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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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20 mars 2020

MACHIAVEL

 

Citations de Machiavel

 

MACHIAVEL ETAIT IL MACHIAVELIQUE ?

LA NAISSANCE DE L ETAT

LES LINEAMENTS DU « PRINCE » DANS L’ŒUVRE DE MACHIAVEL 1469-1527

 

I – Présentation de l’œuvre   

1) Contexte historique

Vers la fin du Moyen-âge XIII-XIVème siècle, les monarchies modernes se constituent progressivement en vertu de plusieurs facteurs :

- unification territoriale

- domination du roi sur les seigneurs régionaux

- institutionnalisation politique et administrative de la monarchie grâce à la distinction entre le roi et la couronne c’est-à-dire entre la personne du roi et la res publica ou regnum. Le royaume que symbolise la couronne est un corps politique du moins en théorie distinct du roi en tant que personne physique charnelle et mortelle

- dépersonnalisation et rationalisation du pouvoir non plus fondé sur la coutume et des codes d’honneur mais sur la codification et la bureaucratisation de l’appareil d’Etat

- émergence d’une conscience nationale, conjointe à la conscience chrétienne, d’où naitra la notion de patrie (cf. épisode de Jeanne d’Arc).

Ces conditions sont propices à l’élaboration d’une pensée philosophie de l’état, de ses conditions, fondements, de sa légitimité et des formes de son application.

2) Les œuvres de Machiavel

Le premier des penseurs de l’Etat est Machiavel dont le nom sent le soufre à cause de son ouvrage sans doute le plus « connu » le « Prince » mais qui est loin d’être sa seule œuvre. Lorsqu’on regarde la table des matières de ses œuvres complètes en Pléiade on constate qu’outre les écrits politiques : le « Prince » - (publié en 1531), « Discours sur la première décade de Tite Live »  – 1513 à 1520 (publié en 1531), « L’art de la guerre » - 1513 à 1521(publié en 1521),  il a une œuvre historique :

« Histoires florentines » - 1520 à 1526 (publié en 1532) ; littéraire poétique : « L’Ane d’or » (1517), « Les Décennales » (1506 – 1509, « Les Capitoli », « Chants de Carnaval », en prose dont « Proses diverses » (« l’Archibald Belphégor » – 1515) ; théâtrale : « La Mandragore » ( 1518), « Clizia » (1515)  et enfin épistolaire : « Lettres officielles et rapports » (1499-1525), « Les lettres familières ».

On comprend d’une part que la réputation et la connaissance de Machiavel fondées sur le seul « Prince » sont pour le moins partielles d’autant que de son vivant il ne fut pas connu pour ses œuvres politiques parues après sa mort et écrites en exil, mais pour ses écrits littéraires rédigés et parus pendant et après ses années de service auprès de la République de Florence. Nombre de ses textes écornent pour le moins la figure sévère de Machiavel surtout si l’on y ajoute ses lettres dont on retiendra à titre d’exemple celle adressée à Luigi Guicciardini du 8 décembre 1509  (Collection Bouquin – Machiavel – p 1230) a ou celle qu’il reçoit de Vespuccien plein conflit en 1501  (Toutes Les Lettres de Machiavel – Gallimard T 1 p 157 ; T 2) qui nous en disent long sur les mœurs de l’époque.

Tout comme Hobbes et Démosthène, Machiavel n’aura quasi connu que des conflits et fort de ses expériences il aura cautionné le recours à la force pour maitriser un équilibre entre les fonctions et préserver l’indépendance de sa ville, Florence,  car « si l’on n’attaque pas on sera attaqué ».

A ce propos, très jeune et plus tardivement alors qu’il a neuf ans (1478) il assiste à la mort cruelle des Pazzi après leur attentat contre les Médicis ; en 1494 il voit l’entrée de Charles VIII à Florence qui vient délivrer la république des Médicis ; enfin il verra Savonarole dont il avait entendu les sermons, brûlé vif en 1498. Quant à sa vie on peut la diviser en trois périodes :

- les années de formation jusqu’en 1498 pendant laquelle il acquiert une éducation humaniste (grammaire, latin, mathématiques), c’est ainsi qu’il lira Tite Live qui le marquera au point de commenter sa première décade, et qu’il traduira le « De Natura rerum de Lucrèce ». Par ailleurs sa mère l’aura initié à la musique,

- puis suivent les années d’activité de 1498 à 1512 dans la République florentine. Il y sera tout à tour le prestigieux secrétaire de la Chancellerie ayant en charge les affaires intérieures et la défense ; puis il deviendra responsable administratif de la Chancellerie des affaires extérieures ce qui l’amènera à accomplir pendant quinze ans de nombreuses missions diplomatiques, quarante au total, plus ou moins réussies :  en Italie, auprès de Borgia qu’il mentionne élogieusement dans le « Prince » et ses « Lettres » ; en France où il traite avec Charles VIII , puis Louis XII (1504-1511), en Allemagne où il rencontre l’empereur Maximilien (1507 – 1509). C’est dire qu’il est un homme de terrain, un pragmatique rompu aux ruses du dialogue et aux prérogatives des puissants qui le traitent parfois avec dédain. De leur observation il titera la matière du « Prince ».

- enfin la dernière période de 1512 à sa mort où après avoir connu la disgrâce des Médicis revenus à Rome, il sera emprisonné et torturé par estrapade, ce qu’il supportera vaillamment, à son propre étonnement. De sa prison il écrit trois sonnets dont deux adressés à Julien et Jean de Médicis (« Lettres de Machiavel » Tome II p 329-330). Il sera à nouveau chargé de quelques missions officieuses puis officielles à partir de 1521 et s’éteindra sans que l’on en sache vraiment la raison, mais c’est pendant cette période de vacance qu’il écrira ses œuvres majeures qui le sauveront d’un ennui insupportable, sans que cependant s’éteigne sa soif inextinguible de servir « Je désirerai, écrira-t-il,  que les Médicis commencent à m’employer même s’ils doivent commencer par me faire rouler une pierre » (Lettres familières  du 10 décembre 1513) (1). Il lui faudra encore attende huit ans durant lesquels il songera même à se placer comme précepteur ou secrétaire pour échapper à sa « pouillerie » (Lettre du 10 juin 1514 à Vettori). Mais ces états d’âme sont soulagés parfois par quelque galante rencontre dont l’homme de quarante cinq ans demeure fort friand (Lette du 3 août 1514 à Vettori ; 31 janvier 1515 au même).

II – L’œuvre littéraire

C’est pendant la deuxième période qu’il écrivit la « Première Décennale » (1504) éditée par son ami Vespucci en 1506, la seconde parut en 1509 ainsi que des poèmes les « Capitoli » commencés en 1505.

1) Les «Décennales » relatent sous forme versifiée les évènements auxquels il assiste entre 1494 et 1509 et qui ont entrainé le déclin que connait Florence à la suite d’une part de la mort de Laurent le Magnifique suivie de près par les humanistes qui avaient fait la gloire le ville (Politien, Pic de la Mirandole, Landino, Marsile Ficin) (2) et qu’avait discrédités Savonarole,  et d’autre part des suites de l’entrée de Charles VIII et de ses sbires dans la ville à propos desquels il mentionne leurs exactions.

Par ailleurs Machiavel ne cache pas ses ambitions littéraires quoiqu’elles ne soient pas platonisantes à l’instar de Ficin. A celles-ci il préfèrera la chronique où se mêlent comique, ironie, voire cynisme, des évènements politiques qu’il commente. PHOTO DE FLORENCE AU XIVème SIECLE

Dès le premier vers de la première « Décennale », il écrit à la façon d’un aède, il emprunte son vers à Dante « Je vais chanter les épreuves de l’Italie… »

« O Muse soutient ma lyre

   et toi, Apollon, pour me porter secours, viens ici accompagné de tes sœurs ! »

Puis il relate les guerres d’Italie durant lesquelles le « barbare » français envahit la péninsule, mais quoiqu’il fustige aussi l’incurie et la mollesse des italiens, il achève son récit par un hommage appuyé à Soderini tout en exprimant ses craintes si l’armée n’est pas renforcée. Certains accents sont douloureusement lyriques.

« Voilà ce que je vais chanter, enhardi à ce faire, au milieu des lamentations, bien que je sois presque éperdu de douleur » (2 décembre).

Mais qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit plutôt de sacrifier à un genre qui épanche son âme. Machiavel est avant tout un observateur pragmatique, un analyste rationnel, et un fonctionnaire zélé et ambitieux qui sera cependant en but  à une constante ingratitude.

2) Dans la même veine son œuvre proprement poétique écrite selon le tercet de Dante, les « Capitoli » (1512)  de  compositions allégoriques évoquent déjà des notions politiques, à savoir l’ingratitude, la fortune et l’ambition. La première enseigne à se méfier des hommes et être prudent, la seconde à ne rien tenir pour acquis, quant à la troisième elle est la source de tous les maux.

Ecrits en 1512, juste après sa relégation par les Médicis, les « Capitoli » portent la trace de son amertume, de son pessimisme.

Dans la première intitulée « De l’ingratitude » dédiée à Folchi qui fut de la conjuration antimédicenne, il dit espérer de l’écriture un soulagement de ses maux (Collection Bouquin - Machiavel p 1061) dont l’ingratitude, qu’il décrit à la façon de Platon la naissance d’Eros :

« Quand la gloire des vivants déplut aux étoiles…

naquit en ce monde l’ingratitude.

Elle est fille de l’avarice et du soupçon

nourrie dans les bras de l’envie

et vit dans le cœur des princes et des rois. »

C’est à mots à peine voilés qu’il évoque son sort le mêlant à tous ceux qui firent la gloire de la Rome antique. Le sien est comparable à celui de Scipio l’Africain. Et Machiavel d’en tirer en filigrane une leçon politique pour le  «Prince ».

Le second capitulo dédié à Soderini  porte sur la fortune, fortuna en latin désignant ce qui ne dépend pas de nous contrairement  à la virtu. Ce sont deux notions majeures du « Prince » (Chapitre XXV). Machiavel en hérite culturellement puisque la fortuna romaine était une déesse crainte et vénérée, imprévisible, versatile, ambigüe avec laquelle le prince doit savoir composer.

Dans le « Prince » Machiavel donne des conseils au monarque face à  fortuna. Doit-il capituler devant elle ou a-t-il les moyens de négocier ?

Machiavel répond par l’audace et feint ne pas hésiter à la « battre » d’autant qu’elle aveugle les hommes qui lui résistent.

Dans le troisième capitulo, il est question de l’ambition qui incarne le mal depuis Caïn et Abel.

Cependant employée à bon escient, l’ambition rend le prince indomptable :

« …si à l’ambition on joint

un cœur fier, une vaillance armée

alors on craint rarement le malheur ».

On a ici un exemple de la subtile dialectique de Machiavel qui n’est pas un homme de savoir théorique dogmatique mais au contraire de composition. Tout remède peut se révéler un poison et vice versa, il s’agit de savoir s’adapter aux circonstances, d’équilibrer les forces et de composer. La virtu n’est pas autre chose que ce subtil dosage.

Enfin le quatrième capitulo « De l’occasion » (decadere : tomber) en grec kairos réfère au surgissement de l’inattendu que l’intelligence rusée doit saisir. Le paradigme en est Odysseus.

L’allégorie prend la parole pour se définir volatile comme l’air. « Il n’est pas de vol aussi rapide que ma course ; inattrapable et inreconnaissable. Elle génère le repentir et le regret. Déjà elle a passé », et pourtant l’habilité du Prince se reconnaitra à sa capacité à savoir la saisir (cf. sérendipité).

3) Toujours dans la veine littéraire et écrit après sa destitution on trouve « L’Ane d’Or » (1516-1517) dont le titre est emprunté à « L’Ane d’Or » d’Apulée, écrivain né à Madaure auquel Saint Augustin rendit hommage autant qu’il le critiqua et auquel Giordano Bruno (3) fait peut être référence dans la « Cabale du cheval Pégase » lorsqu’il oppose l’ignorance académique à l’ignorance savante qu’incarne l’âne cabalistique. Mais n’allons pas trop loin dans cette voie avec Machiavel. En tout cas les aventures que connait l’âne permettent une réflexion sur les corruptions et l’instabilité des Etats, mais aussi sur la nature humaine d’où appert le pessimisme de Machiavel.

« Je vais chanter si la fortune l’accepte

les évènements divers, les peines et les tourments

que j’ai souffert sous la forme d’un âne ».

puis il annonce les intentions de son âne : « décocher une paire de ruades et lâcher deux pets » et ce faisant de décrire la corruption du monde. Quant à « celui qui prendra celà de travers tant pis pour lui ».

Puis il raconte que s’étant égaré à la tombée du jour, il rencontre une femme extraordinairement belle. Elle lui apprend qu’elle sert Circé en gardant un troupeau dont les animaux furent auparavant des hommes qui vagabondaient en ces bois avant d’être métamorphosés par la magicienne. Afin que celle-ci ne voie pas le héros, elle le cache chez elle. Elle sait ses malheurs, sa chute et les déplore. Elle lui prédit aussi un avenir radieux, mais à condition qu’il se mue en âne, et sous cette peau visite le monde.

Il s’agit donc d’une épreuve initiatique. Mais avant cela il connaitra les bonheurs de l’amour dans les bras de la belle.

Avant qu’ils ne se quittent elle lui fera voir ses animaux qui incarnent autant d’amis des Médicis. Tour à tour il verra le lion au cœur courtois et magnanime, puis ours, loups, buffles et boeufs… tous portraits qui tiennent la fois des « Métamorphoses » d’Ovide mais aussi des descriptions de « L’enfer » de Dante et de toute la littérature des bestiaires allégoriques.

Le clou tient dans le dialogue du porc et du narrateur qui lui fait part de l’offre de son hôtesse de recouvrer forme humaine. A quoi le porc lui répond vertement qu’il n’en est pas question. « Si tu n’es venu pour rien d’autre que pour me tirer d’ici, passe ton chemin » et de poursuivre par une diatribe morale contre la corruption et les malheurs de l’humanité (Collection Bouquin - Machiavel p 1057).

On ne verra pas la métamorphose du narrateur s’accomplir ce qui témoigne de l’inachèvement de l’oeuvre mais le mot de la fin n’est pas sans préfigurer Macbeth : « La vie n’est qu’une ombre qui passe… c’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur qui ne signifie rien », lorsque le porc dit au héros :

« L’homme commence sa vie dans les pleurs…

Puis quand il grandit sa vie est brève…

Seul l’homme tue l’homme, le crucifie et le dépouille. » car il est dévoré par l’ambition, l’avarice, la luxure et les pleurs (Collection Bouquin - Machiavel p 1059 – 1066).

Néanmoins en 1514 il avait écrit à son ami Vettori, en citant Ovide, « vous voudriez tantôt être un cygne pour peindre un œuf en son sein, tantôt vous transformer en or… tantôt en un animal…pourvu que vous ne vous éloigniez pas d’elle » et l’on découvre au détour de cette allusion que Machiavel fut un galant qui invite son ami à suivre son exemple. Le jeu et les bombances ne furent en effet pas exclus de sa vie comme en témoignent

4) les « Chants de Carnaval » écrits durant son exil dans sa propriété de Sant’Andrea qu’il quittait de temps en temps pour Florence où il fréquentait les tripots et les hommes d’influence littéraire et politique car il n’avait de cesse de rentrer en grâce auprès des Médicis pour réintégrer des fonctions politiques. A la même époque il écrit le « Prince » à l’intention du nouveau maitre de Florence, Laurent, (Bouquins p 1098) mais il n’a pas de succès.

Nourri des « Décades » de Tite Live qui inaugurent les œuvres politiques de Machiavel, le «Prince » s’interroge sur ce qui fonde, conserve et perd une république.

Mais avant d’en arriver à celui-ci  arrêtons-nous encore sur quelques productions littéraires de Machiavel, dont 

La Mandragore - Nicolas Machiavel - Babelio

5) « La Clizia » et surtout son chef d’œuvre : « La Mandragore » (écrite en 1510 jouée en 1526) qui connaitront un franc succès. On dira même de Machiavel qu’il fut le plus grand comédiographe du XVIème siècle. S’inspirant de la comédie antique à la mode en son temps (Plaute, Terence) Machiavel met en scène Nicia, époux vieillissant de Lucrezia, sur fond de décor politique. Machiavel, en effet, y évoque l’attitude des troupes françaises à Florence et Pise. D’aucun n’ont pas manqué d’y voir une allégorie de Florence passée des bras de Soderini ceux de Laurent le jeune avec l’aide de Savonarole comme pourrait le confirmer la chanson précédant la comédie (Collection Bouquin - Machiavel p 1102 – 1102).

La pièce remet au goût du jour la comédie en langue vulgaire et en pratique ses thèses exposées dans le « Discours  sur notre langue ». L’intrique ne déroge pas aux lois du baroque. Elle est complexe et invraisemblable puisque pour conquérir Lucrezia mariée à Nicia, Callimaco  un jeune toscan revenant de Paris  imagine avec Liguro profiter du désir du couple d’avoir un enfant, en faisant boire à Lucrezia ce qu’il prétend être de la mandragore, à condition qu’elle couche avec le premier venu afin qu’il absorbe les effets du poison et que son époux puisse ensuite accomplir son devoir sans risque. Bien sûr il faut pour cela que Callimaco puisse conseiller le mari, ce qu’il fait en qualité de médecin. Malgré la totale absurdité du remède, le couple est convaincu et Callimaco sera, sous un déguisement, l’heureux vagabond à profiter du Lucrezia à laquelle il révèlera sa véritable identité et son fol amour.

Le ton est alerte, ponctué de quelques jurons et émaillé de réflexions sur le courage d’être un homme. Et cependant elle parut à ses contemporains complexe, requérant des explications comme le souligne la lettre du 20 octobre 1525 à Francisco Guicciardini (Collection Bouquin - Machiavel p 1258 – 1259). Mais le plus remarquable est l’analogie entre les idées politiques de Machiavel et la leçon que Lucrezia tire de son aventure qu’elle justifie par l’intervention de fortuna,  qui en définitive sert à l’intérêt de chacun à condition de savoir interpréter les évènements.

« L’audace l’emporte souvent,  ce que l’on n’obtiendrait point par des moyens ordinaires » (Bouquins p 1142).

En 1525, Machiavel n’est plus en relégation, il commet une seconde pièce de théâtre, La Clizia - Fanélie Viallon, Nicolas Machiavel - Classiques

6) « La Clizia » ou « La vertu en danger » dont l’intrique est pour le moins conventionnelle. Un père Nicomaco et un fils Cléandre sont amoureux de la même jeune fille Clizia pupille de Nicomaco. La pièce eut un succès considérable aux dires de ses contemporains : «  La renommée de votre pièce s’est envolée partout… je l’ai su par des voyageurs… cette merveille franchira les montagnes » (Filippo de Nerli 22 janvier 1525).

On a fait l’hypothèse que le vieux mari amoureux de sa pupille n’était autre que Machiavel, revenu finalement à sa femme après son aventure avec Barbera (Collection Bouquin - Machiavel p 1095…) ce qui n’est pas sans évoquer les malheurs de Molière.

De quinze ans postérieure à « La Mandragore », « La Clizia » n’a plus la légèreté licencieuse de sa première pièce. Machiavel s’y inspire de la « Casina » de Plaute, et conclut sur un retour à l’ordre moral familial puis que le fils épousera finalement la jeune fille. Le temps n’est plus à la passion et le démon de midi a bel et bien disparu : Machiavel a cinquante-six ans.

C’est pourquoi le ton de la pièce est mélancolique,

« Combien est heureux le jour

où les souvenirs d’autrefois

vous sont par nous montrés et célébrés »

chante le choeur qui ouvre l’histoire ; mais aussi didactique comme on peut le lire dans le Prologue (Collection Bouquin - Machiavel p 1147). La comédie est ainsi fidèle à son principe : castigat ridendo. C’est du reste ce qu’il explique dans son « Discours ou dialogue sur notre langue » (Collection Bouquin - Machiavel p 1204).

Et la pièce atteint son but puisque Nicomaco, sa folie sexuelle passée, reviendra effectivement à la sagesse qui veut que l’on accepte que tout passe et que le temps des amours l’étant, il faut suivre l’ordre de la nature et savoir non pas se résigner mais accepter. Sur cette voie Sofronia, son épouse, l’aura bien aidé en l’affrontant à sa mauvaise foi alors qu’il veut marier Clizia à un vaurien à son service plutôt qu’à son fils. Le ton de Sofronia préfigure celui de Dorine tant sa verve ne craint pas de contredire son époux. Le dénouement sera digne d’une intrique carnavalesque puisque Clizia tiendra son salut d’un échange de vêtements avec un domestique. Nicomaco boira la coupe jusqu’à la lie alors que sorti du lit de celle qu’il croyait être Clizia, il aura réalisé que c’est Siro son domestique qui s’y trouvait (Collection Bouquin - Machiavel p1179). Mais la compassion de Sofronia aura le mot de la fin, celui du pardon.

Comme en écho Machiavel peu avant sa mort en 1527 écrira dans son « Exhortation à la pénitence »

« Cet exemple nous montre qu’il n’est pas chez l’homme de faute plus grande et de plus grande pénitence et que l’on peut trouver chez Dieu de plus grande générosité dans le pardon » (Collection Bouquin - Machiavel p 1214).

En tout cas une grande partie du malheur de l’homme vient des femmes ou plutôt du désir qu’ils en ont, comme en témoigne une fable de Machiavel,

7) « L’archidiable Belphégor », date de 1518. Il y  est question de savoir si la disgrâce des âmes en enfer est due aux femmes. Afin de juger le cas Pluton ordonne à Belphégor de se rendre sur terre et d’ prendre épouse, puis de feindre de mourir pour revenir faire son rapport. Il se marie donc mais l’expérience est catastrophique et le diable préfère encore l’enfer à la femme. L’histoire est amusante, pleine de rebondissements jusqu’à la fin et ne manque d’épingler encore une fois les Florentins (Collection Bouquin - Machiavel p 1187).

Toujours dans la veine comique un curieux texte de Machiavel qui n’est pas sans rappeler Rabelais à propos des statuts, mais en négatif, de l’abbaye de Thélème, élabore ceux d’une société de plaisir,

8) « Statuts d’une société de plaisir ».Il s’agit à l’instar de Décameron de poser les fondements d’une société susceptible de vivre de façon hédoniste sans être licencieuse promulguant les règles qui doivent rendre la liberté possible (Collection Bouquin - Machiavel p 1207). En même temps les règles tiennent de la farce « parmi les hommes, se succèdent à la charge du président (élu pour huit jours) en ordre décroissant ceux qui ont le plus grand nez : parmi les dames, celles qui ont le plus petit pied » signifiant d’emblée qu’une telle société est impossible. Qui plus est les individus ont tous les vices ; médisance, irrespect, trahison, envie. Il ne faut en effet jamais dire du bien de l’autre ce qui est passible d’une peine. Dès lors il apparait que Machiavel décrit là la société des hommes, celle qu’il a connue où l’on pratique allégrement les sept péchés capitaux. Il faut y mentir, y tuer. « Que celui qui sait feindre le mieux ou dire des mensonges mérite la plus d’éloges ». C’est le monde à l’envers de « L’Eloge de la folie ».

Nous reste avant de clore le chapitre littéraire à évoquer

9) Discours sur Notre Langue le « Discours ou dialogue sur notre langue »   » qui bien qu’anonyme est attribué à Machiavel et exprime les principes littéraires qu’il met en pratique dans ses œuvres. Le débat à pour origine la question de savoir si la langue des poètes et orateurs est florentine, toscane ou italienne. L‘essai est érudit, il compare les dialectes d’un point de vue phonologique et morphologique. Mais force est de constater que les grands Dante, Pétrarque et Boccace sont florentins. Particulièrement admiratif du premier, il déplore cependant son hostilité à l’égard de sa ville dont il fut le « parricide » (Collection Bouquin - Machiavel p 1197). Machiavel apparait comme un farouche défenseur de Florence au point sans doute d’être partial. Il concède qu’on peut et même doit emprunter à d’autres langues sans cependant que la sienne devienne autre. Ainsi le florentin ne s’édulcore pas à leur contact mais les enrichit (Collection Bouquin - Machiavel p 1206). Machiavel n’est du reste pas, à la même époque, le seul à s’intéresser à la question de la langue Du Bellay fait de même dans la « Défense et illustration de la langue française ».

III – L’œuvre politique

1) Premiers écrits politiques

A l’instar de Chateaubriand on peut dire que la vie de Machiavel ne se distingue pas de celle de Florence, pour preuve la plupart de ses écrits politiques sont des écrits de circonstances. Cependant s’il relate les évènements il ne se contente pas d’en être l’historien(4), son projet et ambition est « ouvrir un route nouvelle » (avant-propos des « Discours ») celle qui ira directement à la chose politique et publique en la dépouillant de considérations morales, religieuses voire esthétiques.

Par ailleurs fort de son expérience de terrain (5) qu’il expose dan des rapports classés secrets, Machiavel applique en politique une méthode que Galilée utilisera en physique : observation, hypothèse, expérimentation. Cependant l’expérience n’est rien sans une théorie pour la penser, c’est pourquoi Machiavel réfléchira longuement sur les exemples venus de l’histoire romaine et qu’il conseillera au prince d’étudier. Il s’est lui-même instruit « par longue expérience des choses modernes et lecture continuelle des antiques ».

On voit donc se dessiner deux orientations différentes dans ses écrits, l’une concernant des questions ponctuelles de stratégie, de défense, notamment liées à la longue guerre (dix ans) contre Pise à laquelle il veut que soit déclarée une guerre totale, l’autre de réflexion historique, psychologique visant à recherche des lois présidant à l’histoire car un concept sans expérience est vide et celle-ci privée de théorie est aveugle.

L’homme quant à lui est un politique avisé, déterminé qui expose les problèmes selon une méthode binaire ou/ou. Ainsi dans le « Discours aux dix » (1499) (procès verbal d’un conseil de guerre) sur la situation à Pise, il promeut la force en réduisant Pise soit par la famine soit par un assaut militaire (6).

De même, alors qu’il a été envoyé trois fois en mission à Pistoïa (7), il conseille là encore de résoudre le problème par la force car celle-ci est préférable au désordre. Il a du reste sous les yeux l’exemple de César Borgia. Ainsi la violence d’Etat serait-elle le plus sûr défenseur de l’intérêt du peuple. « Interdire, détruire et anéantir les deux factions » écrit-il à propos de Pistoïa. Pour justifier sa décision il se réfère à des exemples datant de 1503 et qui concernent César Borgia (8), l’un de ses modèles pour « Le Prince » (Chapitre VII) n’hésitant ni à tuer ni à dissimuler pour rétablir l’ordre (9). Il use de la détermination et du courage qui manquent trop souvent aux dirigeants ce qui fait bien plus de mal. En un mot il est doué de la virtu qui caractérisera le prince. « Quand l’acte accuse, le résultat excuse » (Discours I.9). Les idées de ces traités se retrouveront dans le « Prince ». Ainsi « Paroles à prononcer sur le projet de loi de finance avec une brève introduction et une justification » au chapitre I ; ou encore « De la manière de traiter les populations du Val Di Chiana révoltées » au chapitre VIII ; ou enfin le « Discursus » au dernier chapitre.

Il mentionne aussi ses missions auprès de l’empereur Maximilien (Rapport 1508 ; Discours 1509 ; Portrait 1512). Il vente l’honnêteté de l’Allemagne face à la corruption italienne. Mais l’empire souffre de dissension et  n’a pas atteint « la modernité de l’économie monétaire ». Bref l’Allemagne est un pays archaïque.

Par contre la France « Note à l’intention de qui va en ambassade en France » (1503), «  Portrait des choses de France » (1512) est mieux considérée quoique de façon nuancée (Collection Bouquin - Machiavel p39). Elle incarne cette unité que Machiavel appelle de ses voeux en Italie. Machiavel saura s’en souvenir dans le « Prince » en promouvant une monarchie absolue.

A cette date ses écrits politiques connaitront un tournant puisque c’est déchu de ses fonctions, amer,  face à l’ingratitude humaine, pessimiste quant au destin de Florence qu’il les écrira.

Ils seront inaugurés par deux discours, l’un aux Médicéens (1512), l’autre (1520) à la suite de la mort de Laurent II (1519) et suivis de suppliques à Julien pour rentrer en grâce.

Dans le premier « Aux médicéens » (1512), il prend très fermement la défense de Soderini qui s’est enfui de Florence en disant qu’ils se trompent de cible car ce ne sont pas les hommes, (pense-t-il à lui ?), qu’il faut blâmer mais les institutions. En outre les accusateurs s’épargnent ainsi de dénoncer leurs propres fautes et surtout ils nuisent aux Médicis (Collection Bouquin - Machiavel p 72). On remarquera la dialectique subtile du diplomate.

Le second « Discours sur les choses de Florence après la mort de Laurent II de Médicis dit le Jeune » (1520) déplore que la ville «n’ait jamais trouvé ni monarchie, ni république ayant eu les qualités nécessaires ».

Il incrimine en détail : les mandats trop longs, le tirage au sort des magistrats, les fonctions ; l’autorité abusive et incontrôlée de la Seigneurie, la participation des particuliers aux affaires publiques, l’absence par contre de celle du peuple.

Quant à la république elle n’a pas trouvé de forme adéquate car le gonfalonier n’est ni défendu ni réfréné. Le bilan est que le pouvoir n’a servi que des ambitions particulières et non le bien commun, autrement dit une oligarchie.

Reste à savoir après la mort du duc, quel est le régime qui pourrait être « parfait » et « éternel ».

Machiavel conseille une « vraie monarchie » ou « une république dotée de tous ses organes » en fonction de l’inégalité ou de l’égalité régnant entre les citoyens. Dans un cas le monarque creuse l’inégalité en s’entourant de gentilshommes, dans l’autre et c’est le cas de Florence, il faut donner de la majesté à certains particuliers… s’ensuivent toute une série de propositions où Machiavel, le renégat, s’exprime en conseiller politique voire en concepteur de la République. De tout cela, il appert que le pouvoir doit s’alléger, l’administration se simplifier, mais le Prince avoir les pleins pouvoirs (armée, justice, pouvoir législatif). Cependant Machiavel n’oublie pas le peuple auquel il faut rendre une partie du pouvoir.

Et c’est en termes à peine voilés que Machiavel flatte le nouveau souverain espérant après cette proposition de constitution, qu’elle soit appréciée à sa juste valeur.

2) Discours sur la première décade de Tite Live (1531)

L’ouvrage a été rédigé avant le « Prince » (1532) et pendant nombre d’années. Ce fut un travail de longue haleine initié par la lecture enthousiaste qu’en avait fait le jeune Machiavel.

Il s’agit d’un commentaire des dix premiers livres de Tite Live en un peu moins de cent quarante deux chapitres qui présentent force analogies avec le « De principatibus ».

Machiavel considère le « Discours » comme son œuvre la plus aboutie. Il y écrit « tout ce que je sais et ce que j’ai appris des choses du monde par une longue pratique et une lecture assidue ». Le politique ne se sépare jamais de l’humaniste chez lui, du reste ses destinataires Cosime Rucillae organisait des rencontre entre intellectuels auxquelles Zanobi Buondelmonti assistait. Mais Machiavel révulsé par l’ingratitude du pouvoir et des hommes de son temps, n’a-t-il pas tendance à embellir la république romaine ? Il en est du reste conscient mais se justifie par l’objectif didactique de son œuvre (Collection Bouquin - Machiavel p 182 – 183 – 188).

Il faut observer le parallèle entre les « Histoires florentines » (1520 – 1526) en huit livres mais inachevées, et les « Décades » de Tite Live. L’un en effet se propose de relater l’histoire de Rome de – 753 jusqu’en – 9 en cent quarante deux livres, l’autre celle de l’Italie depuis la chute de l’empire romain jusqu’en 1434, puis celle spécifique de Florence. Les contextes sont similaires, Tite Live connait la splendeur d’Auguste mais aussi les crises et les guerres (seconde guerre punique ayant opposé    Rome à Carthage de – 264 à – 146 dans la troisième décade). Il veut jeter un pont entre passé et présent et contribuer au nouveau régime en tirant des leçons du passé. On pourrait poursuivre mais l’important est de comprendre les profondes affinités entre les deux hommes au point de pouvoir appliquer à Machiavel le jugement que Taine portait sur Tite Live : « Tite Live obligé par son oeuvre de resserrer ses raisons ne tombe jamais dans des développements excessifs… ».

Du reste comme l’écrit Bec, Machiavel fait preuve de célérités et brevitas dans son écriture.

Pour le fond Machiavel considère l’histoire de Rome comme le paradigme lui permettant de comprendre  l’histoire de Florence « l’exemple vivant d’une sagesse politique, d’une capacité de faire front devant les « choses » et de les dominer, dont jamais sa cité n’avait su donner une preuve authentique » (G. Sasio) (Collection Bouquin - Machiavel p 187 – 188).  En filigrane se profile « le processus de formation d’un peuple en voie de se constituer en Etat » (C. Vivanti) mais c’est là un fort long processus qui demande d’abord dune réforme morale de l’individu.

Tite-Live — Wikipédia

La lecture des titres du « Discours » nous familiarise avec la notion et les ides que l’on retrouvera dans le « De Principatibus ». Prenons quelques exemples :

L.I.VII : comment les accusations sont nécessaires dans une république pour y maintenir la liberté

L.I.VIII : Machiavel distingue accusation et calomnies

X : mépris du tyran

XVI – XVII : dangerosité de la liberté du peuple

XXI : nécessité d’une armée pour le prince et la république

XXVII : il est très rare que les hommes soient totalement mauvais ou bons

XXIX : de l’ingratitude du peuple et du prince

XXXVIII : de l’irrésolution

XLII : de la gloire

Livre II 1 : ce qui de la valeur ou de la fortune fut davantage cause de l’Empire acquis par les Romains

XXIX : de la fortune (premier sens du terme – pécuniaire)

XXXVIII – XXXIX – XL

Ce livre est largement consacré à la guerre ainsi que III :

Livre III – III : légitimation du meurtre

IX : de la fortune

XIX – XXII : si pour gouverner la multitude, la douceur vaut mieux que la rigueur

XXIX : les fautes des peuples proviennent des princes

XLII : les promesses imposées par la force ne doivent pas être tenues

XLIV : impétuosité et audace.

De l’ensemble des idées émises par Machiavel dans le « Discours », Louis Althuisser dans « Machiavel et nous» (10) extrait plusieurs thèses que nous résumons.

Thèse un, qui ressort à une philosophie de l’histoire, celle-ci est par nature immuable («Discours II ») ;  thèse deux « Toutes les choses de la terre sont dans un mouvement perpétuel et ne peuvent demeurer fixes » (« Discours I – 7 ») ; thèse trois, le cours de l’histoire est cyclique et correspond à une typologie des gouvernements : monarchie, aristocratie, démocratie dérivant en tyrannie – oligarchie et ochlocratie « Tel est le cercle que sont destinés à parcourir tous les Etats ».

 

Cela dit avant de passer au « De Principatibus » il est nécessaire de s’arrêter à « L’Art de la guerre » (1521) L'art de la guerrele seul ouvrage publié du vivant de Machiavel qui sacrifie à un genre très ancien dont le premier exemple remonte au chinois Tsun Tzu (- 500 avant J.C.) et dont l’un des héritiers prestigieux est « De la guerre » de Clausewitz (1818-1832) qui lui aussi intègre politique et guerre puisque celle-ci n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens. Clausewitz  au demeurant rendit hommage à Machiavel en reconnaissant son très profond jugement en matière militaire.

En ce qui concerne Machiavel, il y a loin de la théorie à la pratique puisque lorsqu’il plaça la milice organisée par ses soins sur les murs de Prato (1512), elle fut mise en déroute et Bandello de rapporter l’incapacité de Machiavel à organiser des fantassins selon son propre dispositif.

Mais cela empêche-t-il pour autant de savoir en parler ? Machiavel répond par la négative (Collection Bouquin - Machiavel p 472). Pour preuve le succès que remporta l’ouvrage réédité douze fois en trente ans en Italie mais aussi à l’étranger. Ceci s’explique par le fait que s’il fut décrié par les militaires de terrain, il suscita l’intérêt d’un public d’amateurs cultivés en créant un genre nouveau ; « l’humanisme militaire » (11).

La guerre étant incontournable, l’essentiel est de savoir en user bien afin que « n’ayant pu faire que le juste fut fort on fit que le fort fut juste » (Pascal).

L’armée est en effet organisée pour le bien commun ainsi n’y-a-t-il pas si grande différence entre vie civile et militaire contrairement à ce que l’on pense communément et à priori.

                « On a soutenu, Lorenzo, et l’on soutient encore tous les jours qu’il n’y a rien qui ait moins de rapport, rien qui diffère autant l’un de l’autre que la vie civile de la vie militaire. Aussi, quelqu’un embrasse-t-il le parti des armes, il quitte aussitôt avec l’habit, les moeurs, les habitudes, la voix même et le maintien de la ville. Cet extérieur, en effet, ne peut convenir à quiconque veut être rapide et prêt à commettre toute espèce violence ; on ne saurait garder des usages, des formes que l’on juge être efféminées, peu favorables à ses nouvelles occupations ; et peut-il  être convenable de conserver l’extérieur et le langage ordinaire à celui qui, avec des blasphèmes et de la barbe, veut faire peur aux autres hommes ! Ce qui a lieu de nos jours rend cette opinion très vraie et cette conduite très conséquente.

                Mais si l’on considère le système politique des Anciens, l’on verra qu’il n’y avait point de conditions plus unies que ces deux-là, plus conformes et plus rapprochées par un mutuel sentiment de bienveillance » (Art de la Guerre – G.F p 55).

Machiavel considère même que les exigences à l’égard des soldats témoignent de sa haute moralité : fidélité, sacrifice, amour de la paix, crainte de Dieu et avant tout intérêt personnel à défendre ses biens en défendant sa ville (Livre I). C’est pourquoi Machiavel d’une part préconise de privilégier un milieu composé de citoyens plutôt qu’une armée de mercenaires, et d’autre part, de conseiller voire d’exiger du prince qu’il pratique l’art de la guerre. On peut lire au chapitre 14 du « Prince » « Un prince ne devrait avoir autre objet ni autre pensée, ni prendre aucune chose pour son art hormis la guerre et les institutions et sciences de la guerre : car c’est le seul art qui convienne à celui qui commande ».

Le modèle du capitaine est Francesco Sforza dans le « Prince ».

« FABR. Il faudrait, comme eux, honorer et récompenser la vertu ; ne point mépriser la pauvreté ; estimer les instructions et la discipline militaires ; engager les citoyens à se chérir mutuellement, à fuir les factions, à préférer l’avantage commun à leur bien particulier ; et pratiquer enfin d’autres vertus semblables » (Art de la Guerre – G.F p 64)

Si l’on récapitule, les principes et conditions présidant au pouvoir sont donc : virtu (Livre I), fortuna  (Livre III), autorité (Livre  IV), art de la guerre.

Mais s’il y a effectivement un savoir technique (art) de la guerre, Machiavel fournit par exemple cinq planches de formation de bataillons (Livre II), il y a aussi les circonstances hasardeuses qui certes ne changent rien au savoir, mais qui exigent de l’adapter. « C’est toujours l’ennemi et le terrain qui doivent déterminer vos dispositions » (Livre IV).

Plusieurs questions cruciales sont ainsi posées. Tout d’abord ;

- la guerre est-elle un art, voire une science exercée par des praticiens aguerris (les gardiens de la République de Platon) se limitant à une compétence  ou bien cet art requiert-il une connaissance des hommes et de ce qui fait la vie bonne ?

- le bon tacticien est-il un homme de bien ? Si ce n’est le cas comment savoir que la fin visée par la guerre sera bonne en soi, c’est-à-dire visera le bien et non l’intérêt individuel ?

- la fin obtenue par des moyens immoraux n’est-elle pas ainsi dévalorisée ?

- quelle fin justifie-t-elle la guerre : défense des droits naturels, égalité, liberté ?

- faut-il distinguer guerre et morale comme politique et morale ?

- le savoir suffit-il à assurer l’autorité du capitaine ? Assurément non répond Machiavel. Il lui faut la virtu seule à même « de surmonter les inhibitions suscitées par la morale »

- quelles autres qualités sont-elles nécessaires au capitaine ?

Et Machiavel de répondre au Livre IV, celle d’orateur ce dont l’histoire, en commençant par Périclès, Démosthène, Cicéron, César, Alexandre lui fournit moult exemples (Lettres T.1. p 159).

En effet si la force peut suffire à contraindre un petit groupe, elle est inefficace voire dangereuse sur une multitude. C’est pourquoi « il fallait donc qu’autrefois les grands généraux fussent orateurs » (Livre IV).

- suffit-il de remporter des victoires, voire la guerre pour assoir la paix ? Et Machiavel d’énumérer trente trois stratagèmes recourant à la ruse et à la dissimulation. Mais en aucun cas « il ne faut pousser son ennemi au désespoir » (Livre VI). Au contraire il faut lui donner des « exemples de justice et de modération ».

Le dialogue, puisque c’en est un, s’achève au Livre VII sur vingt-sept maximes en guise de viatique à l’usage du capitaine (12).

Quant à l’épilogue il semble bien mettre dans la bouche de Fabrizio les regrets de Machiavel trop vieux pour espérer « d’avoir jamais l’occasion d’exécuter cette grande entreprise » et conseiller les souverains dans « cette indispensable réforme et en aider l’exécution » (Livre VII).

Amazon.com.br eBooks Kindle: Le Prince (French Edition ... Focus sur le « Prince » 1512 publié en 1522

Nous voilà maintenant rendus à l’œuvre la plus connue de Machiavel dont nous avons voulu exposer les linéaments dans toute son œuvre, le « De Principatibus » des principautés connue sous le nom « Du Prince ».

Comment conquérir et conserver le pouvoir ? Telles sont les questions auxquelles le « Prince » entend répondre. Machiavel ancien conseiller de Soderini se voit exilé par le nouveau Prince au pouvoir, Julien de Médicis. Afin de rentrer en grâce, il rédige le « Prince » qui est un manuel à l’usage des nouveaux monarques afin de conquérir et conserver le pouvoir. Il illustre ses principes d’exemples pris dans l’histoire antique et aussi récente, celle des Borgia (Chapitre VII). Il en tire une philosophie politique qui bouleverse les valeurs morales communes, vice et vertu, bien et mal, car il s’agit en l’occurrence non d’être vertueux mais de défendre la stabilité de l’Etat. Dès lors il distingue l’exercice politique de la morale (Chapitre IX). Le Prince n’a pas à être vertueux, mais efficace.

Le Prince fait face à deux paramètres incontournables, d’une part « fortuna, ensemble des évènements qui surgissent indépendamment de sa volonté, et d’autre part l’homme défini par la crainte, l’égoïsme et le désir. Face à cela, il n’a qu’une « arme », sa virtu, non pas définie comme vertu morale mais comme « puissance active et rationnelle » ou détermination sans faille.

La virtu est l’expression de l’habileté du Prince à savoir saisir le kaïros, l’instant propice à l’action. C’est donc un esprit de finesse qui sait tirer le meilleur de la situation afin de la rendre avantageuse. La virtu s’origine dans la nature du Prince et exprime le libre-arbitre de celui-ci face à une situation à laquelle il va conférer un sens en la faisant  entrer dans l’histoire. Afin de l’aider dans sa tâche le Prince a tout intérêt à s’intéresser aux exemples historiques afin d’en tirer des leçons. Mais l’homme pétri d’orgueil est-il jamais capable d’en tirer ? Et de toutes façons à situation différente stratégie différente.

Quels moyens le Prince utilisera-t-il donc pour exercer son pouvoir ?

Doit-il comme Platon le préconisait, être un homme vertueux désireux de réaliser une utopie politique ; devra-t-il au contraire recourir à la force et fonder l’Etat sur la crainte ? Plus tard Rousseau préconisera au contraire un contrat social après avoir dénoncé l’inanité du droit du plus fort.

Pour Machiavel la réponse est pragmatique sans être pour autant cynique. Dans l’exercice du pouvoir le Prince peut être amoral, c’est-à-dire indifférent au bien et au mal, son seul critère d’évaluation étant la sauvegarde de l’Etat. Ainsi la vérité est-elle redéfinie comme factuelle. Est vrai ce qui est efficace. On a un avant goût de l’utilitarisme de Smith définissant la vérité comme ce qui est efficace pour le but visé. La vérité n’est plus dès lors absolue mais relative, de même que la vertu ou le vice sont définis à l‘aune de l’efficacité. Le Prince n’a donc pas à être un homme de bien. Certes il vaudrait mieux qu’il usât de bienveillance et qu’il se fît aimer mais la crainte est bien plus efficace que l’amour. Aussi optera-t-il pour la crainte voire la cruauté (Chapitre XVII). Il ne suffit pas d’être un prophète car aussi vertueuse que soit l’intention, le prophète désarmé (Chapitre VI) est condamné comme l’a prouvé le destin de Savonarole.

Cependant le Prince doit user de cruauté  à bon escient de sorte qu’il ne sera pas haï. Il existe un bon usage de la violence et un mauvais usage de la pitié. « L’enfer est en effet pavé de bonnes intentions ».Pascal en conviendra lorsqu’il écrira, redisons le : « Ne pouvant faire que le juste fût fort on fit que le fort fût juste ».

Vice et vertu  de valeurs sont devenus des moyens au service d’une fin purement politique.

Cependant les apparences doivent demeurer sauves. Ainsi le Prince doit-il soigner sa « communication », être clair dans ses buts, didactique à l’égard du peuple et user de franchise à l’égard des autres Princes. En aucun cas il ne doit être flottant, autrement dit neutre dans ses engagements.

Sa détermination et sa franchise éviteront de déstabiliser l’Etat et de désunir l’Italie.

Le Prince doit allier la ruse du renard et la force du lion.

Il n’est donc pas question d’un pouvoir idéal mais réaliste. Ce qui est en jeu c’est le service de l’Etat, l’unification de l’Italie et la liberté du peuple outragée et pour cela il faut réinsuffler la virtu romaine afin qu’un homme seul fonde la République malgré les dissensions entre les différentes principautés.

« Quand l’acte accuse, le résultat excuse ».

L’ouvrage cristallise trois interprétations : un appel aux Médicis pour rentrer en grâce ; une leçon aux peuples pour éventer les mécanismes du pouvoir et ses principes, c’est la thèse de Rousseau dans le « Contrat Social », le « Prince » serait alors un livre révolutionnaire ; une réflexion sur les bases de la politique moderne à savoir un Etat se fondant sur la confiance du peuple et la virtu des instituions.

Sans être philosophe Machiavel a néanmoins élaboré de nouveaux concepts politiques en redéfinissant des termes anciens.

Tout d’abord la virtu dont Machiavel n’était pas dépourvu : puissance active et rationnelle incluant des valeurs : courage physique, génie politique, force d’âme, finesse, inspiration, qui n’a rien de moral. Elle instaure un ordre du bien commun et s’apprend par l’exemple.

Fortuna : chance, hasard, désordre, capricieuse sans loi ni raison. Ce couple conceptuel est indissociable car chacune de nos actions comporte une part de l’un et de l’autre à savoir : la factualité des évènements qu’impose fortuna et le sens que nous voulons donner à ces situations, entièrement en notre pouvoir induisant l’exercice de notre libre arbitre. Ce qui seul relève de notre liberté est notre jugement. Machiavel a retenu la leçon des stoïciens :

La virtu du Prince lui permet de distinguer dans le flot des évènements et d’assigner une signification politique à ceux qui feront l’histoire.

Mais peut-on tirer des leçons de l’histoire ?

C’est en tout cas ce que pense Machiavel en conseillant (Livre XIV) au Prince de lire des livres d’histoire en tant que terrain d’expériences. Mais les hommes sont différents les uns des autres, les situations aussi, chacun met un point d’honneur à innover et se croit plus fort.  Cependant il ne s’agit pas tant de les copier que de se hausser à leur niveau. C’est-à-dire à leur virtu en tant que capacité d’adaptation aux circonstances pour y inscrire une action pertinente. Il s’agit de saisir le kaïros, de faire preuve de sérendipité dans le domaine politique (à l’origine fait de réaliser une découverte ou une invention alors qu’on en cherche une autre) en tant « qu’art de prêter attention à ce qui surprend et d’en imaginer une interprétation pertinente » (S. Cotellin). C’est l’art d’user du hasard en refusant d’être déterminé par un destin, une nature, une habitude.

L’inspiration n’est pas reproduction car il n’y a en l’occurrence pas de recette. Chaque action est unique et singulière.

Dans ces conditions le Prince doit-il être un homme de bien ?

Dans la mesure où le Prince vise à garantir la liberté du peuple et le salut de l’Etat, c’est un homme de bien auquel le peuple doit faire confiance (Chapitre XX) car il le protège contre ses ennemis.

Néanmoins cet objectif l’affranchit de toutes les autres obligations y compris morales, le sorte qu’il peut user du mensonge, de la trahison, car la fin justifie les moyens. Dans cette mesure le Prince n’a pas à être loyal, franc, humain par principe.

Là encore la conduite n’a rien d’absolu, mais il faut veiller à ce que le remède ne soit pas pire que le mal. Aussi la vérité en politique prend-elle un tout autre sens. Machiavel élabore à ce propos la notion de vérité effectuelle (opposée à factuelle) c’est-à-dire qui concerne les effets et non pas des idéalités métaphysiques. De ce point de vue Machiavel est comparable aux grands sophistes du IVème siècle qu’affrontait Platon. Il écrit dans la première « Décade de Tite Live » « je prétends que ceux qui condamnent les troubles advenus entre les nobles et la plèbe blâment ce qui fut la cause première de la liberté de Rome : ils accordent plus d’importance aux rumeurs et aux cris que causaient de tels troubles qu’aux heureux effets que ceux-ci engendraient ». Ainsi face aux répressions que génèrent une révolte, il faut en considérer les effets, par exemple, la liberté obtenue et non les moyens employés (Prince Chapitres VII –VIII). De la sorte la vérité effectuelle peut parfaitement s’opposer à ce que la morale préconise. En politique il n’y a pas de vérité univoque compte-tenu de l’interprétation des faits par les consciences individuelles et l’indétermination des faits (13).

Machiavel définit la politique comme un champ de bataille où les protagonistes sont animés par des passions et intérêts opposés dont le Prince doit savoir se servir pour le bien de la République. Kant reprendra ce thème sous la forme de l’insociable sociabilité propre à l’homme. La politique induit donc une anthropologie. Le Prince doit sans cesse louvoyer non en fonction de valeurs morales mais de l’intérêt commun. Le politique ne s’assortit pas d’une morale. Et si le Prince ne doit pas être un tyran c’est que cela ne sert pas l’intérêt général. Il s’agit de rendre possible une action efficace. La liberté est un combat incessant entre les passions de l’état de nature et les exigences de l’état de droit.

Avec le « Prince » on est donc entré dans une terre incognita et du reste Machiavel se compare à un « découvreur de terres et d’océans inconnus » empruntant une voie où le pousse son « désir naturel de faire des choses utiles à tous ».

Alors machiavélique le « Prince » ou réaliste comme le fut Louis XI qui présida à l’unification de la France, à la préservation du pouvoir et à l’émergence de l’Etat.

Et le peuple dans tout cela ? Machiavel ne le mentionne qu’indirectement pour définir la nature humaine par la peur, l’égoïsme, le désir et l’attitude que le Prince doit avoir à son égard car il le sait capable d’actes terribles. Aussi, répétons le, il doit soigner les apparences, maitriser la communication et expliquer clairement les évènements et ses dédisions car ses actions seront jugées par la foule.

 

Conclusion

Pour conclure cette étude, nous voudrions souligner que Machiavel est un jalon liminaire de  l’Etat moderne, que les circonstances l’amenèrent  à penser car il était soucieux de fonder l’unité nationale d’une Italie divisée et de préserver la seule république du pays à savoir celle de Florence.

Par ailleurs trop empiriste pour épouser l’idéalisme politique de Platon ; trop prudent pour laisser le pouvoir à l’église ; trop conscient de la dangerosité du « peuple » pour l’exclure du pouvoir et ainsi raviver ses tendances naturelles à la cruauté, la ruse, l’égoïsme, la vanité et la crainte ; connaissant aussi les aléas de fortuna mais les capacités de l’homme pour gouverner sa vie, Machiavel opte pour la réal politique de ce qui est et non pour l’éthique de ce qui devrait être préconisée par Platon et Saint Thomas.

Afin de parvenir à ces objectifs l’auteur opte pour une monarchie nationale et absolue à caractère mixte, c’est à dire pour un pouvoir qui aura pour fonction de faire respecter le droit et la paix civile.

Il n’est pas temps de déplorer ce qu’est l’homme ni de se demander comment le réformer, mais de savoir le gouverner en s’inspirant pour ce faire des exemples de l’antiquité gréco-latine qui sut à la fois inspirer un sentiment civique au peuple et générer des princes « virtueux » si ce n’est vertueux.

« Machiavel écrit ainsi le véritable inaugurateur de la modernité politique » (14) qui instaure la conquête  de l’autonomie, le rationalisme et la foi dans le progrès.

Machiavel est-il dès lors machiavélique, sans doute pas plus que Platon platonicien ou Descartes cartésien, méfions-nous des caricatures données pour des portraits qui déforment sans informer. On peut ne pas apprécier l’homme, on peut le juger arrogant ou au contraire compatir à son sort, peu importe, cela n’ôte rien à la qualité de ses analyses ni à la nécessité de son étude pour connaitre les origines de l’Etat moderne et des présidents qui l’ont dirigé et continuent de le faire à la façon d’un monarque républicain dont le Prince est le modèle. Reste à savoir si c’est le meilleur moyen d’obtenir la paix sociale. On sait que Monsieur Macron a commis un mémoire de fin d’étude sur Machiavel…

En tout cas avec Machiavel la créature de Dieu devient créateur de son histoire ; au fatalisme se substitue le volontarisme ; à la vérité révélée celle effectuelle. Exit la transcendance au profit des seules relations horizontales, l’homme ne se tient que de lui-même et du reste le piètre tableau de l’Eglise, les guerres de religion,  poussent à s’en méfier comme de sa morale de la faute, de la culpabilité, du mépris du monde, de l’humilité, de l’obéissance à la loi divine diamétralement opposés à la virtu dont le Prince doit faire preuve.

La politique ne relève plus dès lors ni de la morale, ni du divin. Nous en sommes les héritiers pour le meilleur et le pire.

 

ANASTASIA CHOPPLET

Conférencière et philosophe

 

 

(1) Lettres familières – Nicolas Machiavel à Ricciardo Becchi – 9 mars 1498 – Collection Bouquins

(2) Voir sur le blog conférence sur l’Humanisme

(3) Voir sur le blog conférence sur Giordano Bruno

(4) Premiers écrits politiques – Collection Bouquins

(5) Histoires florentines – 1520 - 1526

(6) Lettres en particulier d’août 99 à juillet 1500 p 37 – résumé de la situation (en note)

(7) Lettres T1 p 155-p 151 Rapport sur les choses faites par la République Florentine pour pacifier les factions dans Pistoïa

(8) Lettres T 1 p 169

(9) Lettres à partir de 1502

(10) Louis Althusser - Machiavel et nous – Texte Le goût de l’histoire – édition Tallandier - 2009

(11) Patrick Boucheron - Léonard et Machiavel –  Verdier poche 2008

(12) Voir la liste en annexe n° 1

(13) Voir annexe n° 2

(14) Le Point – Hors-série – septembre octobre 2008 page 36

 

Annexe n° 1

 1° Tout ce qui sert votre ennemi vous nuit ; tout ce qui lui nuit vous sert.

2° Celui-là aura le moins de dangers à courir et sera le plus fondé à espérer la victoire qui mettra le plus de soin à observer les desseins de l’ennemi et à exercer fréquemment son armée.

3° Ne menez jamais vos soldats au combat qu’après les avoir remplis de confiance, qu’après les avoir bien exercés et vous êtes assuré qu’ils sont sans crainte ; enfin, n’engagez jamais une action que lorsqu’ils ont l’espérance de vaincre.

4° Il vaut mieux triompher de son ennemi par la faim que par le fer ; le succès des armes dépend bien plus souvent de la fortune que du courage.

5° Les meilleures résolutions sont celles qu’on cache à l’ennemi, jusqu’au moment de les exécuter.

6° Un des plus grands avantages à la guerre est de connaître l’occasion et de savoir la saisir.

7° La nature fait peu de ravages : on les doit le plus souvent à l’éducation et à l’exercice.

8° La discipline vaut mieux à la guerre que l’impétuosité. 

9° Lorsque l’ennemi perd quelques-uns de ses partisans qui passent dans votre parti, c’est pour vous une grande conquête s’ils vous restent fidèles. Un homme qui déserte affaiblit bien plus une armée qu’un homme tué, quoique ce nom de transfuge le rende autant suspect à ses nouveaux amis qu’à ceux qu’il a quittés.

10° Quand on range une armée en bataille, il vaut mieux réserver des renforts derrière la première ligne que d’éparpiller ses soldats afin d’étendre son front.

11° Il est difficile de vaincre celui qui connaît bien ses forces et celles de l’ennemi.

12° A la guerre, le courage vaut mieux que la multitude ; mais ce qui vaut mieux encore, ce sont des postes avantageux.

13° Les choses nouvelles et imprévues épouvantent une armée ; mais, avec le temps et l’habitude, elle cesse de les craindre : il faut donc, lorsqu’on a un ennemi nouveau, y accoutumer ses troupes par de légères escarmouches avant d’engager une action générale. 

14° Poursuivre en désordre un ennemi en déroute, c’est vouloir changer sa victoire contre une défaite. 

15° Un général qui ne fait pas de grandes provisions de vivres sera vaincu sans coup férir.  

16° Il faut choisir son camp de bataille selon qu’on a plus de confiance en sa cavalerie ou en son infanterie.

17° Voulez-vous découvrir s’il y a quelque espion dans le camp ? Ordonnez à chaque soldat de se retirer à son quartier. 

18° Changez subitement de dispositions quand vous apercevrez que l’ennemi vous a pénétré.

19° Interrogez beaucoup de gens sur le parti que vous avez à prendre ; ne confiez qu’à très peu d’amis le parti que vous avez pris.

20° Que pendant la paix, la crainte et le châtiment soient le mobile du soldat ; pendant la guerre, que ce soit l’espérance et les récompenses.

21° Jamais un bon général ne risque une bataille si la nécessité ne l’y force, ou si l’occasion ne l’appelle.

22° Que l’ennemi ne sache jamais vos dispositions le jour du combat ; mais quelles qu’elles soient, que la première ligne puisse toujours rentrer dans la seconde et la troisième.    

23° Pendant le combat, si vous ne voulez pas jeter le désordre dans votre armée, ne donnez jamais à un bataillon un autre emploi que celui qui lui était d’abord destiné.

24° Contre les accidents imprévus, le remède est malaisé ; contre les accidents prévus, il est facile.

25° Des soldats, du fer, de l’argent et du pain ; voilà le nerf de la guerre : de ces quatre objets, les deux premiers sont les plus nécessaires, puisque avec des soldats et du fer on trouve du pain et de l’argent, tandis qu’avec de l’argent et du pain on ne trouve ni fer ni soldats.

26° Le riche désarmé est la récompense du soldat pauvre.

27° Accoutumez vos soldats à mépriser une nourriture délicate et de riches habits. 

 

Annexe n° 2                                                                                                                                                                           

Le « Prince » s’organise selon le plan suivant :

Epitre dédicatoire à Laurent de Médicis

I – Conquête du pouvoir (ch. 1 à XIV) : plan de la partie synthétisant toutes les formes du pouvoir. Choix de la branche la plus problématique

II à XIV : typologie des manières d’accéder au pouvoir (science politique pure)

II – Exercice et conservation du pouvoir et façon dont le Prince se comporte avec amis / ennemis

Chapitre XV : explicite la notion de vérité effectuelle

Chapitres XVI à XXIII : manuel de gouvernement à l’usage des princes légitimes ou non (ch. Les plus polémiques)

III – trois derniers chapitres : Machiavel en appelle à la virtu et à l’audace du Prince pour libérer l’Italie et assurer sa gloire

 

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