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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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11 février 2020

LE SONGE D'UNE NUIT D’ÉTÉ

LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE (1)

A midsummer night dream, pièce de Shakespeare

1594 – 1596

  Shakespeare – 1564 – 1616

 

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Introduction

 a) Le « Songe » est un épithalame, c’est-à-dire une pièce écrite à l’occasion d’un mariage courant à l’époque élisabéthaine (Elisabeth I). Il l’est à double titre puisque la pièce jouée par les comédiens « Pyrame et Thisbé » est elle-même un épithalame en l’honneur de Thésée et Hippolyta. Il s’agit d’une comédie, qui en tant que telle se termine bien. Elle s’inscrit dans le registre comique sur un sujet convenu, les amours contrariées, en y mêlant des éléments merveilleux, des références mythiques (cf. Ovide Apulée) et contemporaines à caractère social (pouvoir politique – mariage forcé : classes sociales (roi – aristocratie –peuple). Elle dépasse ainsi le cadre de la farce grâce à une réflexion philosophique sur le désir, l’amour, la mort.

 b) Problématisation

Disons d’emblée que la thèse de Shakespeare à propos de l’amour est qu’il est irrationnel. Il s’origine dans un désir physique, animal aux multiples visages. Pareil à Protée, il peut se faire tendre, violent, emprunter des visages humains ou animaux (cf. Bottom en âne). Il est imprévisible et inconstant. « L’amour est enfant de bohème, il n’a jamais connu de lois » (Bizet - « Carmen »). Et comme il est aveugle, il prête à l’objet convoité la beauté que lui confère le désir de l’amant.

Dans « Macbeth », Shakespeare fait dire à son personnage « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ». Le « Songe » peut être conçu comme une illustration de ce propos.

Le caractère irrationnel de l’amour apparait de façon récurrente. A l’acte I, la fille d’Egée  a été ensorcelée par Lysandre ;  Cupidon est un enfant aveugle et irresponsable. L’inconstance est bien l’une de ses marques. La raison est impuissante face à lui. Les couples sont ensorcelés par le philtre d’Oberon ; le coup de foudre au réveil des amants est un pur hasard ; les choix sont incompréhensibles et monstrueux. Titania- Bottom (en quoi Titania fait penser à Pasiphaé amoureuse du Taureau blanc). L’amour ne connait pas de lois, pareil à Poros, son père, tous les moyens lui sont bons y compris le viol ou du moins le harcèlement (Lysandre – Hermia ; Héléna poursuivant Démétrius) pour arriver à ses fins. Le désir dans son animalité immédiate est l’antithèse de l’idéalisme de Pétrarque et de Platon. Ici point d’absolu, ni de contemplation, ni d’initiation comme il s’en rencontre dans le « Banquet » de Platon (2). Shakespeare les tourne en dérision en leur substituant une attirance pour le vil, le sale, le laid.

 

Un certain nombre de questions s’imposent à la lecture du texte :

- que peut la raison face à la passion ?

- loi de la cité, loi de l’amour sont-elles compatibles ?

- l’amour n’est-il qu’une comédie prise au sérieux ?

- la vie elle-même n’est-elle qu’une farce ?

- y a-t-il une vérité de l’amour face à l’illusion du désir ?

- peut-on tenir un discours vrai sur l’amour ?

- le « Songe » est-il spontané et innocent ou bien obéit-il à des lois ? 

 

I – Structuration de la pièce

Bien que l’amour soit anomique, la pièce elle,  ne l’est pas quoiqu’au premier abord elle suive des circonvolutions pareilles à un labyrinthe où se perdre. En cela il y a une analogie structurelle entre le fond et la forme. Les structurations de la pièce sont d’ordre : narratif ; social ; métaphysique ; dialogique ; mimétique ; spatiotemporel.

 a) Schéma narratif : il comprend une scène initiale : le mariage ; un élément perturbateur ; Egée menace sa fille de mort si elle n’épouse par Démétrius, des péripéties : fuite dans la forêt, philtre d’amour, interventions des elfes ; un dénouement : les trois mariages : une scène finale.

b) Structuration sociale : Roi// sujets ; père // fille ; aristocratie // peuple.

c) Distinction monde sublumaire terrestre / supralunaire.

d) Symétrie de scènes et des échanges : Hermia Démétrius, Hermia Lysandre Helena Démétrius, Démétrius Hermia Lysandre Hélena Démétrius, Helena Lysandre.

e) Désir mimétique : chaque protagoniste est agi par le désir de l’objet que convoite son modèle ou son rival. Ainsi Héléna convoite-t-elle Démétrius fiancé d’Hermia ; Lysandre s’intéresse à Hermia fiancée de Démétrius ; puis à Héléna à son tour convoitée par Démétrius ; quant à Démétrius il jette son dévolu sur Hermia amante de Lysandre puis sur Héléna lorsqu’elle est aimée par Lysandre.

f) Quatre espaces scéniques mais pas de repères spatio- temporels précis : la cour, la forêt, le monde invisible, et une mise en abyme rêve dans le rêve théâtre dans le théâtre.

Quant à la temporalité, midsumer correspond à la fête de la Saint Jean au solstice d’été, mais en fait Shakespeare la situe en mai (IV.1). il s’agit du May Day, fête durant laquelle garçons et filles vont chanter et danser dans les bois selon d’anciens rites païens analogues au carnaval. Là tout est inversé, tout est permis avant de rentrer dans l’ordre.

 II – Les personnages

 Vingt et un au total : quatorze humains, trois non humains, elfes, quatre elfes végétaux / animaux.

Il est frappant de noter que les personnages du « Songe » sont à la fois individués et indifférenciés ou du moins qu’un certain nombre passe par une phrase d’indifférenciation lors de leur passage dans la forêt.

Au sommet d’une hiérarchie tripartite se situent ceux qui incarnent l’autorité. D’une part Thésée, le roi homologue du héros grec qui vainquit le minotaure, abandonna Ariane puis épousa Phèdre et fut roi d’Athènes. Il incarne l’ordre, l’autorité, les valeurs sociales et politiques. D’autre part Egée homologue de Thésée sur le plan familial qui veut imposer son autorité à la capricieuse Hermia, sa fille fiancée à Démétrius mais amoureuse de Lysandre. Thésée est aussi le futur époux d’Hippolyta, reine des mythiques amazones, qu’il a conquis par la force  et si celle-ci peut sembler effacée, elle a des intuitions bien plus profondes que son soldat de mari.

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Alter ego dans le monde invisible ou supralunaire de Thésée, Oberon, roi des Elfes et des Fées, ordonnateur des amours, magicien qui ne cesse de se disputer avec Titania son épouse à propos d’un enfant dont il voudrait faire son page et qu’elle a adopté à la suite de la mort de la mère de celui-ci. On a là une simple et parfaite illustration du triangle mimétique. Oberon désire l’enfant parce que sa femme l’aime. En outre Titania incarne à la fois la sensualité, la poésie, la fusion avec la nature ce qui est une sorte d’âge d’or, mais aussi la monstruosité de la zoophilie. Enfin elle est l’image même de la maternité inscrite dans le paganisme du rite de mai et de la Saint Jean. Une mention spéciale doit être faite pour Puck le hobgobelin (gobelin sautillant) qui est le bras droit d’Oberon et grand ordonnateur gaffeur de ses désirs, sorte de Daïmon en tant qu’esprit d’interférence intermédiaire entre les Dieux et les hommes, tenant du lutin malicieux, Robin good fellow, et du diablotin qui s’amuse des humains en leur jouant des tours, il incarne l’esprit même du théâtre et c’est à lui du reste que revient le dernier mot sur l’illusion théâtrale et la vie comme illusion. Il introduit en effet de l’inattendu, du hasard dans le monde et son nom n’est pas sans le rappeler (Puck – Luck). Il rend l’amour irrationnel, improbable, dangereux mais évite toujours la fin tragique en corrigeant in extremis ses bourdes. Il favorise le triangle mimétique dont il est l’ordonnateur par l’intermédiaire du philtre d’amour. Il incarne de l’amour, le caractère insaisissable par ses métamorphoses. Sa fonction principale est donc celle d’un catalyseur favorisant les relations amoureuses dont il est le tiers exclu.

Puis viennent la classe moyenne, les jeunes athéniens formant deux couples et huit combinaisons qui incarnent différents aspects de l’amour et de ses effets : passion, folie, inconstance, joie, mélancolie,  douleur. Chacun explore différentes possibilités selon des schémas où les personnalités qui tendent à se confondre en s’identifiant à un modèle. Ainsi Démétrius fiancé éconduit d’Hermia convoite d’autant plus celle-ci qu’elle l’est par Lysandre et lorsque celui-ci s’éprendra d’Hélèna il en fera de même ; et vice-versa Lysandre s’éprendra d’Hélèna éconduite par Démétrius puis à nouveau convoitée par lui ; quant aux deux femmes bien que fort différentes physiquement, elles sont comme deux miroirs réfléchissant et leur haine est proportionnelle à leur fusionnelle amitié de jadis. Ainsi Hélèna convoite-t-elle le fiancé d’Hermia,  Démétrius, en vertu du fait que celle-ci est son modèle et que donc tout ce qu’elle désire est nécessairement bel et bon. Ainsi dans ce jeu de chaises tournantes chacun fait l’expérience de l’altérité puisqu’il est à la fois même et autre, autre que l’autre mais aussi autre que lui-même et ce n’est qu’une fois cette expérience faite qu’il pourra accéder à une identité choisie et à des amours réciproques. En attendant il aura fallu faire l’expérience de la violence, de la haine, de la tentation, du viol, du meurtre, du suicide, mais aussi de la folie amoureuse, de l’aliénation (les personnages ne s’appartiennent plus).

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Enfin nous avons la troupe improvisée des comédiens ou clowns (rustres) aussi maladroits que pleins de bonne volonté ; mais aussi de craintes, superstitions, scrupules qui incarnent l’esprit du peuple, sa grivoiserie, sa simplicité. Mais il faut aussi sans doute y voir un clin d’oeil de Shakespeare à la difficulté de gérer une troupe de comédiens où l’on se dispute les rôles, se chamaille, renâcle à jouer comme le directeur le demande…

Une mention particulière là aussi doit être octroyée à Bottom, intermédiaire lui aussi, à l’instar de Puck, puisque ses amours involontaires avec Titania le font participer au monde invisible des Elfes et Fées qu’il est le seul à voir de sorte que comme l’amoureux le fou et le poète (ce qu’il cristallise), il fait figure d’aliéné, voire de monstre aux yeux de ses camarades. Mais il est aussi l’être ambigu qu’ incarne la mirth jusqu’à la grivoiserie et le caractère illimité de l’amour jusqu’à l’animalité.

En termes psychanalytiques il est une figure du désir refoulé que Titania projette sur lui mais sans qu’il y ait là aucune culpabilité. Seul le regard des autres porté sur lui en fait un monstre ; aux yeux de l’amour il est beau et bon. L’amour ne rend-il pas aveugle ?

 III – Les mythes

 Les mythes jouent un rôle fondateur dans la pièce en lui offrant un ancrage archaïque qui lui confère son universalité. Résultat de recherche d'images pour "IMAGE OVIDE"

En l’occurrence, c’est principalement Ovide qui est convoqué avec le mythe de « Pyrame et Thisbé » mis en scène par les comédiens et répété à deux reprises (ville et forêt). On pourrait, du même Ovide, citer aussi  « L’art d’aimer » où il donne des conseils de séduction, propose des stratégies, se prononce sur l’inconstance… Par ailleurs c’est l’esprit même d’Ovide qui est convoqué qui mêle fantastique, fluidité, quête d’identité et folie baroque, mais aussi la capacité de la poésie à révéler le sens du monde.

Shakespeare convoque par ailleurs Apulée  et son « Ane d’or » ou les «  Métamorphoses ».  Il y est question des tribulations de Lucius changé en âne pour avoir voulu pénétrer les secrets de la magie mais qui d’épreuves en épreuves parvient à se purifier pour devenir un homme illuminé.

Personnellement j’ajouterai à titre d’inspiration « le Songe de Poliphile » de Colonna (1467) paru en 1499 qui narre  la quête de Poliphile à la recherche de sa bien aimée, ce qui le mène dans une forêt où il s’endort et rêve d’un monde merveilleux où il rencontre des êtres extraordinaires, monstres, faunes, dieux et déesses, nymphes. Il y épouse Polia sa bien-aimée, mais se réveille pour constater que ce n’était qu’un songe. Enfin bien que la pièce de Calderon « La vida es sueno » ait été écrite en 1636, on y rencontre encore cette réflexion d’ordre ontologique sur l’être.

Comme le dit Sigismond « j’ai eu pour maître un songe ». Le songe est donc pédagogue, il conduit l’infant.

Cependant Shakespeare ne tombe pas dans le tragique. Il ridiculise l’amour fatal de « Pyrame et Thisbée » par sa mise en scène comique. Par exemple la scène du mur prend des allures obscènes  lorsque Bottom interprétant Pyrame arrive sur le lieu présumé ou Thisbé a été dévorée par un lion il substitue « déflorée »  à « dévorée ». La tragédie devient, au gré des nécessités sociales une parodie car il s’agit de ne pas faire peur aux dames. Shakespeare s’amuse avec les mythes, il les inverse, ainsi Apollon poursuivant Daphné, s’inverse-t-il en Hélène poursuivant Démétrius.

Exit la composante tragique des amours humaines c’est de mirth (gaieté) dont il est question.

 IV – Différents types de rire

 Dans le « Songe », le comique le plus direct, simple, voire farcesque. Il est incarné par les comédiens –artisans,  qui veulent offrir à Thésée et Hippolyta une tragédie or ils sont loin d’être à la hauteur. Tout en eux jusqu’à leur nom (Bottom = cul – Quinéee = coin – Flute : réparateur de soufflet – Snug = coquet – Starveling = affamé) et leur langage dénotent un écart comparé à la tragédie. Ils jouent sur les différents registres du comique d’action (leur fuite) de parole, de caractère (peur de déplaire) de situation. En quoi ce traitement est aussi une parodie du théâtre ramené, comme les mythes, à une illusion. Pendant de Bottom, Puck, le lutin  ne cesse de jouer des tours aux humains, il multiplie les gaffes (le philtre), et cerise sur le gâteau,  l’invraisemblable métamorphose de Bottom en âne. Shakespeare déploie toutes les possibilités de la rhétorique qui va de l’oxymore « drôlerie historique » (drôlerie très tragique) aux antithèses, antiphrases et jeux de mots ( ass / âne ; arse : cul) cod (braguette) devenant  piece of cod  (morceau de morue – rappel des ravages physiques de la syphilis).

Le rire se fait donc grivois (fente du mur) lorsqu’il s’agit d’évoquer la sexualité  (dévoration / défloraison de Thisbé). Et Thésée de conclure : « Chers amis, au lit ». Ce qui n’est pas sans rappeler la Vénus vulgaire.

Chez Shakespeare pas de Vénus Céleste si ce n’est pour moquer l’illusion idéalisme de Pétrarque et du théâtre tragique.

C’est en effet l’esprit de gaité qui règne ici et même la pièce jouée est rappelons-le  « d’une drôlerie très tragique ». Notons que cette mise en abyme renforce le caractère merveilleux et labyrinthique de cette pièce où l’on perd ses repères à l’instar des amoureux.

Mais comme le conclut Puck tout cela n’est qu’un rêve. En quoi on peut se demander alors si l’amour n’est pas aussi qu’une illusion comique à l’instar du monde lui-même.

 V – Esthétique du « Songe »

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Celle de Shakespeare est maniériste puisqu’il mêle fantaisie, féérie, artifice.

Le Maniérisme  (1520 – 1620) s’étend alors à toute l’Europe occidentale concerne tous les arts (littérature, musique, peinture). L’imagination y règne en maître, les auteurs puisent leur sujet dans la mythologie. Les dieux y côtoient les hommes. Illusions et métamorphoses s’y succèdent et l’espace y est démultiplié grâce aux mises en abyme. Il s’agit  d’étonner le spectateur comme on peut l’être devant une perle baroque, grâce aux situations et au mélange des styles et jeux de mots.

Cette esthétique induit une vision du monde où tout est passage, transformation, mouvement, où rien ne meurt mais où tout se transforme, sans qu’il y ait place pour le vide, mais où par conséquent on ne peut assigner une essence aux choses, en l’occurrence à l’amour, ni aux êtres. A la question de Platon « Qu’est-ce que l’amour ? » Shakespeare substitue un discours troublant et instable dont la principale figure est l’oxymore qui renvoie à l’impossibilité de définir son objet. Dans ces conditions quelle valeur prêter au discours sur /de/ l’amour. Les amoureux ne cessent de se faire des serments sitôt trahis. Démétrius qui fuyait Héléna la nomme sa déesse en une comparaison qui lui ôte toute valeur « A quoi comparer tes yeux ? Le cristal même est boueux ». En ce cens les hyperboles pétraquistes sont ridiculisées d’autant qu’elles alternent avec des chapelets d’insultes : « Va-t-en, naine » / « minuscule avorton » /. De même les comparaisons banales et éculées, Thisbé évoque le teint blanc de Pyrame comme Lys.

 VI – La mort

 Et pourtant dans cet univers où tout semble relever  et exalter le mirth (3) : la mort est omniprésente au point où l’amour semble bien en être le contrepoison.

La mélancolie y est incarnée par la lune « pâle de colère » devant la colère de Tatiana et Obéron.

Les amants se déchirent, souhaitent leur mort mutuelle. Hermia convaincue que Démétrius a tué Lysandre lui demande de l’exécuter. Pyrame et Thisbé se suicident même si les spectateurs rient de la représentation. La mort et le rire ne sont jamais loin (cf. Danse macabre) et l’amour semble en être le médiateur. Les comédiens craignent aussi pour leur vie s’ils jouent mal « That woult hang us ».La pièce du reste commence par la menace de mort d’Egée à sa fille. Les amies d’hier deviennent les ennemies d’aujourd’hui, et si Puck n’intervenait pas, Lysandre et Démétrius s’entretueraient. Le rire se fait méchant et laisse transparaître la malveillance diabolique des hommes. A cela Shakespeare oppose « a mimble mirth » une gaieté bondissante, le terme est du reste répété à l’envi. Mais cette joie va plus loin qu’une ponctuelle réjouissance puisque Bottom et les autres personnages ont touché à une sur-réalité « étrange et admirable ». Dès lors la pièce prend une dimension métaphysique est la mirth est l’expression de l’harmonie universelle retrouvée.  «Tout sera paix » concluent Oberon et Puck. Il est donc question de s’évader de ce monde désordonné et en folie en deçà et au delà duquel est la vraie réalité. L’amour en serait-il le bref médiateur ? L’amour serait-il ce pouvoir mystérieux et supérieur transcendant,  guérissant tous les désaccords et s’avérant plus fort que la mort ?

 VII – Dimension cosmique

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La folie qui s’empare des amants n’a pas qu’une dimension humaine, elle est aussi cosmique. Ainsi les disputes d’Oberon et Tatiana engendrent-ils des fléaux naturels « forgery of jealousy ». De même la désobéissance d’Hermia a des répercussions sociales et politiques mettant en danger l’ordre. Selon la correspondance du microcosme et du macrocosme, les dérèglements de l’homme génèrent ceux de la nature. Ce n’est qu’au sortir de la forêt, de la folie, que l’ordre sera restauré par Thésée et Oberon. L’ordre qui aux dires d’Eryximaque est le signe de la santé, alors que le désordre est celui de la maladie.

Est-ce à dire que l’amour est une maladie ? Certes  lorsqu’il se fait folie. Et Thésée de conclure par son mariage et ceux des jeunes gens, afin que soit préservée la vie contre la mort grâce à l’enfantement béni par les fées. Car l’amour ne vise pas autre chose que l’enfantement qu’il s’agisse de celui des corps ou de celui des âmes dont Shakespeare se dit l’accoucheur.

 VIII – La forêt – Les éléments naturels (la lune)

 La forêt est tout à la fois une zone de non droit, lieu de fuite, refuge, poursuite, un cadre spatial physique indéterminé, où l’on perd ses repères, un labyrinthe inquiétant. Sur le plan symbolique c’est un espace irrationnel propre à l’errance et  à l’anomïe, libre, fantastique, merveilleux où tout est possible pour le meilleur et le pire. Au regard des Elfes, c’est une utopie, au regard des hommes une dystopie lieu de tous les dangers et désordres. C’est pourquoi il est le monde à l’envers où les femmes poursuivent les hommes où l’objet aimé devient objet de haine, il incarne la part d’ombre de la psyché. Chacun du reste s’y découvre double. Titania , reine des Elfes désire un âne, Lysandre convoite Hermia et répudie Héléna, Démétrius se détourne d’Hermia pour Héléna, Hermia la convoitée devient l’étrangère, quant à Bottom le clown, il devient l’aimé de la reine des Elfes. C’est bien le monde à l’envers, analogon du carnaval.

Sur le plan psychologique elle est l’image de l’inconscient dont le rêve est la voie royale. Du reste l’histoire se passe nuitamment sous les auspices de la lune. Comme l’inconscient psychique, la forêt est atopos, achronos, propice à des rêves et des fantasmes élaborés selon les processus de déplacement et condensation incarnés  par des métamorphoses exprimées en métaphores.

La forêt est donc le lieu du refoulé mais aussi sur un plan anagogique, la mise à l’épreuve de l’individu, un parcours initiatique où il s’agit de trouver la sortie du labyrinthe des mots  et des illusions végétales et sonores créées par Puck. A ce propos on peut songer à Hypnotomachia de Polyphile de Colonna « Le combat d’amour en songe ». A la forêt et à la nuit est associée la lune qui dans la tradition ésotérique est le symbole de la psyché humaine.

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Elle représente tout à tour l’inconstance amoureuses elle apparait puis disparait ; la chasteté, elle est un attribut de la déesse vierge Diane et de ce fait est liée à la virginité qu’Hermia défend ; les cycles féminin et la maternité, Titania en est la prêtresse ; mais elle est aussi associée à la mélancolie et du reste Héléna en présente tous les symptômes et la fleur magique est elle-même nommée love in idleness or l’oisiveté est associée à la mélancolie. Mais la lune prend aussi des allures menaçantes lorsqu’elle est associée à Hécate divinité infernale : à Diane via Hippolyta reine des Amazones et à Proserpine enchainée aux Enfers.

Enfin la lune est selon le caractère parodique de la pièce défigurée par les comédiens dont le discours ampoulé en énumère les insipides et conventionnels attributs la réduisant à un accessoire de théâtre.

 IX – Le songe – Le rêve

 Nous nous sommes déjà expliqué sur la différence entre songe et rêve du moins en français car elle ne semble pas apparaitre en anglais. Toutefois nous en tiendrons compte.

Depuis la plus haute antiquité, le songe est le véhicule des messages envoyés par les Dieux aux hommes, ce dont on a la trace avec « Le Songe » dans lequel le philtre d’Oberon plonge les protagonistes ; mais il est aussi synonyme de fantasme et de fantaisie, il prend alors le sens de vision  et devient une production de l’imagination déformante c’est pourquoi la fantaisie débouche sur le fantasme et le rêve. Le seul véritable rêve de la pièce est celui d’Hermia  qui est prémonitoire ou plutôt exprime l’angoisse d’Hermia qui sera effectivement abandonnée par Lysandre.

Mais le rêve est aussi la métaphore de la vie et le théâtre étant lui-même celle de la vie, il est le lieu par excellence de productions fantasmées réduisant la vie à une illusion et l’homme à l’ombre d’un rêve.

Au sens figuré le rêve c’est aussi l’expression des désirs « I had a dream ». Il se fait alors diurne mais impulse l’énergie nécessaire à réaliser des utopies de sorte que loin d’être une illusion il devient réalité à l’instar des rêves d’amour que les jeunes gens finissent par réaliser par leur mariage.

Enfin le rêve est propice à véhiculer une ontologie du passage, du devenir, du mouvement, de la transformation, de l’instabilité, de l’inachevé, à contrario de celle promue par Diotime, du moins pour ceux qui effectuent l’ascension dialectique et reconnaissent en l’amour l’élan nécessaire vers l’intelligible.

 X – L’amour

 S’il est bien un point sur lequel insiste Shakespeare c’est que l’amour est ou peut être irrationnel, imprévisible. C’est une folie  dont les Dieux touchent les hommes devenant pour lors  en-thousiastes. Il inspire le raphsode qui l’invoque en la personne de la muse qui l’emporte. C’est dire que l’amour rend son objet passif. Mais cette servitude est-elle involontaire ou volontaire ? Cette folie relève-t-elle d’un délire divin ou des fantaisies aveuglantes de l’imagination ? Faut-il écouter l’élan amoureux ou s’en méfier ? Peut-on le maitriser ? Est-il spontané ou déclenché par quelque désir mimétique ? Comment peut-il à la fois stimuler l’individu dans une quête contemplative de l’absolu et l’asservir à d’obscurs désirs ? Comment peut-il  générer la joie, la tendresse, la douceur, d’éternels serments et au contraire faire de la vie un enfer ? Est-il dans sa nature d’être poison et remède ou bien cela relève-t-il de la façon dont on le vit ? C’est du reste en ces termes que le décrit Héléna. Il nous rend malheureux, insatisfait, réactif, méprisant et peut susciter la haine envers soi- même au point de vouloir devenir autre que soi-même.

Pourtant pas de bonheur sans amour et qui ne connait pas la passion connait le malheur de ne pas vivre.

Mais l’amour est-il le but essentiel de l’existence la voie privilégiée d’accès au bonheur ?

 S’il ne tombe dans la passivité, l’illusion, le fantasme, l’amour est donc une force en marche, force transcendante qui fait dire à Hermia « Je ne sais qu’elle force me rend téméraire ». Force agrégeante qui malgré thanatos guérit tous les désaccords. En ce sens le mythe de l’androgyne touche à l’essentiel en explicitant l’origine de l’amour par le besoin de reconstituer l’unité perdue. Aussi la force de l’amour tient-elle paradoxalement à son manque originel et du reste philein ne définit pas l’amour par la prise mais la quête sans fin.

La question essentielle est de savoir de quoi l’amour est-il le désir ? On répond communément qu’il est désir du beau. Dans le « Songe » la beauté est un leurre que l’on peut facilement perdre ou conférer à un objet laid tel Bottom – l’âne. La beauté n’est pas en l’occurrence un en soi, elle est relative au regard et à l’imagination de celui qui la voit ou ne la voit plus. C’est le désir qui rend la chose belle autant que la beauté stimule le désir comme aspiration de l’âme à son lieu originel. Le désir est pour Shakespeare subjectif, relatif, réversible, et peut même être désir de laideur.

Ajoutons que l’élément déclencheur est le regard. Ainsi Héléna jalouse-t-elle la beauté du regard d’Hermia ; c’est le suc de fleur déposé sur les paupières des amoureux qui change leur regard ; quant à Titania elle est captivée par la beauté de l’âne. Du reste le coup de foudre intervient at first sight.

Mais le coup de foudre n’est-il pas un leurre ? C’est la thèse que soutient René Girard « Dans les feux de l’envie ».Résultat de recherche d'images pour "PHOTO DE RENE GIRARD"

Il soutient en effet que le désir a pour origine le mimétisme d’un modèle envié.

Héléna offre l’exemple le plus parfait du désir mimétique révélant que le désir est toujours désir d’être et en l’occurrence Héléna voudrait être Hermia, c’est pourquoi elle désire l’objet du désir d’Hermia mais plus encore l’objet du désir c’est le modèle lui-même. Héléna voudrait être contaminée par son modèle.

Nous avons ci-dessus appliqué cette thèse à la pièce qui montre nul ne parvient à vivre l’amour dans la réciprocité de sorte qu’on assiste à une guerre des désirs.

Paradoxalement tout objet consentant est rejeté et vice versa. L’emploi des oxymores dit bien l’ambivalence à l’égard du modèle tour à tour adulé et exécré comme obstacle. Dans cette logique tout se dégrade et sombre dans l’indifférenciation et l’animalité. Le désir mimétique génère un monde inversé déstabilise tous les rapports, désintègre les personnalités et les mène à leur perte. Il ne s’agit pas d’être soi mais d’être transfiguré, transféré, traduit (translated) en l’autre.

Le désir mimétique, parce qu’il est tel, mène à la perte. Monstre et marionnette à la fois l’amant est le jouet de son aimé.

Finalement l’amant sombre dans l’indifférenciation n’ayant su de son désir faire un principe d’individualisation faute de savoir s’aimer et attendant tout du désir de l’autre pour se sentir désirable.

En conséquence la perte des différences et le dédoublement hostile conclut Girard, sont les épreuves à subir dans la construction de l’identité et les risques possible que génère le désir.

On est tenu ou bien de désirer volontairement ce qu’un médiateur patenté et raisonnable désire pour soi, ou bien on croit désirer librement ce que le mécanisme mimétique choisit. L’erreur est de tenter (croire) de se singulariser par la voie mimétique.

On l’aura compris Shakespeare se livre donc à une déconstruction des illusions de l’amour et de conclure prudemment en laissant l’avant dernier mot à Thésée  alors que le dernier l’est à Hippolyta. 

En tout cas qu’il génère songe, illusion, brouillard, l’amour est une énigme aux dires de Diotime, un pouvoir mystérieux ou une magie supérieure qui nous renseigne plus sur ce qu’est l’homme que sur lui-même.

  

Conclusion

 Qu’avons-nous appris sur l’homme ?

Tout d’abord qu’il est un être sexué et que cette sexualité ouvre sur l’altérité de l’autre et de lui-même

Qu’il est un être de désir, c’est- à- dire de manque et qu’il ne suffit pas à soi

Qu’en conséquence il aspire à recouvrer son intégrité originelle

Mais qu’il peut se fourvoyer dans ses cibles et ses méthodes

Que son désir est d’autant plus ardent que l’homme se sait mortel et qu’il tente d’y échapper par l’enfantement

Que faute de vivre notre vie nous la rêvons et nous condamnons à des réveils douloureux

Que l’amour tout à la fois guérit et empoisonne

Que sous sommes agis par des forces dont nous ignorons l’origine

Que notre raison est limitée face à l’amour mais que l’homme être de culture et de sublimation peut par l’art et la contemplation faire de l’amour une force créatrice.

 L’amour s’avère le moteur de l’Histoire humaine tout comme celui des histoires qu’imagine le poète.

 

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ANASTASIA SOLANGE CHOPPLET

Philosophe et conférenière

 

(1) Ce texte a été l’objet d’un cours pour la préparation aux concours ATS des écoles d’ingénieurs.

(2) Voir cours sur le blog

(3) Michaël Edwards – « Shakespeare ou la comédie de l’émerveillement » - Desclée de Brouwer - 2003

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