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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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6 novembre 2019

Il ETAIT UNE FOI(S) AU DESERT

Il était une Foi(s) au désert.

 

 

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Table des matières. 

                                                                                 

Introduction.                                                                                              

 

I - les déserts: le cadre géographique. 

 

II -  La traversée des déserts.                                                                                                                                                                

III  - L'espace des rencontres.                                                                  

                                                                                 

Conclusion                                                                                                  

 

Introduction

 

Que dire d'un lieu qui par définition semble échapper à toute prise? Ni le regard ne l'enveloppe, ni le temps ne l'enserre, la vie y est rare, éphémère et craintive, l'homme humble face à l'immensité austère y passe soumis aux lois que le lieu impose, l'imagination s'y complaît et l'esprit pourtant s'y retrouve. Tour à tour uniformité principielle et indifférenciée, étendue superficielle sous laquelle gît la réalité, lieu de règne de Dieu, il se fait miroir de toutes nos projections et révèle plus l'homme à lui-même que le désert à notre savoir. I! fit entendre l'écho de l'appel de YHWH ; devint refuge contre Pharaon et plus tard les nations ; il accueillit dans la pureté de son aridité le mépris du monde ; mais se referma comme un piège sur le murmure des incrédules "à la nuque raide" ; il fut, il est encore, l'épreuve qui fait triompher l'homme de ses tentations solipcistes pour l'ouvrir à l'altérité. À la conception négative de l'epnuos défini comme vide, dépourvu de tout, dépeuplé, hostile (1) la tradition juive bien qu'elle conserve cette connotation s'en démarque comme l'indique l'étymologie hébraïque. En effet le terme Midbar, désert, est construit sur la racine DBR, parole, que l'on retrouve dans Dabar, acte de parole, et dans aSSeReT HaddibbeRoT, les dix paroles. Cette racine est elle-même réductible à BR, qui se rencontre dans BeRid, genèse, création, ensemble des processus génésiaques. La parole est donc DaVaR c'est à dire créatrice et elle s'approche , au lieu de rencontre, le Midbar, vers Moïse, le pasteur, le Roé TSoN, celui qui mène un troupeau de nouveau-nés dans le désert ! Loin d'être silence le désert est parole, mais quelle parole? Celle de la genèse, celle du Dieu créateur qui fait passer du non-être à l'être. MOCHE enseignera à Israël à être avec Yhwh dans le désert tout comme Il est avec son peuple qu'il aime, délivre, auquel Il a promis une fidélité indéfectible, auquel Il a offert l'Alliance qui le fera naître à lui-même et à sa responsabilité vis à vis des nations. Les prophètes reviendront sans cesse sur le message délivré au désert pour préserver l'ouverture à l'autre, au monde, aux valeurs, à la Présence invisible. Mais comment être à la fois avec YHWH et avec les hommes, dans l'histoire et dans le désert, se sédentariser et conserver une spiritualité fidèle au lieu originel?

Question inquiétante qui ponctue les retours périodiques d'Israël au désert et présuppose que c'est là que se trouve la source vive et intarissable de la foi. C'est pourquoi notre projet est de suivre MOCHEH et les prophètes en interrogeant les textes (2) qui véhiculent le rôle que joua le désert dans la genèse de la foi d'Israël afin de comprendre comment du vide peut surgir la vie, et pourquoi le désert peut se faire tour à tour jardin d'Eden ou espace tombal selon que la Parole que Dieu y déploie est ou non écoutée.

Lieu où l'on apprend un parler-avec et un parler-pour vivifié par l'Esprit, (3) le désert déploie "Au dessus de tout cela l'Eternel Amour (qui) tisse en nous sa trame comme les rayons de lumière convergent en un foyer". (4)

 

 I -  Les déserts : le cadre géographique.

Le terme désert traduit quatre mots hébreux :

Tout d'abord le Midbar dont la racine signifie "mener" "paître" et qui désigne une région non cultivée mais apte à nourrir le menu bétail, c'est là que Mocheh mène paître le troupeau de Jéthro (Ex III. 1). Susceptible de se couvrir de végétation printanière, le Midbar dévoile "les beautés" (Ps LXIV, 13 ; Jer IX.10) qui voisinent avec ronces et épines. L'eau y est rare bien que des sources y jaillissent et le passant exceptionnel quoique des arabes nomades et pillards s'y rencontrent (Jer IIL.2) ainsi que les bêtes sauvages (Eccli XIII. 23 ; Job XXIV. 5 ; Jer II. 24) lions, serpents, scorpions.

Le Midbar se définit par opposition au jardin cultivé, à la terre fertile, à la culture, c'est pourquoi toute manifestation de fécondité y est miraculeuse et l'homme jeté dans ce milieu hostile doit s'en remettre à son guide. Tantôt il côtoie des vallées plus ou moins arides coupées de hautes montagnes dans la péninsule sinaïque, tantôt des blocs brisés d'un calcaire gris jaunâtre aux abords de Bersabée où les plaines se continuent au Sud dans le "Désert de l'Egarement", Bâdiet et Tih, Enfin, dans le désert de Juda ce sont ravins et grottes, rochers escarpés. Cependant des oasis dont l'Exode fait mention procurent eau et nourriture et prennent des allures de paradis dont les prophètes se souviendront.

Le second terme usité est celui d'Arabah, dont la racine ârâb signifie "être stérile”. Très proche de celui de Midbar il considère le désert comme condition physique plutôt que dans sa relation à l'homme comme c'est le cas de Midbar.

Le troisième terme, Horbäh dérive de la même racine que susmentionnée, mais n'est employé que par les prophètes qui insistent sur la désolation, l'état de ruines consécutif au châtiment que l'homme encourt lorsqu'il met Dieu à l'épreuve. (Ez V. 14)

Enfin, Yesimon, terme peu usité signifie lui aussi la dévastation.

Ce qui nous intéresse surtout pour notre propos concerne la presqu'île sinaïque et les limites méridionales de la Palestine incluant

 :Etham (Ex XIII. 20) pointe nord-ouest de la péninsule.

: Sur (Ex XV. 22) nord-ouest.

: Sin (Ex XVI. 1) plaine actuelle d'El Markha où a lieu le "miracle" de la manne.

: Sinaï (Ex XIX. 1. 2) où a lieu la promulgation de la Loi.

: Pharan (Nombres X.12) ou "désert de l'Egarement en souvenir du long séjour qu'y firent les Israëlites.

: Cades, à l'extrémité Sud de la Terre promise.

: Sin (ou Cin) (Nombres XIII. 22).

: Bersabée (5)

Nous avons voulu dresser sommairement le cadre de l'itinéraire (6) géographique d'Israël afin d'implanter Son histoire dans un lieu réel infligeant des épreuves physiques et psychologiques authentiques à un peuple qui a vécu l'Exode dans sa chair. De la sorte la foi d'Israël est d'abord une expérience vraie, pratique, matérielle même où la métaphysique n'a pas sa place et c'est là la première caractéristique d'un peuple qui se refuse aux abstractions. Sa foi ne répond pas d'abord à des questions spirituelles mais à des préoccupations urgentes visant la conservation de la vie. C'est pourquoi l'eau et la nourriture sont les première épreuves qu'Israël et Dieu auront à affronter.

 

II - La traversée des déserts.

1)         Un rappel: La Genèse.

Avant d'aborder la traversée du désert nous voudrions souligner ce qui rapproche le désert de l'Exode de celui de la Genèse. Là Elohim organise le chaos (Gèn I. 2) c'est à dire le Tohu (désert)(7) Bohu (vide) grâce à sa parole qui appelle à l'existence et confère sens sans qu'il y ait lutte avec les éléments. Or amener à exister c'est séparer la créature de ce qui n'est pas elle c'est instaurer l'altérité au sein de la confusion grâce à un principe transcendant. Dans la Genèse le désert c'est le lieu de lutte constante entre les puissances de fertilité et les formes de stérilité qu'elles soient materielles ou spirituelles.

Et de même que la Genèse voit la vie apparaître grâce à la parole de Dieu, de même l'Exode voit l'homme se faire humain et les tribus peuple.

2)         L'au-delà du désert.

Image associée

D'emblée le désert apparaît dans son ambivalence, le vide hostile où rien ne vit; le lieu propice d'où la vie va jaillir.

Première rencontre de Mocheh et du désert (Ex..) ; il y mène paître son troupeau de nouveau-nés “au-delà du désert", ce qui est doublement étonnant puisque le troupeau risque d'y périr et puisque cet “au-delà” semble ne rien vouloir dire. Que peut-il y avoir au-delà du désert ? Au-delà il y a la Montagne de Dieu. Le Midbar conduit au Dabar, à la parole qui prodigue la vie. Déjà on apprend que le désert n'est pas une fin en soi, mais un passage vers la Montagne, vers Dieu, vers la Terre promise.(8) La marche se révèle intention (Ex : 3.12 ; 5.1.3 ; 6.7 ; 7.16) à la fois tension et direction. Le désert prend sens en vertu d'une attraction qui y trace des voies celles d'une géographie à la fois physique et spirituelle c'est pourquoi il se présente comme catégorie de l'existence individuelle et collective.

Dans le désert Mocheh découvre un autre nom de l'absolu car il conduit à l'aprés-désert, à l'Horeb, Har Haelohim, H'oreba. Har signifie montagne mais aussi conception. Contempler la montagne c'est retrouver au-delà de soi, le sens de l'originel.

Là se refait l'intériorité mentale de l'homme qui n'est plus aliéné, envahi, surveillé, l'homme s'y reprend.

Or Horeb bâti sur la racine Hrb signifie "épée" et les commentaires midraschiques y voient le signe de ” la lutte entre la Loi et la nature pulsionnelle. Par ailleurs en hippoukh la racine h'rb de Horeb se lit brh' : la fuite. En ce sens Horeb assigne la fin géographique et existentielle de la fuite de Mocheh, mais lorsqu'on est muni de cette Hereb, épée, alors on fait face à l'assaillant et l'on se reconstitue. C'est pourquoi les retours au désert seront récurrents dans l'histoire d'Israël comme est nécessaire la respiration qui vivifie et consume à la fois.

3)         Désert et sacrifice.

Mocheh reçoit l'ordre de Dieu de se faire pasteur d'Israël, de conduire ce peuple de nouveau-nés dans le désert mortel et libérateur à la fois. Il lui ordonne d'aller au désert à trois jours de là pour sacrifier. La formule revient à plusieurs reprises (Ex.3.18 ; 5.1 ; 5.3 ; 7.16 ; 8.23 ; 8.24) Tantôt il s'agit de faire un pêlerinage, tantôt de servir.

Le désert apparaît donc à la fois comme un lieu propice aux sacrifices des hébreux loin des Egyptiens qui ne les acceptent pas puisqu'ils sacrifient des animaux qu'ils vénérent ; comme un signe précurseur de libération puisqu'il y aura transgression de la spiritualité égyptienne et des ordres de Pharaon ; Comme manifestation de l'obéissance d'Israël vis à vis de YHWH et ce malgré les menaces du souverain. De la sorte par cette confrontation avec la mort Israël fait l'épreuve de sa liberté sans cependant avoir encore compris que le service qui se substitue dès lors à la servitude est liberté et le désert enjeu en soi puisque c'est le seul chemin de fuite laissé aux hébreux sans risquer d'éveiller les Soupçons mais au péril de leur vie. En outre le désert est ici associé au sacrifice or celui-ci, h'ag, est annonciateur des bouleversements à venir car h'ag indique une célébration en cercle (racine : h'g) dont tous les rayons sont égaux, ce qui substitue à la forme pyramidale politique de Pharaon une structure égalitaire.

Enfin le sacrifice est une façon de conjurer la mort sous la forme de la stérilité et des rencontres maléfiques dans le désert. Par le sacrifice les Hébreux signifient qu'ils appartiennent à YHWHet qu'en lui sont fécondité et fertilité.

Tout comme le berger qui part en transhumance ils sacrifieront juste avant le départ, ils feront Pessah afin qu'en sacrifiant ses propres déterminations ils deviennent lieu où s'incarne la parole de YHWH. En choisissant de se séparer des nations Israël de ient sacré, en mourant au monde dans le désert, il vainc la mort, le temps et la nature. Le désert s'ouvre comme un parcours initiatique qui verra Israël progressivement s'anéantir dans le vide de la rencontre avec YHWH.

4)         L'entrée en désert.

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Israël reprend son nomadisme, celui des patriarches, eux aussi parcoureurs de déserts. Or le nomade est l'antithèse du sédentaire de celui qui s'implante, développe sa relation à la terre, à la nature qu'il idolâtre et qui induit la prévalence de l'avoir sur l'être. C'est le cheminement qui sauve et non l'enracinement, car la liberté c'est l'arrachement, le désengluement, le projet jeté au devant de soi. L'hébreu qui quitte l'Egypte et sa sécurité, se quitte pour rencontrer l'autre. L'homme du désert développe le sens des relations humaines, il est "avec".

C'est pourquoi le nomade apprend au sédentaire que l'être est vain ou plutôt que tout son être consiste dans son devenir, son histoire avec Dieu.  Dans le désert l'individu fait l'expérience de sa précarité, de sa faiblesse, de son incomplétude, seule l'ouverture peut le préserver de la mort physique et spirituelle celle de la satis-faction, de la clôture au détriment de la relation. C'est au lieu de l'absence que le nomade fait l'expérience de la présence qu'il est prêt à accueillir dans le dépouillement qui est le sien. Quitter l'Egypte signifie donc entrer en lutte contre l'enracinement, contre l'idolâtrie aliénante, qui se révèle une activité déshumanisante et réductrice induisant une régression de l'être dans l'enfouissement informel du non-être par divinisation du cosmos. Quitter l'Egypte c'est aussi opter pour le temps et en faire un sanctuaire de la rencontre avec Dieu, avec soi. C'est par conséquent se faire homme de l'universel en refusant la clôture spatiale. Cheminer dans le désert c'est passer insensiblement de l'individuel à l'universel à condition d'éprouver l'un comme manque générant l'insatisfaction, la violence, le murmure, l'amnésie, et l'autre comme accueil, écoute d'une voix de fin silence dont seul le désert répercute l'écho,

5)         La nécessité d'un guide.

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Mais dans un univers au premier abord hostile, infini, inconnu, sans repére, Israël a besoin d'un guide, or Dieu est là sans relâche. (Ex 15.21) Sous la forme d'une nuée ou d'un feu (Ex 16.10 ; Deut 1.33 ; Es 4.4.6 ; 5:2.12 ; 60.19 : Ps 78.14 ; 105.39) il mène son peuple en dépit ou à cause de ses égarements "Je vais mettre en plein désert un chemin" (Es 43. 19) assure-t-IL. Ainsi est-ce au désert qu'Israël peut faire l'épreuve de l'amour de Dieu, de sa protection, de sa toute-puissance à laquelle il doit apprendre à s'abandonner non par obligation mais par choix, en toute liberté, sans restriction, ni calcul, à l'exemple de Son infinie générosité.

"Le Seigneur

qui nous a fait monter du pays d'Egypte

qui fut notre guide au désert

au pays des steppes et des pièges

pays de la sécheresse et de l'ombre mortelle,

pays où nul ne passe, où personne ne réside

Je vous ai fait entré au pays des vergers.”                           Jèr 2.6.

 

Ce tableau désolant souligne l'état d'urgence, de misère et d'attente d'Israël.

A qui s'en remettre pour survivre ?

À qui faire confiance et sur quoi fonder la confiance ? C'est ce qu'Israël apprendra péniblement, à son corps défendant, n'obéissant tout d'abord qu'à la nécessité qui ne lui laisse aucun choix. YHWH lui semblera un maître avant que d'être guide et amant.

6)         le lieu des murmures.

Au désert Israël va connaître l'inquiétude, c'est à dire le soucis vis à vis de ses besoins mais aussi la sortie d'un état de quiétude, la mise en mouvement manifestant le désir.

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Ce sont d'abord les reproches adressés à Mocheh (Ex 14.10.12) et par là même à Dieu, à propos du manque d'eau, puis de nourriture, enfin de la peur des groupes belliqueux rencontrés. Crainte qui vient du manque de foi mais aussi du refus de s'arracher à la moite intimité gastrique de l'égoïsme pour éprouver le grand vent des valeurs humaines et spirituelles. (Ex 15.25) La précarité de la vie du désert figure l'insécurité spirituelle qu'Israël n'accepte pas. Mais il lui faut s'affronter à ses angoisses fondamentales pour prendre conscience de ce qu'il est et aspirer au dépassement, à l'au-delà du désert. Le désert en exacerbant le désir figuré par la faim et la soif entretient le principe dynamique de l'inquiétude que nulle possession tangible ne peut satisfaire et qui permet d'entretenir l'ouverture sur l'infini et l'absolu loin de toute représentation idolâtre. L'homme apprend qu'il est un système ouvert, relationnel, que l'eau et le pain lui viennent de l'extérieur, tout comme les chasseurs Bororo qui ne peuvent manger le produit de leur chasse mais uniquement celui de leurs compagnons.

Lieu où YHWH éprouve son peuple pour le rendre fort, le désert est aussi celui où Israël éprouve Dieu (Ps 79.19.40 ; 106.14), mais alors que dans le premier cas il s'agit de mettre à l'épreuve afin d'insuffler vie, force et amour, dans le second il s'agit de provoquer comme un enfant rageur et capricieux, comme un enfant malheureux.

Non seulement Israël murmure (Ex 14.11 ; 16.8) mais il fait preuve d'ingratitude et de mauvaise foi, il accuse Mocheh de l'avoir "amené pour mourir au désert” à quoi il préférerait la servitude en Egypte qui leur assurerait le minimum nécessaire à un esclave. Israël n'a pas encore compris que la liberté avait un prix et que l'état de majorité comporte des risques assurant néanmoins une sécurité plus grande que la dépendance.

Première épreuve, premier enseignement aussi, celle de l'eau dans le Midbar Chour, le dit de la rectitude, qui découvre l'incapacité des anciens esclaves, éloignés de Dieu à chercher à comprendre. L'eau qu'ils trouvent à Ma Rathah est amère, Dieu veut il leur mort ? mais en projetant un arbre ëtz dans l'eau celle-ci s'adoucit. Or que nous révële l'amertume de l'eau si ce n'est celle d'un peuple éloigné de ses origines, ayant oublié Dieu, enclin aux récriminations d'un moi insatisfait ?

Mais si l'épreuve est passée avec succès alors l'abondance démultipliée succède à la précarité (Ex 19.27) il "suffit" qu'Israël ne cède pas à la tentation de la méfiance pour que l'action miraculeuse de Dieu s'exerce. (Nb 33.8) et que le regard découvre ce que son aveuglement lui cachait douze sources figurant les douze tribus d'Israël et 70 palmiers.

Cependant au désert de Sin entre Elim et le Sinaï (cf Nb 33.10.11 ; Ex 16.1) la même épreuve réciproque, suivie de murmures (Dt 16.32) intercession, et miracle se produit. Là encore l'amour de Dieu est plus fort que la mort physique et spirituelle, mais pour Israël c'est la mort qui triomphe à nouveau car l'attachement aux biens matériels est exclusif ce qui ne signifie pas qu'il faille les mépriser Pour autant. Au contraire Dieu s'en soucie, mais il faut les évaluer de telle sorte qu'ils ne détournent pas l'homme de Dieu. ;

L'épreuve exige en ce cas une confiance absolue puisque la vie même est en jeu. Jésus sera lui aussi soumis à cette tentation, celle de la faim à laquelle il répondra en tant que Fils de Dieu, mais l'homme est-il capable d'un tel abandon ?

Le désert s'avère un lieu propice aux tentations mais aussi aux miracles "Sur la surface du désert il y avait quelque chose" (Ex 16.14) le désert est devenu nourricier il offre un pain qui ne vient pas de la terre mais du ciel. Soudain l'ordre naturel est inversé et les valeurs bouleversées, l'horizontal s'enrichit de la verticale. Ainsi la présence toute-puissante de Dieu est elle manifeste mais surtout le peuple apprend la verticalité car il doit lever les yeux vers le ciel d'où pleut la manne, le Leh'em. Par ailleurs la récolte du pain s'accompagne de règles strictes instaurant les premières Mièhvot de Dieu eten particulier le Chabbat qui rythme le temps et laisse place à la rencontre nourrissante avec Dieu.

C'est pourquoi le miracle s'avère double car non seulement Dieu offre l'eau et le pain dans le désert, mais il mue l'égoïsme en fraternité puisque chacun doit en prendre selon ses besoins et les récolter ensemble à des moments précis ce qui intègre à l'alimentation la dimension du temps, expérience contraire à la gloutonnerie débridée des cailles (Nb 11.31)

Le miracle met Dieu à distance, à la fois radicalement autre, transcendant, et pourtant "avec". Le désert est donc lieu de tous les possibles, où le négatif se mue en positif, la surface aride en jardin. L'eau et le pain, sont les éléments essentiels, uniques, dont toute la valeur est soulignée par le désert qui dévoile la substance du corps et de l'esprit : la fraternité, le partage, la responsabilité, l'union avec Dieu. La difficulté du milieu et de l'entreprise confère à chaque objet, à chaque être, sa plénitude et son sens par l'intermédiaire du geste qui actualise l'esprit.

Au désert on murmure contre la faim (Ex 16), la soif (17.1.7), la guerre (17.8.16) mais aussi l'absence de Dieu (17.7 ; 32). Là encore le peuple ne sait maîtriser son attente et surtout son inquiétude alors que Mocheh n'a que six heures de retard c'est pourquoi il ordonne à Aaron "Fais nous des dieux qui marchent devant nous",régression idolâtre prouvant que je peuple n'a pas su intérioriser la Parole.

Cependant les murmures signifient aussi qu'on y parle ou plutôt qu'on y réapprend à parler après le silence de l'Egypte et de ses bavardes idoles. Le Midbar n'est donc pas seulement le lieu de la parole de Dieu mais aussi de l'homme face à face avec Dieu qu'il critique, rejette, implore avec toute la tension d'une relation d'amour dont la haine est le double en négatif. Mais seule la parole de Dieu est, en tout cas dans cette situation, féconde et dans tous les cas créatrice. Sa parole est plus forte que les Mmurmures, plus forte que les éléments naturels, car en soi ia nature n'est rien, elle n'est qu'un désert comme l'homme que seule Ja parole de Dieu peut féconder car elle n'est pas celle lapidaire du commandement ou de la persécution qui laisse l'homme muet mais celle de l'échange, du partage dans la rencontre. Et c'est cette parole droite et claire discrète et protectrice, pudique, humble et franche qu'Israël doit substituer à celle, torve de la médisance, de la calomnie, de la dissimulation, de la trahison. Du reste la lapidation verbale du calomniateur était punie de la mort par lapidation.

Dès lors on comprend que la parole divine est aux antipodes de la semence. Dieu n'est pas Baal et nul culte ne doit être rendu à la nature. La création par la parole est la révélation de la transcendance de Dieu qui n'est pas dans la nature c'est à dire pas dans l'espace, dans la représentation, qui prête à confusion.

Le désert apprend que la création instaure l'altérité entre l'homme et Dieu, entre l'homme et son prochain qui n'est pas son alter ego, entre l'homme et la nature, entre la nature et Dieu. L'eau et le pain sont à consommer mais non à sacraliser. C'est Pourquoi la nature est peu mentionnée dans les Ecritures qui tracent le passage de la nature à la culture grâce à la Loi.

7) Le désert : instrument du châtiment.

Cependant le désert demeure hostile en puissance et Dieu peut même en faire un instrument de châtiment, ou plutôt c'est l'homme qui en ignorant Dieu se condamne à l'errance sans but, (Gén 19.24.25 ; 8.20.33 ; 4.10.12) à la désolation, (Jèr 12.10) au morbide désespoir, au piège (Ex 14.3) "Suis-je devenu un désert pour vous ?" demande Dieu à Israël (Jèr 2.31) "Vous n'êtes plus mon peuple et moi je n'existe plus pour vous" clame Osée en lieu et place de Dieu (Os 1.8). Le psalmiste pousse une plainte déchirante "Je ressemble au choucas du désert, Je suis comme le hibou des ruines" (Ps 102.7). La terre elle-même retourne au chaos (Jèr 4.23) "Le pays des vergers est un désert" de sorte que l'ordre cosmique est lui-même perturbé et qu'y rôdent Asmodée, Lilite, satyres et bêtes féroces (Tb 3.8 ; 6.14 ; Es 13.21 ; 30.6 ; 34 ; 14 ; Lév 16.8.26). Ainsi séparé de Dieu l'homme n'est pas un nomade mais un errant et un brin de paille (Jèr 13.24) et le monde un repaire de démons (Matth 12.43 ; Luc 8.29) un lieu de châtiment (Dt 29.5) le règne de la tentation (Marc 1. 12).

Le châtiment peut se faire sévère, ainsi Nadav et Avihou meurent-ils dans le désert pour avoir présenté un feu profane à YHWH (Nb 3.4 : 15.32) ; la violation du Chabbat entraîne la même peine (Nb 15.32) et lorsque les hommes accusent Dieu de les avoir fait sortir d'Egypte pour mourir dans le désert, la sentence est exécutée (Nb 16.13 ; 21.5 ; 26.65 ; 27.20). D'ami, du moins refuge, le désert devient ennemi "Un vent embrasé sur les pistes dans le désert est en route vers mon peuple" annonce YHWH par l'intermédiaire d'Osée (Ps 34.13 ; Jb 20.17 ; 39.6). Mais tout refleurit lorsqu'il se tourne à nouveau vers lui et l'arbre est planté au bord de l'eau (Jr 17.6 ; 22.6). La malédiction du reste ne touche pas qu'Israël et Jérémie d'évoquer le destruction de Babylone : "C'est la dernière des nations désert, terre aride, steppe !" (Jèr 50.12) et Ezechiel celle d'Egypte (Ez 29.9)

Peu à peu les prophètes feront du désert le symbole par excellence du châtiment que les hommes s'infligent lorsqu'ayant transgressé la Loi ils se vouent au désordre en détruisant les dons de Dieu (Is 64.9). Car sans Loi nulle vie n'est possible, mais l'homme animé par son GBpis transgresse ces conditions nécessaires, il veut s'identifier à l'infini et de la sorte sombre dans la confusion ignorant que c'est la limite qui définit l'identité. Or le désert c'est cet infini dans lequel l'homme muni de la Loi doit tracer les limites de son être. Cependant Dieu n'abandonne pas son peuple et jamais Il ne résiste aux intercessions de Moïse car si Dieu détruit son peuple au désert alors ce sera le signe patent de son échec (Nb 14.16 ; 14.29 ; 32 ; 33 ; 35) C'est pourquoi le désert revêt une dimension didactique lorsque par son truchement Dieu veut enseigner à Israël ses intentions et le comportement à adopter comme l'exprime Osée.

"Je la mettrai comme au jour de sa naissance

Je la rendrai semblable au désert"

 Ainsi Yhwh annonce t-il ses objectifs à Israël: Gomer la prostituée afin que celle-ci abandonnée, dépouillée, humiliée, n'ait d'autre ressource que de se retourner vers Dieu. Le désert est dès lors, de par sa nudité, symbole d'humiliation, antithèse de la séduction exigence de vérité vis à vis des autres et de soi-même. Le désert n'offre nul endroit où se cacher, nul refuge pour la mauvaise foi, il est le lieu de la plus cruciale confrontation, c'est pourquoi il est par excellence le repère des tentations. Gomer abandonnée à elle-même doit seule opérer sa con-versio vers Dieu même si Celui-ci en a pris l'initiative. Pas plus qu'on ne demeure au désert mais qu'on y passe pour aller en terre promise, pas plus on ne s'abîme dans la punition et les plus belles fiançailles succéderent à la plus morbide désolation.

Déjà annoncé par Osée, le thème du jugement sera développé par Ezechiel (Ez 20) qui fera du désert la préfiguration du jugement dernier. Yhwh conduira le peuple au jugement dans le désert des nations (Es 43.16.21 ; 48.20 ; 52.12); Du reste Flavius Joseph dans "la guerre Juive" (2.259.261) mentionnera un peuple amené au désert par un prophète pour y rencontrer l'intervention dernière de Dieu et lors de la destruction de Jérusalem par les Romains, les Juifs demanderont à pouvoir se retirer au désert afin d'y attendre le salut final.

8) L'alliance nouée au désert.

Maintenant proche du Sinaï le peuple d'Israël préparé par ses précédantes expériences va être convié à accepter la parole de Dieu. Dans le désert se dresse la montagne, mais les Bnei Israël, ne se trouvent pas "face à" mais en relation avec la montagne Negued qui par sa racine GD désigne un projet en voie d'explication. La montagne invite à l'ascension physique mais aussi spirituelle comme l'indique la racine HR de Har, montagne, qui signifie conception au sens physique et conceptualisation en l'occurrence de la Loi.

Là dans le silence de l'infini le peuple pourra devenir le trésor de Dieu (Ex 19.1) "Si vous gardez mon alliance vous serez ma part personnelle" promet Dieu qui assure Israël de sa vigilance dans son processus de transformation qui le mettra à part des autres nations fondées sur la violence.

Dès lors seul le désert est le lieu propice à l'émergence de la Loi qui fondée sur la justice, l'amour et la responsabilité, a une portée universelle. C'est ainsi que le "Livre des Racines" de Rabbi David Kimh'i, rappelle que seul Israël parmi les peuples de la terre accepta le don de la Torah qui obligeait à une transformation radicale.

Grâce à la prime parole, qui est la clef de voûte du droit positif juif, l'alliance présente une dimension sociale puisque de tribu Israël devient peuple grâce au retour vers Dieu retour instauré et périodiquement réstauré par le Chabbat dont la racine CHB désigne le retour voué à la réflexion, au désir de parler, à la reconstitution du monde qui se fait demeure. Ce sont aussi des dimensions juridique et psycho-affective qu'offre l'alliance, en permettant l'émergence d'une communauté fraternelle qui suppose que le sujet est prêt à se prendre pour garantir l'existence de l'autre dimension; ontologique aussi, l'homme se définissant en tant qu'être par la Loï et dans cette mesure digne d'un respect qui empêche de le réduire à un moyen au service de nos fins ; métaphysique, puisque son principe à une origine transcendante ; et spirituelle enfin puisque la Parole venue de Dieu et s'adressant de plus en plus personnellement à l'homme place celui-ci progressivement face au divin.

De la sorte l'alliance fait d'un être ignorant et borné, un individu responsable, elle assure le passage de l'état de nature à l'état civil, et ouvre le particulier sur l'universel. Ainsi dans le désert l'homme ne rencontre pas seulement Dieu mais lui-même ou plutôt il se trouve en Dieu puisqu'il s'y découvre homme capable de Dieu. L'alliance répond donc à la question que Moïse avait adressé à Dieu "Qui suis-je?" (Ex 3.11) Tu es un homme si "Je suis avec toi” Mais "l'être avec" n'est jamais acquis, construit au jour le jour il menace ruine et le désert conçu comme régression est là pour rappeler à l'homme que la désolation le guette qu'elle soit le fait de Dieu "Et maintenant laisse moi (dit Yhwh à Mocheh} : que ma colère s'enflamme contre eux, je vais les supprimer" (Ex XXXII. 10) ou bien des hommes tentés par la régression. (Nb 14.1.3)

Cependant Dieu ne demeure jamais insensible aux implorations, en l'occurrence celle de Mocheh, Chouv , Reviens ou Repens-toi, c'est à dire souviens-toi de tes promesses à l'égard d'Israël (Ex 32.11.14), souviens-toi de ta sainteté, souviens-toi de ton amour, qui fait de toi le Dieu unique et vivant et non une idole courroucée.

Dans cette mesure le désert est le lieu propice à la découverte que l'amour côtoie toujours la mort dans la radicalité de son exigence qui induit la transgression. Les prophètes ne se lasseront de le rappeler afin de redonner à Israël son identité de peuple de YHWH constituée par l'effort, et le risque, par l'obéissance souhaitée à la Loi d'amour et de justice et visant le projet universel d'équité entre les hommes. De la sorte se trouve dépassé le caractère juridique et commercial que pourrait induire la notion d'alliance dont la visée ultime est la paix, paix de plénitude, paix vivante qui confère sens à une existence que ne perturbe plus l'anxiété.

Osée dans des pages admirables de sensibilité, de conviction et de richesse poétique pressera Israël de retourner au désert pour y reapprendre l'alliance d'amour. (Os 12.10)

9)         Le lieu des fiançailles.

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Osée reprend les deux principaux attributs du désert, le lieu du châtiment et celui de l'alliance avec Dieu. Sous le premier aspect le désert est le paradigme de la nudité et de même que le désert n'a rien à offrir, Gomer - Israël n'a non plus rien à donner si elle est livrée à elle-même. Or dépouillée de ses faux ornements elle est confrontée à la faiblesse de celui qui ayant abandonné Dieu est pris par le vertigineux orgueil d'une perfection qui n'est plus humaine, car l'humain est faible, fragile, faillible et sa force est d'en prendre conscience et de l'accepter voire de muer cette fragilité en force. Mais pour cela il faut l'initium divin :

"C'est moi qui vais le séduire

Je la conduirai au désert

et je parlerai à son coeur" (Os 2.16)

Lieu d'intimité, de douceur, exempt de démons et de tentations, le désert est l'endroit choisi par Dieu pour séduire (Ex 22.15 ; Jg 14.15 ; Jr 20.7) pour déposer sa parole créatrice sur le coeur de son épousée Israël. Lieu vierge, que n'a flétri ni l'esclavage, ni l'idolâtrie, le désert se révèle l'espace privilégié du secret où tout semble comme suspendu, pareil à une chambre nuptiale propice à la "rencontre" (Ex 33.7). Dès lors le désert apparaît comme l'espace disponible, offert à l'altérité, que nul bruit ne vient perturber c'est à dire saturer d'un trop plein qui entraînerait dispersion, confusion et désinformation. Or le vide, le Emitsa, l'intermédiaire, trouve sa figuration dans le désert dont le champ symbolique a pour manifestations le Chabbat, l'espace suspendu du temps; les palmes entre les mains de Dieu et de Mocheh que le Maharal de Prague interprète comme "l'en-train-de-se-faire-de l’alliance; les Cheroubim qui ne se touchent pas afin que la proximité ménage l'intervalle au dessus duquel la parole de Dieu se fera entendre. C'est dans cette perspective, d'une rencontre différenciée non fusionnelle à laquelle YHWH convie Israël, qu'il faut interpréter le vocabulaire des épousailles employé par Osée : "mari", "fiancerai" (trois fois, Os 2.21) "tu connaîtras le Seigneur" ce qui signifie que par la relation d'amour restaurée Dieu pourra guérir Israël malade de sa trahison "Moi je t'ai Connu au désert dans un pays de fièvre" Ex Es

Jérémie reprendra ce même thème ne pensant qu'à la fidélité d'Israël à suivre son guide dans la terre inculte, car c'est là que Dieu s'impose avec le plus de force et que l'homme sous la lumière crue du désert n'échappe plus à sa propre conscience.

"Je te rappelle ton attachement du temps de ta jeunesse

 ton amour de jeune mariée

tu me suivais au désert"       (Jér 2.2)

Avec l'amour sera restaurée l'union et le désert se transformera en paradis "Je conclurai pour eux en ce jour-là une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les reptiles du sol". (Os 2.20) (cf Ez 34.25) (cf Es 11.6.7) Mais ceci ne sera possible qu'à condition que Dieu mue sa colère en amour "Je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère" (Os 11.8) écrit le prophète au nom de YHWH ce qui signifie que Celui-ci se manifeste par le silence dans le silence du désert. C'est "sa voix de fin silence" le souffle tenu, pareil à une brise qui chuchote :

"Je serai pour Israël comme la rosée

il fleurira comme le lis"         (Os 14.6)

et non pas la foudre, le tonnerre et l'orage des idoles et des murmures qui retentissent. Au désert l'homme apprend à dire et non pas à maudire et à médire. Il apprend à regarder aussi et l'on voit se dessiner une esthétique liée au désert celle du fluide, du mouvement infime, du fragile, de l'éphémère, de la trace et le désert de devenir un tableau sur lequel Dieu profile les signes que les hommes n'en finissent pas d'ignorer et de comprendre car l'art cynégétique exige patience et attention, amour et abnégation. L'intimité de la Joie est d'autant plus grande qu'elle est de courte durée, jamais possession linéaire et continue, mais surprise perdue et réitérée

 "Qu'ils se réjouissent, le désert et la terre aride

que la steppe exulte et fleurisse

qu'elle se couvre de fleurs des champs

qu'elle saute et danse et crie de joie".          (Is 35.1)

L'amour de Dieu mue le désert en Jardin dès lors que l'homme s'en remet enfin à lui telle l'épouse ou le fils. Et si le désert était soif et désolation, Chemana, double enfermement c'était par suite de l'attitude profane des hommes ayant oublié que la terre est création de Dieu.

Tableau de Dieu, le désert est aussi miroir de l'homme et le jardin ne fait que refléter la Joie de son coeur préfigurant aussi ce qu'il en sera en Terre promise "pays ruisselant de lait et de miel” (Nb 13.27) terre de Dieu, terre des vivants, terre sainte qui ne connaît ni l'idolâtrie, ni le meurtre, ni la débauche.

 

III -  L'espace des rencontres.

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Nous avons a de nombreuses reprises évoqué le désert comme lieu de rencontre et non pas comme vide et nous voudrions y revenir.

En effet le désert y est propice puisqu'il s'agit d'un Space intact qui ne connaît ni l'esclavage, ni l'idolâtrie. De la sorte il est disponible, Hefker, non hypothéqué géographiquement et mentalement. C'est pourquoi il est saint car séparé comme l'est le Sinaï qui apparaît comme la saint des saints Pourtant on y va et l'on y rencontre l'autre. Dieu commande à Aaron d'y retrouver Moïse "Va à Ja rencontre de Mocheh au désert" Jui dit-Il (Ex 4.27). Jethro ses fils et sa femme "s'en allèrent vers Mocheh au désert où il campait à la montagne de Dieu" (Ex 18.5) seul en effet le prêtre de Midian pouvait saisir l'ampleur de l’événement. Avec lui Mocheh partage le pain et l'eau, fraternellement sous la tente d'hospitalité, tente de toutes les rencontres, celle de Jethro avec Dieu qui proclame "De ce fait Je sais que Dieu est plus grand que tous les Elohim"

1)         Avec soi avec les autres.

L'homme y va pour s'y rencontrer, pour se réapproprier son moi aliéné par des siècles d'esclavage, par la peur, par les idoles, par sa faiblesse qui a sacrifié la liberté à l'illusoire sécurité, par sa pitié qui lui a fait perdre sa verticalité. Le désert Midbar Sin, l'oblige à se redresser pour lever le regard vers la manne qui pleut du ciel, vers le Sinaï d'où parle Dieu.

Tout d'abord lieu d'angoisse et d'isolement lorsque l'homme se laisse aller à sa faiblesse, le désert devient lieu de triomphe par la grâce divine. L'anachorète s'y retire pour être tenté et vaincre l'aliénation du retour sécurisant à La servitude. (Matth 4.1 ;: Mc 1.12 ; Le 4.1)

De la sorte l'espace intérieur, de l'homme jusque là désert ou déserté, se libère pour accueillir la présence hospitalière de Dieu,  sa Chechinah qui ne se manifeste que lorsqu’elle est induite par la sainteé du people. Le temple de Dieu est le coeur de l'homme ouvert sur l'autre dont le visage lui adresse l'exigence éthique de la responsabilité. La Torah offerte au desert s’érige en commandement unique déterminant la vie et la vision de l'histoire.

Ainsi "avoir" ou plutôt "prendre”conscience de soi et par conséquent "être une conscience", c'est être en face de, être prêt à écouter et accueillir.

C'est pourquoi Israël ne peut conquérir son identité spécifique que dans le désert qui est lieu de l'altérité, de la transcendance de l'autre. Ce n'est qu'en s'opposant que l'on peut se poser, Israël n'est ce qu'il est que face aux nations, et l'homme face aux hommes. Reconnaître la transcendance de l'autre c'est admettre, mieux, vouloir qu'il soit autre que ce qu'il fait, dit ou pense, c'est souhaiter qu'il m'échappe, qu'il s'arrache, qu'il ne cède Pas à l'engluement de ma conscience réifiante. La contrariété est la condition nécessaire de la communication et paradoxalement la similitude est cause de confusion et de stérilité.

En posant la différence des êtres on échappe à la fois à la domination coercitive et à l'indifférence et on fonde la communication sur l'incomplétude de l'être et le besoin de l'autre. Dès lors c'est l'élaboration d'un emtsa, d'un milieu, d'une jonction entre êtres rivaux et pourtant tendus vers l'autre qui est en jeu et qui est l'enjeu de l'humanité.

Pour ce faire il faut éviter l'écueil du Hevdel qui creuse un vide entre les protagonistes et crée le "droit universel" à l'égoïsme d'une liberté qui s'incarne dans la propriété privée. "Ce qui est à moi, est à moi". Clôture qu'il s'agit de faire exploser par la force de l'amour qui est l'emtsa par excellence et qui véhicule la Parole divine exprimée par la Thora, la lumière.

C'est Pourquoi la Parole enseignée par Dieu est le paradigme de toute parole communicante seule susceptible de fonder l'humanité. La règle d'or de la Thora, qu'il aura fallu quarante ans à Israël pour comprendre, est "Que ton frère vive avec toi sans que pour autant tu empiètes sur lui". Telle est le sens de l'alliance, l'être avec, emtsa entre l'être dans, et l'être à côté. Une fois acceptée l'altérité, le désert se mue en jardin d'Eden car la rencontre avec les hommes a pour condition et pour fin celle avec Dieu, l'Autre transcendant si proche, qui ne se confond pas plus avec le chaos des forces naturelles, qu'l ne se fond en moi ou moi en lui. La force acquise au désert c'est dé*savoir autre-avec-l'autre, Lui dont j'ai besoin pour "être" comme le souligne ce geste simple et beau de Balaam, ce fléchissement vers le point zéro :

Balaam "se tourna face au désert.

 

L'esprit de Dieu vint sur lui"   (Nb 24.1)

2)         Avec Dieu.

La rencontre approchée, à jamais fuyante, et pourtant condition de toute autre, se fait avec Dieu, non pas conçu comme "feu divin" ou "Premier moteur immobile" ou "Bien" ou "Un" ou encore principe de fécondité, (9) mais comme une personne vivante, présente, agissante, un "tu" face à un "Je" dans une relation diagonale et dialogale où l'homme est considéré sui genéris. Mais cette relation fait inversement apparaître le besoin que Dieu à de l'homme dont il attend la prière signifiant son accueil. Et Dieu de céder aux instances de Moïse "Par ta vie tu as réussi à annuler mon projet et à confirmer le tien” (Devarim Rabba 5.13), ou de se réjouir lorsquil est vaincu. Ainsi apparaît dans le dialogue de l'homme et de Dieu la coopération effective, corrective, vivante, libre dans le désert met en valeur la composante d'expériences et d'épreuves qui fait de la création un défi, celui de devenir partenaire de Dieu à condition d'ex-alté l'histoire de l'homme sur les ruines de la nature.

De ce fait Dieu se manifeste essentiellement par la parole mais encore faut il avoir des oreilles, sinon Il impressionne par des signes visibles (cf Nb 14.22) qu’Il “opère dans le désert", telle l'eau ou la manne dont le traité Yoma ($ 85) de l'ordre Moéd des aggadoth du Talmud de Babylone explique que si celle-ci est donnée au jour le jour et non une fois l'an c'est pour que "le fils ne puis faire autrement que d'aller voir son père tous les jours" mais aussi pour que le père se rappelle ses enfants et s'en inquiète. Signe, la manne est donc aussi mémorial "C'est pourquoi tout Israël tendait son coeur vers son Pêre des cieux". (IBD) Les signes peuvent être spectaculaires, apparentés à des manifestations de forces naturelles, feu; nuées, grondements, orages, (Ex 19.16.19 ; Deut 4.11.12 ; 5.23.31 ; Jg 5.4 ; Ps 18.8.16) développant un sentiment de terreur sacrée, mais aussi une inquiétante étrangeté amplifiée par le décor propice aux fantasmes.  Mais :

"Le Seigneur n'était pas dans le vent

Le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre

Le Seigneur n'était pas dans le feu

Et après le feu, le bruissement d'un souffle tenu" (Ir 19.11.13)

C'est donc dans le silence de celui qui pour écouter renonce à sa parole, dans le secret et à la nuit que Dieu manifeste sa présence dont le désert exacerbe les moindres signes. "Dans les forêts, silence. Silence du vent tombé. Dans le coeur des océans, silence de la tempête.

Dans l'éclair, silence du feu.

Dans le ciel, silence de la lumière.

 Dans la voix, silence du sens.

Partout silence"         (Draï. La traversée du désert. P 80)

L'esprit est comme pétrifié, les sens stupéfaits mais à l'horizon de la conscience pointe l'évidence que la séparation fonde la réciprocité nourrie de désir et de nostalgie. Dieu est avec, Il encourage, protège et guérit grâce à sa Parole aux pouvoirs créateurs et thérapeutiques. Elie venu chercher la mort trouve la vie précisément au désert qui se révèle le lieu de refuge contre la trahison et les persécutions (Ps 55.8 ; Jèr 9.1) contre les nations (Ez 20.35), mais aussi lieu de retraite où préparer la venue de Dieu.

"Et quand ces choses arriveront pour la communauté en Israël

… ils se sépareront du milieu de l'habitation des hommes

pervers pour aller au désert afin d'y frayer la voie de ‘Lui"

… Cette voie c'est l'étude de la Loi qu'il a promulguée

par l'intermédiaire de Moïse"           (Le rouleau de la règle. 8.13.14. Qumrän)

 Enfin lieu propice à la méditation (Ir 13.9.13) et symbole du refus de la sédentarisation défavorable à la Loi de YHWH dont le désert préserve l'authenticité, comme en témoignent les Rékabites qui souhaitent maintenir la vie nomade en Terre promise.

Mais la rencontre avec Dieu n'est jamais acquise, car l'orgueil de l'homme se refuse à l'abandon, craint l'obscurité qui mène à la lumière et le soir au matin, redoute l'exil qui exige la confiance et l'abandon (Ps 92.3), c'est pourquoi épreuve pour l'homme le désert  l'est aussi pour Dieu.

"On enseigne au nom de R. Juda : Nos ancêtres ont mis dix fois le Tout-Puissant à l'épreuve dans le désert : deux fois à la Mer Rouge, deux fois à cause de l'eau, deux fois à cause de la manne, deux fois à cause des cailles, une fois pendant [l'épisode du] veau d'or et une fois dans le désert de Paran"          (Ordre Kodachim. 'ARAKHIN 15 b)

C'est là encore que Dieu châtie ce peuple si méfiant et envisage même de le supprimer. Mais l'épreuve qui consiste à se dépouiller radicalement, à tuer le vieil homme pour que naisse l'enfant, pour que l'épousée dise "mon mari” pour que l'un et l'autre se rencontrent vierges, demande un effort surhumain à l'homme que seule la grâce de Dieu peut soutenir en lui offrant la Loi en l'unique lieu où elle puisse être entendue et comprise, au Sinaï qui a justement pour nom "désert"

"Un rabbi demanda à R. Kahana

-As-tu entendu quelqu'enseignement sur la signification du mot Sinaï ?

……

R. Hisda et Rabah ont dit tous les deux : pourquoi le nom de Sinaï ? Parce que la haine (Sina) des nations païennes est descendue sur ce mont."

C'est aussi ce que dit R. Yossi b. Hanina : "Le mont Sinaï a cinq noms : Désert du Commandement, parce que sur ce mont Israël obéit ; Désert de la sanctification, parce qu' Israël y fut sanctifiée ; Désert de la préférence, parce qu'en ce lieu Israël fut préférée ; Désert de la Multiplication, parce que ce mont valutà Israël de croître et multiplié; et enfin Désert du Sinaï parce que la haine (Sina) desnations païennes prit naissance en ce lieu" (Ordre Mo'Ed. Chabbat. 141.)

Dès  lors le désert se charge de valeurs supplémentaires lorsque la rencontre avec Dieu le révèle comme sanctuaire de Celui-ci analogue à la tente de rencontre plantée dans le désert.

 

Conclusion.

Lors de notre parcours peu à peu le sens du désert à travers ses noms, Chour, Sin, Paran s'est dévoilélieu géographique, cheminement physique, sens de l'histoire, épreuve de l'homme et de Dieu, libération dans la confrontation à la mort, initiation où le chameau se mue en enfant, sanctuaire où Dieu se révèle à l'homme, mémorial de la naissance non seulement d'Israël mais de l'humanité toute entière dans la mesure où elle s'expérimente comme capable de Dieu dans l'altérité du face à face. Ainsi du êrev Rab, mixture d'éléments hétérogènes composés de tribus, d'esclaves non hébreux, de mercenaires, sorciers, magiciens a surgi le Am Israël le peuple de Dieu grâce à sa Parole créatrice qui ordonna le Tohu Bohu en cosmos.

Israël aura appris au désert que l'autorité vient de Dieu seul et donc que tout pouvoir humain est aléatoire, verse dans la violence, érige la force en droit alors que la Loi n'est pas naturelle ; il aura appris que la véritable autorité est au service de l'humain et non de ses désirs despotiques et insatiables qui le poussent à dominer l'autre au moyen de faux dieux ; il aura appris que la liberté consiste à servir Dieu en accomplissant ses Mitsvoth qui doivent faire sens sans violenter l'esprit ni briser les corps, pareilles au voile Matsvé dont Mocheh redescendu du Sinaï recouvrait son visage radieux afin qu'il éclairât sans aveugler. C'est pourquoi leur observance ne doit pas relever d'une soumission au pouvoir mais être un pur acte désintéressé qui consiste à satisfaire Dieu à lui faire plaisir en témoignage de son être tout entier devenu don vivant. En même temps l'homme montre qu'il a su ordonner sa nature, ses besoins, ses peurs, ses intérêts en agissant par pur respect pour la Loi. Or le désert qui exacerbe le besoin est bien une épreuve principale en la matière puisque l'homme doit y suspendre ses désirs, et attendre de Dieu le boire et le manger ; il aura aussi appris que la Loi qui ordonne (donné ‘ôrdres et organise) transforme le désert en jardin, fait passer de la nature à la culture en conférant régularité et permanence aux choses, aux êtres, aux hommes c'est pourquoi Chabbat est donné à Israël (Ex 20.10.11) pour réguler les activités de l'homme et marquer la limite entre l'extériorité et l'intériorité, le temps du travail, de la dépression, du di-vertissement, de l'oubli de Dieu, et celui de la Suspension, de la concentration, de l'écoute de la voix de fin silence qui surgit dans le désert ou au foyer. L'éternité divine faite irruption dans le temps de l'homme et chacun arrête sa gesticulation pour se mettre à l'écoute. C'est pourquoi Chabbat est mémorial de la libération de l'homme ou plutôt de sa naissance et renaissance en tant qu'humain.

On ne naît pas homme mais on le devient grâce à la présence attentive de Dieu. C'est pourquoi Chabbat nous apprend qu'Israël est 'bâtisseur du temps".

À la mentalité spatiale de l'avoir Israël a appris à substituer celle temporelle de l'être que la traversée du désert lui a conférée. Israël a appris que l'errance n'est pas dangereuse car Dieu en est le guide, bien plus en errant il évite les pièges aliénants de la possession et des intermédiaires qui éloignent de Dieu et des hommes. Il s'en remet à Lui en une marche propice à l'écoute, à l'échange délivré de toute diatribe absolutiste au profit d'une intégration de points de vue relatifs tendus vers Dieu vers la verticalité du Sinaï, vers la rectitude du Chour, vers l'amélioration du Paran.

Le désert a enseigné à Israël et nous enseigne que le milieu est la condition de toute relation constructive, le désert enseigne à l'homme ce que parler veut dire et par là même il lui apprend à être un être humain, c'est à dire un arbre renversé dont les racines sont au ciel.

Au gré de la marche dans le désert les paysages se dévoilent, se font, se rencontrent, telle est la nature et la fonction du désert lieu de l'être-avec, symbole de ce que l'homme a à devenir, un Midbar, un milieu de rencontre de la Parole d'amour, dévoilant que la liberté, la seule est celle d'être.

«Qui veut penser grandement doit errer grandement.»

Martin Heidegger (1889-1976) philosophe allemande

 

 

Anastasia Chopplet

Philosophe et conférencière

 

 

 

 

(1)      Dictionnaire de Grec : Bailly : art. spnuos.

(2)      Nous avons principalement étudié les passages concernant le désert dans : l'Exode ; les Nombres ; le Deutéronome ; Esaïe ; Jérémie ; Ezéchiel ; Osée.

(3)      Ecclésiaste X.IT ; Proverbes XVIIL.12 ; Psaume CI.S5.

(4)      Lettre du 29 Août 1895 de Gustave Malher au docteur Fritz Lôhr.

(5)      voir cartes ci-jointes.

(6)      A propos du présumé itinéraire suivi par Israël pendant l'Exode nous renvoyons à Michaeli : commentaire de l'Exode : Excursus p 168, 172.

(7)      Les traductions divergent à ce propos le terme pouvant se traduire par "mélange indifférencié"

(8)      Les verbes et locutions se rapportant au mouvement se multiplient dans l'Exode et les autres livres de la ToRah : Ex : 19.1 : ‘ils arrivèrent" ; 19.2 "ils partirent" ; "ils campèrent". Nb 10.12 Marche du peuple qui quitte le désert ; 10.32 "camper dans le désert".

(9)      Successivement conceptions des Stoïciens ; Aristote ; Platon : Plotin ; cultes païens de Canaan.

 

Bibliographie.

  • À. Abecassis : La pensée juive (3 tomes) Biblio Essais
  • Aggadoth du Talmud de Babylone : La source de Jacob. (Verdier)
  • Courrier de l'Unesco Jv 1994 : Déserts.
  • Dictionnaire de spiritualité : article : Désert.
  • Dictionnaire des Symboles : article Désert.
  • R. Draï : La sortie d'Egypte. (Fayard) La traversée du désert. (Fayard)
  • Guillet : Les thèmes bibliques.
  • A. Herschel : Les Bâtisseurs du temps. (Minuit)
  • Levinas : L'humanisme de l'autre homme. (Biblio Essais)
  • Neher : Le puits de l'exil. La pensée du Maharal de Prague. (Cerf)
  • Rolf Rendorff : Introduction à l'Ancien Testament.

Sources iconographiques.

  • Courrier de l'Unesco, Janvier 1994.
  • Le Monde de la Bible : N° 68 JV / Fev 1991. N° 80 JV / Fev 1993. N° 82 Mai / Juin 1993. N° 83 Juillet / Août 1993.

Précisons que notre iconographie n'a pas de prétention réaliste mais voudrait suggérer un itinéraire poétique.

 

 

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