservaient aussi leurs chefs religieux. A l'époque omayyade l'organisation écclésiastique ne changea pas, patriarches et évêques étaient élus avec l'accord du préfet.

Ainsi à propos de la candidature de Simon I les évêques coptes dirent à l'Emir Abd al Aziz "c'est à dieu et ensuite à toi qu'il appartient de décider". Le patriarche exerçait sa juridiction sur ses fidèles, et statuait selon le jus religionis. Son autorité était reconnue par l'Etat. Dans son livre Al Ta'rif bi'lmustafah as-sarif (connaissance du protocole) Ibn Fadl Allah al-Umari (1348) a collationné des modèles de la wasiyya ou recommandations accompagnant, sous les sultans mamelouks, le diplôme d'investiture des chefs religieux dhimmis, dont nous fournissons le texte en Il y est recommandé de juger selon le livre sacré en vigueur ; d'agir avec justice, dans un esprit de paix , de ne pas exercer de commerce lucratif ; et de ne rien entreprendre contre l'Islam. Ce qui a contrario induit une certaine méfiance à l'égard de ces chefs religieux susceptibles d'entretenir un esprit de révolte et d'induire du désordre au sein de l'Etat lorsque de chaudes compétitions assorties de brigues opposaient les prétendants aux sièges patriarcaux, entre lesquels le Calife devait trancher.

Il semble donc que même si le dhimmi pouvait en principe conserver sa religion, les textes du Coran et les hadith sont tels qu'une interprétation dans le sens d'une restriction, voire d'une interdiction était possible

b) Attitudes à observer devant les musulmans

Muhammad n'a pas fait de recommandations spéciales à cet effet et pourtant nombre de stipulations ont été faites à ce propos de façon à humilier le dhimmi. Au contraire Muhammad recommandait d'être tolérant, juste, amical avec les gens du Livre, il fallait globalement ne pas les traiter en esclave (Hadith T 2 ch CLXXIV). Cependant il conseille de ne pas manger avec les juifs (s VI 121), bien que l'on puisse manger des mets préparés par leurs soins à condition que les lois alimentaires de l'Islam soient respectées. En outre, il interdit l'entrée des mosquées aux polythéistes (s IX 17). Mais à part celà il ne stipule rien par exemple lors de la remise de la capitation, alors que Ghâzi b Al Wast exige, comme nous l'avons déjà indiqué une attitude spécifique ainsi que Al Maghili "Le jour de la perception on rassemblera les dhimmis dans un lieu public comme le souk. Ils s'y présenteront en se tenant debout à l'endroit le plus vil et le plus bas placé. Les auxiliaires de la loi se tiendront au-dessus d'eux en prenant une attitude menaçante... notre but est de les avilir en faisant semblant de leur prendre leurs biens... nous leur faisons grâce en acceptant d'eux la djizya... il recevra un soufflet et sera repoussé de telle sorte qu'il estimera avoir échappé à l'épée grâce à cette avanie". Cependant, on  pourrait aussi interpréter cet acte physique comme une déclaration par geste.

 

 

Prêtre et pèlerins maronites à Jérusalem.

Seuls les turcs portent le turban blanc, les chrétiens se contentent de faire sur leur bonnet quelques tours d'une toile rayée en forme de turban. La ceinture de la veste de dessous est un gros linge étroit,  large environ de trois doigts. Cf. J. Dandini, Vovage du Mont Liban (1536), p. 45-50.

(Gravure, L. Mayers (1804), in : E. Rosenmüller, p. 25.)

En effet, chez El Adaou, il est question de "jouir de ce spectacle", ce qui signifie que nous sommes dans l'ordre de la représentation symbolique et que ce spectacle a pour but de rappeler aux uns leur statut de dhimmi et la grâce dont ils jouissent grâce à cette "cérémonie" qui réactualise périodiquement leur allégeance et aux autres, autorités et peuples, la puissance d'Allah qui leur confère leur supériorité. On peut donc dire que tous ces  à humilier le non musulman qui en refusant Allah pêche par orgueil

Aussi faut-il, pour son "bien" et afin qu'il se convertisse le persuader de la puissance, de la justice, véracité et bonté du Dieu unique. C'est pourquoi il ne jouira pas de la même estime qu'un musulman ainsi raffermi dans sa foi. Ceci s'exprimera symboliquement par le fait d'interdire le port de tous les signes propres aux musulmans ou l'obligation d'attitudes humbles voire humiliées devant lui. De la sorte si le musulman les voit humiliés il ne sera pas attiré par leur foi, et évitera de pécher car "l'estime pour l'infidèle est manque de foi"(45) C'est pourquoi les dhimmis doivent

-  se retirer pour laisser passer le musulman

-  baisser les yeux lorsqu'on le croise ,

-  avoir pour monture un âne monté avec ou sans selle et de travers, avec ou sans bât et encore en cas d'urgence, maladie ou chemin étroit.

Le sort des "cavalières" dhimmis n'est pas meilleur

- ne pas recevoir des marques d'amitié, ne pas être salué ou visité en cas de maladie alors que le Prophète avait préconisé le contraire. En effet, d'après Anas le Prophète allant visiter l'esclave d'un juif qui était à son service obtint la conversion de celui-ci(46).

-  Il en est de même au chapitre du salut. On peut lire dans la Risala "qu'on ne devra pas adresser le premier le salam aux juifs ou aux chrétiens ; mais quand on a par méprise adressé le salam à un tributaire il ne faut pas lui demander de le considérer comme nul et non avenu(47) ". En quoi on note une position très différente par rapport à celle d'Al jawziyya qui préconise en cas de salut d'un dhimmi de répondre "et sur vous" autrement dit "que vos malédictions retombent sur vous".

-  ne pas construire une maison plus haute que celle d'un musulman, afin encore une fois de - ne pas Paire étalage d'un luxe provocateur.

Ainsi se distinguent-ils nettement des musulmans par leurs attitudes, leur apparence, l'absence de signes extérieurs de richesse. Le dhimmi doit être distingué du musulman par son humiliation qui peut avoir une fonction éthique d'humilité. En tout cas c'est sans doute ainsi que le concevait le Prophète qui ne refusait pas d'adopter certaines coutumes des juifs et chrétiens tel le jeûne et même  certaines coupes de cheveux.

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c) Le mariage

En principe le mariage entre dhimmis est valide, mais Malek ne le considère que comme un concubinage toléré par l'Islam. Par contre les hanefites professent que tout mariage reconnu entre Musulmans l'est entre dhimmis y compris les unions qui interdites entre Musulmans ne le sont pas selon la religion des dhimmis, par exemple en l'absence de deux témoins et au cours de la retraite légale de l'épousée, ou encore avec un parent en ligne directe, sœur ou belle-mère. De même le divorce valide entre Musulmans l'est entre dhimmis, conformément à l'usage de la triple répudiation, et dans les deux cas si un divorcé veut épouser à nouveau sa femme répudiée ce ne sera qu'après qu'elle aura appartenu à un mari intermédiaire.

D'autre part à propos des mariages mixtes Muhammad est très clair. lans la sourate II v 221, il est prescrit de ne pas épouser de femmes polythéistes avant qu'elles ne croient ; de ne pas marier ses filles avec des polythéistes avant leur conversion. Par contre la sourate XXIV v5 indique que le débauché n'épousera qu'une débauchée ou une polythéiste, ce qui met donc celle-ci au rang de celle là , et souligne la répugnance à l'égard de ce type de mariage.

Par conséquent un musulman peut épouser une dhimmi scripturaire à condition qu'elle se convertisse. Mais il est fort curieux de noter les divergences d'interprétation à l'égard du Coran et les processus elliptiques utilisés pour ce faire. Ainsi lit-on dans la sourate V v 5 "l'union avec les femmes croyantes et de bonne condition et avec les femmes de bonne condition faisant partie du peuple auquel le Livre a été donné avant vous', vous est permise, si vous leur avez remis leur douaire en hommes contractant une union régulière". Or dans Al Muwatta à propos du même verset, mais cité jusqu'à "avant vous", on lit la conclusion suivante : "Malek a dit : il n'est pas licite de se marier d'une esclave juive ou chrétienne"(48) alors que ce cas n'est pas mentionné dans la sourate. Plusieurs interprétations sont à partir de là permises qui se fondent sur le dit et le non dit du texte

Ainsi malek Ibn Hanbal exige que la dhimmi soit de condition libre conformément à la sourate V. En effet le mariage avec une esclave scripturaire n'est pas valide, quoique Abu Hanifa, se prévalant de la sourate IV 25, y consente. Par contre les quatre Ecoles acceptent qu'un musulman puisse prendre des esclaves dhimmis pour concubines même si elles sont mariées puisque la captivité invalide leur union, mais là encore on observe des divergences.

Par ailleurs si une épouse est convertie à l'Islam avant son époux il jouit de la même protection que celle-ci (Al Muwatta ch XX 1154 46) dans l'attente de sa conversion, et si celle-ci n'a pas lieu, le mariage peut être dissout et vice-versa selon la prescription du Coran (LX v 10) "Ne retenez pas en les épousant celles qui sont incroyantes".

Par contre "la femme, l'esclave, et le non-musulman ne peuvent marier une femme" stipule le Risala et la peine de mort punit le coupable en vertu de la sourate II v 221 ou IV 141. Cependant les peines sont variables allant de quarante coups de fouet à la peine capitale. Cependant si un dhimmi a des relations criminelles avec une musulmane consentante, le pacte n'est pas nécessairement rompu, comme c'est le cas s'il en abuse de force.

Ajoutons enfin qu'en cas de répudiation ou de veuvage musulmane et dhimmi ont les mêmes droits et que l'enfant né d'un mariage mixte est musulman. Par conséquent on voit dans cette politique à la fois une volonté de conversion, mais aussi un présupposé quant à la force morale de l'homme sur celle de la femme, puisqu'un dhimmi risquerait de rendre son épouse incrédule ce pourquoi il ne peut épouser une musulmane. Cependant il y a des exceptions notables, celle par exemple du Souverain Seldjoukide Keykhusrev qui lors de son union avec la fille de Rosudan, prince géorgien, avait promis de ne pas s'occuper de la religion de son épouse, même si par la suite elle fut amenée à se convertir.

d) Les successions de dhimmis

D'après la sourate IV, v 141 "Allah ne donnera aux infidèles nul moyen de l'emporter sur les Croyants" ce que les juristes interprètent par le refus de faire hériter un dhimmi d'un musulman, ou encore les parents dhimmis d'un dhimmi converti. A l'inverse, et toujours selon la même sourate, un Musulman n'hérite pas d'un dhimmi puisqu'il ne peut y avoir de succession entre gens de religions différentes. Du reste la loi romaine suivait en la matière les mêmes prescriptions. Rien ne s'oppose en revanche à ce que des dhimmis de même religion héritent entre eux, mais s'ils sont de confession différente, les avis divergent, Ibn Hanbal et Malek par exemple refusent la succession alors que les autres l'acceptent.

Mais s'il s'agit d'un apostat , sa succession va au Trésor selon Malek, Safi'i et Ibn Hanbal, alors qu'abu Hanifa dévolue la part de l'héritage acquise par l'individu alors qu'il était musulman à ses héritiers, tandis que le reste va au Trésor.

Quant à savoir si un testament est ou non valide les juristes sont en désaccord , Selon Abu Hanifa, le testament doit être apprécié selon la religion du dhimmi, mais Malek et Safi'i le refusent s'il n'est pas conforme au droit musulman.

Enfin s'il est interdit qu'un musulman hérite d'un dhimmi celui-ci peut néanmoins tester en sa faveur puisque les dotations sont permises entre eux comme l'atteste la pratique du waqf ou fondation pieuse.

5. Le droit administratif

Nous mettrons sous cette rubrique ce qui est afférent d'une part au ghiyar et d'autre part aux fonctions publiques et privées pouvant ou devant être occupées par les dhimmis y compris les activités commerciales. Enfin nous y ferons mention des lois régissant les déplacements des dhimmis.

 

Juif (1720).(Costumes turcs.)

a) le ghi.yar (distinguant-distinction-connaissance)

Le ghiyar se définit comme la marque discriminatoire que devaient porter sur leur vêtement les dhimmis. Cette obligation faisait partie du statut des dhimmis et remonterait aux décrets de Mutawakkil à partir de Umar.

En général il s'agissait d'une pièce d'étoffe placée sur l'épaule, rouge, bleue ou jaune (le tadj). Mais l'obligation s'en est étendue aux prescriptions concernant la tenue vestimentaire des dhimmis afin que ceux-ci fussent distingués des musulmans.

Peu de choses sont mentionnées à ce propos et même au contraire le Prophète, comme nous l'avons dit, alla jusqu'à adopter leur coupe de cheveux. Ainsi lit-on parmi les hadith "Le Prophète aimait à imiter les gens du Livre pour tout ce sur quoi il n'avait pas reçu d'ordre spécial. Plus tard le Prophète sépara ses cheveux sur le front", comme les polythéistes. Ainsi apprenons-nous qu'il n'y avait pas là de stipulations précises, de sorte que toute codification relève de l'arbitraire de décisions extra coraniques.

Ainsi Abou Yousuf stipule-t-il que le dhimmi doit porter "une ceinture à la taille (zunnâr) semblable à un fil grossier que chacun se noue au milieu du corps, que leurs culottes soient piquées, que leurs chaussures soient garnies de courroies doubles" selon la parole d'Umar "afin de les distinguer des musulmans au premier abord". En outre, ils ne peuvent employer ni étoffe de filoselle, ni turbans, et

 

Abou Yousof termine sa lettre par une invective à son destinataire car ses dhimmis ne respectaient pas ces prescriptions "Par ma vie, écrit-il, si cela s'est fait dans ton entourage, cela est dû à la faiblesse, à ton impuissance, aux flatteries que tu as écoutées..

Et l'on voit poindre la manipulation lorsque Al Jawziyya, se fonde sur une déclaration du Prophète "Celui parmi les gens, qui ressemble aux dhimmis, sera considéré comme étant des leurs" pour I justifier le port obligatoire du ghiyar.

Enfin Al Fuwati rappelle qu'à l'époque des Califes, le dernier à avoir appliqué les ordonnances de

Umar en matière vestimentaire fut Al Mugtadir bi-Amirallah (908-932) qui leur ordonna de

-  porter des clochettes autour du cou ,

-  porter une rouelle et un turban jaune pour les juifs et un voile de couleur jaunâtre et des chaussures de couleurs différentes pour les juives, l'une blanche, l'autre noire

-  de porter des vêtements noirs ou gris, une ceinture à la taille et une croix sur la poitrine pour les chrétiens.

Mais c'est sous l'Empire fatimide que les dhimmis vécurent leur période la plus sombre lorsque Al

Hakim bi Amr Illak (1004-1020) réactualisa les vieilles pratiques en les aggravant.

 

         

  

Juif et Arménien de Constantinople, .XVIII siècle                                                                                              (Charles-Roux, pl. xx.)

On notera que outre

-           le port du ghiyar et du zunnâr,

-           vêtements et turbans devaient être noir foncé,

-           les chrétiens portaient une croix d'une coudée de long et pesant 5 ratls au cou, - les juifs étaient affublés d'un billot de bois représentant le veau adoré au désert, - au bain ils portaient croix et sonnettes,

-           les femmes étaient chaussées de bottines l'une rouge, l'autre noire.

On peut dire qu'ainsi le dhimmi prend vraiment figure de clown et l'on voit mal comment il aurait pu être de la sorte incité à se convertir, si ce n'est par intérêt !

b) Les fonctions

En règle générale les fonctions laissées aux dhimmis étaient telles qu'ils ne pouvaient pas exercer une autorité sur les musulmans. Comme le souligne Al Damanhuri "il est interdit de nommer des infidèles fonctionnaires. Les laisser prendre le pas sur un Musulman en lui donnant le pouvoir de le battre de l'emprisonner ou de l'opprimer pour lui tirer de l'argent, fait de l'infidèle un percepteur de taxes du Musulman". En ce cas c'est la peine de mort qui est requise. Mais là encore les selkjoukides apportent des démentis. Ainsi Ala'ed-Din Keykubâd (1219-1237) avait-il nommé un chrétien à la tête de ses armées pour l'expédition d'Arménie ; un prêtre grec appelé Michel compta parmi les fonctionnaires des Finances ; un administrateur chrétien fut nommé à Malatya en 1102 , nombre de Syriaques et de juifs furent médecins alors que cela leur était interdit ailleurs. Et n'oublions pas ce que nous avons souligné du statut des juifs et chrétiens à Bagdad

Cependant il n'est guère fait mention des charges publiques dans le Coran, et pour cause puisqu'il s'adresse à un peuple de pasteurs et de nomades, mais les hadith soulignent qu'un dhimmi ne peut avoir une autorité sur un musulman et Umar dès 634, avait proscrit l'admission de non-musulmans à des postes gouvernementaux. Cependant sous Abd Al malik, des chefs chrétiens dirigeaient encore l'administration en langue grecque car à l'origine, au moins, les conquérants arabes, ne voulurent pas toucher aux rouages compliqués des administrations des pays conquis. Plus tard Umar II exigea la destitution de tous les fonctionnaires dhimmis.

Néanmoins malgré une évolution vers l'exclusion des dhimmis de postes de responsabilité, rien cependant ne ressort précisément des textes si ce n'est l'interdiction qu'un dhimmi juge un musulman. Ainsi que Ibn Abdun l'écrit "il ne faut laisser personne parmi les gabeleurs, les sergents de police, les juifs et les chrétiens revêtir la tenue d'un personnage de l'aristocratie ni celle d'un juriste, ni celle d'un  homme de bien"(49) Cependant Al Fuwati rapporte que Ibn Fadlan (1233) relate que certains dhimmis travaillaient pour le diwan, gagnant de fortes sommes et jouissant d'honneurs extrêmes supérieurs à ceux des notables musulmans.

 

                                                        

  Irchoglani ou Pages (1720). (Costumes turcs.)

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Mais n'oublions pas que selon Mawardi il y avait deux sortes de vizirat l'un de délégation et l'autre  d'exécution celui-ci seul pouvant être occupé par un dhimmi, voire un esclave puisqu'il se bornait à exécuter les ordres du souverain..

A Bagdad en particulier ils jouirent d'un prestige remarquable, furent médecins ou pharmaciens, et gagnèrent largement leur vie. Ce que voyant Umar écrivit aux gouverneurs de provinces afin qu'ils appliquassent les lois de discrimination. Et si  accepte le témoignage d'Ibn Askar on concluera que "such participation in governing is contrary to the degradation and scorn that  accompany the djizya" l

L'illustre du reste le traitement infligé par le Sultan d'Egypte Malik Mu'ayyad Abu Nasz au secrétaire chrétien de son vizir. Il serait cependant faux d'y voir des mesures spécifiquement arabes la législation byzantine interdisait aux juifs d'accéder à des postes dans l'armée, au mieux occupaient-ils  des fonctions municipales.

En ce qui concerne les emplois autres que publics que les dhimmis pouvaient occuper on note là encore des transformations spectaculaires pouvant aller de charges honorifiques à des tâches dégradantes.

Du Coran il ressort que l'usure étant une faute grave en aucun cas le musulman ne pouvait la pratiquer. Seuls les dhimmis avaient le droit de l'exercer, mais il s'agissait d'une fonction dégradante (s III v 130 ; s IV v 160). Comme l'étaient aussi le nettoyage des latrines, des égouts, l'enlèvement des ordures et des détritus comme le rapporte Al Fuwati. Au XIe s. Ibn Abdun enseigne qu'un musulman ne doit pas être le masseur d'un dhimmi, ni s'occuper de sa monture. Un juif ne peut, quant à lui égorger d'animal de boucherie pour un musulman et il est déconseillé d'acheter de la farine à un chrétien qui s'en sert pour dessiner des croix(50).

6) Le commerce

Enfin à propos du commerce s'il était effectivement permis aux dhimmis de vendre du vin ou du porc, c'était à l'écart des musulmans uniquement à des dhimmis et leurs taxes étaient plus fortes que celles des autres commerçants. Pourtant rapporte Gahiz "parmi les souverains musulmans qui avaient coutume de boire du vin on compte : Yazid'b Mu'awiiya qui tous les soirs était saoul... ; Abd al Malik qui s'enivrait une fois par mois.. Suit une nomenclature des souverains qui s'enivraient volontiers et leur jour de prédilection !

Par ailleurs lorsqu'un marchand franchissait la frontière avec des marchandises la quotité de la patente perçue variait selon la religion du commerçant. Par exemple elle était de 10 % pour un musulman. Mais qu'il soit musulman ou dhimmi si les marchandises transportées devaient lui permettre d'acquitter des dettes il était exonéré de dîme.

 

      

 

Badanadji ou Arménien qui blanchit les murailles (1720). (Costumes turcs.)

 

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Quant à l'achat et à la vente d'esclaves musulmans, elle était interdite à un dhimmi et si son esclave se convertissait à l'Islam son maître devait s'en défaire par vente, affranchissement ou donation. De même un esclave païen puisqu'il était susceptible de se convertir ne devait leur être vendu, non plus qu'un chrétien ou un juif encore pubère pour la même raison. Quant au musta'min s'il achetait un esclave dhimmi il était obligé de le revendre. Mais notons qu'en la matière les arabes s'étaient conformés au code justinien qui interdisait aux juifs de posséder des esclaves chrétiens et si un esclave païen converti au christianisme se voyait refuser sa liberté, son maître, juif, était condamné à mort.

5. c) Les déplacements

Pour comprendre les lois régissant les déplacements et lieux de résidence des dhimmis, il faut remonter à la conquête du Prophète qui aurait à plusieurs reprises prononcé des condamnations d'expulsion à l'encontre des juifs , entre autre "j'expulserai les Juifs et les Chrétiens de la Péninsule arabique ; je n'y laisserai que les Musulmans. Si Dieu me prête vie, j'expulserai les Juifs et les Chrétiens de la Péninsule arabique".

Forts de cela les juristes auraient interdit aux dhimmis de se fixer dans le Higaz c'est-à-dire la Mekke, Médine, Yamama et leurs banlieues. Si un dhimmi outrepasse volontairement cette interdiction il est passible d'une peine discrétionnaire. Par contre il lui est permis de traverser le pays à titre d'ambassadeur ou de commerçant mais en ce cas pour une période de trois jours. Par contre nulle infraction n'est tolérée, du moins en droit, pour la Mekke. En ce cas même malade il est expulsé, et s'il meurt et qu'il y est enterré il est exhumé. Si, d'après Malik, les non musulmans ne peuvent s'établir nulle part en Arabie, par contre Abu Hanifa n'y voit aucun inconvénient y compris dans le Higaz et la Mekke, théorie qui fut le plus généralement appliquée.

En effet la police de Médine sous Mu'Awiya compta jusqu'à deux cents chrétiens ; la Mekke en 680 possédait un cimetière de non-musulmans ; des Princes musulmans, Abd Allah frère d'Amr-b-azZubair s'y firent enterrer. Il semble par conséquent que le Prophète n'ait pas tant préconisé l'expulsion des infidèles que l'interdiction de prendre part aux cérémonies du pèlerinage de la Mekke comme le stipule la sourate IX 28 et le hadith titre LVIII ch XVI.

Par ailleurs diverses restrictions quant au droit d'aller et venir frappent les dhimmis. Ainsi, et ce malgré les clauses du pacte de Nâgrân, le Calife Al Hakim assigna un quartier spécial aux juifs du Caire, Bal Zuwaila et au Maroc en 1160 la ville d'Agmat Ailan n'était habitée que par des juifs qui ne pouvaient en sortir que le jour. Mais là encore les avis divergent et Abu Yusuf préconisait au contraire qu'ils se mêlassent à la vie de la cité dans l'espoir qu'ils se convertissent.

 

 

Condamnation de Dergoumidas par le Grand Vizir.

Dergoumidas et deux autres Arméniens qui passèrent du rite grégorien au rite catholique, furent décapités le 5 novembre 1707. Le patriarche Saary et sept autres notables arméniens devenus catholiques se firent musulmans pour échapper à la mort.

 

Droit pénal

Nous terminerons cette analyse du statut juridique du dhimmi par cette rubrique sous laquelle nous mettons ce qui est relatif à : l'application du Talion, à la dya ou prix du sang, à la valeur du témoignage d'un dhimmi dans la mesure où il peut être passible d'une peine, ainsi qu'au jus religionis.

a)   Le talion

D'emblée il est important de souligner que le dhimmi relève de deux structures pénales différentes celle du jus religionis géré par les chefs de sa communauté juive ou chrétienne quant aux affaires internes et celle de l'Islam lorsqu'il y a un différent avec un musulman. Mais il est spécifié par Mawardi que celui qui exerce l'équivalent de la charge de Kadi dans sa communauté dhimmi, le fait à titre de représentant de celle-ci mais non comme investi d'une véritable judicature.

Comme nous l'avons déjà signalé les dhimmis jouissent de la protection de la Umma et ne doivent pas être traités en esclaves (hadith T 2Titre XLVIII ch CLXXIV) ni tués sans motif. "D'après Abdallah ban Amr, lit-on dans les hadith, le Prophète a dit "Quiconque aura tué un tributaire ne sentira pas l'odeur du paradis » (51)Ce qui serait un péché rédhibitoire comme le confirme le fait qu'il faille pardonner à un polythéiste ayant trahi, selon la sourate V v 45 et le hadith LVIII ch VII. Mais le talion n'est cependant pas appliqué également car si effectivement un tributaire est mis à mort pour le meurtre ou l'agression d'un musulman, celui-ci ne doit pas être mis à mort pour un infidèle(52) Néanmoins l'inégalité des peines était une pratique courante dans toutes les cités antiques et médiévales puisque le meurtre d'un métèque était assimilé à un homicide involontaire, alors qu'à contrario le juif était plüs lourdement puni, ainsi la loi Gombette ordonnait-elle que l'on coupât le poing d'un juif ayant frappé un chrétien.

b)   La dya

Et il en va de même de la dya qui était généralement de moitié moins pour un musulman comme l'indique la Risala. Le principe du demi-tarif s'applique, lit-on, quand la victime est un juif ou un chrétien. A titre d'illustration nous donnons dans l'annexe 9 un tableau comparatif.

Par ailleurs le dhimmi est soumis aux mêmes peines que le musulman dans l'application des hudud concerant le vol, l'adultère, l'ivresse, quoique les peines puissent être aggravées notamment à propos de tout ce qui touche à Dieu, à l'apostasie, au respect du culte des musulmans. Mais si la sourate V 33 stipule que tous ceux qui font la guerre contre Dieu et son Prophète méritent la mort, le Prophète a su pardonner et encourager la compassion soit parce que le fauteur s'était converti, soit parce qu'il avait décidé de faire preuve de mansuétude.

Ainsi peut-on lire le hadith suivant (T 2 Titre LXV-ch XV "Le Prophète et ses compagnons pardonnaient aux idolâtres et aux gens du Livre et supportaient leurs avanies... " Enfin songeons à cet épisode (titre LVIII ch VII) où Muhammad pardonna à ces juifs qui avaient essayé de le tuer avec une brebis dont la chair avait été empoisonnée

En outre toute une série d'infractions spécifiques aux dhimmis ayant trahi leurs engagements vis à vis de la Umma, pouvaient entraîner la résolution de la dhimma.

D'après Ibn Hanbal et Ibn Oasin, entraînent cette rupture les faits suivants  prendre les armes ou se rallier au dar al harb  refuser lois et jugements de l'Islam  ne pas acquitter la djizya  détourner un Musulman de sa religion  aider les ennemis de l'Islam  tuer un ou une musulman(e)  outrage à Dieu, au Prophète, au Coran  commettre un vol.

Enfin une autre série d'infractions entrainait si ce n'est la résolution de la dhimma du moins des châtiments  ne pas porter le ghyar  élever des constructions plus hautes que celles des musulmans  battre le naqus et prier à haute voix  boire du vin, manger du porc, exhiber une croix en public  ne pas inhumer en secret ses morts, pleurer et se lamenter  employer des chevaux pour monture.

c) Le témoignage

Globalement un hadith stipule qu'il faut se méfier de celui qui ment, manque à sa promesse, trahit ses engagements, est de mauvaise foi, or le dhimmi est de ceux ci puisqu'il ne reconnait pas Allah et son prophète, c'est pourquoi son témoignage n'a pas de valeur selon la sourate VI 150.

On lit dans les hadith qu'il ne faut pas en appeler aux témoignages des gens du Livre alors que le Livre révélé au prophète donne toutes les informations nécessaires. Eux au contraire ont falsifié leur Livre autrement ils auraient reconnu l'Islam(53). C'est pourquoi si des dhimmis sont pris par erreur  comme témoins d'un document, non seulement celui-ci est annulé mais ils sont passibles d'un châtiment corporel(54)..

De même Abu Youssouf denie-t-il toute capacité à un dhimmi de jouer le rôle de médiateur dans un conflit, ou en matière de religion.

Mais les choses ne sont pas aussi tranchées car il est possible d'accepter le témoignage d'un dhimmi contre un musulman. Selon la sourate 5 v 106 le témoignage requis pour un testament peut avoir pour témoins soit "deux hommes intègres, choisis parmi les vôtres", "ou bien deux étrangers" (litté ralement : deux autres parmi d'autres), ce que l'on s'accorde à interpréter comme l'acceptation du témoignage de non musulmans à condition, bien sûr, que leur intégrité soit manifeste. Il existe en effet "chez le peuple de Moïse une communauté dont les membres se dirigent selon la Vérité grâce à laquelle ils observent la justice" (s VII v 159). Cependant le témoignage d'un musulman demeure d'une véracité supérieure car il effectue, en loccurrence, un acte de foi fait selon la justice et l'amour de Dieu

Par ailleurs, il va de soi que tout facteur entraînant la rupture du pacte est sévèrement puni comme nous l'avons déjà souligné. Ainsi, la sourate IX énumère-t-elle différentes transgressions : alliance et pacte trahis, mensonge, attaque à l'égard de la religion, serment rompu, profanation des mosquées, apostasie, incrédulité endurcie et combats. Et à cet égard, Al Mawardi souligne l'interdiction de venir en aide aux ennemis ou d'accueillir aucun de leurs espions, ce qui est cause de la rupture du pacte et de la mise à mort des révoltés. C’est pourquoi ces lois s'étendent : à l'aide apportée à un incroyant contre un Musulman arabe ou non , à l'indication à un ennemi des points faibles des Musulmans ; au port d'un vêtement militaire et à la détention d'armes (Al Damanhuri). Or toutes ces infractions témoignent de l'hypocrisie du dhimmi auquel on ne peut donc faire confiance.

d) Le jus religionis

Enfin pour toutes les questions touchant le seul dhimmi celui-ci pouvait décider d'en appeler à sa propre communauté, d'être jugé par elle, d'adopter ses usages internes et de se conformer à ses chefs. Du reste le Prophète amené à statuer sur le sort de deux juifs accusés d'avoir commis l'adultère demanda que l'on apportât le Pentateuque et leur faisant lire le passage relatif à cette faute "donna l'ordre de lapider les deux coupables(55) conformément à la loi juive.

Ainsi tout délit passible du hadd (pluriel de hudud Allah ou limites de Dieu) pouvait-il soit être jugé par le Cadi soit renvoyé devant l'autorité religieuse dont relevait le dhimmi.

Ceci était du reste une pratique héritée du droit romain puisque l'empereur Constantin par la loi du 23 Juin 318 donne la possibilité à chaque chrétien d'en référer à la juridiction épiscopale pour toute affaire civile. Puis en 333 il fut décidé que les évêques seuls jugeraient sans qu'on puisse faire appel à leur sentence. Une loi de 398 ajouta cependant que les deux parties devraient en être d'accord.

De même peut-on lire à propos des non musulmans(Canon VI synode nestorien de George 1 676) que "Les procès et querelles entre chrétiens doivent être jugés dans l'Eglise... Qu'ils soient jugés en présence de magistrats désignés par l'évêque, du consentement de la communauté, parmi les prêtres connus pour leur amour de la vérité..

Timothée I interdit même aux chrétiens de se faire juger par des tribunaux musulmans et son successeur les menaça d'excommunication. Ce qui laisse entendre que cela leur eut été parfois plus profitable !

De même en Espagne, les litiges entre Chrétiens étaient jugés par un magistrat de leur religion reconnu par le Calife.

Mais l'autorité religieuse ne pouvait prononcer que des peines d'amende ou d'excommunication, de sorte que les crimes relevaient en principe de l'autorité musulmane, ce qui se justifiait par les désordres provoqués ainsi dans la communauté.

Dune manière générale donc tout ce qui peut élever un dhimmi au-dessus d'un croyant, ou lui porter atteinte, ainsi qu'attenter à l'unité de la Umma et à la gloire d'Allah était sanctionné ce qui signifie que la justice est d'ordre divin et qu'il n'y a d'autre juge que Dieu

 

Devshirme. ramassage d'enfants chrétiens (Balkans).

40

Conclusion

Qu'il nous soit permis, en conclusion, de porter le débat du statut juridique des dhimmis sur le champ de la réflexion que suscite les applications plus ou moins divergentes du droit cependant unique dont elles se prévalent.

A propos de ce que Bat Ye'or nomme dhimmitude, elle propose la définition suivante "Ensemble des caractères développés dans le long terme par des collectivités soumises sur leur propre sol aux moeurs et à l'idéologie importées par le djihad" I Ce faisant son propos est de souligner les conditions qui ont présidé à ce type, disons ce paradigme qu'est le dhimmi et qui est originellement le produit d'un ensemble de codifications légales touchant à tous les secteurs de la vie.

Qu'il soit vaincu ou qu'il ait fait allégeance, qu'il subisse les lois de la guerre ou bien ait passé un contrat lui assurant sa protection, qu'il soit d'Arabie, de Turquie, de Syrie, d'Irak, d'Egypte ou du Maghreb, qu'il ait vécu au VIe ou au XXe s., le non-musulman peut jouir ou souffrir d'un statut à part, la dhimma qui lui reconnaît une place au sein de la communauté musulmane. Son visage est tout à la fois, un, par sa définition juridique et multiple par les brassages d'éléments divers, les adaptations qu'il lui fallut opérer, les évolutions dans l'espace et le temps qu'il connut(56).

Tour à tour protégé de l'Islam naissant, dont le Prophète développait une politique de conversion à l'égard en particulier des gens du Livre, mais aussi source de revenus grâce à la djizya et au Kharadj, sans compter d'autres charges annexes, auréolé du prestige que lui conférait• sa propre culture juive ou chrétienne par l'entremise de ses philosophes, poètes et théologiens, il put jouir d'un immense prestige à Bagdad ou Qairouan mais aussi en Espagne sans compter que ses traditions d'artisanat et de commerce lui permirent de prospérer. C’est ainsi que se développa un mécénat de notables dhimmis encourageant et finançant les initiatives de leurs coreligionnaires. Or ceci présuppose une législation assez souple pour le rendre possible. Et cette souplesse s'affirme lorsque l'on compare le statut dévalorisé des arabes non musulmans incrédules ou idolâtres ou bien des apostats , à celui des gens du Livre. Les uns, en effet, soit n'ont aucune foi ce qui témoigne d'une nature perverse, soit associent d'autres êtres à Dieu, soit renient celui-ci, tandis que les autres juifs et chrétiens croient en un Dieu unique révélé par un Livre dans lequel les signes de la manifestation d'Allah sont remarquables. Aussi l'arabe qui refuse Dieu est-il impardonnable, car il se sépare volontairement de son créateur et par conséquent des hommes. C’est un injuste qui trahit sa communauté et par conséquent il en est exclu.

Pourtant les différentes composantes de la dhimma généraient aussi un état d'esprit fait de vulnérabilité, de crainte et de dépendance dans la mesure ou la protection dépendant du tribut versé pouvait cesser avec lui, de sorte qu'il fallait savoir se faire accepter et apprécier pour conserver sa vie et ses biens. Vulnérabilité du reste accentuée par les notables dhimmis qui chargés de collecter les tributs et désireux d'être appréciés des chefs musulmans infligeaient menaces, exactions, et charges supplémentaires aux tributaires par ailleurs réduits en esclaves terrorisés par les janissaires constituant les troupes d'élite de la puissance musulmane, qui dût, elle aussi menacée, s'en débarrasser (cf massacre de Constantinople au XIXe s.).

Mais en outre le droit civil contribuera à une perte de mémoire de ces peuples et à leur déchéance, car privés de synagogues ou d'églises, brimés dans leur culte, comment pouvaient-ils conserver le ferment de leur propre culture tout imprégnée d'une relation à Dieu condamnée et dévalorisée ?

Dépossédés souvent de ses terres devenues propriété de la Umma, privés de l'exercice de sa religion, le dhimmi soumis à ce processus de dépouillement et d'acculturation l'était aussi des signes extérieurs de sa personnalité puisque son vêtement était soumis à des prescriptions qui à la fois le fondaient dans sa communauté et le rendaient distinct des musulmans. Or la différence soulignée est la première étape dans le processus de formation du bouc-émissaire ou du phagocytage.

 

 

Janissaire (1720).(Costumes turcs.)

On répondra qu'il fallait abaisser l'orgueil du dhimmi et le convaincre de la véracité et de la noblesse de l'Islam et certes beaucoup se convertirent à l'Islam mais quelle est la valeur d'une profession de foi acquise sous la contrainte ?

La dhimma cultive donc l'ambiguïté de la relation entre protection et tolérance. sans doute est-ce le fruit de l'écart expérimenté entre le droit et le fait le devoir-être et l'être. Mais quelles que soient les intentions, et d'après le Coran elles furent bonnes et justes puisqu'on y peut lire qu'il faut observer strictement la justice, et en particulier avec les protégés de sorte qu'aucune iniquité ou hostilité ne peut y trouver de justification. Cependant on peut se demander s'il suffit que le droit soit prononcé par des autorités reconnues pour être juste et n'induire aucune exaction par ailleurs. 2

C'est peut être l'une des raisons pour lesquelles dans la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, rédigée à l'initiative du Conseil islamique pour l'Europe, proclamée le 19 Septembre 1981 à Paris, mention spéciale est faite des minorités

X. DROIT DES MINORITES


a) le principe coranique "il n'y a pas de contrainte dans la religion" doit régir les droits religieux des minorités non musulmanes.

b)        Dans un pays musulman, les minorités religieuses doivent avoir le choix pour la conduite de leurs affaires civiques et personnelles entre la loi islamique et leurs propres lois (c'est-à-dire religieuses)

XII. DROIT A LA LIBERTE DE CROYANCE, DE PENSEE ET DE PAROLE

c) Personne ne doit mépriser, ni ridiculiser les convictions religieuses d'autres individus ni encourager l'hostilité publique à leur encontre. Le respect des sentiments religieux des autres est une obligation

Mais sans participation à la vie politique, une liberté efficace est-elle possible ?

Extrait de L'Islam et les Droits de l'Homme. Paris. Librairie des Libertés. 1984

 

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

 

Notes :

1 Abu YsufKitab al-harag -ed Caire - 136 H 86-87 Trad. Fagnanp 109-110

2 Cité dans Islamochristiana no 16 - 1990 Roma

3 Sourate V 69

4 Sourate 111 151

5 GoIdziher : Le dogme et lafoi de l'Islam - PARIS 1958

6 Pour un exposé exhaustif de ces questions voir J. Gaudemet : L'Eglise dans l'Empire Romain - Sirey 1958 2E. Tyran :          Institution du droit public musulman - I -60 vivantes

7 El Bokhari   IV série: Les traditions islamiques - Tome II Titre          LVIII "La       capitation" - ch XVII - Paris 1984 Publications de         l'Ecole des          langues orientales

8 Parfentieff "ThéCúde labos du droit chez les jurisconsultes musulmans de rite MALEKITE" Hesperis. Archives Berbères -1951 - PARIS 3e 4e trimestre

9 Cité in L. Gardet : Les hommes de l'Islam - p 98

10 Bar Hebraeus : The chronologv - Amsterdam 1932 - 2 volumes

11 bn Al ftwati : Une histoire complète de Bagdad - 1932

12 Turan : "Les souverains seldjoukides et leurs sujets non musulmans " - Studia Islamica Paris 1953

13 Laoust : Le traité de droitpublic d'Ibn Taymiya - Beyrouth 1948

14 Sourate 11 - 79

15 Sourate VIII 72

 16 Sourate VIII 74

 17Annexe I Invitation à soumission envoyée à Héracléus

18 EncycIopédie de l'Islam : Article : Djihad

19 Sourate VIII 67

20 Muhyi D-Din Ibn Arabi al-Futuhat al-Makkiya t II p 60

21 H A R Gibb "The fiscal rescript ofUmar II" in Arabica T 2 - 1955. Nedherland (traduction personnelle en français) Texte en Annexe 5

22 Al Muwatta ch (1022)

23 Arabica 1955 - § XII - § XVII

24 Al Muwatta ch XXV(623)49

25 A. Fattal op-cité p 275

26 Voir Arabica 1954 ; Arabica 3 - 1956

27 Al Muwatta ch XXIV (620) 46

28 Cité in Bat Ye'orp 373 à 375

29 Cité in Bat Yé'or p 394

30 Al Muwatta ch        (620) 46

31 Al Muwatta ch XXIV (618) 44

32 Cité in Arabica T 1 2/3 – 1954

33 Hadith T 2 - Titre

34 Hadith T 2 - Titre LV 111 ch XVII

35 Hadith T 2 - Titre LVIII ch CLXXX

36  Al Muwatta

37  "le Waqf est en principe la fondation pieuse ; acte par lequel une personne renonce à son droit de disposition sur un immeuble dont elle affecte les revenus à de bonnes œuvres" A. Fattal p 143

38 Voir Annexe 5 Assiette du Kharadj

39 Cité in Bat Ye'or (F) - p 36

40 Hadith T4 –

41 AI Mawardi cité in Bat Yeor (F) p 370

42  Cité in Bat Yé'or (F) p 424

43A1 Muwatta (979) 7

44Cité in Bat Yé'or (a) p 195

45  Al Daman Huri in Bat Yé'or (F) p 422

46 Hadith T 4 - Titre LXXV XI

 47 Risala - ch XLIII

48 Hadith T 3 - Titre LXII - ch LII –

49 Yé'or (F) p 368

50      Yé'or (a) p 199

51 Hadith T 2 - Titre XLVIII ch V

5 2 Hadith T 4 - Titre LXXX'VII ch

53 Hadith T 2 Titre XLVIII ch

54 Al Wasité Cité in Bat Yé'or( F) p 395

55 Hadith T 3 Titre LXV ch VI

56 Bat Yé'or : Les Chrétientés d'Orient - Paris 1991

 

 

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