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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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25 octobre 2020

NIETZSCHE-CRITIQUE DU MONOTHEISME

ETUDE DE LA CRITIQUE NIETZSCHEENNE DU MONOTHEISME "JUDEO-CHRETIEN"

La rencontre de Lou avec le philosophe Friedrich Nietzsche - Ép. 2/5 - Lou Andréas Salomé par Yves Simon

PARCOURS

I Définition classique du monothéisme

II Les données de la critique nietzschéenne du monothéisme

1)   L'ennemi le plus méchant

2)   L'idiomanie de Platon

III Les attributs de Dieu

1)      Dieu est unique

2)      Autres attributs

3)      Dieu est amour

4)      La Loi

IV L'homme du ressentiment

1)  Un per-vers

2)  Les conditions historiques

3)  Les conditions psychologiques

4)  Les conditions physiologiques

Pourquoi com-battre le monothéisme

1)  Perspectives métaphysiques

2)  Perspectives politiques

3)  Perspectives axiologiques et anthropologiques

Conclusion : Repenser le divin pour régénérer l'homme

 

INTRODUCTION

Dieu est mort, proclame Nietzsche, victorieusement, mais il n'en finit pas de mourir à longueur de pages, à longueur d'années, pourchassé dans toutes les religions qui ont érigé l'aliénation en idéal. Dans ce tête à tête où lui-même est pris, Nietzsche proclame, victorieusement, que meurt Dieu pour que vivent les dieux. Alors ? Alors paradoxe provocateur que couronnerait un grand éclat de rire car il y a là gai savoir. Mais en deçà quel est l'enjeu ? Etait-il bien nécessaire de com-battre ce Dieu, dont les monothéismes avaient érigé les attributs en système, après que Feuerbach et Schopenhauer lui eurent porté un coup fatal ? Et puis l'indifférence de l'européen fatigué faisait le reste, il tuait Dieu par ennui, alors que Lui-même s'achevait par sage perversité. Mais la maladie restait bien implantée dans ces hommes malades, qui, s'étant forgé un dieu malade, le demeuraient par hypocondrie. Cercle vicieux, adieu à la vie, qui depuis des millénaires durait, et n'en finissait pas, adorant l'ombre à l'égal de Dieu. Il s'agissait d'un mal pernicieux, dont l'habitude était devenue nature, planté au fin fond d'une physiologie, dont l'hyperexcitabilité rendait l'homme si fragile aux coups d'épingle, qu'il s'était donné un monde imaginaire, dont le nôtre virtuel se fait l'écho.

Des causes et des effets imaginaires avaient été érigés en entités, planant dans de vagues mondes intelligibles, dont on dit que l'âme s'en était nourrie.

Platon était un artiste, de type apollinien, sur la laide et cruelle réalité il avait tiré un voile de beauté, lui qui pourtant voulait chasser l'artiste de la cité. L'être était devenu Dieu, une confusion onto-théologique, sur laquelle l'Europe nietzschéenne continuait à se fonder, ou plutôt s'effondrer, par le biais du judéo-christianisme, qui s'était engouffré dans ce piège métaphysique.

Juifs et Chrétiens avaient voulu ignorer que le seul nom de Dieu est puissance, ils en avaient fait une entité, unique, suprême, parfaite, vérace, bonne, créatrice au détriment de l'homme.

Et l'homme s'était fait tout petit devant ce Dieu si bon, qu'il en avait fait son débiteur, corvéable à merci, aux prises avec une loi si exigeante, que l'homme était devenu un barbare du ressentiment, car n'est-ce pas barbarie que de n'aimer qu'un être au détriment de tous les autres, et n'est-ce pas ressentiment que d'abaisser tout ce qu'on ne peut atteindre.

 Le monothéisme a créé un homme à l'image de son Dieu, exigeant, possessif, calculateur, despotique, c'est pourquoi l'homme fit de tout ce qui était unique, unique valeur, valeur suprême : monogamie, monothéisme, monarchie ... mais le positif porte son négatif, et dès lors, le monde, où ce qu'il en restait, fut monotone, pour être devenu monotono-théiste.

Si christianisme rime avec nihilisme, monothéisme aussi, et tous ces ismes font d'une conception, c'est à dire d'une interprétation du monde, vérité. Et le monde dans tout cela ? Le monde sommeille, le monde se voile d'un kaléidoscope de couleurs voyantes, qui di-vertit l'homme de ces tragiques chaos qu'il n'ose affronter.

Mais le monde pourrait danser comme dansent les dieux sur la tête ou sur les pieds, comme danserait le surhomme si l'homme se surmontait, comme dansera l'Europe lorsqu'elle éclatera sous la multiplicité des perspectives engloutissant l'Un dans le Multiple, pour que la volonté de puissance positive crée enfin le divin dans l'amour de l'éternité.

 I-DEFINITION CLASSIQUE DU MONOTHEISME

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On pourrait fort bien appliquer au monothéisme ce mot de P. Valéry, à propos de l'histoire, c'est le produit le plus dangereux que la chimie de l'intellect ait produit, et du reste, dans l'un des rares passages où Nietzsche mentionne explicitement le monothéisme, il le qualifie de plus grand danger qu'ait jamais connu l'humanité (1) Ce danger est celui de la normalité, laquelle signifie à la fois l'instauration d'une norme, définissant Dieu face auquel il n'y aurait que de faux dieux, et d'une normalisation des rites et des croyances.

Comme tous les termes en « isme », le monothéisme inspire une méfiance instinctive à Nietzsche, aussi instinctive que son athéisme, car il y voit tous les signes d'une théorisation et d'une sclérose, qui, de Dieu, font précisément une idole. C'est pourquoi, afin d'échapper à ce monothéisme des théologiens, qui instaurent un ordre moral du monde infestent l'innocence du devenir avec le "péché" et la "faute" (2), Nietzsche leur oppose un polythéisme qui, sans être pour autant redevable des croyances antiques, est la condition nécessaire d'une résurrection du divin. C'est en ce sens aussi qu'il faut comprendre l'athéisme de rigueur de Nietzsche préalable à tout sens authentique du divin.

 Par conséquent, à la question de savoir si la critique radicale et méthodique que Nietzsche opère des deux formes de monothéisme qu'il prend en compte, à savoir le judaïsme et le christianisme, conduit à l'athéisme, on répondra par la négative. Est-on pour autant ramener à une foi plus authentique, à des formes de croyances et de pratiques an-historiques redécouvertes sous le fatras des théologiens ?

La distinction que Nietzsche effectue quant aux formes primitives et historiques des deux monothéismes pourrait le faire penser, mais d'une part, elles n'échappent pas à sa critique, d'autre part, on pourrait y voir une hypothèse similaire à celle d'un état de nature permettant d'évaluer ce qui est au nom de ce qui devrait être, autrement dit, l'écart séparant le sens du divin vécu dans une relation immédiate, de son institutionnalisation similaire à un régime politique.

Du reste, Saint Paul avait jeté les fondations d'un régime théocratique en stipulant que "Tout est soumis", à l'exclusion de "Celui qui a tout soumis" (3), et Nietzsche décèlera, du reste, de profondes analogies entre christianisme, socialisme et anarchie, en tant que symptômes de décadence (4).

Mais cette hypothèse ne nous satisfait pas dans la mesure où elle semble une tentative de récupération, faisant de Nietzsche, le prophète, lui qui s'y refusait, d'un retour à la foi pure de nos ancêtres. Mais la foi ainsi entendue est-elle jamais pure ?

C'est pourquoi, même si judaïsme et christianisme primitifs semblent jouir d'un régime plus favorable, tout comme la figure de Jésus Christ surnage dans le naufrage de l'Eglise, toutefois, ces dogmes fondamentaux font l'objet d'une critique serrée de la part du philosophe.

Mais avant d'aborder celle-ci, examinons comment se définit le monothéisme.

Globalement, celui-ci est conçu comme le fait d'être "une forme de religion selon laquelle n'existe qu'un Dieu unique (5) à l'exclusion de tout autre dieu qualifié d'idole, c'est à dire de faux dieu. Notons en premier lieu que cette 'main-mise" ne fut pas immédiate, car le monothéisme fut précédé par une phase d'hénothéisme qui ne refusait pas l'existence d'autres dieux (6,) et c'est sans doute à celle-ci que Nietzsche fait allusion lorsqu'il distingue les cinq faits qui montrent la dénaturation des valeurs naturelles. Au temps des Rois écrit-il(7), il existe un rapport juste entre Israël et toutes choses, car son Dieu "Jahvé était l'expression du sentiment de puissance, de la joie en soi, de l'espoir en soi (8), on en attendait la victoire, le salut, la pluie, bonne récolte et saine bétail. Il s'agissait donc d'une religion de peuple en bonne santé, se donnant un Dieu à son image. Ni la faute, ni le châtiment ne l'avaient encore empoisonnée.

 Mais peu à peu les choses se dégradèrent sous la poussée de l'anarchie à l'intérieur, et de l'Assyrie à l'extérieur, et il fallut, dès lors, moult contorsions pour sauver Dieu, autrement dit, ériger la perversion en valeur morale. Le malheur devint péché, le hasard perdit son innocence. Mais n'allons pas trop vite.

Traditionnellement, donc, Dieu est pensé comme vivant, agissant, intervenant dans le cosmos et dans l'histoire du peuple qu'il a élu, auquel il a donné sa loi, et avec lequel il a passé une Alliance, qu'il ne cessera, du reste, de réitérer, malgré les infidélités de son peuple, qui, pareil à la prostituée Gomer, multiplie les amants (9). Loin cependant de châtier au point de détruire, Dieu pardonne, car il est "Dieu et non pas homme". Ce qui signifie qu'il est essentiellement amour, et qu'au partage de celui-ci il convie l'homme, tel l'époux accueillant son épousée. Mais l'homme a peur, et à ce Dieu qui se veut "avec nous"(10), il se refuse.

Que dit vraiment le mythe de Narcisse ? - Santé - LeVif

En quête de certitude, il préfère l'idole, dans laquelle, pareil à Narcisse, il peut se reconnaitre. Et Isaïe n'a pas de termes assez durs pour le fustiger. "Le pays est rempli d'idoles, écrit-il (11), ils se prosternent devant l'ouvrage de leurs mains.. A contrario, Dieu est unique, ce qui signifie à la fois qu'il est l'objet d'une expérience incomparable, et fait montre d'une parfaite unicité. "C'est moi le premier, c'est Moi le dernier, en dehors de moi pas de dieu (12), "Tun'auras pas d'autres dieux face à moi" (13), "Écoute Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Un" (14), profession de foi que l'on retrouve dans le monothéisme islamique.  Il n'y a pas de Dieu en dehors d'Allah et Muhammad est son prophète".

L'unicité de Dieu, un et unique, est donc l'affirmation centrale du monothéisme judaïque, ainsi que chrétien. Comme le .stipule Saint Paul dans l'Epître aux Corinthiens " Nous savons qu'il n'y a aucune idole dans le monde et qu'il n'y a d'autre dieu que le Dieu unique" (15) et son fils reprend la Profession de Foi d'Israël, encourage à l'obéissance à Dieu et à l'amour du prochain.

Face au mystère de ce Dieu aimant et d'autant plus mystérieux qu'il se révèle à nous dans un rapport immanent, où se dessine plus encore sa transcendance, Nietzsche nie tout en bloc, à coups de marteau, avec une rage qui pourrait le rendre odieux aux uns, délectable à d'autres."Je condamne le christianisme, il est la plus grande corruption que l'on puisse imaginer" (16).

Dire qu'il s'agit là d'un jugement à l'emporte-pièce, ou pire, des propos d'un paranoïaque, serait faire preuve de paresse et de lâcheté ; taxer Nietzsche de superficialité ou d'ignorance serait méconnaitre sa pratique appronfondie des Ecritures ; soupçonner qu'il ferait preuve de ressentiment à l'égard d'une religion et surtout d'un Dieu qu'il ne cessa d'affirmer en le niant n'est pas à écarter. Mais il faut avant tout se demander d'où parle Nietzsche, à qui, de qui, et dans quel(s) but(s), sans cela nous sommes condamnés à l'incompréhension, pire au pré-jugé.

Il LES DONNEES DE LA CRITIQUE DU MONOTHEISME

1) l'ennemi le plus méchant

Précisons quelques données fondamentales. Tout d'abord Nietzsche, qui se destinait à être pasteur, pratiqua un christianisme sans médiation. Elevé à l'école de Luther, même s'il s'en sépara plus tard, il lui en resta un refus absolu pour toute forme d'autorité se posant en intercesseur entre l'homme et Dieu. Le prêtre, dit-il, et le prototype de celui-ci est Saint Paul, est animé par une volonté de puissance d'une force telle que lorsqu'elle ne peut se satisfaire positivement, in concreto, elle agit négativement et contre soi, par ascèse, et contre autrui par la domination que confère le pouvoir de susciter la mauvaise conscience (17)." Le prêtre, écrit-il, incarne la décadence par l'ascèse qu'il pratique pour affaiblir en lui la vie et façonner un type fait d'intellectualité, passivité, impassibilité, solennité" (18). Autrement dit, le prêtre est un menteur et de la pire espèce, puisque son mensonge convertit l'innocence du monde en culpabilité de l'homme. Face à un monde qu'il ne peut dominer, l'ascète se retire et méprise. Il est des renards qui, devant les plus beaux raisins (19), substituent l'orgueil de la mauvaise foi à l'humilité réaliste. C'est pourquoi le prêtre est un fidèle pratiquant de l'ascétisme, cet acharnement contre soi ressemblant à une volonté de puissance qui ne trouve pas d'autre exutoire(20)..

On l'aura compris, il ne fait pas bon fréquenter les prêtres, et si l'on souhaite demeurer en bonne santé, ce qui présuppose que l'on soit d'une santé supérieure, on les évitera.

2) L'Idiomanie de PlatonPlaton avec nous

Seulement, le prêtre n'a pas qu'un habit, ou plutôt l'idéal ascétique a différents masques, et en définitive le problème du monothéisme s'inscrit dans une problématique métaphysique, beaucoup plus vaste, que Nietzsche met à jour en la philosophie de Platon.

Dès lors, on comprend le pourquoi des jugements péremptoires de Nietzsche à l'égard du monothéisme, en particulier chrétien. Point n'est besoin de justifier chacune de ses attaques, lorsque l'on en connaît l'origine et le but. Ce n'est pas le christianisme en tant que tel qu'il fustige mais en tant qu'avatar d'une métaphysique(21), qui substitue l'idéal d'un monde vrai, transcendant, inaccessible, au réel hic et nunc, dès lors objet de mépris et de rejet. Mais, par le fait, repousser le monde c'est condamner l'homme à la caverne. C'est donc à un problème urgent de survie que ressort le projet de Nietzsche, il en va de la survie de notre civilisation, voire du genre humain, face à la montée du nihilisme, dont le christianisme, en érigeant un Dieu unique en valeur suprême, fut l'un des artisans. Nietzsche ne cherche pas à exclure le divin, ni à lui substituer une autre idole métaphysique, par exemple la société, non, il veut justement découvrir ces néants d'être que sont les dieux de la morale et de la métaphysique et que l'on retrouvera après une mue de l'épiderme moral par delà bien et mal(22).

Ainsi, à la question de savoir ce que vise Nietzsche nous répondrons qu'il vise une forme décadente de croyance, celle d'un christianisme, héritier du monothéisme judaïque, et qui, via le platonisme, successeur de l'éléatisme, s'est coulé dans le moule de l'onto-théologie, réduisant par des voies perverses le multiple vital et vivant, à l' Un dévitalisé. Ainsi s'inaugure la crise de l'ab-solu (23).

Il est intéressant de noter à quel point l'analyse des Dialogues de Platon (24), à laquelle se livre Nietzsche, alors professeur à l'université de Bâle, durant les hivers 1871-72 ; 73-74 ; et l'été 1876 (date de la parution de la "Naissance de la Tragédie grecque enfantée par l'esprit de la musique") préfigure celle qu'il fera du monothéisme. Se livrant à une genèse de la métaphysique platonicienne, Nietzsche décèle chez le philosophe un scepticisme désespéré, lié à sa pratique de Cratyle. Si en effet, il n'y a de connaissance que par les sens, alors nous sommes voués à un scepticisme et à un relativisme insurmontable, qui voit l'homme érigé en mesure de toute chose.

Refusant un tel état de fait. Platon, à l'école cette fois-ci de Socrate, commue le désespoir en mépris de la réalité effective, vengeance qui obéit à la morale du ressentiment. Ainsi, l'impuissance de Platon à accepter la réalité telle qu'elle est, à savoir, variable, changeante, multiple, troublante, le détermine à combattre le sensible, au point que se libérer des sens est érigé en devoir moral. Nous avons là l'origine de la morale ascétique. Faute d'une constitution forte, l'homme devient prêtre ou philosophe décadent. La maladie dont sera taxée la religion est en germe. Platon sombre dans la monomanie (25).

Mais Platon va plus loin, taraudé par sa peur du devenir, son détournement du réel s'assortit du postulat d'un monde intelligible, comportant des représentations non sensibles, immuables, saisissables par l'intellect seul, s'opposant point par point aux représentations sensibles, elles, dépendantes, changeantes, rendant l'homme sensuel, immoral. Le grand mot est lâché, derrière tout cela, c'est le corps qui est en jeu, le combat est celui du rationnel contre le pulsionnel. L'idéalisme platonicien est un aveu d'échec, qui cherche à se masquer par l'élaboration d'un monde bon, beau, vrai (26), juste, où la sensualité est réduite au silence. Subrepticement on est passé d'une théorie de la connaissance à une morale où l'individu est invité à se fustiger, s'il veut que son âme, délivrée de son corps-tombeau, retourne dans le monde supérieur qui fut le sien, comme l'affirment les pythagoriciens. La tâche du philosophe est d'accéder et de faire accéder au Bonheur, grâce à un détachement du sensible, qui est une mort constamment renouvelée. L'homme aspire à devenir dieu, un premier moteur immobile.

Conscient du danger d'une métaphysique qui amalgame, discours sur l'être, objet de l'ontologie et discours sur Dieu, objet de la théologie, pour en faire une anti-théologie, Nietzsche s'applique à en traquer toutes les formes, au nombre desquelles le monothéisme, en démasquant que l'illusion ontologique est la conséquence d'une inspiration morale d'origine pathologique. Le sujet, le "moi", la " chose-en-soi", la " substance" résultent d'illusions et de malversations du langage.

Ainsi le "moi" n'est-il que la substitution d'une unité causative à la pluralité des forces corporelles. De la sorte, "la seule réalité qui corresponde à tous ces concepts métaphysiques est l'exigence psychologique d'identité, et de permanence" (27). La métaphysique n'est donc que la rationalisation à tout prix, c'est-à-dire au prix de la vie, des désirs humains, en l'occurence, la suppression de la souffrance. Dans cette perspective, la métaphysique s'avère être un échafaudage que l'homme a bâti pour répondre au scandale du mal. "L'homme cherche la vérité, un monde vrai, un monde où l'on ne souffre pas ; or, la contradiction, l'illusion, le changement, sont cause de la souffrance !... Il est visible que la volonté de trouver le vrai n'est que l'aspiration à un monde du permanent" (28).

Concluons avec J. Granier " qu'affirmer que l'Etre est nécessairement permanent, véridique, substantiel, bon, transcendant, c'est dire qu'il est Dieu lui-même (29). De la sorte si l'Etre est ailleurs, il n'en reste à l'homme qu'une ombre avilie, enlaidie, exténuée, reliquat de sa projection idéaliste. "On a inventé la notion de Dieu qui est une antinomie de la vie et dont on a pétri l'horrible amalgame de tous les éléments nocifs ...qu'on puisse accumuler contre l'existence ! On a inventé une notion "d'au-delà", une notion de "vrai monde", pour dévaloriser le seul qu'il y ait, pour ne plus laisser ni but, ni raison, ni devoir à notre réalité terrestre !" (30). Cette figure de Dieu "c'est la volonté de néant sanctifiée" (31).

Allégorie de la caverne de Platon : texte complet, analyse

Du platonisme au christianisme il n'y a qu'un pas, puisque le philosophe a posé les fondements d'une onto-théologie, et l'on comprend bien que c'est dans ce cadre plus vaste qu'il nous fallait situer la critique du monothéisme. Après tout, Platon est si imprégné de morale, si "chrétien " (32), que "le christianisme est un platonisme pour le peuple(33).

Dès lors, la religion n'est bien, dans sa tendance qui la pousse à ne vouloir que des certitudes absolues, qu'un besoin métaphysique. Reste à savoir maintenant pourquoi le peuple a adopté le christianisme avec un tel en-thousiasme, autrement dit, à quels besoins celui-ci répondait-il, à quelles conditions de possibilité doit-il son implantation, ce qui requiert au préalable d'examiner les attributs que le monothéisme prête à Dieu.

III LES ATTRIBUTS DE DIEU

1) Dieu est unique

Nous avons auparavant indiqué les grandes composantes du monothéisme, mais la critique acerbe que Nietzsche en fait exigeait, pour éviter tout contresens, que nous la restituions dans le cadre plus vaste de la critique de la métaphysique, sans cela on n'aurait pu comprendre de quel droit Nietzsche soumet à une même attaque Dieu de la foi et Dieu de la métaphysique, Dieu des prêtres et Dieu des philosophes.(34)

Blaise Pascal — Wikipédia

 

Qui est le Dieu du monothéisme ? Cette question présuppose que l'on admette cette première falsification qui consiste à accepter "l'unité du mot comme garantie de la chose" (35). Or, on tient Dieu pour unique, à l'exclusion de tout autre dieu et présentant une parfaite unicité, ce qui en fait la cause par excellence, cause vérace, garantie de l'être dans son unicité et sa perfection, mais ce faisant, on oublie, ou on occulte, qu'une cause est le produit d'une multitude d'associations, d'ensembles complexes, "fleuves qui ont cent sources et affluents". L'unité ne serait donc obtenue qu'au prix d'une sélection, voire d'une réduction drastique, dépouillant l'objet en question. Appliqué au Dieu du monothéisme cela signifie que c'est au prix du divin multiple, varié, créateur, animé d'une vie multidimensionnelle qu'a pu naître le pervers mensonge d'un Dieu unique (36) aux ambitions despotiques et mégalomanes. Pourtant Nietzsche donne sa caution à cette loi, on peut, dit-il " en un sens être d'accord avec l'axiome de la loi mosaïque qui défend d'avoir d'autres dieux à côté de Dieu"(37). Mais en quel sens ? Celui qui au culte unilatéral des grands esprits substitue la prévalence de la civilisation dont la plus grande fatalité fût qu'on adorât des hommes. Nietzsche, à son tour, renverse ce qui est renversant. Mais le monothéisme n'est pas agi par les mêmes motifs, car s'il faut substituer la civilisation à l'homme, c'est justement pour conserver ce que rejette le monothéisme, à savoir, le grossier, le bas, l'imparfait, le faux, l'hypocrite.

Par conséquent, le Dieu du monothéisme est un Dieu de castrats, et il l'est lui-même, puisque ennemi de la vie (38), des instincts vitaux. C'est pourquoi Nietzsche appelle "méchant et ennemi de l'homme, tout cet enseignement d'un être unique et parfait, immobile, suffisant et impérissable"(39). Conception, qui, notons le, condamne Dieu a mourir d'épuisement ou plutôt d'étouffement.

2) Ses autres attributs

Tous les termes concordent : le caractère unique qui le condamne et nous condamne à l'appauvrissante solitude ; la perfection, c'est à dire l'achèvement et l'absence de trouble, qu'il s'agisse de l'impassibilité stoïcienne, du renoncement aux rires et aux pleurs, prôné par Spinoza, tout converge vers une destruction des passions, par conséquent de la vie, et l'on dit Dieu vivant ! Alors que ce néant d'être convie l'homme à l'anéantissement, auquel mène une maladie savamment orchestrée conduisant à un " Viva la muerte".

Rendre l'homme meilleur, à l'image de ce Dieu, c'est bien plutôt le domestiquer, l'affaiblir, le décourager (40) ; l'immobilité est l'antithèse, ou plutôt l'antidote (puisque tout cela est affaire de pathologie) du changement, du mouvement, du devenir, et l'on sent bien en filigrane que la métaphysique aussi est visée avec son Dieu, premier moteur immobile ; quant à la suffisance qui est "la toison d'or protégeant des horions, mais non des coups d'épingle"(41) elle condamne Dieu au monologue, mais aussi à la mort, car elle l'enferme dans une transcendance telle que peu à peu l'homme n'y voit plus qu'une chose en soi , un ens réalissimum, bien au chaud dans sa moite intimité gastrique ; enfin l'impérissabilité, elle, est contraire au cycle de toute vie, elle n'est qu'une croyance qui tort tout ce qui est droit " Comment ? Le temps n'existerait-il plus et tout ce qui est périssable serait-il mensonge ?

3) Dieu est amour

A cette critique on peut rétorquer que ces attributs, par trop abstraits, ne qualifient que le Dieu des philosophes et non pas ceux qui le vivent et y voient avant tout l'incarnation de l'amour.

Pour eux il est en effet Père, Père des pères, Père d'Abraham, d’Isaac, de Jacob, Père des hommes, mais fut-il plus qu'un lointain ancêtre auquel on est fidèle par tradition, par paresse ou quelque cruauté, à s'humilier devant un idéal inaccessible ?

Duccio di Boninsegna The Transfiguration, 1308-11 National Gallery, London. Carulmare/Flickr

Quoi qu'il en soit, il est dit nous aimer, mais d'une bien étrange façon. Ce "Dieu omniscient et omnipotent ne veillerait même pas à ce que ses intentions fussent comprises par ses créatures, serait-ce là un Dieu de bonté ?...Ne serait-ce pas un Dieu cruel... mais peut-être est-ce quand même un Dieu d'amour, mais incapable de s'exprimer plus clairement !"(42)

Par ailleurs, ses attributs mêmes semblent incompatibles, peut-on en effet être puissant et aimé ? la puissance suscite le respect, lequel s’origine dans la crainte, tandis que l'amour désire et pourtant ne reconnait aucune puissance, rien qui distingue, sépare. (43)

Quant aux effets sur l'homme ils sont pernicieux, car tout d'abord l'amour se paie du sacrifice de la liberté, 'entendons de la capacité à faire de soi-même sa création. La religion a ainsi un double visage, soit elle allège de la détresse de la vie, soit elle est une entrave qui empêche l'homme de monter trop haut (44) Il se paie aussi de la solitude la plus radicale qui soit sur fond de contradiction, car il est recommandé à la fois d'aimer Dieu et seulement lui, et aussi son prochain. De toute façon "l'amour d'un seul être est une barbarie, car on le pratique aux dépens de tous les autres. L'amour de Dieu aussi"(45). Barbarie doublée d'absurdité car après tout il s'agit d'un Dieu ayant épousé une mortelle pour lui faire des enfants, et recommandant de manger son corps et boire son sang après s'être abaissé à s'incarner !

L'histoire prend des allures de Grand Guignol. Alors l'amour, un vulgaire instinct de possession sublimé, rationalisé (46)? La pire séduction qu'ait pu utiliser le christianisme? Un chantage exercé sur ces pauvres hommes, qui, incapables de s'aimer, acceptent tout pour l'être ? Ou encore un recul horrifié devant ce qu'est l'amour véritable "fatalité, cynique, innocent, cruel"(47)

En tout cas pour Nietzsche l'amour est innocent, exempt de cette culpabilité qui, faisant du malheur une faute, insinue chez l'homme une mauvaise conscience, qui en fait la Victime de tous les grands manipulateurs, représentants de ce Dieu, qui débiteur insaisissable a enchaîné l'homme au boulet de la rédemption(48). Généreux ce Dieu  sûrement pas, un usurier auquel il faut rembourser les dettes, dont il a lui-même chargé l'homme ! Bien plus il se paie de sa propre santé car l'amour compris comme pitié baisse l'énergie vitale, non seulement de celui qui compatit, par conséquent Dieu s'épuise, mais de celui qui en pâtit (49). Ainsi le cas de la mort du nazaréen a t-il entrainé une déperdition totale de vitalité disproportionnée et absurde si on la compare à la petitesse de la cause.

Mais de qui parle-t-on, s'agit-il bien de Dieu ou de ceux qui s'en disent les porte-parole, les bons, dont Zarathoustra nous dit qu'ils sont le plus grand danger pour l'avenir de l'homme et qu'il faut les briser (50). Car n'est-il rien de plus noble, élevé, que d'aimer les hommes pour l'amour de Dieu, et non par crainte de Celui-ci, et respect de sa toute puissance? L'amour pour Dieu sanctifie l'amour de l'homme, incapable par lui-même de transcender sa trop humaine humanité (51), et de porter loin son regard, au delà du proche et du prochain.

Dédale Nietzschéen, connaitra-t-on jamais ce  Dieu caché dont tout autre est pale di-vertissement ? Mais Dieu dangereux aussi, car pour preuve de son amour Il donne la loi, l'interdit, ayant pour risque la transgression. Voulait-il nous tenter ? Mais alors ? ...

4) la loi

Cependant la loi s'avère l'un des degrés nécessaire de la morale entendue comme moyen de conserver la communauté en usant de la crainte et de l'espoir, en inventant, soit les commandements d'un dieu, soit des moyens plus violents, l'au-delà et l'enfer (52)

La loi mosaïque se confond avec les multiples contraintes, faisant passer l'homme de l'état de nature à l'état civil. Où est donc le message d'amour ? Qu'en ont fait les hommes ?

Telle est la question que pose Nietzsche aux chrétiens, et ce, non pas en tant qu'athée, au contraire. Car les chrétiens le sont-ils?Peuvent-ils se prévaloir du Christ, ceux qui se sont empressés de le méconnaître, ceux qui, pitoyables, font preuve d'irresponsabilité spirituelle en ne consacrant pas leur vie à travailler avec crainte et tremblement à leur propre salut (53)?. Mais le veulent-ils, y croient-ils, et le peuvent-ils, ont-ils une volonté de puissance assez forte pour cela ? Sont-ils prêts à l'ascétisme sans concession au lieu de leur frileux repliement face à un monde qui les effraie ? Et les grands manipulateurs l'ont bien compris, qui ont élaboré cette métaphysique du bourreau fondée sur l'idée de culpabilité, de punition, de châtiment, de faute, de pêché et puis, pour que l'angoisse se joigne à la peur, sur l'au-delà, le jugement dernier, présupposant une âme immortelle et un libre arbitre chargé de toutes les responsabilités, (54) ainsi qu'un Dieu juge suprême ignorant la justice. Pour enrober les choses, ils y ont ajouté trois vertus, foi, amour, espérance, autrement dit trois ruses.

 IV L' HOMME DU RESSENTIMENT

1) Un per-vers

Nous voilà ficelés, car notre terrain physiologique et nos structures psychologiques s'y prêtent (55). Dès lors, faute d'échapper à la culpabilité, taraudé par la faute, déchiré par l'incapacité d'accéder au parfait, l'homme se venge; contre sa propre impuissance qu'il commue en ascétisme; contre les autres par une transvaluation des valeurs, qui inverse bon - mauvais, fort-faible, faisant passer haine pour amour, et sacrifice pour humilité, alors que c'est encore un moyen de se distinguer ; contre le monde, dont le riche devenir se voit grimer en exsangue copie de l'idéal ; contre Dieu enfin « dégénéré jusqu'à être en contradiction avec la vie au lieu d'en être la glorification » (56).

"La morale n'est ni plus ni moins que l'idiosyncrasie des décadents avec l'intention cachée de tirer vengeance de la vie" (57) et ce Dieu inventé par le monothéisme c'est "la volonté du néant sanctifiè" (58) car la volonté de puissance s'exerce toujours que ce soit sous forme active ou réactive.

Castré, interdit de créer et de penser, criminel contre la vie ayant élevé l'absurde en valeur suprême, l’homme vit la tête en bas (59) et y croit malgré tout. On serait tenté de se demander à qui profite le crime ? Ne serait-ce pas à l'homme lui-même ?

Le grand manipulateur,   celui qui a voulu faire de la vie un système (60), institutionnaliser les interdits, faire de Dieu le monarque suprême d'un Etat et placer des jalons à chaque étage de la hiérarchie, n'est-ce-pas l'homme ? Car s'il fut victime de ses bourreaux, les prêtres, n'en fut-il pas aussi le complice ? Le bourreau peut avoir des charmes étranges et inquiétants, qui dévoilent que sous l'ascète se cache le pervers, le cruel, qui tire de sa souffrance jouissance (61)

Mais se cache aussi "l'amas confus d'un pauvre pêcheur et l'orgueil d'un pharisien" (62) qui refuse de s'avouer que l'essence du monde et la sienne n'est pas le rationnel mais le pulsionnel. Peut-on supporter une telle vérité, la vérité tragique par excellence, celle qu'incarne Dionysos et auquel l'homme préfère substituer des divertissements qu'il nomme art, philosophie ou religion (63).

Ce faisant, il éprouve une immense lassitude de vivre, il est dressé à rebours, il perd la faculté de s'adapter à la nature, discrédite les passions qui deviennent des démons lubriques, tandis que la beauté est muée en laideur et bassesse. L'ère du soupçon s'ouvre, qui interprète chaque malheur comme une faute imputable à l'homme, dont le regard corrompu à son tour corrompt tout.

Face à un tel marasme, on est stupéfait par le renoncement de l'homme, comment et surtout pourquoi accepter cela ?

2) Les conditions historiques

Bien sûr on peut évoquer un certain nombre d'éléments historiques tel que la diaspora, qui, posant le problème de la légitimité de l'amour de Dieu pour son peuple, amena les prêtres à accuser rois et guerriers d'avoir éloigné Israël de YHWH, et à se présenter comme les intercesseurs nécessaires auprès de Lui (64). De la sorte, Dieu devint un instrument aux mains de la caste sacerdotale, qui s'en servit pour fonder son pouvoir, juger, condamner, et éliminer tout autre dieu représentant un péril spirituel, mais, au-delà, politique. Car on ne peut s'empêcher de voir là la mise en place d'un projet politique, ayant pour condition de possibilité une « déconcrétisation progressive » de Dieu, le rendant apte à une universalisation telle que le monothéisme puisse devenir une force politique, car  « la marche vers des empires universels est toujours aussi la marche vers l'universalité du divin, le despotisme fraye toujours la voie à quelque monothéisme" (65). A cela du reste, Elie et Amos s'employèrent, muant la loi jusque là conçue comme réponse à des problèmes concrets en un ensemble d'exigences, mettant la relation de Dieu à son peuple sous condition. Pour preuve, le déploiement de tout un ensemble de rituels propices à l’épanouissement d'une parodie de foi, témoignant d'une mauvaise foi. Le peuple perdure grâce à des gestes cultuels sans valeur intrinsèque, mais par principe, suffisants pour plaire à Dieu devenu un oriental jaloux de son honneur (66), un Prince (67) régnant sur une communauté hors de l'histoire, où chaque évènement est susceptible d'une interprétation surnaturelle.

 

Le royaume de Juda

 L'analogie entre l'état profane et l'état religieux n'est du reste pas étonnante puisqu'ils plongent tous deux leurs racines dans le monde mythique(68)

 3) Les conditions psychologiques

Est-ce à-dire que l'homme a besoin de mythe, et en particulier de celui de la religion ? Qu’il préfère au réel une fabulation, même si celle-ci se révèle un remède pire que le mal ? Voire un remède inoculant le mal ? Mais qu'a donc le réel de si redoutable à moins que ce ne soit pas le monde que l'homme redoute, mais ses propres démons, sa propre faiblesse Or, ceci expliquerait que l'homme ait besoin du mensonge et de l'illusion pour échapper à la souffrance qui le taraude, se fait chair de sa chair.

La souffrance est la contradiction éprouvée entre le désir humain et les conditions de vie. Face aux changements irréversibles du devenir l'homme cherche une réalité fixe et immuable, résistant au temps, rendant l'idée de la mort supportable. Alors l'homme invente Dieu et la religion "son impétueux désir de certitude ... ce désir d'avoir à tout prix quelque chose de solide" (69) le pousse à inventer des fabulations et à y croire, temps qu'il en a besoin.

Mais cela ne suffit pas, car, fuir la souffrance en l'occultant ne la supprime pas. Le scandale demeure, pourquoi la souffrance existe t-elle, pourquoi l'innocent est-il frappé? Et dans son désir de comprendre, c'est-à-dire de trouver des causes aux phénomènes, l'homme ne trouve qu'une explication, ou plutôt on ne lui en suggère qu'une : il est coupable. Alors l'engrenage s'ensuit, qui rend la souffrance définitive et envahit toutes les dimensions de l'être, de physique elle devient aussi spirituelle, de circonscrite hic et nunc elle envahit l'au-delà, dont les châtiments menacent l'homme. Incapable de vouloir ce qui est, incapable d'accepter qu'il est né pour apprendre qu'il n'est rien, l'homme se condamne à être moins encore, à se fermer toute possibilité de joyeuse affirmation. En fait, ce n'est pas la souffrance, c'est son non-sens qui insupporte à l'homme. Il lui faut du sens, et lorsqu'il n'y en a pas, il en donne à tout prix. Or ceci nous dévoile que le désir d'un appui, d'un soutien, d'un sens, dénote un " instinct de faiblesse, qui, s'il ne crée pas les religions, les métaphysiques et les principes de toute espèce, les conserve du moins." (69)

En quoi cette faiblesse consiste-t-elle ? Elle consiste dans le fait que la crainte de la souffrance et de la mort ne se développe que dans un être qui se croit ou s'accepte coupable, en vertu d'une dette imaginaire, mais précisément la dette n'existe que parce l'homme s'est donné Dieu. Pourquoi donc s'être donné Dieu ? Pour trouver un soutien, avons-nous répondu, mais pourquoi l'homme n'a-t-il pas cherché ce soutien en lui ? Cette question vise la façon dont l'homme, dans une telle conjoncture, se considère. L'homme fait preuve d'un radical pessimisme à son propre égard. Puisqu’il ne considère pas sa propre idée sur les choses comme une révélation. Il n'ose se croire le créateur d'une telle béatitude, et du coup, en attribue la cause à un être transcendant, parfait (70). On le renforce dans cette opinion en sacralisant l'Etre devenu Dieu. Et il en va de même pour tout, l'homme s'invente des causes imaginaires, il pose "des masses d'entités censées être des causes", personnifie des entités psychologiques, " c'est ainsi que le chrétien, le type d'homme le plus naïf et le plus arriéré de nos jours, ramène l'espérance, le calme, le sentiment de délivrance, à une inspiration psychologique procédant de Dieu" (71)

La religion provient donc de l'étrangeté que l'homme ressent devant des sentiments extrêmes de puissance, dont il ne se croit pas capable. Il se dissociera ainsi en plusieurs êtres, de sorte que la religion apparait comme un cas d'altération de la personnalité. C'est pourquoi, le vouloir croire demeure, car il est le seul moyen, pense l'homme, du faire-sens. Et Nietzsche de déplorer que le vouloir-croire, même si Dieu est mort, se contentera encore longtemps de son ombre, aussi longtemps que les hommes croiront encore à la grammaire (72).

 Ces explications, en somme rassurantes, peuvent-elles suffire ? Après tout, les réussites de l'homme dans la maîtrise technico-scientifique de la nature, pourraient le rassurer, mais, précisément, la science apparait comme une nouvelle idole, dénotant que nous sommes encore pieux, et d'une piété toute monothéiste, puisque la science s'avère être un dieu très exclusif, détenteur du modèle de toute vérité, pourvoyeur de bonheur, à condition d'en attendre le salut.

Alors l'homme aurait-il besoin de Dieu pour d’autre raisons  plongeant dans des profondeurs abyssales que l'on préfère ignorer, car s'originant dans le chaos constitutif de notre être, cruel, pervers, monstrueux et artiste

L'humiliation que l'homme s'inflige avec une telle complaisance, la volonté qu'il met à se persuader de son indignité, témoigne d'une volupté à se faire violence, dès lors qu'il est empêché d'être "bête d'action" (73). Alors il retourne contre lui-même, avec l'acharnement le plus sublime, sa tendance à la domination et pour ce faire, invente l'instrument de torture le plus pernicieux, car parfait, Dieu (74). Ce Dieu qui devient de la sorte le cloaque de "l'âme" humaine où " elle fait écouler ses immondices " (75). Cet écoulement est à la fois soulagement puisque l'homme s'y fuit, il a soif de s'anéantir dans un " en dehors de soi ", en l'occurrence Dieu pour le chrétien, tant est insupportable l'approfondissement de soi (76), mais de ce fait perte aussi, car ce n'est qu’ « à partir du moment où il ne s'écoulera plus dans le sein d’un Dieu »(77) que l'homme s'élèvera.

4) Les conditions physiologiques

Le croyant nous apparait donc comme souffrant d'une profonde altération de la personnalité, puisque ses capacités créatrices lui sont comme étrangères, s'originant dans un Autre monolithique. " Sa volonté aliénée (c’est à dire la conscience d'un changement en nous, sans que nous l'ayons voulu) a besoin d'une volonté étrangère. C'est pourquoi, " la religion est le monstre enfanté par le doute quant à l'unité de la personnalité, une altération de la personnalité " (78). Or, cette pathologie a pour condition et effet, Dieu, tel que le conçoit le monothéisme, unique, parfait, spoliant de ce fait l'homme de la capacité d'édifier son propre idéal (79). Mais après tout, une fois que l'on s'est habitué à la paresse, pourquoi ne pas laisser à Dieu le soin de travailler pour nous (80).

 De la sorte, l'individu s'affaiblit progressivement, et y prend goût, le faible se soumet au fort, les générations actuelles à celles passées, érigeant la soumission et l'humilité en valeur, et l'ancêtre en figure inhumaine, auquel on sacrifie en échange de la durée (81), craignant les autres et soi, impuissant à accepter le projet de la liberté et du dépassement de soi. L'homme s'écoule et prend goût à sa maladie, pareil à ces malades mentaux, qui, une fois "guéris" demeurent dans le seul lieu protecteur, leur hôpital. Or, de même que l'institution crée son fou, l'homme est religieux par la crainte de succomber aux puissances qu'il sent bouillonner en lui.

La tentation de saint Antoine - Vente de biens de Salvador DALI

 

Pourquoi cette crainte de succomber ? Il nous faut aller plus loin dans la physiologie de l'homme, car s'est là que s'enracine le monothéisme, dans une hypersensibilité maladive, joignant une haine instinctive de la réalité à " l'exclusion instinctive de toute aversion, de toute inimitié, de toutes les frontières et de toutes les distances dans le sentiment " (82)

Dans ces conditions, toute nécessité de résister est vécue comme un insupportable déplaisir. C'est par ce type de sentiments que Nietzsche explicite le comportement de Jésus-Christ, mais tandis que celui-ci le vit dans une innocence qui le place par- delà le bien et le mal, chez l'homme cela s'assortit d'un sentiment de culpabilité, qui fait du ressentiment vengeance, car devant le "double bind" qui est le sien, il ne peut, tel le scorpion, que retourner son poison contre lui-même et les autres.

Cet ultime sursaut de la volonté de puissance, sous la forme de forces réactives, témoigne d'une volonté fatiguée de vivre, qui délègue de gré ou de force sa dynamique vitale à un Dieu ennemi de la vie, qui dit non aux aspirations intérieures et extérieures de la vie. Or, ce rapetissement de l'homme Européen est tel que tout va en s'abaissant, tout ennuie, parait médiocre, nous indiffère, au spectacle de l'homme on ne ressent que lassitude. Le christianisme nous a fait nihiliste,- " Nous sommes fatigués de l'homme" (83) et ce n'est pas la rédemption proposée par le christianisme qui nous sauvera, mais une rédemption nouvelle celle d'une vie nouvelle et non d'une foi nouvelle (84) fondée sur un ascétisme dur et serein, aux antipodes du sommeil hivernal des saints dans le néant, qui n'est qu'une forme de démence (85).

Du reste, quel homme sain de corps et d'esprit pourrait-il croire à tout cela.  Dieu ne subsiste que grâce aux insensés, mais l'homme ne serait-il pas un malade congénital. Ne faut-il pas être un insensé pour chercher Dieu encore et encore, et même se contenter de son ombre, alors qu'il est enfin mort(86). Mais Dieu pourrait-il subsister sans les insensés.

C'est pourquoi il s'agit d'en sortir, et c'est cette tâche que se donne Nietzsche en visant le judéo-christianisme car jusqu'à présent l'humanité a été en de très mauvaises mains ...gouvernée par les déshérités qu'animent la ruse et la vengeance ...la volonté de la fin passe pour la morale par excellence ...Quel sens ont ces conceptions mensongères ...l'âme, l'esprit, le libre arbitre Dieu, si ce n'est de ruiner physiologiquement l'humanité (87).

 V POURQUOI COMBATTRE LE MONOTHEISME

Ainsi parlait Zarathoustra » Friedrich Nietzsche

Pourquoi s'être attaqué non seulement au monothéisme judaïque et chrétien mais à toutes les religions en général, puisque même le bouddhisme n'échappe pas au qualificatif de décadent ? Globalement, on peut dire que l'enjeu était la vie de la civilisation européenne, voire de l'humanité toute entière, puisque c'est à l'homme que Zarathoustra adresse son 5è évangile (88).

Résumons-nous.

1) Perspectives métaphysiques

Nietzsche découvre la généalogie de la métaphysique occidentale produite par Platon, qui, se détournant d'un réel multiforme, inquiétant, sans cesse autre, lui substitue le monde vrai, unique, ayant expulsé le multiple étranger. Cette métaphysique nihiliste, qui fait de néants d'être des entités actives, prive l'homme du sens de la terre, où il pourrait puiser sa force créatrice. A une conception de l'être défini par les prédicats de substituabilité, ordre, véracité, logique et que les religions nomment Dieu, Nietzsche substitue une ontologie nouvelle, celle de l'être-chaos qui se manifeste comme procès. Dès lors, Nietzsche indique qu'il "ne pose pas l'apparence comme le contraire de la réalité ; j'affirme, écrit-il, que l'apparence est la réalité ... Si l'on veut un nom précis pour cette réalité, ce pourrait être volonté de puissance." (89)

Ce faisant on découvre ce que Nietzsche définit comme Dieu, ou plutôt le divin, qui se démarque radicalement de cette ombre exsangue, que le monothéisme a érigé en Etre suprême, «  Ecartons, écrit-il, du concept de Dieu, la suprême bonté, elle est indigne d'un Dieu ». Ecartons également la suprême sagesse, c'est de la vanité des philosophes qu'est due cette extravagance, un Dieu monstre de sagesse ; il fallait qu'il leur ressemblât le plus possible ! Non, Dieu puissance suprême, cela suffit. De là tout s'ensuit, de là s'ensuit l'univers."(90)

Le tout s'ensuit" ouvre la perspective de la transvaluation de toutes les valeurs aussi bien d'ordre théologique, qu’éthique, et anthropologique.

Et en effet, au Dieu unique, exclusif de tout autre, castrateur, rendant l'homme faible, malade et insensé, le condamnant à ce monotono-théisme (91) qui dans un baillement avalerait le monde (92), Nietzsche substitue des dieux, ce qui ne signifie pas pour autant retour au polythéisme primitif, mais sublimation des forces vitales en forces créatives, justifiant la souffrance de vivre par la beauté du vivre, de la danse et du rire.

Pour ce faire, il faut briser les vieilles tables des lois mortifères, et Nietzsche de leur en substituer de nouvelles, stipulant dans Excelsior (93), de ne prier, ni adorer, ni se reposer dans une confiance illimitée où n'avoir plus rien à chercher, mais de renoncer à tout pour dire oui à l'éternel retour de tout.

C'est là une terrible pensée, car regarder le chaos en face est insupportable. " Le monde des Dieux grecs est un voile flottant qui cachait la réalité la plus terrible " écrit Nietzsche à propos des Bacchantes d' Euripide.

Alors la tentation est grande du voilement qui muera les monstres vivants en mortes abstractions. Or, à quoi s'emploient la philosophie, l'art ou la religion, la morale, la politique, si se n'est à interpréter le réel pour lui échapper? Le monothéisme ainsi est di-vertissement, qui, voilant le réel pour échapper à la souffrance, enfonce l'homme dans un douloureux cercle vicieux, où il est à jamais son propre bourreau. " La métaphysique, la morale, la religion, sont autant de produits de la volonté artiste, de la volonté de mentir, de fuir la réalité, de la nier " (94). La vérité se définit dès lors comme l'être chaos de la profondeur privée de raison. L'être chaos n'a pas de raison, il est abîme. Et l'homme qui est parvenu à cette profondeur " aime ce qui est le plus superficiel par profondeur" (95).

2) Perspectives politiques

Face à cela les valeurs constituent des idéologies, c'est-à-dire des systèmes de rationalisation rétrospective, qui prétendent incarner la vérité, au lieu de se donner pour ce qu'ils sont : des " traductions en termes conceptuels des exigences instinctives et inconscientes qui caractérisent une morale ". (96) Et l'on rit, d'un rire grinçant, des montages de la caste sacerdotale, qui fait de la religion des doctrines de la hiérarchie (97).

Or les avatars modernes sont là, omniprésents, c'est pourquoi l'Europe est en danger, sous la forme du socialisme, de la démocratie et de l'anarchie, qui ont en commun avec le christianisme, d'exprimer des doléances, provenant toujours de la faiblesse qui consiste à chercher un coupable et à prescrire la vengeance comme miel de la souffrance ressentie; Ainsi  "les socialistes en appellent aux instincts chrétiens et c'est encore leur plus fine habilité (98), car ils érigent l'individu en réalité transcendante, à l'exemple du christianisme qui a " presque imposé cette mégalomanie comme devoir ".

L'homme aurait des droits éternels à faire valoir envers tout ce qui est contingent, à partir de la présupposition, là encore chrétienne et mortellement dangereuse, d'une égalité nécessaire entre les hommes. A l'unicité du Dieu du monothéisme correspondrait l'unicité de l'homme.

3) Perspectives axiologiques et anthropologiques

Mais de quel homme ? D'un homme fatigué, à la sensibilité exacerbée, malade, à l'image de son Dieu, unidimensionnel comme lui, incapable de devenir à partir de ce rien qu'il n'est pas, s'ennuyant dans l'indifférence et l'habitude complaisante d'un Dieu travaillant pour lui, craintif face à tout changement, et érigeant le ressentiment en idéal et la vengeance en devoir, un homme incapable de se surmonter, s'étant donné un Dieu à son image, pour qu'il puisse justement la conserver. Aussi, n'est-ce qu'après la mort de la religion que l'invention du divin pourra reprendre toute sa luxuriance (99), et à cette double condition pourra naitre.

 

CONCLUSION :

REPENSER LE DIVIN POUR REGENERER L’HOMME

Expo : trois clés pour décrypter les toiles énigmatiques de Chagall

Au départ il y a une croyance qui se veut absolue, unique, nécessaire, et qui s'érige en vérité universelle sous le nom de monothéisme, à l'arrivée, c'est-à-dire après le décapage généalogique de Nietzsche, il n'y a plus qu'une idéologie fondée sur les diverses faiblesses de l'homme renforçant celles-ci et les fustigeant tour à tour. Imbroglio dont les grands manipulateurs, qu'ils soient prêtres ou politiciens, tirent un profit considérable, sans aucun souci de la catastrophe vers laquelle ils acheminent l'Europe du XIXé siècle. On pourrait objecter à Nietzsche que d'une part les métaphysiciens, au nombre desquels Platon, avaient déjà largement ouvert la voie, mais ce serait justement un argument allant dans son sens, et que, d'autre part, le Dieu dont il parle est celui des philosophes et non pas des hommes de foi authentiques. Resterait à définir ceux-ci, car si l'on propose par exemple Saint Paul, Nietzsche lui a largement "réglé son compte" en dénonçant l'homme du ressentiment, de la vengeance, de la culpabilité. Mais on pourrait quand même lui faire remarquer que définir Dieu comme unique, Dieu des hommes, Dieu vivant, Dieu saint, Dieu d'amour, ne comporte rien en soi de pernicieux et Nietzsche n'en disconviendrait pas, lui qui distingue les formes primitives du judaïsme et du christianisme de leurs formes historiques et abâtardies, déformées pour servir d'arme de guerre contre la vie. On peut même aller plus loin et voir une profonde parenté entre la pensée juive et la pensée nietzschéenne, car ce que dénonce le philosophe c'est la possession de soi par l'autre, soit par la violence, soit par la confusion. Or, la dissolution au détriment de la différence c'est la mort. A partir du moment ou il y a possession surgit la violence, c'est pourquoi la foi juive s'élabore au désert, le juif doit demeurer errant, disponible, accueillant, en un mot vivant. De même Nietzsche proclame-t-il la vie à grands cris, à grands coups de marteau, et que signifie la vie dans les deux cas si ce n'est la relation qui présuppose que les partenaires sont dans un rapport d'altérité. Dans cette perspective on comprend que le monothéisme refuse les autres dieux ou plutôt les idoles, qui précisément s'originent dans la nature, dans la possession, dans la violence.

 

C'est pourquoi il ne peut y avoir qu'un Dieu. Unique, Dieu d'amour, Dieu transcendant, posant face à lui un homme libre dans le cadre d'une relative symbolique. Du reste, si l'on y regarde de près le polythéisme prôné par Nietzsche ne s'apparente pas à celui rejeté par le monothéisme, au contraire, puisqu'il signifie, non pas un culte rendu à des puissances divines, mais la sacralisation des formes créatrices de l'homme réactivant sa multi dimensionnalité.

Contre un monothéisme réducteur, humiliant, castrateur, ayant fait de Dieu un père trop humain, Nietzsche défend un fils ayant l'appétit d'oser, de se créer, de se libérer ; contre un monothéisme systématique, élaboré pour répondre au scandale du mal et prémunir contre la souffrance, en imputant la faute à l'homme et en lui promettant un au-delà salvateur, Nietzsche fait de la souffrance une force, celle du désir, qui loin de se détourner de la réalité y puise son énergie ; contre la morbidité des pulsions refoulées qui n'aboutissent qu'à la violence, à l'ennui, au ressentiment. Nietzsche encourage à la satisfaction du principe de plaisir, qui ne signifie pas défoulement débridé, mais contrôle et ascèse dans la création de ce que l'homme doit devenir. C'est pourtant en accord avec le judéo-christianisme que Nietzsche substitue à l'être la relation dont l'être est précisément la conséquence, et malgré sa critique acerbe, c'est dans la relation à Dieu, conçu non pas comme l'un mais comme l'infini, qu'il pense l'homme et sa relation au monde (100). Or, le judaïsme qui proclame aussi que le monde de l'un c'est l'impureté, c'est la mort, qu'il faut la distance, et le renvoi infini des significations, autrement la vérité, conçue comme ultime, débouche sur le totalitarisme.

En définitive, l'enjeu de la critique nietzschéenne du monothéisme c'est la civilisation européenne qui en est le piètre produit. Plus largement cela signifie donc qu'une civilisation n'a pas de fondement naturel, mais transcendant, et c'est bien la raison pour laquelle Nietzsche ne prône pas l’athéisme(101), bien au contraire, mais une nouvelle rédemption dont Zarathoustra se fait le prophète, la rédemption d'un homme libre de toute idolâtrie, et par conséquent, susceptible de l'attitude spirituelle la plus pure. Or ceci permet de comprendre l'intérêt de Nietzsche pour le bouddhisme et l'hindouisme où le polythéisme s'épanouit dans le monothéisme de " l'Un sans second" (102).

L'enjeu ultime de Nietzsche est donc l'homme, ou plutôt le surhomme, non pas entendu comme nouveau type d'homme, mais comme incarnant l'autrement -être-homme grâce au polythéisme libérateur des forcés créatrices, condition d'un esprit libre, libéré du théisme et de l'athéisme. L'homme se révèle à lui-même comme processus et non pas but à réaliser, nul achèvement n'est possible, ni souhaitable. Lutter contre le monothéisme c'est s'opposer à toute volonté unitaire au nom de la pensée plurielle.

C'est à un homme créateur, une métaphysique esthétique, une onto-théologie surmontée que Nietzsche travaille en élaborant une métaphysique et un évangile d'artiste (103). Dionysos est-il le Dieu caché, présent de lointaine mémoire, ou plutôt l'expression de l'indicible divin ? En faire     le " Dieu serait retombé dans l'ornière du monothéisme, alors, peut-être le seul langage qui lui convienne est-il celui de l'apophatisme. " Maintenant, écrit le Pseudo Denys l'Aréopagite nous allons pénétrer dans la Ténebre (104)(qui est au-delà de l'intelligible, qui n'est rien de sensible, rien d'intelligible, car irréductible à notre com-préhension. Et Job, comme en écho, fait l'expérience de l'au-delà du rationnel qui le mène comme le surhomme à intégrer sa finitude dans son devenir, "

Dans le flot houleux de l'océan de béatitude

Dans le fracas sonore des ondes embaumées

Dans la tourmente infiniedu souffle du monde

S'engloutir - s'abîmer

Inconsciente - joie suprême ! (105)

Ainsi parlait Zarathoustra - Friedrich Nietzsche | Les arts, Comment peindre, Art carte

 ANASTASIA CHOPPLET 

Conférencière et philosophe

 

 

BIBLIOGRAPHIE

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Ch.Andler :            Nietzche. 6 tomes. Tome 3. La vie religieuse §27 Le christianisme. Bossard.

R. Arnaldez :         Trois messagers pour un seul Dieu. Albin Michel

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Monothéisme :       Encyclopédie Universalis. T.II

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Nietzsche :           Oeuvres complètes. T. I-II. Bouquins

                            : La volonté de puissance. Gallimard

                           : Fragments posthumes O. P. C. T. XIV . 1888-1889. Gallimard

                            Introduction à la lecture des dialogues de Platon. Eclat.        

P.Pouppard     :      Les religions. PUF. Que sais-je.

Procès de l'objectivité de Dieu. Collectif. Article J. Granier " la critique Nietzschéenne de la métaphysique. Cogitatio Fidei. Cerf.

Valadier  :            Nietzsche- et le christianisme. Cogitatio Fidei.

                           : L'athée de rigueur

                           :Jésus-Christ ou Dionysos.Jésus et Jésus-Christ n° 10

 

 

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