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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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9 mai 2020

EXISTENTIALISME ET CUBISME

LA CHAIR ET DIEU

EXISTENTIALISME ET CUBISME

 

Pablo Picasso breve biografía y su obra/subtítulos en ...

A l’heure où la théologie de la croix l’emporte sur celle de l’éminence, c’est-à-dire où l’absolu de l’inconnaissable a fait place à la familiarité d’un existant souffrant parmi les souffrants, il n’est pas sans intérêt de s’interroger sur le sens que l’on pourrait dégager d’une lecture du cubisme et en particulier des crucifixions peintes par Picasso qui fut du reste, sa vie durant hanté par cet objet fascinant.

Il s'agit donc d’examiner la qualité spirituelle de l’œuvre de celui qui se disait avant tout un sorcier, en d’autres termes un athée mystique. Mais aussi de proposer au regard les moyens d’une conversion plus favorable à un Picasso dont les Crucifixions sont souvent et au mieux reconnues comme l’expression des tourments d’une vie sentimentale tumultueuse.

Le cubisme déroute encore nombre de personnes qui taxent Picasso d’iconoclaste, de désenchanteur du monde, de destructeur du visage humain, pire de misanthrope et de misogyne dans la mesure où l’amour et le respect de l’humanité devraient se décliner sur le mode d’une représentation la plus fidèle possible de son modèle.

C’est ainsi qu’à partir de la Renaissance, l’Europe s’est souvent complu dans une image d’elle-même donnant l’apparence pour l’essence au détriment de l’existence dès lors réifiée. En témoigne le portrait offrant à l’appréciation la pure coïncidence de l’en-soi et du pour-soi dans une image ayant valeur d’universalité.

78 best Images of the CRUCIFIXION images on Pinterest ...

De la sorte sont occultés les multiples rôles que chacun incarne et qu’il joue le mieux possible de même que les infinies palpitations qui donnent vie à la chair de l’individu. Avec leur occultation c’est la liberté qui disparaît, celle de la non coïncidence de soi avec soi-même, celle du jeu qui fait que je joue à être tel ou tel en même temps qu’il y a toujours du jeu entre les éléments qui me constituent. Je joue et je me joue des autres et de moi-même. En cela est la liberté, qui fait que l’albatros se rit de l’archet et que Zarathoustra voit le philosophe en funambule.

Pablo Picasso Né le 25 octobre 1881 à Malaga en Espagne d ...

Le portrait qui réduit le sujet à n’être qu’un individu ferait croire que le réel coïncide avec le visible, alors que celui-là riche de l’infinie variété qui échappe à toute réification roule incessamment vers des confins changeants.

C’est pourquoi le cubisme fait éclater l’image mortuaire pour la rendre à la vie des perspectives. Se bousculent alors les multiples points de vue que les regards portés sur un objet donneraient à voir si on pouvait les représenter ensemble sur une même toile.

Ainsi verrait-on, où plutôt voit-on le visage de face et de profil, en plongée et en contre plongée, partie éclairée partie enténébrée comme le sont nos parts d’obscurité. C’est l’existence que peint le cubisme, existence conçue comme hors-de, pro-jet, éclatement vers, animée d’une tension qui est attention à la vie, affrontée à une altérité qui interdit toute digestion du monde.

Celui-ci ne se laisse plus manger, il résiste face à un égo désirant le phagocyter.

Or les Crucifixions de Picasso, en particulier celle de 1930, ne donnent pas autre chose à voir que l’altérité radicale du souffrant, si  proche et si différent, autre que moi-même et cependant autre moi-même demeurant dans la distance hiératique de son être-là résistant à la fragmentation des regards sur lui portés. Tout y est: arêtes, aspérités, dureté et distorsion. Nul repos pour le regard qui ne peut échapper aux douloureux spasmes de ceux qui accompagnent Celui qui a choisi cette voie pour s’incarner et ainsi nous offrir l’énigme scandaleuse d’un dieu crucifié.

Est-il Pablo ce crucifié, comme il fut Nietzsche qui signait de ce nom? Indéniablement. Et si les bouches se tordent c’est de nos tortures, si les yeux se révulsent c’est de nos peurs, si les femmes semblent des pleureuses antiques c’est parce que toutes les amantes hurlent avec elles, et si la scène s’enfle de façon démesurée c’est parce que l’humanité toute entière est là, crucifiée.

Pourtant, il est étrangement calme ce crucifié qui échappe à tous les poncifs des crucifixions. Figure des Cyclades, déjà vêtu de son linceul, il rappelle quelque hiératique personnage aux murs des églises ou des synagogues d’orient. Vêtu d’une tunique sans âge, vu de face, dans une position rappelant celle d’œil à œil des statues médiévales, il est sans volume et sans perspective si ce n’est celle renversée de ses pieds qui semblent s’orienter vers les spectateurs tétanisés, acculés devant le tableau qui n’offre nulle perspective ouvrant l’espace d’une respiration vers un infini. Non, nul moyen d’échapper à l’impératif d’entrer dans le tableau, ou plutôt de prendre place sur la scène de la divine comédie où se déroule le tragique drame du crime contre l’humanité, du crime contre le plus juste des justes.

Aussi Picasso rompant avec la tradition n’a-t-il pas peint un Christ souffrant. Non le sien est étrangement calme, car l’esprit a déjà quitté le corps dont seul l’image est encore visible.

Ce qu’il donne à voir c’est la douleur toute humaine de ceux qui ont tout perdu, de ceux coupables, qui connaissent le péché qui est pourtant voie de sainteté. Le pôle d’intérêt s’est donc déplacé et on accède ce faisant à une dimension où le particulier rejoint l’universalité.

artmap

Pour preuve le Crucifié qui disparaît devant une Marie Madeleine semblable à une Bacchante présidant à quelque rituel païen et primitif, sous l’égide d’un Grand Prêtre emplumé, sacrifiant au Soleil.

Et si c’est bien d’existence dont il est question c’est une existence transcendée par l’horreur de  l‘irrémédiable.

C’est pourquoi là tout n’est qu’effondrement coloré, contrastes crus, et frénétique violence face à l’équilibre serein de Celui qui contemple, impuissant, ce désespoir. N’ont-ils pas compris la voie de la Rédemption et que le sacrifice n’avait de sens que par le sens ainsi donné à leur existence?

Il y a de la folie dans cette Crucifixion, non pas celle qui réduit l’homme à n’être que l’objet de pulsions sexuelles qu’analyse à loisir et à plaisir le psychiatre, ennemie de la tragédie et de la sainteté, mais celle qui côtoie le gouffre admirable du péché s’originant dans l’irrationnel que réactive précisément la Crucifixion.

Crucifixion II (after Graham Sutherland) | Stephen Oliver: Studio ...

C’est pourquoi l’image se fait paradoxe et Marie Madeleine d’incarner tout à la fois celle qui dévore autant qu’elle le protège, le Christ, qu’elle couvre de son corps dans un troublant prolongement hermaphrodite.

Paradoxale et syncrétique aussi la figure du centurion à cheval qui évoque un picador, tout comme la disproportion entre les figures qui semblent obéir à un principe de proportion inversée puisque le Crucifié est nettement plus petit que Marie Madeleine ou que la tentaculaire figure à sa droite qui semble prêt à le dévorer.

Nombreux sont, dans cette perspective les prolongements de l’inspiration de l’artiste qu’il s’agisse de la Crucifixion de Francis Bacon (1944 – 1950), de celle de Graham Sutherland (Standing Forms II, 1952) ou encore celle de De Kooning (1966) ou de Saura (1979) pour ne citer que les plus célèbres, car on note une nette tendance des artistes actuels à s’intéresser à ce thème non pas en tant que proclamation de foi mais comme paradigme du génocide qui fit basculer l’humanité dans l’horreur de ses possibles perversions.

Alors la crucifixion?

Antonio Saura Atarés, pintor y escritor – Facultades mentales

Chair du monde, chair de Dieu toutes deux confondues en une palpitante souffrance, jamais atténuée à jamais hurlante, qui de l’aube de l’humanité à son avenir incertain, ne cessent cependant d’exhiber l’énigmatique vestige d’une non moins énigmatique rédemption par Celui qui offrit Sa douleur comme unique voie de Salut.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférenciere et philosophe

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