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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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12 février 2020

MEILHAC

MEILHAC ET HALEVY,  CREATEURS DU THEATRE BOUFFE (1)

 

20190807_L'été de la St Martin-04

Ces deux compères sont les témoins du succès du théâtre au XIXème siècle dont la production fut considérable. Ils furent à l’origine du théâtre-bouffe et collaborèrent du reste avec Offenbach. La diversité des formes théâtrales dont ils usent est prodigieuse. Dans « La Vie parisienne » se mêlent musique, chansons, chœur, dialogues. Dans les « Sonettes » où ne se rencontrent ni musique, ni chansons, ils optent par de longs monologues et des didascalies. Dans « l’Eté de la Saint Martin », le ton se fait grave pour un drame bourgeois. « Lolotte » repense le vaudeville. L’épouse a un amant qui lui-même a deux maîtresses. Par ailleurs la comédienne est le porte parole des auteurs en matière de théâtre.

 

1) Dimension sociale

 

Leurs vaudevilles mettent en scène les différentes classes sociales, bourgeois et aristocrates, petit peuple représenté par les domestiques ou comédiens. Ils ironisent sur le bourgeois qui s’encanaille ou qui prend ses préjugés pour des vérités. Ils déconstruisent leur morale bien pensante à l’égard des mariages arrangés qui torpillent l’amour ; enfin ils se livrent à une satire bonhomme sur la vie parisienne où tout n’est qu’apparence dont ils font quiproquos. Ainsi suffit-il de porter la livrée

de majordome pour l’être.

 

2)  - Dimension psycho- affective

 

En deçà du décorum des titres et fonctions qu’est ce qui fait agir l’homme ? Qu’est-ce l’homme si ce n’est un être de désir annulant toutes les différences sociales. On note ainsi que les domestiques et les maîtres  éprouvent les mêmes sentiments : colère, ressentiment, chagrin, amertume, indignation.

[Les sonnettes, comédie de Meilhac et Halévy : José Dupuis (Joseph) : dessin / de Draner]

Dans les « Sonettes » la domestique devient la maîtresse de sa maîtresse et lui explique comment rejoindre la chambre barricadée de son époux. 

« L’Eté de la Saint Martin » 

20190807_L'été de la St Martin-01

 

illustre la relation triangulaire indirectement mimétique de deux hommes, l’oncle et le neveu amoureux de la même femme. Pour vaincre la colère de son oncle dont il a refusé l’avantageux mariage arrangé, le neveu Noël et son épouse Adrienne imaginent de faire entrer celle-ci chez Briqueville, l’oncle, en tant que nièce de sa gouvernant Madame Lebreton afin que Briqueville tombe sous son charme et soit séduit. Par conséquent le neveu rend désirable sa femme  au point que Briqueville voudrait l’épouser. Mais le jeu va trop loin et l’illusion trop réussie  s’avère cruelle.

 

3) – Diverses formes de comique

 On rencontre tout d’abord le comique de farce sous la forme du quiproquo entre le mari, l’épouse, l’amant, puis le comique de situation.

Dans les « Sonettes », chacun est enfermé chez soi et seul un passage périlleux par le balcon donne accès aux chambres. Dans « Lolotte », c’est Croisille qui est enfermé dans le fumoir.

Le comique de parole est omniprésent et joue sur le sens propre et figuré.

Quant au comique de caractère il insiste sur la mauvaise foi, le mensonge, l’hypocrisie. Les auteurs critiquent-ils ou ont-ils de la tendresse pour ces faiblesses ;  pour ce manque de toute profondeur et de sens socio politique ; pour cette société faite d’arrivistes, cocottes, exempte de poètes,  intellectuels, artistes ? Mais sous la légèreté transparaissent de vraies questions.

 

4) – Statut de la femmeRésultat de recherche d'images pour "LA VIE PARISIENNE PAULINE"

Elle est certes définie comme légère, folâtre, intéressée, hypocrite, visant un statut social, un titre grâce aux aventures ou au mariage mais a-t-elle le choix ? Songeons dans  «La Vie parisienne », à la conversation entre Pauline et le baron suédois. Celle-ci assise à côté de lui tente de le séduire par maintes folies dont elle ne pense pas un mot, mais réduite au mariage arrangé dans une société où l’homme domine, privée d’éducation, obligée de valoriser son époux, la femme n’a d’autre choix que de séduire. « Cette jolie petite bête ravissante et inférieure » écrivait Meilhac.

Mais ce faisant elle a une arme redoutable dans l’usage duquel elle est passée maîtresse : la séduction. D’où un homme souvent ridicule, impuissant, implorant.

Certes la femme est séductrice mais aussi coquette, colérique, elle se venge par l’abstinence, elle repousse et attire, crée le désir avec l’impatience, joue des rôles inattendus. Fière et vulgaire elle déboussole l’homme jusqu’à ce qu’il soit à sa merci.

 5) – Réflexion philosophique sur le théâtre et le jeu théâtral

 Le théâtre est un espace imaginaire ou tout est possible l’on peut y être soi-même et un autre sans pour autant devenir autre. Ainsi «Lolotte » dont les réflexions s’inspirent du paradoxe du comédien  n’est pas son personnage elle joue à le paraître et tandis que la Baronne veut jouer pour une bonne œuvre « Lolotte »

20190726_Lolotte-01

 

joue parce que c’est son métier et qu’elle le fait bien. Le théâtre n’est pas un moyen au service d’une fin mais une fin en soi. 

 

 

 A) Théâtre au XIXème siècle

 Dans sa réponse au discours de réception d’Halévy (4/02/1886), Edouard Pailleron souligne la profusion des pièces et l’importance du théâtre  et il explique que « cela tient au fait que l’homme prend plaisir au mensonge charmant de la vie » car le théâtre est mensonge. « La vérité au théâtre mais tout y est arrangé. Il n’y a pas d’art sans artifice… ».

En paraphrasant Marx on pourrait dire que le théâtre est l’opium du peuple et c’est tant mieux.

Au théâtre poursuit-il « il n’y a ni préjugé, ni parti-pris, ni obscurité ». Inutile d’avoir fait des études, tout « s’y apprend », c’est flagrant. Chacun peut donc juger à partir de ses propres et seuls sentiments et de donner pour exemple les « Sonettes ».

Aussi ne peut-on reprocher aux auteurs leur légèreté car c’est l’essence même du théâtre.

Cependant si le théâtre n’était que cela pourquoi aurait-il souffert de la censure ? Dès l’Ancien régime le nombre de scènes autorisées est réglementé ; en 1791 la loi le Chapelier supprime la censure, rétablie par Napoléon Bonaparte en 1864.

En effet le théâtre est perçu comme une menace pour l’ordre public. Il démoralise le peuple, encourage la délinquance. Certes cela s’applique bien au théâtre de Victor Hugo mais pas de Meilhac et Halévy, quoique la satire de la religion (cf. anticléricalisme de la Belle Hélène) l’irrespect à l’égard de l’idée monarchique, la satire des gens haut placés (Duchesse de Gérolstein) se révèle chez les deux auteurs et à titre individuel chez Halévy. Ainsi celui-ci exprime-t-il dans l’ «Insurgé » son avis à propos de la guerre « Je commence à m’embrouiller moi, avec ces insurrections. Entre celles qui sont ou non des crimes. Je ne vois pas bien la différence… ». On pourrait en dire autant de « La famille Cardinal »  1870 ou de « L’Abbé Constantin » 1883 œuvres qu’il écrira sur le tard après avoir arrêté le théâtre. Ceci nous révèle un aspect très différent d’Halévy auquel Brunschvicg avait dédicacé son édition des « Pensées » de Pascal.

 

B)  Théâtre et société

 Dans « Lolotte » est évoqué le théâtre de société (donnée au profit des pauvres) mais aussi une critique de la pauvreté du contenu peut être lié à la démultiplication des pièces.

Le théâtre de société, encore nommé théâtre d’à côté, théâtre libre (Antoine) théâtre de salon, comédie de paravents,  confirme l’engouement pour le théâtre mais aussi le désir de pouvoir s’exprimer librement en dehors des théâtres officiels ; de pouvoir s’amuser et jouer en amateur voire d’exprimer des idées peu orthodoxes ; de rendre le théâtre accessible à tous  ; d’éviter la censure ; mais aussi de conserver la langue en sa beauté.

 On voit que les motivations sont multiples sans oublier les oeuvres de charité. Ce théâtre n’a pas de répertoire attitré, on peut reprendre des pièces existantes, en écrire, en pasticher, mais la règle est la brièveté. De même pas de lieu propre en tout cas pas destiné au théâtre ; on y joue dans des salons privés, des hôtels possédant un théâtre, une abbaye désaffectée telle que Royaumond, des cercles et associations sans par ailleurs de dates fixes  puisque les représentations sont ponctuelles. Décalé est donc ce théâtre y compris au niveau des comédiens rarement professionnels, souvent amateurs dont la distribution peut faire penser à celle du Bisse. C’est dire qu’il s’agit d’un théâtre libre qui dérange les catégories établies et certaines manies. L’amateur est roi, on s’improvise et en somme on refuse hiérarchie et autorité au nom du plaisir et peut-être de l’égalité. Pour preuve les femmes y trouvent enfin un lieu ou s’exprimer. Ce fut une femme, George Sand qui la première élabora cette éthique du théâtre.

 Mais le théâtre de société c’est aussi le creuset de nouvelles pièces qui y sont testées ; plus tard  avec Antoine et Stanilavski ce sera le lieu de nouvelles pratiques théâtrales dont la répétition devient une expression à part entière et aussi une éducation à l’écoute, au dialogue, à la sociabilité, au respect, à la gratuité en vue de l’accomplissement de soi. Enfin c’est aussi un lieu de formation pour de jeunes auteurs (théâtre d’élèves) (Cf. Antoine) ou dramaturges (Paul Fort) qui peuvent louer le lieu et qui payent à la hauteur du rôle qu’ils jouent. C’est de ce creuset d’idées qu’est né le théâtre libre et le Théâtre du Bisse où le directeur de la troupe est tour à tour metteur en scène, adaptateur et comédien, vagabondant dans des jardins, jouant ponctuellement et tendant un chapeau en guise de recette pour assurer sa maigre pitance.

Et pour clore on nous permettra de faire une loupe sur l’œuvre personnelle d’Halévy.

 

6) - Œuvres d’Halévy

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a) - « L’invasion »(2) est le journal de bord tenu du 21/07/70 AU 21/02/72 par l’auteur. Il s’agit de notes éparses le concernant directement ou pas. Il n’y manifeste pas de haine pour l’allemand au contraire. Le quotidien y est décrit comme très difficile (faim froid mort –p 20). Le style est journalistique fait de phrases dépouillées, de juxtapositions antithétiques (p17) lorsqu’il s’agit de décrire les désordres de l’exode et de l’armée. Mais il sait se faire poétique aussi ou très descriptif. La situation de l’auteur ne lui ôte pas son humour perceptible dans le cocasse des déguisements (p 133-134). Héroïsme et solidarité (p  134) caractérisent le soldat. Mais la guerre c’est l’expérience avant tout de l’absurde (p 160). Et l’auteur est peu amène pour les politiques (p 165 – 166).

 

b) -« La famille Cardinale » (3)

 La narration consiste à reprendre la même histoire à différentes époques et selon des points de vue diversifiés.

 1) 1870 Mme Cardinale raconte comment sa fille ayant accepté d’être la maîtresse d’un marquis toute la famille vit dans le même appartement la vie étant ponctuée par les disputes politiques du père républicain et anticlérical et du marquis, conservateur et catholique ; le repas du vendredi saint se clôt sur une terrible dispute.

 2) 1871 Mr Cardinale décrit son rôle pendant  la révolution. Révolutionnaire certes mais aussi propriétaire grâce au Marquis amant de sa de fille. Il appartient à la franc-maçonnerie qui est épinglée en passant (p 46 – 50 -52).

 3) Les petites Cardinale (1875). Mr et Mme Cardinale sont à la campagne, où Monsieur Cardinale s’occupe de politique, Virginie est mariée au marquis. Pauline est devenue une cocotte du grand monde.

Cinq ans plus tard, 1880, le narrateur récupère quarante lettres de Madame Cardinale dont il restitue quatre disant l’admiration de Mme Cardinale pour son époux (p 106).

 4) Pauline Cardinale  (1878) vient visiter ses parents mais elle se dispute avec son père. Geste théâtral de Mr Cardinale qui la renvoie (p 140- 142).

 5) Virginie Cardinale (1878) a trompé son époux, elle arrive chez ses parents. Discours de Mr Cardinale qui ressemble à celui  du« Préfet au champ ». La faute retombera sur le mari qui s’excusera.

 De ce roman nous retiendrons le caractère ironique qui fait songer à Flaubert et à Anatole France puisqu’il s’agit de gentiment épingler le caractère ridicule des ambitions de Mr Cardinale en matière de politique ce qui est sans doute une manière de fustiger les politiques de l’époque comme l’on fait Kaar, Scribe et leurs consoeurs.

 c) « L’Abbé Constantin » 1882 (4)

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On assiste à la réhabilitation de la vertu selon Pailleron. Le roman remporta un grand succès (trois cents éditions). On peut souligner le courage d’un roman moral en plein naturalisme et anticléricalisme. Mais c’est aussi un roman d’analyse psychologique de l’amour.

L’abbé Constantin c’est le portrait d’un homme bon,  à l’écoute, généreux, simple. Il est le parrain de Jean Raymond, orphelin très jeune, qui va tomber amoureux de l’une des deux nouvelles propriétaires, Bettina, du Château de Longueval. Mais elle est immensément riche et lui non, elle est noble, lui non, elle est courtisée et il n’ose se déclarer et c’est une valse hésitation, faite de scrupules et doutes, d’inquiétudes, d’attirances et de fuites qui ponctuent leur danse de séduction. L’écriture est fluide, la narration attachante même si en définitive il ne se passe apparemment rien de remarquable.

On lira avec plaisir la description du curé Longueval (p 7-8-10-110), avec émotion le départ de Jean alors que Bettina le voit s’éloigner au petit matin avec la troupe (p 227-236), avec intérêt la finesse de l’analyse des scrupules de Jean se confiant au curé (p 255 – 258), avec admiration la demande en mariage que Bettina adresse à Jean (p 269 – 270).

 

Ainsi se clôt ce rapide tour d’horizon du théâtre de société à une époque où il est l’affaire de tous et le lieu d ‘expression de chacun.

 

 

 

20190726_Lolotte-04

 

ANASTASIA SOLANGE CHOPPLET

Philosophe et conférencière

 

(1) Pour la présentation de leur vie et œuvres on se reportera à Edouard Pailleron – « Discours de réception à l ‘Académie française au siège de Halévy »

(2) « L’insurgé »

(3) « La famille Cardinale »

(4) « L’abbé Constantin »

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