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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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12 août 2020

LA DISSEMBLABLE RESSEMBLANCE

 

LA DISSEMBLABLE RESSEMBLANCE

Abdelkader Benchamma - Fata Bromosa 

« Les admirateurs de la seule

 image

voient bien un miroir, mais

ils s’arrêtent là : ils ne voient pas

à travers le miroir celui qui dès

maintenant doit être vu à travers

ce miroir : par le fait ils ne

voientt pas que ce miroir même

qu’il voit est un miroir

autrement dit une image

S’ils le savaient, peut-être

comprendraient-ils que ce Dieu dont

l’âme est le miroir doit être

recherché à travers ce miroir, doit

être vu de façon imparfaite et

provisoire à travers ce miroir. »

Saint Augustin De Trinitaté II

 Chapitre XXIV, 44, Les Images

 

 

 

I Présentation la problématique du non figurable 

 

Peut-on figurer l’infigurable? Telle est sans doute la question à laquelle l'art sacré à  tenté  d'apporter des réponses dont la diversité témoigne de positions ontologiques différentes. Ontgologiques car" la méditation sur ce qu'est l'art est déterminé par la seule question de l'être"(1). C'est pourquoi les limites habituelles assignées à l'art sacré, défini comme la production d'images à thème religieux assurant la médiation entre le profane et le divin, explosent comme  en témoignent le judaïsme et l'islam entre autre qui invalident la confusion art sacré et images .Allons un peu plus loin avec Étienne Gilson pour dire que" ce que l'on nomme aujourd'hui l'art non représentatif ou abstrait n'est pas en cause (2) car ce qui est  exilé ce n'est pas l'art mais l'imaginaire. Ceci signifie par conséquent que dans l'art sacré deux composantes interviennent: l'émotion esthétique pour ce que l'art suscite et qui ne relève d'aucun concept ni finalité et le caractère sacré de l'oeuvre qui invite au dépassement de celle-ci en tant qu'œuvre pour que s'opére une conversion en moi-même afin d'y retrouver l'objet de ma piété. Ainsi faut-il que s'effectue cette coïncidence pour pouvoir qualifier un art de sacré.

Cela dit les moyens utilisés pour opérer cette fusion sont divers et objets de questionnements voire de spectaculaires querelles comme ce fut le cas pour les images. On connaît les oppositions qui divisèrent iconoclastes et iconodules pendant de nombreux siècles jusqu'à ce que le concile de Nicée ll mette un terme au moins officiel à la querelle des images(3).

 D'un mot rappelons que les iconoclastes identifiant images et imagerie refusaient l'image par crainte  de l'idolâtrie en se prévalant du deuxième commandement du "Décalogue" Tu ne feras pas d'idole ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre ,tu ne te prosterneras pas devant  ces dieux et tu ne les serviras pas car c'est moi le Seigneur ton Dieu  un Dieu jaloux (4).Notons d'emblée que cet interdit fut interprété comme défense d'adorer des images mais non pas de produire des objets tels les Cherubims,  liés au culte. Du reste la synagogue de Doura Europos présente des fresques figurant les principaux épisodes de l'histoire biblique et ses protagonistes(5). Par conséquent l'art n'est en aucun concerné par cet interdit comme en témoigne aussi l'art musulman. Cependant si on accepte que "l'homme marche dans l'image(6)" encore faut-il savoir quelle image ? ». A cette question les orthodoxes répondent par l'eikon qu'ils distinguent de l'éidolon.

Scènes du livre d'Esther - version complète avec pans (Synagogue ...

La seconde réfère au monde des ombres mortelles, formes sans substance, simulacres, connotant que non seulement la fausseté  et la perversité mais aussi la prétention du saisir comme totalisation (Comme l'indique sa racine eido "je vois"où parfois oida" je sais").

De la sorte l'eidolon sclérose l'intention du voir, elle abolit tout dépassement, elle est un même qui ne s'ouvre sur aucun autre, elle est  savoir sans distance. Par contre l'eikon (de eiko "être semblable à ") est la figure d'une autre réalité.

Structure ouverte elle présentifie l'Etre dont l'homme est l'image. Sym-bolon elle véhicule le mystère  du lien entre l'oeuvre et l'être  et lorsque l’œuvre est l'homme entre lui et Dieu.  Mais dans la perspective où la semblance induit  un écart l'eikon n'est en aucun  cas portrait, elle nous installe dans la dissemblable ressemblance explicitée par Denis l'Aeropagite . Ce faisant l'iconodulie évite tout procès  d'idolâtrie puisque l'eikon est pareille à une fenêtre ouverte sur l'au-delà et elle nous offre une réponse à la question de savoir comment transmettre  irreprésentable par le représentable. Tel n'est pas le cas aux dires des orthodoxes  de l'imagerie occidentale certains (7)n'hésitent pas à taxer la Renaissance d'époque hérétique puisqu'elle s'assigne de représenter avec les mêmes catégories  que  le représentable le non représentable. Dès lors le divorce et consommé entre l'art et le sacré .

 S'il est vrai que cette critique est largement acceptable il n'en demeure pas moins qu'elle ne suffit pas à effacer les prédictions de ceux qui ont intensément vécu le drame de la figuration de l'in-figurable et qui pareils au prophète Élie comprirent que c'était dans la ténèbre que Dieu se manifeste sans qu'aucune théophanie soit susceptible de le représenter.

Le Seigneur dit sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur voici le Seigneur va passer. Il y eut devant le Seigneur un vent fort, le Seigneur n'était pas dans le vent (8). Après le vent il y eut un tremblement de terre, puis un feu mais on sait que là encore le Seigneur n'y était pas et que c'est dans le bruissement d'un souffle ténu  qu'Il finira par se manifester.

Notons que s'exprime là une toute autre voix pour l'esthétique que celle de l'image définie comme recourant à des éléments du monde visible en vue d'une figuration .Cette esthétique des ténèbres ou encore de la nuée est le pendant plastique de l'apo- phase verbale développée sous la forme de la théologie négative et en ce sens il existe tout un courant qu'on pourrait nommer théophanie négative qui signifie l'Etre sans recourir à des images.

Et c'est précisément là où l'on s'y attend le moins qu'il est pertinent d'en trouver les traces par exemple à la Renaissance italienne dans une oeuvre de Fra Angelico La Sainte Conversation dite La Madone aux ombres(9). Cette fresque comporte deux parties l'une la partie supérieure conventionnelle présente la Vierge et l'Enfant entourés de saints Dominique Cosme, Marc, Jean l'Évangéliste ,Thomas d'Aquin et Pierre Martyr l'autre ,la partie inférieure est composée de quatre rectangles dont la surface est successivement coloriée de jaune et vert, rouge foncé moucheté de blanc,de mouvements ascentionnels jaunes et verts enfin verts et bruns , l'ensemble comme animé et éclairé de l'intérieur est encadré de bandes rouge sombre et d'un trompe l'oeil de modénatures . 

 Pour un atlas des Figures

Faut-il ne voir en  ces surfaces du type marmi finti qu'un simple souci décoratif ? Un jeu en trompe-l' œil imitant le marbre? Mais alors pourquoi le peintre aurait-il conçu un lit de couleurs pour y jeter des tâches multicolores selon la technique du lancé qui justement n'imite pas le marbre et donne l'impression de la couleur pure?

 Faut-il y voir une forme de déplacement que l'on nommera précisément" figure"? Le référent marbre serait là mais déplacé, figurant autre chose. Dans cette perspective tout un courant souterrain relevant de l'apo- phase parcourrait l'art sacré qui renonçant  à toute image travaillerait la figure en vue de l'infigurable .Dès lors on pourrait reconnaître une unité de recherche dans des arts aussi différents que l'art musulman, les productions de la Chine ancienne ,ou encore l'art abstrait contemporain.

C'est ce à quoi nous allons nous employer en nous arrêtant tout d'abord devant un pan de mur aussi apparemment anodin et généralement ignoré qu'un tout petit pan de mur jaune comparable néanmoins à une céleste balance(10) .

 le rayon spécial de ce matin | La mécanique des vagues

Il D'un pan de mur à un carré blanc

 

Dans la perspective qui est la nôtre, c'est-à-dire de l'expression de l'irreprésentable, l'art connaît une oscillation entre le sensible et le spirituel analogue à une expérience d'ordre mystique. L' œuvre d'art peut dès lors se définir comme l'expression de l'esprit dans la matière à condition de concevoir l'esprit comme stimulé par une qualité active :le don .Or celui-ci dont l' artiste n'a pas à se glorifier, du reste Fra Angelico ne retouchait jamais aucune de ses peintures car il croyait que telle était la volonté de Dieu, requiert un abandon préalable analogue à une kénose. A cette condition, habité de Dieu qui l'emplit tout entier, l'artiste n'imite pas la Natura naturata  mais exprime la geste créatrice. L'artiste donne à voir  l'acte créateur et participe ainsi à l' œuvre rédemptrice du Verbe. Conscient de cette vocation tout entière dédiée à l' œuvre divine Angelico fit graver cette épitaphe sur le marbre :

"Que ma gloire ne soit pas d'avoir été comme un second Apelle mais de t'en avoir donné O Christ tout le bénéfice"(11)

Toute l'oeuvre induit un mouvement de dépassement par le mystère qu'elle suggère et qui précisément transparaît déjà dans ces fonds de miel nous pensons entre autres à l'Annonciation de la cellule du couvent de San Marco où proche de la tradition spirituelle de l'orient "l'être humain devient en quelque sorte lumière "Or être dans la lumière c'est être dans une connaissance éclairante qui initie à une intégrité parfaite à la beauté voulue par Dieu(12) .

Le fond nu du mur interdit toute perspective et projette les personnes divines à l'avant plan selon une perspective inversée qui invite le spectateur à pénétrer dans cet au-delà que suggère l'image. Le fond nu n'est pas vide mais au contraire présence, parfois inquiétante comme dans Le Christ aux outrages où  d'étranges objets semblent flotter dans un espace d'outre-tombe. Déjà le pan de mur se révèle signifiant, il fait signe, signe de l'interroger et de découvrir le sens au-delà des images dont il tend justement à occulter les contours.

Le Christ aux outrages de Fra Angelico

         Pareil au mur qu'évoque Nicolas de Cues dans" Le tableau ou la vision de Dieu(13) "il invite à s'y arrêter et le franchir.

"Ce mur et à la fois le tout et le néant et Dieu qui est en même temps le tout et le néant de tout habite à l'intérieur de ce mur(14) ". Frontière entre le monde visible et rationnel et le monde invisible ,ce mur est la frontière en deça de laquelle on ne voit qu'en énigme. Seuil, il demande à être franchi pour pénétrer dans la demeure de Dieu mais ce faisant il marque "la fin du sens de tous les noms(15) et arrête la puissance de toute intelligence quoique l'oeil étende son regard au-delà(16) "de sorte que la vision s'avère supérieure à la compréhension puisqu'elle est l'expression d'un contact immédiat avec Dieu ,d'une fusion où "dans le mur de la coïncidence le distincts est l'indistinct coïncident " Là gît le trésor caché c'est-à-dire l'amour de Dieu qui se trouve dans le mur de la coincidence du caché  et du manifeste(17).

Ainsi l'expérience esthétique qui permet une ascension vers l'intelligible s'avère l'analogue d'une expérience mystique chacune visant à la libération de l'âme profonde qui est l'image et le temple de Dieu révélé dans l'obscure saisie de Celui-ci .L'expérience esthétique du sacré affranchit  de la dispersion spatio-temporelle et élève jusqu'à l'unité de l'être avec Dieu.

Or le pan de mur, fond de tableau ou marmi finti, neutralise la dispersio en éliminant les éléments qui accrocheraient le regard ou le situerait spatio-temporellement. Le plan convient à  un dépouillement radical similaire à la mort du vieil homme .L'espace de limite devient infini et le temps éternité .Mué en espace de contemplation , pareil en cela aux grandes surfaces de RothkoRothko - Ép. /6 - Atelier de Création Radiophonique le plan transcende la distinction sujet -objet et invite à l'abandon des catégories de la sensibilité et de l'entendement qui structurent l'expérience ordinaire et la connaissance rationnelle. De la sorte il crée une unité similaire à l'unicité divine on pourrait même dire que plusieurs attributs de Dieu y sont évoqués" simplicité, perfection ,immutabilité, éternité, unité, puissance(18), car la forme rectangulaire du marmi finti constitue comme un réceptacle dynamique dont toutes les énergies créatrices pourraient jaillir .Or ceci n'est pas sans évoquer les carrés de Malevitch définis comme force génératrice primordiale révélatrice de   l 'Etre abyssal. Il semble bien que nous soyons là aussi devant une expérience d'ordre mystique dans la mesure où les mystiques définissent l'Etre comme un sans -fond. Dans le pan de mur toute figuration s’abîme, tombe, dirons-nous, dans l'abîme mais justement l'abîme du non figuratif est la condition de toute présentation c'est "un trou dont le corps n'est pas vide, principe inconnaissable de toute chose" à l'abandon que l'artiste fait de son être à Dieu correspond l'abandon de toute image définie comme apparence du monde des objets .Pour ce faire il faut retourner à l’origine, la forme blanche. Le Carré Blanc sera cette forme pour Malevitch épurée de toute figuration marquant un retour à la surface plane, incarnant le repos dynamique "Le Carré Blanc apparaît comme l'impulsion vers les fondements de la construction du monde comme action pure. Or seule la couleur est l'énergie capable de traduire l'être. " Jai fait, écrit Malevitch, des abymes avec mon souffle" et du reste les carrés ne sont pas des à -plats uniformes mais possèdent un rythme coloré exprimant l'unité voire l'unicité de l'être. 

Ainsi le carré signifie t-il" la réalité qui n'a ni poids , ni mesure ,ni temps et ce carré n'est en fait rien d'autre que Dieu puisque "l'être est Dieu" dont le non sens ne peut avoir pour expression que la non figuration .De même que Nicolas de Cuse invitait à pénétrer dans le mur Malevitch nous dit que" pénétrer Dieu ou pénétrer l'univers est la tâche primordiale" et pour se faire l'homme doit connaître un état d'apesanteur auquel l'introduit le carré exempt de "cette noir lumière , cette idole qu'est la figuration ".le pan de mur nous semble ressortir à la même expérience et à la même intention dont la dynamique inquiète c'est-à-dire meut l'homme vers ce projet de fusion qu'il  désire réaliser "pour devenir en quelque manière uniforme ramené à l'unité ou à la conformité ,toutes ses puissances étant  unifiées,  acheminé au beau et bien(19).

Carré blanc sur fond blanc — Wikipédia

Similaire au cosmos conçu comme un ensemble de signes donnant à voir des signes de la Divine manifestation, le pan de mur vise à restituer le paradoxe qui constitue la visibilité du verbe divin puisqu'il figure l infigurable ,l'invisible, l'inénarrable, dans la figure sans pour autant la donner pour synonyme d'image . Saint-Augustin définit le signe comme ce qui est "au-delà de l'aspect il fait, dit il, venir à l'esprit en plus de l'impression qu'il produit sur les sens quelque chose hors de lui(20)et en guise d'illustration il signale : la trace de pas( vestigium) la fumée  d'un feu, la voix, la cendre .Or ces illustrations ont en commun leur caractère immatériel et informel, leur fugacité et leur dissemblance par rapport à leur référent puisque la trace de pas ne révèle pas son auteur, ni la fumée la couleur du feu ,ni la cendre le passage de l'ennemi.

Et pourtant c'est là que Dieu dévoile un pan de son invisibilité , c'est là qu'il nous fait signe comme il fit signe aux Hébreux lors de la traversée du désert sous la forme d'un feu ou d'une nuée sans pourtant se confondre avec eux.

Voie Lactée Ciel Étoilé - Photo gratuite sur Pixabay

Ainsi est-ce dans le dissemblable qu'il faut chercher Dieu et par le dissemblable l'exprimer. Or le pan de mur est cette zone où le visible vacille, part maudite des tableaux, non descriptive, elle nie ce que l'autre partie affirme dans l'ordre mimétique, en l'occurrence la partie supérieure de la Sainte conversation .Ainsi s'instaure une inquiétante étrangeté qui induit d'aller au-delà, de ne pas croire à l'image mais de la considérer au sein d'un jeu d'associations, de déplacements qui pourraient faire naître l'effroi lié au sacré. "Admirable profondeur de tes Oracles dont voici devant nous la surface, s'exclame Saint-Augustin. Admirable profondeur ! Effroi sacré à fixer son regard sur elle effroi de respect et tremblements d'amour(21).

Si l'effroi préside à la vision c'est parce que l'invisible vers lequel les signes convergent n'est pas le non- encore- rendu -visible mais la faille de l'écart,  l'altérité manifestée par les cherubims qui au-dessus de l'Arche d'Alliance ne se touchent pas laissant vide l'espace de la rencontre entre l'homme et Dieu .Le pan de mur rappelle cette altérité nécessaire qui inscrit l'invisible dans le visible sans  y paraître et confère  à ce dernier une épaisseur fondatrice. 

Dès lors le paradoxe d'un pan de mur ou d'un carré blanc ou encore d'une empreinte de pas comme figures du divin se justifie à condition toutefois de définir la figure non pas comme l'aspect discernable d'un objet de la réalité visible se détachant d'un fond ,mais comme ce qui s'écarte de l'aspect ,se déplace et entre dans le dissemblable ,le paradoxal. On pourrait la définir comme une parabole qui est en même temps une expérience vécue. Nous sommes donc toujours dans le domaine de l'empreinte, de la parcelle, débouchant sur la distance du symbolique

 Empreinte De Pas Sur Le Sable De Plage Image stock - Image du ...

III Du dissemblable.

 Si l'on considère les emplois que fait Saint-Thomas de la notion de" figure" "dans la Somme Théologique on note qu'il évoque soit l'explication figurée  des défauts corporels des prêtres répondant à différents vices et péchés(22),  soit l'agneau pascal comme figure de ce sacrement(23) soit, la présence véritable ou en figure du corps du Christ dans le sacrement(24). Ce dernier article nous intéresse particulièrement car il explicite ce qu'il convient d'entendre par "figure "On y lit que" le corps du Christ n'est pas dans le sacrement en toute vérité mais seulement comme un signe". Aux dires de Saint Augustin »cependant  seule la foi et non les sens peut saisir que le vrai corps du Christ et son sang sont dans le sacrement de sorte que l'on note un progrès par rapport à la Loi ancienne qui ne contenait qu'en figure le vrai sacrifice de la Passion du Christ. Mais cette compréhension et le sentiment de la présence réelle ressortissent à la perfection de la foi qui porte sur des réalités invisibles. Dans le sacrement la chair du Christ est présentée sous un mode invisible ainsi que sa divinité mais il est bien là dans le sacrement et pas seulement comme dans un signe.

À cette lecture on saisit toute la richesse du concept de figure qui signifie une présence réelle en esprit relevant de la foi. Dès lors la figure est porteuse d'une énigme renvoyant aux mystères d'où elle tire sa nécessité et ce mystère n’est autre que celui de l'Incarnation pour lequel le monde chrétien cherche une figure signifiant l'altérité et la fusion, l'immanence et la transcendance du divin. Ce faisant le problème auquel est confronté l'artiste et qu'il tente de traiter soit par l'icône soit par les images religieuses soit par là non figuration et le corrélat de celle posée par Dieu qui « créa l'homme à son image à l'image de Dieu il le créa ; male et femelle il les créa »(25).

Michel Carlin

Or précise Saint-Thomas l'expression" à l'image et à la ressemblance" instaure une distance entre l'homme et Dieu puisque il n'en est pas l'image et que d'autre part "à l'image "ne signifie pas selon l’aspect.

D'où la difficulté de figurer sans portraiturer et en même temps la possibilité de figurer sans en passer par l'aspect visible d'un être .Or ceci vaut non seulement pour Dieu. pour Christ mais aussi pour l'homme dont un pan de mur figure peut-être plus puissamment et mystérieusement son icône  intérieure, que toute image.

La figure est donc véhicule de translation et de même que tout est figure dans l'Ecriture aux dires de Saint-Paul tout est figure dans le tableau de Fra angelico. La figure cache et donne accès  mais un accès  déplacé . Le tableau est habité par l'énigme dont il tire sa valeur sacrée et en ce sens il est lui-même sacrement . Ainsi se tisse tout un réseau de correspondances qui invite à effectuer une exégèse de la figure qui est l'indice et la trace matérielle d'une énigme, le vestige d'un contact bouleversant nous catégories logiques.

Il faut abandonner le principe d'identité A = A pour accepter que A soit aussi et en même temps B .Il faut substituer à une conception chronologique du temps et de la mémoire une définition éternitiste de celle-ci en tant que présentification de ce qui est de tout temps. Dès lors  l'histoire apparait comme un premier niveau   de lecture simple voire simpliste  réduisant la Vérité   à un ensemble d'événements vus  ou agis, à une gesticulation théâtrale qui ne vaut que par ce qui la dépasse. En ce sens le pan de mur supprime radicalement cette tentation.

 

IV A la ressemblance.

 Pourtant la dissemblance ne doit pas être telle que toute ressemblance soit impossible c'est pourquoi la figure est vestigium c'est-à-dire empreinte du pied trace qui invite à suivre la trace, à chercher avec soin et partout . Entre l'ombre, représentation éloignée et confuse et l’image, prochaine et distincte, le vestige bien qu'éloignée  est représentation distincte. C'est pourquoi il incarne ce que Denis l'Aréopagite nomme la dissemblable ressemblance dont toute la peinture d'inspiration contemplative de Fra Angelico à Malevitch se prévaut.

 La dissemblance est le moyen de la mise au mystère car elle est écart, vide et en tant que telle temple,  lieu de manifestation et de rencontre. La dissimilitude s'impose comme la perfection des figures du divin .Grâce à elle "nous voyons comme dans un miroir en énigme(26). En même temps elle respecte cette invisibilité de Dieu qui condamne tout transgresseur à mort. « L’homme ne pourra pas me voir et vivre "lit-on dans l'Exode (27) et une glose stipule que" tant qu'on vit ici-bas de la vie mortelle on peut voir Dieu par les images mais non pas la représentation même de sa nature". Condamné à errer, l'homme demeure déchiré par le paradoxe qui veut que plus nous nous abstrayons des choses corporelles plus nous devenons capables de connaître les choses intelligibles alors que le mode même de notre connaître fait qu'un concept sans intuition est vide. Sans doute le pan de mur nous permet-il de nous abstraire mais il demeure matière sensible et ne peut faire l'économie de celle-ci à moins de disparaître on nous ôtant tout support de sublevation. Aussi faut-il se résoudre à l'entre d'eux et pénétrer dans la ténèbre de la dissemblance comme nous y invite les marmi finti obscurs qu'éclairent, pareils à de lointains vestiges, des jetés rouges et blancs. Abandonner les points de repère conventionnels  c'est paradoxalement se retrouver en retrouvant Dieu car la"mens est capax Dei et particeps Dei(28). Mais pour ce faire l'âme doit être vidée de toute image créée afin d'être le temple purifié de Dieu. Or trois obstacles s'y opposent : le temps ,la multiplicité, la corporéité que justement le pan de mur neutralise permettant ainsi à l'âme abandonnée de connaître "sa transformation en image divine semblable à celle du bois plongé dans le feu est dissemblable mais s'assimile à lui(29).

De même les dernières sculptures de Michel-Ange dont on ne sait si elles sont ou non achevées présentent ces formes ambiguës semblant surgir de la pierre ou bien s'y engloutir pareilles à l'âme qui remontant vers l'éternité brille alors que tournée vers les créatures elle est comme cachée.

La Pietà Rondanini, dernière sculpture de Michel-Ange, change d ...

"Les créatures sont comme une trace du pas de Dieu" écrit Saint Jean de la Croix et l'on ne peut s'empêcher de songer à ces tableaux d'Antonio Tapies  où seule demeure l'empreinte d'un pied enfoncé dans la matière lourde aux  couleurs adamiques.  L'œuvre invite à une attitude contemplative oû l'homme scrute ces vestigia Dei et si tel est bien le cas alors l'artiste atteint "son but qui n'est ni une figure ,ni une couleur ,ni une grandeur visible, mais une âme invisible( 30).

L'homme voué à la dissemblance depuis le péché originel erre dans l'infini de la dissimilitude(31), région lointaine dont pourtant l'enfant prodigue revient(32). Associé au désordre du chaos primordial la dissemblance l'est aussi au péché mais  pour la pensée chrétienne la ressemblance à Dieu demeure c'est pourquoi la dissemblance est un appel à la conversio et le pan de mur dans sa nudité sévère ,qui n'est pas sans évoquer la ténèbre, est le miroir de ce que l'homme a su surmonter pour remonter vers la lumière que lui promet la Sainte conversation. Du reste aux dires de Denis l'Aéropagite que Fra Angelico avait beaucoup pratiqué, les figures les plus viles, les plus éloignées sont la condition de la voie anagogique puisqu'elles ne peuvent nous séduire. 

"La révélation sacrée se fait selon deux modes: l'une les saintes images, l’autre qui recourant à des défigurations dissemblables pousse la fiction jusqu'au comble de l'invraisemblance et de l'absurde(33). Ces figures, en cela comparables aux révélations des Ecritures,  signifient ce que n'est pas la théarchie ; À l'apophase verbale répond une apophase plastique." les images dé-raisonnables élèvent mieux notre esprit que celles qu'on forge à la ressemblance de leur objet(34).

Aussi les images ne sont-elles pas une regrettable distanciation une forme sensible de l'apophase. Tels semblent donc bien être le sens et la fonction des marmi fintii, théologie négative sans image.

Or,  les écritures elles-mêmes recourent à des images qui figurent Christ par exemple par un ver de terre ou un escargot et Denis de démultiplier dans la Hiérarchie Céleste(xv.2.) les figures de la divine dissemblance :vents et nuée, feux, animaux, parties du corps, vêtements afin de mieux souligner l'altérité du divin. De même dans la lettre 9 à l'évêque Titus il évoque la multiplicité des symboles de nature et d'origine diverses figurant Dieu, qui sont, dit-il,"destinés à déguiser la science mystérieuse".

Ceci est un tableau". L'escargot dessus le tableau. | ECHOSCIENCES ...

Un passage intéressant de la Hiérarchie Céleste  atteste que" la matière elle aussi ayant reçu l'existence de  Celui qui est réellement beau conserve dans toute sa disposition matérielle certains échos de la splendeur intelligente et l'on peut s'é- lever grâce à eux  vers des archétypes immatériels à condition de prendre la similitude sur le mode de la dissemblanc(35).

 Et Denis d'évoquer la pluie multicolore comme figure du matériel qui nous mène vers la contemplation de la grâce. Or c'est bien une telle pluie que l'on trouve projetée sur les marmi finti, le rouge pour le feu, le blanc pour la lumière, le jaune pour l'or et le vert pour la jeunesse. Ainsi" la matière en tant que matière n'est pas mauvaise" c'est pourquoi la pierre peut permettre de s'élever à ce qui n'est pas matériel grâce à ce qui l'est. "Cette pierre ou ce morceau de bois est une lumière pour moi car je commence à me demander d'où la pierre tient les propriétés donc elle est investie... et bien guidé par la raison je suis mené au travers de toutes choses..."(37)

 V  La Pierre Qui fait Prier

 La pierre selon la tradition biblique est symbole de sagesse, tour à tour associée, à l’eau(38), au miel et à l'huile(39), au pain(40), au point que la maison de pain, Bethléem,  signifie maison de Dieu "Beth El". Dans la Summa de exemplis de San Gimignano, les pierres sont dites figures de l'amour de Dieu et le marbre est figure de la beauté à cause de la multiplicité des genres de couleurs ,ainsi que de la Bonté et de la Prudence. Or on sait que la prudence et l'une des premières qualités de la mémoire comprise comme mémoire de Dieu de sorte que la contemplation de la pierre est condition de son activation .Dès lors contempler les marmi finti qui jouent un rôle  de  pierres  de rêve s'est retrouver la mémoire de Dieu.

Du reste Fra Angelico eut peut-être l'occasion de contempler ces pierres  aux masures ou paesines  découvertes en Toscane. En marbre elles 'étaient polies et encadrées comme de véritables tableaux. En voici la description effectuée par Georges Wolfgang Knorr :"Marbres-ruines c'est là le nom que l'on donne à une espèce de pierre que l'on trouve dans les environs de Florence, elle représente les masures des villes, des tours, des pyramides tombées en ruine, des murailles et des maisons écroulées. La couleur de la pierre  y est communément grise(41). Support d'extase la pierre est un moyen de communication avec le vrai monde car elle est signe de la manifestation de Dieu dans le cosmos qui pareil à un tableau offre le véhicule du beau pour s'élever au Créateur.

Les 36 meilleures images de Paesine | Pierre, Paysage, Jaspe

 C'est pourquoi les pierres précieuses, l'or, les émaux, les mosaïques, les perles, jouent un rôle privilégié. L'abbé Suger les évoque avec une émotion toute spirituelle" quand la beauté des pierres aux multiples couleurs m'arrache aux soucis extérieurs je crois pouvoir être  transporté de ce monde inférieur au monde supérieur d'une manière anagogique(42).

Pourquoi ce privilège accordé à la pierre et à la lumière ? Parce que le Christ est appelé lumière et Pierre(43) de sorte que les marmi finti se révèlent bien être théologie sans images.  Lumière et couleur sont moyens de transmission et mémorisation de Dieu car Dieu est lumière(44) et le pan de mur est surface irradiante.

Visant la concentration de la pensée la pierre est  ne flatte pas l’imagination, le superflu, le sentimentalisme ,la sensualité ,l'illusion .La lumière est constitutive de toute théophanie y compris de la nuit qui est ténèbre lumineuse.

 Or Christ est Lumière, Vie ,Temple, Porte, Vérité et Voie ce que le pan de mur figure grâce à sa couleur de lumière ténébreuse ,sa surface en forme de porte ouverte,je  sa matière simulant la pierre du Temple de sorte qu'il trace la Voie vers la vérité source de Vie.

 Dans nombre de textes la pierre est conçue comme figura Christi. Ainsi peut-on lire  dans Isaïe 8. 4" le Seigneur sera un sanctuaire et une pierre que l'on heurt(45) » , ou dans1 cor x.4"il buvait à un rocher spirituel et ce rocher c'était le Christ(46)"

 La pierre neutralise le temps et l’espace. Vivante elle est éternelle. La Michna Yoma rappelle que la pierre d'angle du premier temple aurait servi à la reconstruction du second Temple .Pierre maîtresse elle symbolise le reste d'Israël appliquée à Jésus-Christ cette image en fait" la pierre vivante et, élue, précieuse devant Dieu(47).

 Mais la pierre d'angle pour l'Église est aussi Pierre méprisée par les bâtisseurs (acte 4 .1) et pierre d'achoppement pour les incrédules.

Le passage de la pierre brute à la pierre taillée par Dieu et non par l'homme auquel il est interdit de tailler la pierre car il désacraliserait l'énergie créatrice divine est celui de l'âme  obscure à l'âme  illuminée par la connaissance divine de sorte que la pierre devient symbole de connaissance .Ce faisant les marmi finti figurent ce passage sans que l'artiste ait taillé  le marbre à cet effet. Le pan de mur est dès lors image de l’âme, elle-même miroir de Dieu. 

Les zones multicolores de la fresque de Fra Angelico opèrent donc une conversio du regard invitant à dépasser la figuration de la partie supérieure à vocation didactique et apologétique au service des illettrés disait Grégoire le Grand.

On assisterait donc à une démarche sinon iconoclaste du moins aniconiste où la figura opposée à l'Historia soulignerait l'insuffisance voire l'inadéquation de celle ci.

De même les marbres de Giotto à Padoue incluent l'informe dans la forme et la pure couleur c'est-à-dire la négation de l'aspect .

Vide de toute figure les pans de Fra Angelico sont le comble de l'allégorie, signifiants flottants ils n'ont pas de signifiés immédiatement compréhensibles.

 Forme en puissance ou plutôt en puissance de formes le pan de mur se fait, à l'image du verbe divin, substance sans aspect .

Ainsi débouchons-nous sur la problématique de la puissance à la fois virtualité ( en puissance de) et force active (puissance de) dans cette perspective le pan figurerait ou plutôt pré-viendrait de la forme à venir, de l'Incarnation comme l'induit le second panneau rouge tacheté de blanc qui pourrait évoquer le sang du Christ. Or le sang est chair en puissance(48) signifiant la rédemption du Christ qui se communique au peuple(49). le pan serait ainsi la mémoire du premier homme Adam (sang et terre ) et aussi de l'humanité tout entière( Adamah) mais aussi le futur du retour de l'homme dans la pure spiritualité sans forme vers laquelle la forme de la matière fait signe.

Passé ,présent, futur ,ces découpages arbitraires qui réduisent le temps à de l'espace parcouru sont ainsi neutralisés  dans un pur présent celui-là même de la Présence vivante hic et nunc .Le pan  de mur pareil à la mémoire intentionnalise le futur à partir du passé et nous invitant à retrouver notre unité originaire avec Dieu il s'offre à nos regards comme mémorial de son sacrifice pour nous Mémorial de la Pâque qu'évoque la forme quadrangulaire du pan de mur pareil à la sainte table, pareil à un autel, pareil aussi au sépulcre déjà évoqué par la pierre. De la sorte le pan de mur se présente comme l'espace sacramental annoncé par le rapport analogique entre l'autel,le sépulcre et la peinture il n'est que de songer à l'imago pietatis de Fra Angelico ou encore à la Pietà de 1438 ou plus encore à l'ensevelissement du Christ de Lorenzetti ou bien aux autels  portatifs ou enfin aux autels de pierre  en faux marbre (Santa Croce chapelle Renuccini Florence) en forme souvent de tombeau représentant Jésus ,pierre de vie, clé de voûte ,pour se convaincre de la signification mystique de la table de l'autel. Or la Pâque signifie la mort et la résurrection du Christ qui neutralise le temps et affirme l'éternité signifiée ici par la couleur qui évoque la gloire. Le marbre est la plus lumineuse des couleurs opaques incluant la ténèbre  de la mort et la gloire de la Résurrection et sans doute n'est-ce pas un hasard si Tapiès, ce mystique sans transcendance , retrouve dans sa technique les composantes de cette spiritualité lorsqu'il revêt  d'épaisses couches de poudre de marbre des mensa sur lesquelles il imprime des figures pareilles à des sceaux dans la cire

Pietro Lorenzetti : La mise au tombeau. Vers 1320. Fresque. Assise, église inférieure saint François, transept sud

 Dans les deux cas le pan se donne à voir comme figura Christi invitant à une conversio de l'âme qui constitue le sacrement de l'homme intérieur mais en même temps Christ est ailleurs car il est tout entier partout sans qu'aucun lieu le contiennent de sorte que la figure tout à la fois le place ici et maintenant mais par l'absence de figuration signifie qu'il est ailleurs .Structure ouverte le pan de mur offre un réseau d'images infinies car Dieu est toujours au-delà c'est pourquoi la figure est métaphore vive.

 

Vl  L'exégèse d'un pan de mur.

 

1. Historia.

 

La métaphore  invite à l’interprétation, c'est pourquoi la figure ouvre la voie de l’anagogie. Mais c'est par degrés qu'on y parvient tout d'abord en appliquant les sens aux images du Christ comme y vconvie la partie supérieure du tableau puis en se livrant à une rumination contemplative pour enfin être mis dans une présence distante au Christ.

A l'exemple de ces Meditationes Vitae Christi rédigé en 1330 par un auteur franciscai. Fra Angelico figure un mouvement similaire qui va de la méditatio carnalis en évitant la Vita carnalis pour atteindre à la méditatio spiritualis.

En quoi il demeure fidèle à l'analyse du mouvement exposé par Denis l'aéropagite dans "La hiérarchie céleste" où il distingue le mouvement ascensionnel du mouvement hélicoïdal et spiral grâce auquel par des voies plus ou moins direct l'homme peut s'elever à Dieu Le tableau se prête dès lors à une analyse selon les quatre sens de l'exégèse pratiquée au Moyen-âge et comportant  Historia,  Allegoria , tropologie et anagogia .

L'historia pour nécessaire qu'elle soit ne requiert  pas d'analyse, s'adressant aux illettrés selon Gregoire le Grand elle expose en images un ensemble d'événements au risque de totalement méconnaître le sens spirituel voire mystique de l'Incarnation c'est pourquoi elle m'intéresse pas en tant que telle l'exégète.

 

2.Allégoria

 Par contre l'allégorie  qui signifie le fait de dire autre chose que ce que l'on dit pointe vers ce qui fait empreinte dans la chair en vue d'une conversion spirituelle.   La signification historique est convertie en vue de la vérité. L'allégorie c'est la prophétie inscrite dans les faits eux- mêmes que l'on rencontre aliquando per rerum  aliquando per verborum aenigmata. 

L'allégorie est mystère, mystère du verbe incarné. Elle nous fait pénétrer dans une région intérieure et spirituelle de façon à nous relier dans les faits à l'Éternel ce qui plastiquement est figuré dans La Sainte Conversation par la frontalité des personnages et la perspective inversée qui invite le spectateur à s'incorporer au tableau.Or y pénétrer c'est analogiquement pénétrer dans les mystères de son propre être, reconnaître en soi l'imago Dei 

Ce faisant l'allégorie a une fonction doctrinale puisqu'elle procède à une illumination progressive de l'esprit.

 

3. Tropologia

 

Aussi induit -elle le troisième sens, tropologique ,qui vise la forma virtutis de l'Ecriture c'est-à-dire l'édification des mœurs et le sens moral .Mais la morale développée n'est pas quelconque comme nous l'apprend du reste la partie supérieure de la Sainte Conversation, elle vise l'anthropologie chrétienne et la spiritualité découlant du dogme .Elle développe et complète l'allégorie  signalée en l'occurrence par l'enfant Jésus  vêtu  à l'antique manifestant non seulement l'unité spirituelle des hommes mais leur commune Redemption .

Ainsi le mystère du Christ s'actualise dans les opéra fidei et s'achève  dans l'âme. A titre d'exemple signalons le tabernacle de Moïse ou le temple de Salomon qui est allégoriquement le Christ mais aussi cor Nostrum ou encore la Cité de Dieu, Jérusalem ,et en même temps église dont Christ est l'architecte enfin demeure qu'il se construit dans notre cœur.En Israël, la découverte d'un temple vieux de 3000 ans similaire ...

 Dans l'âme chrétienne le mystère s'accomplit chaque jour en s'intériorisant.

L'âme,  écrit Origène, est le temple de Dieu dans lequel se célèbrent les mystères divins". L'Ecriture me modèle à la ressemblance divine et « je deviens ainsi Jérusalem, je deviens ou redeviens le temple du Seigneur "affirme Saint-Ambroise. Or le temple ouvre sur la contemplation car contempler c'est viser le ciel depuis le temple qui est initialement l'espace découvert de toutes parts. Ainsi sacralisé le templum devient sanctuaire, lieu d'une présence divine et de sa contemplation .Le temple est donc l'organe de contemplation et dans la mesure où le pan de mur est évocateur du temple on peut dire qu'il est espace de contemplation. Bien plus l'homme est invité à devenir homme -temple, espace de contemplation, espace consacré par la présence de Dieu en lui, récipiendaire du Verbe vu. « Tout le peuple voyait le son, écrit Philon d'Alexandrie, car  la voix des êtres mortels est reçue par l’ouie, celle de Dieu l’est par la vue à la manière d'une lumière. C'est pourquoi la vertu de l'imago temple est de nous faire nous trouver à l'intérieur de nous- même -hors de nous-mêmes et ce faisant à l'intérieur du Christ lui-même Temple.

Allons plus loin pour dire que le monde lui-même est temple, un temple rempli de présence divine ou plutôt la crypte Cosmique dont il s'agit de sortir pour accéder à l'imago templi. Dans cette mesure on peut dire que la mosquée incarne parfaitement la définition initiale du templum puisque l'édifice est secondaire par rapport à l'au -delà  qui est indiqué,  la Mecque. Tout lieu sur terre est mosquée, c’est à dire espace de  prosternation s'il est purifié et orienté. Le caractère immatériel et dépouillé du mode de pensée de l'islam l'a ainsi conduit à la non figuration pour signifier la présence de Dieu. Qu'il s'agisse de la mosquée dépouiller de tout image, de la calligraphie, de l'entrelacs ou de l'arabesque tout  figure la divine présence sans la rendre visible Ainsi peut-on lire dans "Mystique et poésie en Islam" "Dans chaque forme tu es présent tu es toi-même sans forme tu as montré ton visage  dans mille  miroirs dans chaque miroir tu apparais différent un seul soleil dans mille vitres"

Arabie Saoudite/ Catastrophe à la Mecque au 1er jour du Hadj : le ...

  Le verbe est là omniprésent donnant naissance à une iconographie de la métaphore vive. La mosquée dont le corps se tisse du nom de Dieu est elle-même symbole du monde d'un monde prosterné (mosquée de masjid, prosternation) qui élève sa louange vers Dieu par la graphie. Et de même que le pan de mur qui n'est pas dépourvu d'un rythme interne invite à la contemplation, de même l'arabesque exprime le rythme dans l'ordre visuel et revêt un aspect iconique.

 Ainsi «  l'artiste de l'arabesque, lit-on dans Regard sur le monde actuel de Paul Valéry, placé devant le vide du mur ou la nudité du panneau sommé de créer, couvre ce désert d'une végétation formelle il ne peut compter sur aucune image préexistante, il lui incombe d'appeler quelque chose » C'est peut-être la raison pour laquelle Fra Angelico use de l'arabesque dans son œuvre et parfois de la graphie lorsque des paroles tracent des auréoles autour des personnages afin, grâce au rythme, de dissoudre les coagulations mentales comme peut le faire la contemplation de cours d'eau ,de flammes ou de feuillages.

 Nous avons perdu la contemplation - Franche Com

4 Anagogia.

 Nous voici parvenus au quatrième niveau de l'exégèse, l'analogie qui signifie  la montée, l'ascension, le mouvement de l'esprit vers le haut En l'occurrence ce qui est visé c'est la fin des temps, les choses à venir. L'anagogie ressort à l'espérance .Divisée en deux étapes d'investigation l'anagogie est soit d'ordre eschatologique soit d'ordre mystique et en ce cas elle conduit à la contemplation de Dieu .Donnant naissance à une dialectique ascendante elle conduit à l'intelligence des choses célestes et spirituelles à venir. Ce faisant elle transforme le regard que nous portons sur le tableau  ou  l'oeuvre  d'art quelle qu'elle soit. Le regard, de coup d'œil jeté rapidement ,se fait pénétration  qui engage personnellement dans le parcours du réseau des associations .Dès lors le regard se mue en garde de la mémoire ,devient contemplatif c'est-à-dire coupé de l'environnement visible pour s'isoler dans l'espace sacré (temno= couper  ,temenos =enceinte sacrée) contemplatif et de ce fait spéculatif il fait attention, il vise à, mais de plus, en tant que speculum, il est miroir susceptible de refléter l'imago Dei que la contemplation de l' œuvre lui a fait dé-couvrir. Face à face deux miroirs se reflètent et se dévoilent. L'Etre  découvre dans l’œuvre la manifestation divine qu'il reflète à son tour.

Dès lors on pourrait penser que la parole va s'abolir dans le silence et la figure dans l'invisible mais nous ne connaissons  que le silence d'une demi-heure.

 Les Pères de l'Église avaient insisté sur les alternances d'angoisse et de joie le Verbe se cachant, se laissant entre voir pour se cacher à nouveau.  Saint-Bernard lisant le commentaire du Cantique par Origène avait parlé d'une "dialectique de la présence et de l'absence, de la possession et de la non possession".

 Mais le drame de la vicissitude qui exprime celui de l'existence pérégrinale dont le désert est la figure est une expérience réelle de Dieu. Et de même que c'est de la roche que surgit l'eau, de même c'est de la pierre que suinte le miel « qu'il faut sucer dans le creux des pierres (52)».

 Or l'alliance de la couleur jaune pâle des fonds de Fra Angelico et la prédilection qu'il a pour les espaces clos,  songeons à son Annonciation de la cellule 3 du couvent de San Marco ou encore à celle de Pérouse 1470 ou bien celle de Cortone 1433 -34  peut faire penser à l'éloge d'Aereld  de Rievaulx pronnoncée par G. de Hoglant au lendemain de sa mort :  " Comme le rayon de miel dans les cellules de la ruche ainsi la sagesse céleste est contenue dans les sacrements des figures "

Ne peut-on mieux dire que les œuvres d'art sacré contiennent la sagesse divine?

 

VlI L'expérience  du vide.

 

Ainsi le pan de mur nous semble être  le support une expérience mystique et d'une esthétique qui n'est pas sans analogie avec celle du vide dans la Chine ancienne .L'école des lettres fondée au 11e siècle accorde une valeur fondatrice à l'expérience du vide laquelle débouche sur une esthétique figurative .Mais pour ce faire il est requis que la main et l'esprit soient vides afin que le geste de l'artiste participe à la spontanéité originelle qui est le mode d'activité du Tao sous son aspect dynamique. Le spontané se communique à la main par le moyen du souffle qui emprunte sa puissance à l'esprit.

Tao te king La voie de la bonté et du pouvoir - broché - Lao Tseu ...

Ainsi peut-on lire à propos du Tao dans le Tao Tö King:

" Le Tao suprême se répand universellement

il va où il veut

Il ne se refuse point aux 10 000 vivants

qui se reposent en lui afin de croître

son œuvre accomplie

on ne peut dire

qu'il veuille s'en rendre maître

il protège

et

il nourrit les 10000 vivants

Sans se conduire en maitre

fidèle

sans convoitise

il est semblable à un serviteur

les 10000 vivants retournent en son sein

pourtant

il ne les dirige point

Ainsi on peut qualifier sa direction de grande

parce qu'il n'est pas à lui-même sa propre fin

sa grandeur est souveraine "!(53)

 

C'est donc grâce au vide de la pensée que le spectacle où le thème s'épure au point que le poète peut enfermer l'infini dans un pied carré de papier. Mais ce faisant l'énergie qui remplit la main et l'esprit est si intense que l'oeuvre jaillit per se. Peindre est donc bien une activité spirituelle dont l'excellence se manifeste dans le lavis qui projette l'image sur la soie sans qu'aucune trace ne subsiste. C'est pourquoi ces artistes affectionnent les scènes de brume où les paysages absorbés par le brouillard voient leurs formes diluées dont elles surgissent. Les méthodes du blanc qui vole ou de l'encre éclaboussée ont en commun de laisser transparaître la blancheur du papier figurant le vide et circuler le souffle vital. Elles ne sont pas sans analogie avec les jetés de Fra Angelico.

 Le vide assume ici plusieurs fonctions ; laisser circuler de souffle qui façonne l'œuvre comme il modèle univers, faire ressortir le rythme propre à chaque partie et ramener les parties qui ne respirent que  grâce à l'espace dans lequel elles  baignent à l'unité.

 

 Brumes Shitao sur la montagne 1707 vieille encre de Chine Peinture ...

Vlll Envoi.

 

Toute notre étude pourrait se résumer en la question" qu'est-ce qu'un mur "n'est-il là qu'à titre décoratif ou comme fond nécessaire à la mise en valeur des personnages? Pourtant la surface qui s'offre vierge est pareille à la page blanche provoquant l'agir de l'homme conférant  sens à cette matière brute, pour la muer en plan dressé vers le ciel, capteur d'énergie,  appel adressé à Dieu afin qu'Il se manifeste comme Il se manifesta sur la pierre dressée de L'Horeb.

2001, l'Odyssée de l'espace – Lettres

 Tels sont les marmites fini  de Fra Angelico apparemment anodins au point qu'on néglige de les mentionner dans les analyses et pourtant figures de l'infigurable voilant le mystère dans lequel s’origine leur énigme.

 Démarche apophatique s'il en est, nourrie de la méditation des textes saints et de prières, tout tendu vers ce Dieu tout à la fois invisible et présent dont Fra Angelico dans une démarche pastorale veut communiquer la vision nom figurée pour que chacun partage sa foi.

 Ainsi le tableau ne s'abîme t-il pas dans l'interrogation ou la fascination narcissique d'un moi cantonné dans son immanence au contraire il est invitation à un abandon propice à l'accueil de Dieu Le pan de mur tourne le dos à l'aspect  pour mieux atteindre l'image anagogique ment.

 Devant le pan de mur, le vide blanc, le carré noir, l’arabesque où le mur de Tapiès il y a oubli du temps et infinitude de l’espace, nulle image ne vient troubler la contemplation nulle forme n’active la destination du sujet- objet, c’est le Sabbat esthétique qui nous met tout à la fois à distance de Dieu et en contact avec lui.

Pareille à la finalité sans fin qu'évoque Kant à propos du jugement de goût, la figure nous installe dans une finis sine terminus car sa fin c'est l'image à venir.

 C'est pourquoi le sacré est tragique car il est lié au paradoxe d'un élan qui s'exprime dans le sensible et qui s’y brise. Par l'art, le divin se manifeste et se dérobe tout à la fois. Dieu n'est jamais dans la nuée. Son habitation est dans l'espace vide laissé entre les Cherubims au-dessus de l'arche d'alliance. Aussi l'art demeure-t-il médiation. Il communique la présence et en cela il est prophète.

L’artiste pareil au philosophe(54) reste au pied de l'escalier dont la spirale évoque tout à la fois un mouvement ascensionnel qui s’évanouit dans la Ténèbre lumineuse et un mouvement hélicoïdal tournant autour de l'axe essentiel selon d'infinies circonvolutions.

 

L'Adoration d'images de pierre, de métal, de pierres précieuses ou de terre cuite conduit l'être  vers de nouvelle vies".

 

Shilpa Shàstra

 

 

 Philosophe en méditation, 1632 - Rembrandt - WikiArt.org

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Anthologie de la poésie chinoise classique N.F.R 1962

 

Boespflug F : Dieu dans l’art Cerf

Boespflug –Lossky : Nicée II 787-1987 Cerf

Burckhardt T : L’art de l’Islam 1985

Caillois : L’écriture des pierres Champs Flammarion 1970

Corbin : Temple et contemplation –Flammarion 1981

Cues : N-de : le Tableau ou la vision de Dieu Cerf 1986

Denys L’Areopagite : La Hiérarchie celeste S-C-n : 58

Dictionnaire des Symboles : Chevalier-Seghers 1969

Dictionnaire de Spritualité :   Art et spiritualité : col-900 à 934

                                               Autel –col2576 à 2584

                                               Influence de Denys    L’Aéropagique col - 318 à 386

                                                                                  Dissemblance col-1330 à 146

Dupront : Du Sacré N.R.F 1987                                           Humanité du Christ col-1472 à 1504

                                                                                  Images et comtemplation col- 1472 à 1504

                                                                                  Images et ressemblance col-1402 à 1518

                                                                                  Sacré –col-38 à 46

Hubermann : Fra Angelico Champs Flammarion 1990

H de Lubac : Exégèse médiévale – 3 tomes Aubier Théologie n°41 – 1959

Ouspensky : La théologie de l’icône

M ; Quenot : La Résurrection et l’icône Mane 12992

Tapies A : Autobiographie

Le Sacré : Etudes et recherches Aubie

Saint Thomas D’Aquin : Somme Théologique 4tom es Cerf 1985

Vassari : Les Peintres Toascans Hermann 1966

Le Vide : Hermes 2 Nouelle Série 1981

 

 

Notes

1 – Heideger : Origine de l’œuvre d’art.

2 - E Gilson : Introduction aux Arts du Beau Chapitre II l’Art et le Sacré

3 - Sur cette question on pourra consulter F Boespfluge  N Lossky : Nicée II 787- 1987 Douze siècles d’image religieuses

4 – Ex 20.4

5 – Iconographie in « Les  Israelites » Collection Time .Life p 50 ; 59-60 (les origines de l’homme 1975)

6 – Saint Augustin op.Cité

7- Ouspensky : La théologie de l’icône

8- I.Rois 19 : 10-12

9- Freque et tempera. Couvent de San Marco. 1438 -  1450

10 – Proust, La Prisonnière. 1923

11 –Vasari, Les Peintres toscans. Fra Angelico ( Miroirs de l’Art, Hermann.1966)

12- Paul Evdokimov : L’Art de l’icône. Desclée de Brouwer 1972

13- N.De Cues : Le Tableau ou la vision de Dieu ( La nuit surveillée. Cerf 1986)

14 –Idem paragraphe 12

15 - idem paragraphe 13

16 – idem paragraphe 17

17 – voir Saint Thomas d’Aquin « Somme Théologique »1

18 – Malevitch, De Cézanne au Suprématisme : Dieu n’est pas détrôné paragraphe 5

19 – Saint Thomas d’Aquin « Somme Théologique » I. II. Q. 180 à 6

20 – Saint Augustin : De Doctrina christiana II.I.I

21 – Saint Augustin : Confessions XII 14-17

22 – I.II.Q101 ar5.5.10

23- III.Q.73 ar6

24-III.Q.75ar1

25 –Génèse 1.24

26- Saint Paul.1 COR.13-12

27- EX.33.20

28- De Trinitate XIV.8-11.P.L.42

29-  Maitre Eckhart : Pred.29 D.W 2p89 cité in DS Image et Ressemblance Col 1455

30- Saint Jean de la Croix : Cantique Spirituel Str.5.V.2

31 –Plotin : VI.3.16

32 –Platon : Politique 272d.

33Saint Luc 15.13

34 Pseudo Denys l’Areopagite : La Hiérarchie Céleste. II.14c (SC.n :58)

35 – H.C.II.4.B

36 -Noms divins IV.28

37- HC114.

38 –EX.17.6

39 – Dt.32.13

40 – Ps.80.17   Gn.28.18

41- Cité in Caillois : L’Ecriture des Pierres. p26 Champs Flammarion 1970

42 – Œuvres complètes de Suger. Société de l’Histoire de France. 1867 p 377-411

43 – Saint Thomas : I.Q.67

44 – I Jn.1.15

45 – Isaie VIII.4.

46 – I Cor.X.4 mais aussi Ex.14.5.7 ; Nb.20.7.11 ; I Pierre 9 ; Malth.III.9

47 – I Pi.2.4 ; Ps.118. ; Is.8.14

48 – Aristote. Phisique

49 Saint Thomas. III.Q.82a 3. S1

50- Luc XXII.14.19

51-  Saint Thomas III a.31.4

52- Bède. Luvres Carolins à propos de Dt 32.13

53- Tao Tö King. Leçon 34. cerf. p 62

54- Rembandt : Le Philosophe

 

                                                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                       

 

 

 

 

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