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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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29 septembre 2019

VIE ET ŒUVRE DE SPINOZA 1632 – 1677

INTRODUCTION A LA VIE ET ŒUVRE DE SPINOZA 1632 – 1677

 

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Il nous reste deux témoignages de la vie de Spinoza par ses contemporains. L’un Jean Colerus, de l’église luthérienne de la Haye, paru en 1706, l’autre par l’un de ses disciples, le médecin Lucas de la Haye.

 

Dans les deux cas de figure un problème d’objectivité se pose puisqu’on penche entre partialité critique et hagiographie. Cependant des points communs se rencontrent concernant les épisodes de la vie de Spinoza et ses qualités de probité.

Spinoza naquit à Amsterdam le 24/11/1632 de parents juifs portugais, marchands à Amsterdam.

Ses ancêtres avaient été expulsés du Portugal en 1492 et avaient trouvé dans les Provinces Unies un havre de paix. Son père avait eu, d’un premier mariage, une fille Rebecca et un fils Isaac. Remarié, après le décès de leur mère, il aura deux autres enfants Myriam et Baruch (béni en hébreu) qui perdent aussi leur mère alors que Baruch a six ans. Lorsque Myriam se mariera, il deviendra l’oncle d’un petit Daniel. Michaël,  le père de Spinoza était très  pieux et soutenait la synagogue dirigée par Samuel Moreira qui jouera un rôle considérable dans la vie de Spinoza.

Il fit ses études à l’école juive et très vite montra des dons remarquables au point qu’il sera présenté comme successeur de Moreira. Outre l’hébreu, l’espagnol, le portugais, l’italien, l’allemand,  il se met à étudier le latin et le grec auprès de Van den Ende (1652) qui n’enseignait pas que ces langues mais incitait, dit-on, à l’athéisme. Pour Colerus il s’agit de l’école de Satan. Peut-être aurait-il voulu épouser la fille de son maître mais un rival eut plus de succès. Ende eut une fin tragique puisqu’ayant dû passer en France, il y complota contre le roi de France et fut exécuté.

Quoiqu’il en soit il eut une nette influence sur Spinoza : liberté d’expression, éducation des masses, idéal démocratique. Il initia Spinoza à la culture classique, au théâtre antique, aux nouvelles sciences physiques, à la philosophie cartésienne à propos de laquelle Spinoza publiera « Les principes de la philosophie de Descartes » 1664. Il délaisse alors les études théologiques pour la quête de la vérité grâce à la lumière de la raison  seule susceptible de procurer le bonheur véritable qu’exprime la joie.

Il adopta la maxime de Descartes selon laquelle « on ne doit jamais rien recevoir pour vrai qui n’ait été auparavant prouvé par de bonnes et solides raisons », de sorte qu’il rejeta pour fausse la révélation et les principes non seulement des rabbins mais de toute religion. Ce que voyant les juifs lui offrirent une pension afin qu’il restât dans la communauté. Ayant décliné leur offre il subit les foudres de Moreira qui décida  son excommunication alors qu’il s’était déjà éloigné d’Amsterdam à la suite d’une tentative d’assassinat. Il fut aussi poursuivi par la haine de deux jeunes hommes ardents à connaître ses idées mais qu’il éconduisit, méfiant quant à leurs intentions. Ils lui firent une réputation d’impie, qu’ils accompagnèrent d’un rapport à la synagogue.

Selon son disciple, Spinoza se réjouit de son excommunication et par suite de son expulsion de la ville. Il existe trois formules d’excommunication (1)(2).

  Les trois formules se nomment                             Niddui                                 

                                                                            CHEREM                             

                                                                           SCHAMMATHA              qui fut sans doute celle prononcée contre lui.               

Spinoza quitta Amsterdam pour Rhimburg (1664) où comme Descartes il s’entretint avec lui-même pendant deux ans, quoique des amis cartésiens vinssent le visiter.

Afin de survivre comme l’enjoint le Talmud Pirke, il se mit à polir des verres. Puis il demeura quatre ans à Voorburg près de le Haye où il se fixa. Il vécut en épicurien à la fois chichement mais sans mépriser les plaisirs simples, une pipe, du vin. Sociable avec ses hôtes, sans apprêts dans sa vêture mais sans négligence (3). Quant à ses manières elles étaient avenantes et retenues.

Il refusa les subsides que son ami Simon de Vries voulut lui octroyer si ce n’est de petites sommes, et déclina d’être son légataire. De même refusa-t-il l’offre du Prince de Condé d’obtenir une pension du roi de France. L’électeur palatin fut lui aussi éconduit dans son offre d’une chaire d’enseignant de philosophie à Heidelberg car aussi libre fut-il, il ne devait « aucunement se servir de sa liberté au préjudice de la religion établie par les lois ». Revenu en Hollande on le soupçonna d’espionnage sans qu’il s’en émût malgré des menaces de mort.

Quant à ses vertus, outre la frugalité et la tempérance, il cherchait avant tout à comprendre plutôt qu’à juger, se moquer ou mépriser. Il était courageux face aux épreuves, dont la maladie. Il combattait la paresse et la présomption comme deux obstacles à la connaissance (4), ainsi que la superstition au profit d’une religion raisonnable. Sobriété, patience, véracité, sont ainsi,  selon son disciple, ses principales qualités. Mais l’homme moderne qu’il fut, déclencha des vagues de haine à la suite  de ses écrits, ainsi à propos du « Traité des autorités théologiques et politiques » (1670) (le seul publié de son vivant) ses détracteurs le fustigèrent en tant que pernicieux (5).

A la mort de Spinoza ses papiers, autrement dit la majorité de ses œuvres (« l’Ethique »,  « Traité de l’autorité politique », un troisième sur l’entendement : « Traité de la réforme de l’entendement» et un recueil de lettres) furent envoyées dans un pupitre à son imprimeur au grand dam de ses héritiers pensant que le pupitre contenait de l’argent… Il fut enterré en fosse commune. En guise d’Epitaphe on pourrait citer la lettre XXI :

« Le fruit que j’ai retiré de mon pouvoir naturel de connaître, sans l’avoir jamais trouvé une seule fois en défaut, a fait de moi un homme heureux. J’en éprouve en effet de la joie et je m’efforce de traverser la vie non dans la tristesse  et les larmes, mais dans la quiétude de l’âme, la joie et la gaieté, ainsi je m’élève d’un degré ».

 

Aperçu de ses idées

1) Le Dieu de Spinoza

De lui Bayle écrit dans son dictionnaire : « Il se sentit une si forte passion de chercher la vérité qu’il renonça en quelque façon au monde pour mieux vaquer à cette recherche ».

Mais ce renoncement au monde ne fut pas une privation, au contraire, il en tira de la joie et de la gaieté grâce à son pouvoir de connaître (6).  Mais il paiera très cher cette « attitude » qui consiste à rejeter les faux biens dont la plupart se contentent quitte à en être possédés. Cependant il ne les hait pas plus que d’autres les adulent, ce qui est dans deux cas une attitude passionnée où l’on ne se possède plus.

Simplement il en jouit en toute indifférence et  désintéressement (7). La quête de la vérité l’engagea d’abord à dénoncer les superstitions des théologiens et les présomptions des politiques. Il écrivit à ce propos son « Traité » (Tractatus Théologico Philosophius) pour défendre la liberté d’opinion et soutenir la politique libérale des frères de Witt qui furent assassinés par la populace.

Mais la confiance qu’il octroie à la raison passe pour impie. N’est-ce pas là une incroyable prétention que de penser que l’homme puisse  grâce aux seules forces de sa pensée connaître les mystères de la Nature ?  Non, répond Spinoza qui définit l’homme par la raison que Dieu lui a octroyée pour le connaître dans sa substance même,  la Nature.  Ainsi, l’homme en réalisant sa nature qui est de connaître la Nature, et partant Dieu auquel il s’unit alors, est heureux et libre.

Le salut de l’homme est donc en Dieu. Mais de « quoi » ou « qui » est-il le nom ? Et en quoi l’union de l’homme et de Dieu consiste-t-elle ? Dieu est la réalité même en sa véracité. Dieu est à la fois tout ce qui est et Il est l’être de ce qui est. Il est la nature même des choses. A contrario le Dieu révélé est indigne d’être Dieu. C’est un Dieu à l’image de l’homme ou tel que l’homme le désire ou le redoute ; puissant, arbitraire, impénétrable, terrible.

Pour le penser en vérité Spinoza emprunte à Descartes ses instruments mathématiques et son exigence de rationalité. Mais n’est-ce pas faire preuve d’athéisme et le ramener aux limites de la raison alors que  Dieu est,  à contrario, l’infini inscrit en l’homme ?  

Certes Spinoza n’est pas croyant au sens classique, pour lui la révélation est une métaphore, la prière est insensée, le miracle absurde et pourtant Dieu est tout. Son athéisme n’est pas révolte contre le joug de la morale religieuse, ni tentation matérialiste mais pensée vraie de Dieu, véritable théo/logie, devenue  philosophie rigoureuse  et non contradictoire.  A l’instar de Giordano Bruno, il définit Dieu comme « l’être infiniment infini » hors duquel il n’y a rien « substance qui consiste en une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ».

 Dieu est en soi et conçu par soi sans altérité (unicité de tous les attributs contradictoires mais compossibles).  Il est causa sui, son essence est son existence. A contrario l’être particulier, appréhendé par la sensation, l’image, le sentiment, n’est pas en vérité car il est contingent, périssable, temporel, relatif, alors que Dieu est sub specie acternitatis.

 L’éternel (= l’être là de tout ce qui est est) n’est pas un perpétuel au-delà dans le temps,  espèce sous laquelle l’homme saisit l’éternité, mais ce qui est par la nécessité de son essence.

Or cette essence est intelligible et c’est pourquoi l’esprit la connait. Il n’y a qu’une pensée qui est de Dieu comme elle est de l’homme en tant qu’il est Dieu et que Celui-ci apparait en celui-là.

Cela amène à redéfinir la création réfutée par Spinoza en tant que passage du non être à l’être. Dieu, qui est tout en acte n’a rien réservé de sa puissance Il n’y a ni commencement, ni fin. Le monde est et ne peut être que ce qu’il est. Tout est actuel et déterminé. Contingence et liberté relèvent de notre ignorance. Toute chose est déterminée y compris Dieu qui est nécessité par soi. En lui (y compris lui-même), tout est déterminé et libre  de son essence. Tandis que les choses dans le monde sont nécessitées par une autre cause de même nature. Le comble de la nécessité est le comble de la liberté.

Afin de mieux comprendre ce que Spinoza entend par Dieu, lequel terme a pour défaut d’immédiatement évoquer l’un des trois monothéismes attribuant à Dieu des qualités par trop humaines qui en font un Dieu à notre image, il faut le concevoir comme l’expression d’un sentiment ou plutôt d’un désir du Tout qui n’a pas besoin de Dieu comme l’avait fort bien compris Lou Andréa Salomé, à la lecture de Spinoza(8).  Mais pourquoi les hommes ont-ils besoin d’un Dieu à leur image ? Dans l’appendice du livre I de « L’éthique » Spinoza en explicite la raison essentielle qui consiste dans le principe de finalité. L’homme s’imagine en effet être la fin de Dieu qui selon le do ut des* en attend un culte (9). D’où il conclut que les causes finales sont des fictions humaines.

L’homme n’est pas la fin de(s) Dieu(x). Seul son orgueil ou/et son angoisse le poussent à le croire. Tout dans la nature procède d’une souveraine perfection et c’est la perfection du Tout qui l’emporte sur l’intérêt du particulier. En l’occurrence nous procédons à une inversion de la cause et de l’effet, de l’antérieur et du postérieur, de l’imparfait et du parfait.  Le principe de finalité détruit la perfection de Dieu en lui imputant un manque de buts, induisant temporalité et contingence(10).

Cette métaphysique a des conséquences éthiques importantes et Spinoza se propose, comme le fera Nietzsche qui voyait en lui une âme sœur, de procéder à une déconstruction des concepts de Bien et de Mal qui ne sont que les appellations dont les  hommes affublent ce qui leur est utile ou profitable ou compréhensible ou représentable par l’imagination. Nous confondons donc les façons d’imaginer qui affectent notre imagination avec les attributs principaux des choses. En quoi nous ne connaissons rien de la nature et même nous empêchons de la connaître. La perfection d’un objet relève de sa seule nature et non de ses effets sur nous. Un objet n’est pas bon parce que désirable.

Ceci nous permet de mieux appréhender le Dieu de Spinoza : Etre, unique, agi par la seule nécessité de sa nature incluant toute la réalité en lui ; causa sui ; puissance infinie ; appréhendé par deux de ses attributs : étendue et pensée. Ainsi point de dualisme entre matière et esprit. Par ailleurs rien dans la nature n’étant contingent, les miracles en sont exclus.

La Nature c’est-à-dire le cosmos est réglé par des lois immuables nécessaires devant lesquelles, les notions de péchés, de miracles, sont absurdes. Le monde est un tout à la fois natura naturans et natura naturata.

Mais qu’en est-il alors de la liberté dont se targue l’homme face au déterminisme universel ?  

Celle-ci consistera, à l’instar du stoïcisme, à vouloir que les choses soient telles qu’elles sont selon une rationalité sans faille.

Frédéric Lenoir dans son ouvrage « Le Miracle Spinoza », propose de faire un détour par la philosophie shankarienne afin de mieux appréhender la conception de Spinoza(12). Celle-ci s’avère être un monisme  puisque Dieu est le monde selon la voie de la non dualité de l’Advaita Vedanta. Au divin impersonnel s’identifie l’âme individuelle, l’atman est le Brahman de sorte que chaque individu est une partie du Tout cosmique.

Cette ontologie de l’Un  postule que l’être en tant qu’être n’est pas soit matière, soit esprit, mais unité et l’éthique qu’elle fonde est l’aspiration à la non dualité. Le sage lui,  est délivré de la dualité, il accède à la « pleine félicité de la pure conscience qui est Une ». Cette prise de conscience qui est tout à la fois intellectuelle et intuitive apporte la joie sans limite. De même Spinoza ne cherche-t-il pas un au-delà, une transcendance qui induit une dualité mais la réalité de l’être là.

Lenoir rappelle à ce propos le mot d’Einstein : « Je crois au Dieu de Spinoza qui se révèle dans l’harmonie de tout ce qui existe non en un Dieu qui se préoccuperait du destin et des actes des humains ».

 

2)  Le Traité théologico-politique

 

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Abandonnant la rédaction de « l’Ethique » Spinoza de 1665 à 1670 se consacre à son ouvrage politico-religieux : « Le traité théologico-politique » où il entend dénoncer les préjugés des théologiens qui maintiennent le peuple dans l’ignorance ; se défendre d’un présumé athéisme ; défendre la liberté de croyance.  Le sous-titre « La liberté de philosophes » indique bien  objectif(13).

Il y dénonce toutes les formes de superstitions fondées sur une lecture littérale des Ecritures dont il se propose d’analyser les textes selon une méthode historique, comprenant critique externe et interne,  appliquée aux prophéties, à l’élection du peuple hébreu, aux miracles. Il s’agit donc de juger de leur valeur de vérité selon les lumières de la raison.

Dans la préface dudit traité, Spinoza dénonce les excès de démence auxquels la frayeur, l’espoir, peuvent induire les hommes. La crainte, écrit-il, à l’instar d’Epicure, alimente les superstitions. De là son universalité, mais aussi son caractère changeant, violent, liée à son origine affective. De là les guerres et atrocités qui s’ensuivent car la peur rend l’homme cruel.

Or le politique l’a bien compris qui se fonde sur la crainte pour diriger les hommes  qui contribuent ainsi à leur servitude volontaire. Ce faisant ceux-ci confondent la religion et « l’élévation des fonctions ecclésiastiques » et leur rendent des honneurs injustifiés. La religion n’est plus qu’un prétexte à l’ambition et la foi  dégénère en crédulité et superstitions. Privés des lumières de la raison et de l’exercice de leur intelligence, les croyants sont du bétail.

Pire encore, les théologiens sont des ignorants qui affublent les Ecritures d’un salmigondis platonico- aristotélicien et qui postulent la véracité de celles-ci au lieu de les examiner à la lumière de la raison, laquelle est soupçonnée et condamnée. La théologie est un champ de bataille.

Ce traité comporte donc deux parties : l’une exégétique, l’autre politique. Il y est question de la défense de la liberté de penser qui n’est pas, au contraire, un péril pour la paix, c’en est même la garantie comme en témoigne le droit naturel selon lequel « Nul n’est obligé de vivre comme il plait à un autre ».

Or si le droit naturel est transféré à une autorité souveraine, celle-ci est responsable du droit et a la liberté de tout à chacun. Mais cette cessation a des limites car chacun doit conserver certaines initiatives avec l’accord des autorités politiques. Et Spinoza de conclure que « la souveraine puissance doit laisser chacun libre de penser ce qu’il veut et d’exprimer sa pensée » (14).

Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas la véracité de l’interprétation que vise Spinoza mais la liberté de penser, et au-delà le chemin conduisant vers « l’amour intellectuel de Dieu ». Pour ce faire il faut emprunter la voie de la raison. La vérité est le fruit de l’entendement débarrassé de ses préjugés, ce qui ne va pas sans poser la question politique d’un état où chacun exerce librement sa pensée.

On voit donc que les combats de Spinoza sont multiples : théologique, politique, éthique, psychologique.

La dimension psychologique est elle aussi nécessaire dans les combats qu’il mène car sans connaissance de la psyché, des passions, du désir, comment propager sereinement des idées raisonnables et charitables ? (15).

Outre « Le traité théologico-politique » Spinoza a consacré un traité complet à la question « Traité de l’autorité politique » (16). Paru en 1677, après sa mort, il a souffert  d’être inachevé, remanié par ses amis et son éditeur. La rédaction en est celle d’un brouillon. Cependant  il demeure intéressant et diffère par sa méthode analytique d’exposition puisqu’il s’agit de comparer monarchie et oligarchie avant de  conclure que  la démocratie est le meilleur des gouvernements.

Il faut dire que les conditions historiques obligeaient à une réflexion politique. La philosophie de Spinoza est donc une philosophie du combat pour la vérité, pour la liberté, pour la tolérance, pour la paix, pour la pensée et lui –même joint l’acte à la parole lorsqu’à l’assassinat des frères de  Witt, il veut répondre par un placard intitulé « Ultimi Barbarum ».

Par liberté il faut avant tout entendre la connaissance de la nécessité naturelle à laquelle l’homme, comme tout être,  est soumis. Sans celle-ci, ce qu’il y a d’humain en l’homme demeure en friche et enfoui. Pour autant ce déterminisme n’annule pas la liberté de savoir en user, mais rend fictif le libre arbitre qui fait de l’homme un empire dans un empire. L’homme est toujours agi par des forces qui le déterminent qu’il ignore et dont la connaissance fait sa liberté.  Sinon il demeure leur marionnette et n’accède pas à son humanité. Pire encore, il imagine des intentions de la nature ou de Dieu à son égard.

D’autre part la liberté politique conditionne en partie la réalisation des autres, indépendance matérielle et autonomie intellectuelle grâce aux écoles, que garantit l’Etat en assurant d’indépendance économique et politique du pays à l’égard des autres. C’est pourquoi la démocratie est la seule forme de gouvernement assurant la participation des citoyens à la Res Publica. A la différence des autres régimes, la démocratie n’a pas peur de la liberté qui réalise la fin  de l’humanité.

Les deux traités sus mentionnés ont pour but d’établir cette thèse à savoir qu’un Etat s’il veut persister dans son être  doit garantir la liberté de pensée et d’expression de ses membres (17).

On comprend mieux le cheminement de Spinoza qui ente sa réflexion politique sur une anthropologie originée dans sa métaphysique du deus sive natura qui constitue un ordre rationnel auquel rien ne déroge, pas même la  nature de  l’homme, qui pour persévérer dans son être,  doit actualiser, dans une société et un régime politique ad hoc, les conditions de son humanité. C’est pourquoi il faut écarter toutes les superstitions et fantasmes élaborés par le théologico-politique et dont le fanatique nourrit sa servitude volontaire. Seul l’homme guidé par la raison peut être libre car il se sait déterminé par des lois naturelles auxquelles prétendent déroger les despotismes.

Et de conclure : « La liberté c’est toujours la liberté de celui qui ne pense pas comme vous ». Les ennemis de la liberté sont donc les ennemis de l’humanité.

 

3) Anthropologie

Après l’étude de Dieu et des lois naturelles, Spinoza examine l’homme ou plus exactement sa psychologie c’est-à-dire son âme sur laquelle il veut tenir un discours rationnel.

L’homme comme tout vivant est animé par un conatus qui le fait persévérer dans son être. C’est ainsi que Spinoza définit le désir.

Tout vivant veut augmenter sa puissance d’être et l’homme ne fait pas exception. Loin d’être un état de manque, le désir est une puissance génératrice de joie. Plus encore, et en cela Spinoza est novateur, il affirme, à l’encontre du dualisme cartésien que la matière est pensante(18). Le corps pense et on ne sait de quoi il est capable. Le corps est de nature divine comme l’esprit et d’égale dignité. L’esprit est l’expression intellectuelle du corps qui en est l’expression étendue. L’esprit ne peut penser, imaginer, sentir, désirer sans le corps, qui ne peut se mouvoir sans l’esprit. Nous pensons à partir de notre corps. Nos idées dépendent de la façon dont notre corps est affecté par le monde. Précisons que par corps Spinoza entend la corporéité dans toutes ses dimensions (physiques, sensorielles, émotives, affectives). Conséquence éthique, il n’est pas question de malmener le corps, de le priver, mais d’en user bien.

En ce qui concerne les sentiments, Spinoza en distingue trois principaux : désir, tristesse et joie. Il nous faut donc rechercher ce qui s’accorde avec notre nature et de ce fait l’augmente. « La joie est le passage d’une moindre à une plus grande perfection ».

Par conséquent l’éthique consistera à organiser  rationnellement sa vie en ce sens. Mais toute la question réside dans la méthode et les moyens, car si tous visent le même objectif, certains se fient aux opinions, à leur imagination, à des idées inadéquates, tandis que le sage progresse par la raison.

De la sorte il y a deux modes de connaissance à distinguer.  L’un originé dans la relation aux choses extérieures à partir desquelles on se représente celle-ci sans que cela corresponde à leur réalité objective. L’idée générée est de la sorte inadéquate. Ceci correspond au premier degré de connaissance  que Platon distingue dans le L VII de « La République », c’est la doxa mais,  et c’est là le deuxième  mode de connaissance, il peut être dépassé grâce à la raison qui s’appuie sur des notions communes qui doivent être conçues de façon claire et distincte. Elles sont nécessaires et universelles mais recouvertes par nos opinions. Il s’agit donc de  les dé-couvrir  de façon à discerner ce qui  est bon et mauvais pour nous. Grâce à cette connaissance nous jouirons d’une joie active à distinguer de la joie passive liée à un affect et à l’idée qu’on se fait d’un objet extérieur.

 

4) Théorie des affects – Psychologie

On a beaucoup rapproché Spinoza de Freud auquel celui-ci rend hommage sans pour autant lui reconnaitre une dette. Et en effet Spinoza écrit : «Nous flottons inconscients de notre sort et de notre destin » et ajoutons ignorants des causes qui nous déterminent.

Pour se comprendre, l’homme doit comprendre les règles et lois universelles de la Nature  qui le gouvernent. Il ne s’agit ni de se railler, de se plaindre, de haïr ou de juger, mais de comprendre. De même que Descartes dans « Le Traité des Passions », Spinoza veut rationnellement « expliquer nos comportements affectifs ». Spinoza ne se place pas en moraliste, en prêtre, en juge. Il ne présuppose pas une nature « idéale » à laquelle il faudrait se conformer(19). Seule la lucidité peut procurer liberté et joie.

Selon Spinoza, ce qui nous constitue, provient des affects suscités par nos objets de rencontre et selon leur effet (plaisir/douleur) nous cherchons à les reproduire ou à éviter. Ainsi faut-il éviter les affects négatifs (tristesse, peur, culpabilité…) non pas par la contrainte, la punition mais par la « sublimation » et de façon non pas excessive mais en sachant jouir raisonnablement des plaisirs.

 Spinoza définit le sage comme celui qui ne brime pas l’élan vital. Il s’agit d’orienter et non de briser (20). Le désir n’est pas manque mais puissance. La vertu consiste à augmenter la puissance d’agir (à condition qu’elle soit guidée par la raison en vertu d’idées adéquates de l’utile propre) en nous attachant à ce qui l’augmente (êtres et choses). Au devoir, Spinoza oppose la gestion du désir.

La science des affects que développe Spinoza repose rappelons-le, sur trois affects de base : désir, joie, tristesse qui soit augmentent, soit diminuent la puissance d’agir (conatus).

Spinoza distingue plusieurs mécanismes à l’origine des affects ; les causes intérieures et extérieures ; la temporalité, future ou passée (21) ; l’identification ou  association qui introduit l’altérité  et la prise en compte d’autrui au point où se rencontrent des analogies avec le désir mimétique théorisé par René  Girard. Seule la connaissance des causes est libératrice et permet d’agir lucidement. Par là même, Spinoza dépasse l’antagonisme raison, volonté – passion, car nos affects ne sont pas un mal à éradiquer mais une passivité nuisant au conatus. La passivité provient du fait que nous sommes mus par des causes extérieures et des idées inadéquates. A contrario l’activité consiste à agir selon notre nature propre (utile propre) et des idées adéquates. Dans le premier cas on subit une influence extérieure sans en avoir conscience, dans le second, nos affects proviennent de notre nature et nous les évaluons justement.

Le mal n’est pas le désir ou les affects mais la passivité dans l’affectivité ou le désir. Il s’agit donc de convertir la passivité en activité, nos passions (liées à l’imaginaire et à des idées partielles) en actions. De la sorte on ne subit pas l’affectivité, on l’instaure. Tout désir est poursuite de la joie.

 5) Par delà le bien et le mal – L’Ethique

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Contrairement à l’idée reçue qui est que nous désirons une chose parce qu’elle est bonne, Spinoza soutient qu’elle est bonne parce qu’on la désire (22). La vraie morale n’est donc pas de se conformer à des règles extérieures mais à comprendre celles de la nature universelle. Etre vertueux n’est pas obéir (23).  De façon analogue, Nietzche qui reconnait en Spinoza son homologue substituera à la  dualité Bien Mal,  le bon et le mauvais.

L’étique vise à libérer l’être humain de la servitude volontaire sans pour autant exclure autrui dont il a besoin(24).  Au « tu dois » il substitue le «connais-toi toi-même ». Il s’agit de mettre en ordre rationnellement sa vie intérieure et ses affects au lieu de se conformer à une morale laïque ou religieuse extrinsèque. C’est à nous de distinguer le bon du mauvais pour nous, selon la raison, au lieu de nous en décharger. La conquête de la liberté est donc essentielle.

 

6) La liberté

Comment conjoindre la  liberté et le déterminisme cosmique voulu par Dieu. Tout est soumis au principe de causalité, chaque effet a sa cause à l’exclusion de tout libre arbitre, miracle, hasard. Est-ce à dire que le déterminisme est la contradictoire de la liberté ou qu’au contraire on peut le concevoir comme  condition de la liberté ? Est-on plus libre en ignorant pourquoi on agit qu’en le sachant ? Serait-on plus libres si nous ignorions les lois naturelles ou si elles étaient aléatoires. Sans lois ni règles, nulle prévision n’est possible et rien n’assure de la réussite de nos actions ni de leurs conséquences. Comment être libre de procréer si on ignore tout de la sexualité ?... C’est donc en termes de contrariété et non de contradiction qu’il faut penser dans un premier temps leur relation afin d’accéder à la nécessité de celle-ci.

En devient-on pour autant fataliste et faut-il renoncer à se diriger ? Au contraire, le fatalisme, c’est le renoncement à la liberté, la passivité face à ce qu’on attribue au destin. Le déterminisme c’est la possibilité de commander la nature parce qu’on la connait et qu’on lui obéit (Francis Bacon).

Spinoza définit dès lors la liberté comme l’existence d’après la seule nécessité de sa nature et la détermination d’agir par elle seule (25) et non selon des causes extérieures.

Si les idées adéquates sont les causes de nos actions, alors l’action effectuée en fonction de notre nature propre assurera notre autonomie.

La liberté consiste à agir d’après notre nature singulière grâce à l’exercice de la raison (les maximes de Spinoza s’apparentent à des exercices spirituels(26)). Etre libre c’est être pleinement soi-même c’est-à-dire répondre à sa nature. Cependant et de ce fait, nous n’avons pas la liberté d’être autre que ce que nous sommes et donc de faire autre chose que ce que nous pouvons en vertu de notre nature singulière. Cependant selon que l’on agit et réagit selon ses affects ou sa raison, l’action sera fort différente.

Deux conditions sont donc requises  à la liberté : l’intelligence de la nécessité et la libération des passions grâce à leur connaissance et bon usage pour en faire des forces actives.

La liberté s’oppose à la contrainte non à la nécessité ; et la connaissance de ce déterminisme cosmique extérieur et intérieur qui nous met en adéquation avec l’Etre (Dieu – Nature) provoque la joie, voire la béatitude.

Ce faisant on accède au troisième degré de la connaissance : la science intuitive. S’agit-il pour autant d’une démarche mystique ou plutôt d’une intuition intellectuelle rationnelle ?

De la joie (jubilation) éprouvée à cette connaissance nait un amour universel, fruit de l’esprit. Le temps y est aboli, il s’arrête en un instant d’éternité(27). Avant goût de la mort, cette expérience est celle de l’immortalité de l’âme.

Le temps vécu peut même n’apparaitre que comme une modalité (accident) mais non un attribut de l’être momentanément affecté hic et nunc dans le temps où nous sommes détachés de  celui-ci sous des formes individuelles.

A l’automne fleurs, feuilles, voire branches disparaissent, elles sont soumises au temps alors que les racines demeurent. L’atman rejoint le brahman.

En guise de viatique laissons le dernier mot à Spinoza dans une lettre adressée « Au très savant et très cultivé Guillaume de Blyenbergh »

« L’exercice de mon pouvoir naturel de comprendre, que je n’ai jamais trouvé une fois en défaut, a fait de moi un homme heureux. J’en jouis, en effet, et m’applique à travers la vie dans la tristesse et les lamentations, mais aussi dans la tranquillité joyeuse et la gaieté, ainsi qu’il convient à qui réalise, en comprenant, quelque progrès intérieur. Je ne cesse de me persuader toujours davantage que tous les évènements reflètent la puissance de L’Etre souverainement parfait et son vouloir immuable ».

 

 

Anastasia CHOPPLET

Philosophe et conférenière

 

 

*(Do ut des : formule latine qui te signifie « je te donne pour que tu me donnes »)

(1)    Spinoza – Œuvres complètes – Pleïade p 1345

(2)    Op . cité p 1345 – 1346

(3)    Op. cité p 1350

(4)    Op. cité p 1352

(5)    Op. cité p 1326-27-30

(6)    Op. cité p 1146 Lettre XXI

(7)    Op. cité p 1175 Lettre XXX

(8)    Voir Conférence Lou Salomé, appendice, sur le blog

(9)    Op. cité p 346 – 348

(10) Op.cité p 348 à 350

(11) Op. cité p 352 – 353

(12) Voir sur le blog conférence : essai d’interprétation de la métaphysique shankarienne

(13) Op. cité p 606 t Pour le sous titre entier

(14) Op. cité p 907

(15) Sylvain Zac : Spinoza et l’interprétation de l’Ecriture – p 8 – 10

(16) Voir sous-titre in Op.cité Spinoza – p 917

(17) Voir à ce propos le chapitre 20 du  Traité théologico-politique

(18) Op. cité Ethique p 415

(19) Traité de l’autorité politique – in Oeuvres Complètes p 912 I, 1

(20) Ethique IV proposition 7 op. cité p 496

(21) Op. cité Ethique III – 12, 13, 14, 15

(22) Ethique IV-8 (p 497 op. cité)

(23) Ethique IV-24 (p 509)

(24) Ethique IV préface p 487

(25) Ethique IV-35 scolie (p 347) ; définition 7 (p310)

(26) Traité théologico-politique II, 11 (p 928)

(27) Ethique p 581

 

 

                                              

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