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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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7 juillet 2019

VIE ET OEUVRE DE GONTCHAROV

 

                                                            VIE ET ŒUVRE DE GONCHAROV                                                                            

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L’œuvre la plus connue de Goncharov est Oblomov (1859) qui a du reste donné naissance à un – isme, l’oblomovisme qui se définit comme un mélange d « apathie, léthargie, inertie, engourdissement, rêveries inactives, horreur du travail et des décisions, procrastination ». Dans ces conditions, comment expliquer l’attractivité de ce roman ? A titre d’exemple les deux cents premières pages sont consacrées à la description de la chambre dont Oblomov ne bouge pas !

Oblomov, auquel s’identifie Goncharov est un anti héro, banal, passéiste, hésitant, pitoyable. Autant dire qu’il n’attire pas la sympathie et qu’on a aucune envie de s’identifier à lui.

Pourquoi s’y intéresser ? Oblomov nous dit-il quelque chose de l’homme ? Goncharov nous dit-il quelque chose de la société de son époque et du tempérament Russe? Nous met-il face à des valeurs et des normes qui tout en se donnant pour vraies requièrent d’être interrogées ?  Autrement dit au-delà d’une histoire qu’on peut résumer en trois phrases Goncharov distille une réflexion philosophique très actuelle.

Et en effet Oblomov nous intéresse car il pose sans agir des actes très forts. Il nous interroge sur ce que nous tenons pour des valeurs fondamentales : travail, famille, système social, bonheur, sens de la vie, et finalité de l’agir. Posant la question cruciale : What for ?

Il élève le non agir au rang d’aspiration suprême, d’incarnation du bonheur voie de philosophie. Il réduit ce faisant la quête du sens à une question in-signifiante, à un souci inutile, à une préoccupation insupportable, ce qui n’est pas sans nous mettre face à des questions aux allures d’apories qui concernent non seulement Oblomov mais Goncharov lui-même car de même que Flaubert est Madame Bovary, Goncharov est Oblomov.

Oblomov est-il un apathique ou un sage, sachant que la sagesse est synonyme d’ataraxie? Est-il un paresseux ou un oisif pratiquant l’art du non agir comme ennui royal? Est-ce un dépressif, aboulique, tétanisé devant le moindre choix ou un sceptique pour qui l’action est une vaine prétention?  Incarne-t-il le dilemme de la réflexion qui tétanise l’action ?

Comme on le voit, toute la réflexion se focalise sur les raisons d’agir si tant est qu’il y en ait de suffisantes. Dans le cas d’Oblomov rien ne le contraint à agir ni ami, ni amour, ni situation financière. Il est celui sur qui rien n’a de prise, il est l’homme bulle, l’homme pétrifié et à sa façon il incarne la perfection c’est-à-dire l’achèvement de ce à quoi rien ne manque. Mais son immutabilité est-elle un abandon ou une position ?  En effet il ne cherche même pas à changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde, il préfère y renoncer. Entre romantisme et réalisme trace-t-il une nouvelle voie ?

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Une curieuse nouvelle en témoigne « Est-ce bien ou mal de vivre dans ce monde ? » (« A travers la Sibérie » passage extrait de La Frégate Pallas, 1841) Dans cette nouvelle sous-titrée, Etude philosophique et esthétique, le narrateur fait l’apologie à mots couverts et élégants d’une maison close sur le canal Fontanka à Saint Pétersbourg. Se profile un Goncharov épicurien qui face aux heurs et malheurs du vivre concilie à la fois l’ennui du quotidien « qu’il est ennuyeux de vivre », les devoirs, soucis, préoccupations des autres, ce qui serait le stade éthique avec le plaisir de vivre pour soi qui est, écrit-il, la moitié « esthétique ». Là tout est idéal et consolation. Dans les salons de cette maison où règnent des femmes pareilles à des geishas ce ne sont que discussions athéniennes. La paresse change alors de sens, ce n’est plus celle de l’ennui mais celle requise à la vie, une vie dégustée.

On voit dès lors que les lectures philosophiques possibles sont nombreuses, qui irait de Platon, Goncharov écrit du reste qu’Oblomov est un Platon russe ; à Aristote dont la théorie du premier moteur immobile pourrait s’appliquer à l’oblomocentrisme, Oblomov étant le barine autour duquel tout gravite et qui sans se mouvoir induit le mouvement de ceux qui l’aiment ou le servent : on poursuivrait avec la philosophie ascétique du plaisir chez Epicure ; on pourrait aussi convoquer l’auteur des « Rêveries du Promeneur Solitaire » car Oblomov est un rêveur impénitent, solitaire parmi les autres. Du reste le « Songe d’Oblomovscka » nous transporte dans le pays du lait et du miel que fut son enfance ; enfin on trouverait chez Heidegger comme chez Jankélévitch des notions telles que : l’ennui, le souci, la nostalgie, la dictature du « on » évoqué sous la figure des « autres » qui sont au cœur de la relation d’Oblomov au monde.

Outre l’approche philosophique il ne faudrait pas négliger deux autres aspects : l’un sociologique, l’autre littéraire. D’une part le débat est ouvert à propos de Goncharov à savoir s’il fut un conservateur ou un critique du régime, et en particulier du fonctionnariat, d’autres part son œuvre elle-même est à la fois très classique de par son écriture mais en même temps en rupture avec les envolées lyriques du romantisme. On pourrait même parler d’un nouveau roman puisqu’il fait de la banalité d’un anti héro son thème principal et lui oppose l’homme positif qu’est son ami Stolz 

« Jean Blot » à ce propos dans « Goncharov ou l’impossible réalisme » développe la thèse selon laquelle l’auteur fait le portrait d’une Russie conservatrice condamnée à l’infantilisation et au passéisme, incapable de se rénover comme l’Europe, en bref, victime d’un romantisme qu’il définit comme « la conduite de l’homme de l’au-delà échoué dans une société de l’ici-bas, de l’homme du transcendant exilé dans la société de l’avenir et du projet » Deux principes s’affrontent, l’un de plaisir l’autre de réalité et Oblomov incarne l’incapacité à franchir le pas de la maturité comme la Russie celui de la modernité. En ce sens Goncharov fonde la littérature du monde d’aujourd’hui et du monde positif sa mélancolie tenant à l’impossibilité de réconcilier la vie intérieure et le monde réel. Peu de temps après, Freud nous dira ce qu’il en est des sacrifices qu’exige le bonheur, toujours remis et médiocre, que promet la culture du monde moderne, or Oblomov refuse de payer ce prix. Pris entre le dilemme d’un agir qui consisterait à consacrer les idoles du réel et d’un non agir qui le condamne, Oblomov s’immobilise entre les illusions du romantisme et les fictions du réalisme. Coupé de son être et ne croyant pas en ce devenir, telle est la situation d’Oblomov.

Enfin en ce qui concerne les thèmes précisons qu’ils ne sont pas propres à Oblomov mais concerne aussi les autres romans de Goncharov. Sans un dressé une liste exhaustive retenons :

-          Le temps et l’espace, le souvenir, le passé, le songe

-          La relation aux autres (amour, amitié, « on »)

-          Le corps et le désir sublimé

-          L’ennui, le souci

-          L’inaction

-          Le sens de la vie

-          La mélancolie…

Quant à notre question principale elle concernera la définition et les causes de l’Oblomovisme.

       

Vie et œuvre de Gontcharov (06 juin 1812 – 20 septembre 1891)

 

Force est de constater le caractère indissociable d’Oblomov et de Gontcharov. Dans Mieux vaut tard que jamais l’auteur écrit « je n’ai écrit que ce que j’ai vécu profondément, ce que j’ai pensé, senti, aimé, vu, connu de près, en un mot, j’ai écrit ma vie et ce qui est venu s’y greffer »

C’est dire qu’il s’agit-là d’une œuvre autobiographique grâce à laquelle l’auteur prend conscience de lui-même dans un dialogue de l’âme avec elle-même que Platon nommait pensée« On pourrait même déduire qu’il a plus écrit sa vie qu’il ne l’a vécue comme si l’écriture était son Oblomovscka personnelle. »

Ivan Gontcharov nait à Simbirsk au bord de la Volga. Cette ville, fondée en 1648 forte de quinze mille habitants, sera rebaptisée Oulianov en l’honneur de Lénine qui y naitra 60 ans plus tard. D’elle Lermontov écrira :

Le sommeil et l’ennui

Gardent Simbirsk prisonnier

Même la Volga coule là-bas

D’un flot plus lent et plus égal

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Son père Alexandre Ivanovitch Gontcharov avait 60 ans et sa mère Avdotia Matveievna Chakhterina 36 ans de moins. A 55 ans il épousa la jeune fille de 19 ans. Gontcharov est le second d’une fratrie de quatre. Son frère ainé Nicola nait en 1808 deux sœurs Alexandra et Anna en 1815 et 1818.

Son père est un homme fortuné connu pour sa droiture, possédant, outre une belle maison en ville, quelques villages et nombre de serfs. Il assumait des charges politiques à la tête du conseil municipal. Il mourut quand Ivan avait 7 ans. Que fut-il pour lui ? Un père ou un grand père ? Hérita-t-il de sa mélancolie ? Quant à sa mère elle apparait comme une femme très énergique voire brusque, peut être aigrie par la différence d’âge ou par l’obligation d’assumer trop de responsabilités. Cependant Ivan écrira d’elle à son frère bien plus tard

« Notre mère était très intelligente, elle n’essayait pas de nous dicter le chemin que nous devions suivre »

Cependant peu instruite elle était méfiante au-delà du raisonnable et souffrait comme Gontcharov plus tard d’une manie de la persécution.

C’est alors que surgit le parrain Tregoubov, qui deviendra le père de substitution. Ancien officier de marine il charma par ses récits de voyage la mère et ses enfants. « Nous nous attachâmes à lui de toute nos âmes d’enfant si bien que nous en oubliâmes notre vrai père. » Les deux foyers fusionnèrent. Et tandis qu’Avdotia gérait la maison le parrain s’occupait de l’éducation intellectuelle des enfants. Notons que Gontcharov jouera le même rôle que son parrain à l’égard des enfants de son dernier domestique tout comme Oblomov à l’égard des enfants de sa logeuse. Action altruiste ou moyen d’accéder à la paternité sans avoir à en subir les aléas ni les engagements sentimentaux ? La femme-amie sans être épouse est dès lors idéalisée en mère et gardienne du foyer.

L’enfance de Gontcharov se passa dans cette bulle indolente jusqu’au jour où il fut décidé qu’il poursuivrait ses études auprès du Pop Fedor Trötsky et de son épouse, à l’école de Repevka. Il y étudia les langues anciennes, l’allemand, le français, les auteurs européens, Milton, Racine, Voltaire, Rousseau.

Plus tard Gontcharov dans Le Ravin déplorera cette orgie de lectures désordonnéssans travail, ni effort, ni curiosité.

Puis en 1822 Ivan part, la mort dans l’âme, à Moscou, il a 10 ans.

Il est inscrit avec son frère à l’Ecole Commerciale dont la formation quoi qu’il la détestât lui fut profitable lorsqu’il devint fonctionnaire au ministère des finances département du commerce étranger.

A l’école Ivan s’ennuie il est seul, déraciné, quoiqu’il y côtoie Bielinski, Herzen, Aksakov, Tourgueniev, Lermontov dont il fait un portrait peu flatteur.Cependant il ne les en fréquente pas. A l’égard de tout, y compris des évènements de décembre (soulèvement des décabristes contre Nicolas 1er) il semble indifférent.

Peu à peu son goût pour la littérature perce. En 1832 il traduit Eugène Sue et surtout rencontre Pouchkine « ce fut comme si le soleil avait illuminé l’amphithéâtre ».

En 1834 muni de ses diplômes obtenus à l’université de Moscou il rentre à Simbirsk où il est fêté voire adulé. Il reprend ses conversations avec son parrain qui lui instille l’idée qu’il vaut mieux rêver sa vie que la vivre. Et c’est bien ce qu’il fait lorsqu’il occulte dans Au pays natal la révolte qui grandit chez les serfs (40 mille serfs exécutés en 1836). Plus encore, lorsqu’il est nommé au poste de directeur de la chancellerie du gouverneur à Saint Pétersbourg, il devra réprimer les abus de ses subordonnés tout en fermant les yeux sur les irrégularités de services.

A Saint Pétersbourg il fréquente les salons littéraires particulièrement celui de Maïkov, artiste Peintre aux enfants duquel il enseignera la rhétorique et la littérature. Il y côtoiera celui qui deviendra son frère ennemi Tourgueniev.

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Gontcharov écrit ses premiers essais littéraires dont Nymphodora Ivanovna publié anonymement en 1836 et retrouvé au XXème siècle.

Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme qui vient au commissariat de police déclarer la perte de son mari. Celui-ci a disparu depuis quatre jours. Peu après on la convoque pour lui faire reconnaitre le corps horriblement mutilé d’un homme dont les vêtements, l’alliance et le portefeuille sont identiques à ceux de son époux. Elle est dès lors affreusement malheureuse, sombre dans la dépression, croit le reconnaitre alors dans un homme qui passe dans une calèche. Une nuit le feu prend dans sa maison et son jeune voisin, amoureux transi, la sauve avec son fils et propose de les héberger ce que la jeune femme pudique a du mal à accepter. A quelques temps de là elle est sûr de reconnaitre, lors d’une parade, son époux, elle rejoint l’homme, s’accroche à ses jambes, tant et si bien que la police intervient. On découvrira que son époux l’avait quittée pour une femme riche dont il avait assassiné le mari. Condamné aux galères, peu avant son transfert, il parvient à assassiner sa maitresse avant de se donner la mort. Quant à Nymphodora tout porte à croire qu’elle épousera son voisin.

Dans ce roman on retrouve déjà le portrait D’Olga l’héroïne d’Oblomov, pudique, timide, déterminée, passionnée, fidèle mais aussi l’analyse de ses sentiments, et le personnage de l’amoureux transi aux pieds de la femme aimée. Mais le plus frappant est le style de Gontcharov caractérisé par :

-          L’humour et l’ironie

-          La complicité avec le lecteur invité à imaginer des passages omis.

-          Les commentaires de l’auteur qui sont autant de réflexions sur la nature humaine

-           Et de larges détours qui suspendent le récit et « agacent » la curiosité du lecteur

Peu après paraitra dans le numéro 12 de Perce Neige 1838 une Mauvaise et terrible maladie ou le personnage principal Tiagelenko (Tiageloï « lourd ») préfigure OblomovRésultat de recherche d'images pour "la falaise gontcharov"

Gontcharov y confirme outre sa veine ironique, son sens de l’humour.

La « terrible maladie » n’est pas tant celle de l’apathique Tiagelenko que celle de ses amis les Zourov (alia les Maïkov) qui ne cessent de s’agiter. Incapables de rester chez eux, ils ne cessent de partir en excusions afin de fuir les miasmes de la ville. Ce sont deux conceptions de la vie qui s’affrontent l’une ascétique et idéaliste, l’autre hédoniste et matérialiste. Mais aucune des deux n’échappe à l’ironie de Gontcharov qui stigmatise les habitudes de ses contemporains. Pour preuve Tiagelenko meurt (comme Oblomov) d’une crise d’apoplexie tandis ce que la famille Zourov disparaitra corps et bien lors d’une randonnée dans les Rocheuses.

Tous ces textes : Une Heureuse Erreur 1839 ; La Pépinière 1842 ; Lettres D’un Ami 1848 ; Ivan Podjabrine 1848 sont des essais qui mèneront Gontcharov au personnage d’Oblomov et certaines pages s’y retrouveront, quasi textuellement. Mais avant cela parait son premier roman qui lui apporte la notoriété à 35 ans : Une Histoire Ordinaire (1844-46), parrainée par un Bielinski enthousiaste qui avait déjà découvert Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Herzen. Mais si Bielinski est admiratif de l’œuvre il ne l’est pas de l’homme qu’il juge, vil et mesquin. Quant à Gontcharov il est terrifié par ce succès qu’il considère comme la menace du pire à venir.

Malgré ses prédécesseurs, Lermontov, Pouchkine, Gogol, Gontcharov inaugure le genre du roman en tant que tel. Il fait fureur en faisant paraitre son roman sous forme de feuilletons dans le Contemporain. Dans son enthousiasme Bielinski fait de Gontcharov le chef de fil de l’école réaliste et donc du parti occidentaliste comme il l’avait déjà fait avec Gogol. Mais tels n’étaient ni l’état d’esprit ni les intentions d’un fonctionnaire d’âge mûr, sceptique à l’égard de tous les idéaux et peu enclin à s’engager quelle que fut la cause. Bielinski le traitera de vulgaire et minable et l’ami Tourgueniev considèrera que : « c’est un fonctionnaire dans l’âme dont la vision est limitée par des intérêts médiocres » Et de prédire qu’il s’arrêtera à la première œuvre. On ne lui pardonne pas son anti romantisme ni de faire de la platitude quotidienne son sujet de prédilection offrant au banal une profondeur inattendue.  L’insignifiant, l’ordinaire, l’in-intéressant deviennent des dimensions ontologiques. « En écrivant Une Histoire Ordinaire c’était moi-même que j’avais en vue, moi-même et quantité d’autres pareils à moi » écrira Gontcharov.

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Dans Une Histoire Ordinaire le romantique, Alexandre Adouyev quitte son Oblomovscka pour conquérir Saint Pétersbourg mais son oncle qui l’y attend lui recommande une carrière de fonctionnaire couronnée par un beau mariage. Alexandre ne conçoit pas l’amour comme intéressé, cependant les échecs d’une vie de débauche l’incitent à retourner chez lui où l’ennui mortifère le renvoie à la capitale au milieu des intrigues. Alexandre Adovev est un piètre jeune homme que le confort réduit à l’inaction comme le héros de Griboïedov. Il ne trouve nulle part de repos et le mieux est peut-être comme le pense Gontcharov après Gogol, de s’en remettre au tsar, à la tradition et à Dieu.

Alexandre se vit comme un héros romantique et comme tel il pense que « la vie n’a de prix que pour un héros, un poète ou un amant payé de retour, la vie est enthousiasme, larmes, amour. Le poète crée sans effort : le talent dispense du travail… » Crédo romantique dont il déchantera après Rubempré mais qu’il croit incarner : « je suis une âme d’élite ; un grand poète ; et j’ai une force d’amour infinie ». Or son oncle le déniaise rapidement en mettant fin à ses expansions affectives et à ses rêves romantiques.

Son oncle incarne avant tout la mesure, rien de trop, ni effusion, ni dissimulation, mais une réserve qui fraude la froideur. Il tient le monde à distance et définit un périmètre de sécurité. C’est un réaliste, un homme positif, qui examine les choses telles qu’elles sont et non telles qu’il voudrait qu’elles fussent. Loin de se poser des questions philosophiques c’est un pragmatique qui songe à ses affaires, qui calcule, qui ne se fie à lui-même travaille constamment comme lui reproche son épouse.

Peut-être sont-ce les principes qu’appliquait Gontcharov dans sa vie de haut fonctionnaire. Ce jeune homme romantique n’est-il pas une part de lui-même qui, refoulée, tente à s’incarner dans ses romans ? En tout cas Alexandre venu de sa province, imbu de lui-même déchante dans cette ville cruelle où il n’est rien. Comme Gontcharov il commencera par des traductions et devra son ascension à des passe-droits. Les coups tombent drus, sa fiancé, Nadenka, l’abandonne pour un homme riche puis c’est la trahison de l’ami dont Alexandre se navre. Alors il se met en tête de devenir un grand écrivain, un héros de la littérature. Mais de talent il n’en a point et son oncle de conclure « on t’a donné toutes ses impulsions mais on n’a oublié que le pouvoir créateur » Il se réfugie dès lors dans un scepticisme absolu et s’endort dans une léthargie qui l’affronte à un choix existentiel : l’épicurisme facile de la vie de province ou la carrière brillante du fonctionnaire pétersbourgeois. Choix qui fut aussi celui de Gontcharov qui sut concilier écriture et fonctionnariat.  Alexandre décide de retourner à nouveau dans le giron maternel où il s’assoupit pendant un an et demi enfin il découvre ce qu’il veut être en deça du masque romantique qu’il avait adopté. En fait son oncle est devenu son modèle car sa vie active le met à l’abri du besoin et de la mélancolie tout en lui conférant statut et dignité.

Enfin Alexandre devient Adouyev et Gontcharov un fonctionnaire d’état.

Même si l’histoire n’est pas sans en rappeler d’autres, il ne faut pas négliger le style de Gontcharov fait d’analyse, d’ironie, d’humour et d’une capacité exceptionnelle à donner vie à ce qu’il décrit grâce à la variété des personnages rappelant les portraits de la Bruyère et à la vivacité des situations.

Dès 1848 Gontcharov se remet au travail et entame Le Songe d’Oblomov qui sera par la suite inséré dans Oblomov. Une jeune fille l’inspire, Junie Efremov amie des Maïkov mais leur amour se transformera en amitié à l’instar de celui d’Oblomov et d’Olga.

Des troubles politiques  qui pourraient toucher Gontcharov car il a comme fréquentations certains conspirateurs l’incitent à partir à Simbirsk où on ne l’a pas vu depuis 14 ans. Comme Alexandre Adouyev il est admiré,courtisé, mais comme Alexandre il s’y ennuie rapidement. A la même époque il confie à Junie son désespoir chronique et cette « poésie de la paresse » à laquelle il restera attaché jusqu’au tombeau. Où qu’il soit il s’ennuie comme le personnage de Griboïedov, comme Roudine ou Eugène Oneguine. Tous souffrent d’un désœuvrement incommensurable devant lequel échoue le divertissement avalé par ce « Monstre Délicat » (Baudelaire Au Lecteur, Les Fleurs du Mal).

Ce qu’il écrit lui semble plat, banal, ennuyeux, comme Gogol il n’est jamais satisfait et le succès lui semble surfait. La mélancolie le ronge.

Cependant dès février 1848 il publie dans l’Almanach du Contemporain le Rêve d’Oblomov qui le replonge dans ces souvenirs d’enfance. Du reste pourrait-il écrire autre chose ? De fugaces impressions s’y succèdent comme au hasard, entre songe et réalité. Derrière les souvenirs se profilent des réflexions : sur le temps dont la mémoire suspend le cours ; sur le vivre bien distinct du bien vivre ; sur la véritable réalité qui n’est pas dans l’agitation du paraitre mais dans l’immutabilité de l’être.                              

Le Songe d’Oblomov deviendra le chapitre sans numéro d’Oblomov entre le 8 et le 10. Il comporte une cinquantaine de pages narrant quatre rêves successifs d’Oblomov.

Non seulement l’éthique mais l’esthétique de Gontcharov s’y déploient dans une philosophie de μἐδεν αγαν (Rien de trop). En sont bannis le sauvage et le grandiose, le sublime des romantiques, le rugissement de la mer comme celui des bêtes au profit d’une vie tranquille et longue et d’une mort douce. « Tout ici n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté » (Baudelaire Invitation au voyage). L’ordre y est immuable, prescrit par la nature. Les habitants contents de leur sort ignorent tout du monde extérieur. Mais cette tranquillité d’âme, cette absence de passion est aussi une absence de compassion car si l’on trouve un étranger étendu au sol on le laisse là où il est.

Le souci principal à Oblomovscka est la nourriture qu’on prépare du matin au soir et qui fera plus tard mourir Oblomov d’une crise d’apoplexie. Mais n’est-il pas effrayant en fait ce monde qui sous ses allures hédonistes cache indifférence, cruauté, servage, que figurent les arbres qui à la nuit tombée deviennent de monstrueuses figures ?

Dans le Songe se profile l’oblomovisme que Gontcharov peaufine de roman en roman. Mais sont-ce des hommes qu’il décrit ou des ruminants ? N’il y a-t-il pas là de la part de Gontcharov une ironie face à cette réalité morbide ?

 

En tout cas l’œuvre fut censurée à plusieurs endroits et ses amis réalistes furent très critiques eux qui voulaient l’abolition du passé. Déjà il a le projet d’un nouveau roman le Ravin (ou la Falaise) qui attendra 20 ans pour paraitre. Mais étonnamment et sur un coup de tête il se décide de faire un tour du monde. Il y accompagnera en tant que secrétaire le général Poutiatine partant pour une inspection des possessions russes d’Amérique du nord sur la Frégate Palace. Mais en fait il s’agit de conclure un traité commercial avec le Japon. Il naviguera pendant 2 ans de Portsmouth et Londres à Madère, Cap vert, Cap De Bonne Espérance, Java, Singapour, Hong Kong, Nagasaki, Shangaï, Manille, la Corée. Puis il rentrera seul en traversant la Sibérie. Il réunira en un livre La Frégate Pallas une série de lettres et des notes. Mais il n’en oublie pas Oblomov qui d’une certaine façon fait le voyage.

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Durant celui-ci il ne manifeste guère de curiosité pour ce qu’il visite. A Londres, aux monuments il préfère les gens. Deux critères président à ses jugements : Ordre et confort jusque dans l’agencement des essences naturelles. Face à une tempête qui rend l’équipage enthousiaste Gontcharov répond par « Hideur et désordre ». Comme Gogol il a la nostalgie de la Russie. A ses compagnons il semble grognon et encombrant. A son retour il jubile.

Il s’agit du deuxième chef d’œuvre de Gontcharov mêlant poésie et familiarité avec le lecteur, commentaire savant et anecdote. Il sera du reste sept fois réédité de son vivant. Bien que sans faire de géopolitique il dresse un état du monde où il épingle d’une part l'hegémonie britannique sur l’Afrique du sud, Singapour, la Chine, et le Japon et d’autre part la rivalité entre la Russie et les Etats Unis d’Amérique en extrême Orient.

Enfin ce voyage c’est aussi la réalisation d’un rêve d’enfance instillé par son parrain, le marin Tregoubov qui lui avait transmis son amour inconditionnel pour la mer « je croyais rêver, être soudain redevenu un enfant » écrit Gontcharov.

La Traversée de la Sibérie narrée en pas moins de 100 pages, décrit les mœurs des habitants, le commerce,la dureté de la vie, la misère dans des régions où le thermomètre descend à -70°C.

De retour en 1855 Nikitenko persuade Gontcharov de rentrer au comité de censure. Il fera un bon censeur, c’est un homme intelligent qui a du tact et cela le sauvera du bureaucratisme dans lequel il est en train de sombrer. (1) Mais au bout de quelques mois, surchargé de travail, il prend un congé et voyage en Europe. Il va à Paris où il se lie d’une réelle amitié avec Tourgueniev. Ils se lisent mutuellement leurs ouvrages, Tourgueniev Un Nid de Seigneurs qui deviendra ensuite par la suite une pomme de discorde entre les deux amis puisque Gontcharov l’accusera d’avoir plagié son roman Le Ravin. Il racontera dans Une Histoire Peu Commune en 1863 leur différend.

Au bout de quatre mois de vacance Gontcharov réintègre son poste et se met à la tâche d’Oblomov, nous sommes en 1859.

  Oblomov

Gontcharov rumine son œuvre pendant 10 ans. Il s’agit « D’un Homme qui Dort » pour reprendre le titre de Perec avec lequel le héros a beaucoup d’analogie mais aussi beaucoup de différences. L’Histoire est simple et se divise en quatre parties : Une journée d’Illia Oblomov. Celui-ci n’arrive pas à s’extirper de son lit, il devrait se lever, s’habiller, répondre à des courriers urgents, recevoir ses visiteurs en tenue decente mais ces décisions demeurent des velléités (158 pages incluant le Songe d’Oblomov). Deuxième partie : Arrive son ami, tuteur, conseiller, Stolz qui jure de le sortir de son lit de sa chambre de son appartement, de son état d’apathie. Oblomov y consent sans y prendre aucun plaisir, pire, cela l’encourage à valoriser l’inaction. Mais Stolz lui fait rencontrer Olga. S’ensuit une longue et romantique idylle (130 pages). Troisième partie : l’idylle se solde par un échec, Oblomov très déprimé, n’a plus goût à rien même pas aux soins que sa logeuse Agafia (nom de la mère de Gontcharov) lui prodigue. Il laisse ses affaires aller à vau l’eau, se fait escroquer par le frère d’Agafia et vit dans une semi misère. Quatrième Partie : Une année passe puis une autre, Stolz vient rendre visite à Oblomov et il est atterré par l’état des lieux. Il flaire l’escroquerie et il décide de reprendre les affaires de son ami en main. En même temps il se rapproche d’Olga et l’épouse. Le bonheur règne jusqu’à ce qu’Olga soit touchée à son tour par l’oblomovisme dont elle cherche à se guérir auprès de son mari. De son côté Oblomov s’est lui aussi marié à Agafia, il a même un fils Andreï et peu à peu il s’enfonce dans son passé, opère un retour en Oblomovscka et meurt d’une crise d’apoplexie.

Tout au long du récit des questions pressantes se posent :

-          Pourquoi Oblomov ne peut-il surmonter sa paresse ?

-          Quand vivre ? Y a-t-il un temps pour vivre et être heureux ? Sans cesse les obligations nous forcent à remettre à demain, les obligations sociales morales prennent le pas et en attendant on ne vit pas. La vie elle-même pleine de bruit et de fureur sans cesse pose la question de son sens.

-          L’homme peut-il entreprendre sans finalité même si celle-ci n’est qu’une illusion ?

Oblomov se pose donc des questions philosophiques essentielles et Gontcharov en incarne les réponses possibles dans ces différents personnages.

Commençons par Zaccar, le domestique dévoué à son maitre, aussi paresseux que lui, négligeant, maladroit, revêche voire insolent, objet du mépris attaché à la condition de serf et pourtant maitre de son maitre mais sans que la dialectique hégelienne se termine en révolte. Attaché à son maitre comme un chien fidèle, réduit à la misère à la mort d’Oblomov il ira régulièrement sur sa tombe.
Zaccar incarne un type d’homme soumis à sa condition et fataliste. Tel est le destin pense-t-il et s’il en est ainsi c’est que c’était nécessaire.

En second lieu il y a Agafia, devenue logeuse d’Oblomov, lorsque celui-ci décide de quitter son appartement pour se rapprocher d’Olga. Agafia c’est à la fois l’alter égo de la mère de Gontcharov et de celle d’Oblomov lorsqu’il était enfant. A la fois domestique et épouse, elle agit à la place d’Oblomov le nourrit, (ses bras blancs qui fascinent Oblomov sont l’analogon d’un cordon ombilical) le dorlote, se sacrifie à son confort. Il est pour elle l’inattendu, le miracle de sa vie, il est le barin sacré et lorsque Stolz lui proposera de se charger de l’éducation d’Andreï elle trouvera cela normal car elle est d’un statut inférieur. Qu’est-elle pour Oblomov ? l’incarnation du repos ? c’est du reste elle qui ressortira sa vieille robe de chambre après sa rupture avec Olga. Tout comme Zaccar elle sera inconsolable à sa mort, la lumière ayant disparu de sa vie. Sa relation au monde et sa réponse au mal-être d’Oblomov passe par le nourrissage par un acte essentiel, silencieux, maternel et régressif. Nulle révolte chez elle, nulle question, nulle contrariété ni souci.

Plus dynamique est le personnage de Stolz dont les sonorités du nom suggèrent le caractère. Il in carne d’un point de vue sociologique l’homme positif, le russe nouveau, celui qui secoue l’apathie, l’arriération, et le conservatisme russe que déplore les occidentalistes. Ainsi Dobrolioubov, dans son étude parue en 1859, dans Les Annales salue en Gontcharov la condamnation du passé.

Stolz est au sens propre le tuteur d’Oblomov qui s’en remet à lui sans cependant suivre ses conseils qui lui sont inapplicables. Hyperactif, entreprenant, prudent, il est en prise avec le monde et incarne une attitude volontariste face à la réalité dans laquelle il veut, à la différence d’Oblomov incarner ses rêves. Il soumet ses désirs au principe de réalité. Auprès d’Olga, qui est le pendant féminin d’Oblomov, il jouera le même rôle mais avec plus de succès.

Quant à Olga, elle incarne une attitude ambiguë face à la réalité. Elle est à la fois la jeune fille romantique dont l’éducation libérale, lui laisse le choix de sa vie ; à l’égard d’Oblomov elle se prend au jeu d’être le Pygmalion qu’il l’extraira de sa paresse. Elle devient pour lui une brûlure, une douleur, une préoccupation, et face aux inquiétudes et aux scrupules d’Oblomov elle se fait à son tour analyste de ses propres sentiments. Submergée par l’oblomovisme elle en ressentira les effets alors qu’elle est mariée à Stolz et s’interrogera sur le sens de la vie et de l’agir face à la fin inéluctable de toutes choses. Une réponse est-elle alors possible ? Oui mais qui ne sera pas un remède car il ne s’agit pas de guérir mais de faire avec, avec ce souci qui est une dimension de l’être. Souci que Heidegger définit comme « une manière d’être dans laquelle on est préoccupé de quelque chose » en l’occurrence de ce qu’on a à être et de ce qu’on n’assume pas car l’homme n’est pas comme une chose est, il est en tant que projet, jeté au devant de soi. Or si Oblomov échoue à se projeter et donc à être, Olga y parviendra grâce à son époux et éprouvera le bonheur de vivre avec le chagrin, le travail, les épreuves. L’amour se révèle alors plus fort que la mort et fournit une réponse à l’Oblomovisme.

Quant à Oblomov l’étymologie de son nom nous révèle qu’il est soit en morceau, soit qu’il est une cassure, une brisure. Cela signifie-t-il qu’il se vit sur le mode de la désunion entre désir et devoir ; apathie – énergie ; corps – âme ; brisure de l’élan vital ? les sonorités même de son nom : le triple /o/ fermé qui ne laisse ni entrer ni sortir, recueille dans l’intime ; la liquide /l/ et la consonne mouillé /m/ atténuent la légère explosion de l’occlusive sonore /b/ et enfin la vélaire expire dans la douceur. Tout le caractère d’Oblomov est là dans ces quelques sons.

Au demeurant c’est un sceptique nourri de l’observation de ses contemporains dont la suspension du jugement induit celle de toute action. C’est pourquoi on le pense paresseux alors qu’il est philosophique c’est donc un Platon Oblomovien.

En quoi sa philosophie consiste elle ? à douter, résister, dire non à tout ce qui se présente comme vrai, bon, normal. Il instille dans les rouages de la normativité le scrupule (petit grain de sable qu’on néglige) Pourquoi agit-on ? il remet en question le principe de finalité qui cède le pas devant la nécessité de ce qui est car si nous croyons assigner des fins à nos actions et conséquemment être libre, en fait, nous sommes agis par des causes que nous ignorons.

Aux questions : qui suis-je ? pourquoi suis-je ainsi ? quelle est ma raison d’être ? Nulle réponse ne le satisfait,  pas plus le travail,  que le divertissement, que la famille. La condition de l’homme moderne, déplore Oblomov, est l’intranquillité mais aussi l’ennui qui génère la lassitude de vivre, qui s’enivre de divertissement, qui repend la cruauté.

Certes Oblomov connait l’ennui mais son ennui est royal. Il n’est pas la cause ni la conséquence de l’agitation des hommes,mais un temps suspendu, propice à la rêverie. C’est une vacation intérieure, un otium. Or l’art de s’ennuyer royalement se nomme philosophie. Heidegger le définit comme une manière d’être accordé au monde en l’occurrence au monde intérieur d’Oblomov qui se nomme Oblomovscka. Oblomov est donc bien un mélancolique mais c’est un mélancolique à qui appartient la profondeur.

La mélancolie est un certain rapport au temps qui nous mène inexorablement vers la mort. Oblomov lui recherche ce qui dure car il sait la durée source d’unité de l’homme et de l’être. Certes on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve mais c’est toujours la même eau qui coule. Au temps quantitatif, fragmentaire, discontinu et homogène, Oblomov préfère la continuité qualitative dont il fit l’expérience enfant à Oblomovscka. Dans le fini il goute l’infini et la mélancolie n’est autre que l’irruption de l’un dans l’autre pareil à ce que font pressentir les films d’Ozu. A Oblomovscka il connut ce que Romain Rolland nomma le sentiment Océanique, paradigme de la béatitude. C’est pourquoi il développe une véritable philosophie de non agir et se protège de l’intrusion des autres dont le « on » anonyme exerce une véritable dictature. Olga ne pourra donc être qu’un personnage d’une Oblomovscka utopique. L’être de chair est trop vivant, inquiet, exigeant. Sans doute Oblomov a-t-il peur de vivre car rien ne l’a préparé. A Oblomovscka tout était paisible, le climat, les mœurs soumises à un ordre immuable : saison, horaire, action répétée. Là on habitait poétiquement le monde. « La vie c’est la poésie libre aux Hommes de la fausser » dit Oblomov qui est poète et philosophe. Il rêve sa vie, se laisse porter par ses rêveries, qui ne sont pas sans rappeler celle du « promeneur solitaire » A Oblomovscka où « il y sentait la vie, son flux lent, son clapotis, et il avançait, dans un rêve de désir, comblé et d’heureuse plénitude »

C’est pourquoi il se protège du monde au moyen de cercles concentriques dont il est le centre. Celui de l’appartement, de la chambre, de sa robe de chambre, de son embonpoint. Rien du froid de l’extérieur leitmotiv des premières pages ni de ses agitations ne doit perturber la sérénité la chaleur et la poussière des lieux. Pareil aux bernard-l’hermite, Oblomov sait que sortir de sa coquille le met en danger de mort. Or qu’est-ce qui attire vers l’extérieur si ce n’est le manque qui/que nourrit le désir ? Mais celui-ci à son tour génère le manque c’est pourquoi entre inertie et agitation, Oblomov trace une troisième voie celle de l’ataraxie.

Aussi dans la vie que l’on dit réelle Oblomov n’a-t-il eu l’impression que de s’éteindre, d’attendre, d’espérer, de se préparer au retour d’un même à jamais révolu.

Mircea Eliade nous a fait comprendre que toute société et l’on pourrait ajouter, toute vie, avait pour fondement un mythe originel, un grand temps, un « il était une fois ». Mais au lieu d’être générateur d’une action il est chez Oblomov un objet de contemplation dans lequel il s’abime, pareil à ses midi ou rien ne palpite dans l’atmosphère annulant tout mouvement qui briserait la perfection de l’éternité, où on en oublie de respirer, où la conscience de vivre elle-même s’estompe. Et Oblomov proche de la mort touchera à sa terre sans cesse promise.

La réception d’Oblomov fut peu enthousiaste au début. Herzen trouvait l’œuvre d’un ennui insupportable. Cependant Oblomov devint un topos qualifiant un individu au même titre que Tartuffe ou Don Juan. Et du reste n’y a-t-il pas en chacun de nous, comme l’écrivait Dobrolioubov, un Oblomov qui sommeille.

A cette époque la querelle avec Tourgueniev fut consommée. Gontcharov l’accusait de plagiat de son côté Tourgueniev avait la dent d’autant plus dure que son « Nid de gentil-hommes » paru en même temps qu’Oblomov eu un succès immédiat. On peut ajouter que Gontcharov commence à manifester des symptômes de paranoïa qui lui firent accuser Tourgueniev de lui avoir volé des papiers dans son bureau et de les avoir transmis à ses amis à Paris, dont Flaubert qui s’en serait inspiré pour Mme Bovary.  Devant l’ire de Gontcharov Tourgueniev conserve son calme et son élégance et tente de relativiser les choses.

L’histoire alla en empirant jusqu’à la rupture des deux amis. Gontcharov prit un congé de maladie puis voyagea à travers l’Europe. Il ne parvenait plus à écrire « je sens en moi un grand froid et un vide absolu, mon travail ne vaut rien ». On croirait lire Gogol. Cependant de retour à Saint Pétersbourg en 1860 il se remet Au Ravin commencé en 49 et qu’il achèvera en 69. Mais tout l’ennuie il est désœuvré et même persuadé qu’il n’écrira plus. Cependant le ministre de l’Intérieur le rappelle, afin qu’il devienne Directeur du nouveau quotidien gouvernemental, Le Courrier du Nord. Curieusement son indifférence a tout en fait un fonctionnaire zélé et de ce fait apprécié. Il tombe néanmoins amoureux d’une chienne un loulou de Pomeranie prénommé Mimichka, qui devient littéralement sa compagne « si elle meurt, écrit-il, je vendrai tout… » mais le remède n’est pas suffisant « je suis même trop paresseux pour vivre » Après six mois de travail il n’en peut plus, on le nomme alors membre du Conseil des affaires de presse puis conseiller d’Etat en 1863. Mais à nouveau il s’échappe et partage ses villégiatures entre Marienbad et Boulogne sur Mer. Enfin après moult tergiversations il se résout à lire des passages Du Ravin sans que rien soit décidé concernant sa publication, d’autant qu’il n’est pas achevé. S’ensuivent des périodes d’exaltation créatrice et de désespoir, doublé d’un sentiment d’hostilité profonde de la part de ses contemporains.

L’impression Du Ravin Résultat de recherche d'images pour "la falaise gontcharov"est l’objet d’annonce puis de rétractations de la part de Gontcharov. Sa répugnance est nourrie par la réaction des Tourgueniev et de Dostoïevski qui disent l’écrivain mort en Gontcharov. Mais que critique-t-on ? l’œuvre d’un point de vue artistique ou les idées et valeurs conservatrices que défend l’homme? l’enjeu est -il artistique ou politique?

En tout cas la charge des libéraux contre Gontcharov eut l’effet inverse dans le public qui le lut sous forme de feuilletons. Les abonnés du journal passent de 3 500 à 6 000 le succès commercial est total.

Quelle place Le Ravin tient-il dans l’œuvre de Gontcharov de la vie de celui-ci ? C’est le dernier tome d’un triptyque commencer avec Une Histoire Ordinaire et poursuivie avec Oblomov. Décline sur le même type de personnage qu’Alexandre Adouyev et Oblomov, Ravsky est le frère de ce dernier et aussi le plus proche, par le caractère, de Gontcharov. Cependant si dans Oblomov Gontcharov décrit l’engourdissement de la Russie, Le Ravin est une promesse de réveil incarnée par la libération de la femme, l’arrachement à la vie familiale et patriarcale, la découverte de la modernité. Autant dire que les topoï changent en fonction du contexte historique.

Le Ravin se compose de cinq parties. Ravskyest idéaliste, artiste dans l’âme, musicien, dessinateur, peintre, écrivain, revient, accompagné de son domestique Egor, dans sa propriété de Malinovski dirigé par sa tante. Prend conscience de l’inanité de sa vie à Saint Pétersbourg. Il se lie d’amitié avec Volokhov qui est un raté du nihilisme, bavard, ennemi de tous. Cependant il subjugue Ravski tandis que son viele ami et professeur, Kozlov l’incite à la prudence. Il rencontre aussi Touchine le forestier, homme d’action, pondéré et travailleur proche de la nature. La grand-mère de Ravski, Tatiana Markovna gère le domaine de main de maitre et élève ses filles adoptives Marfinka et Vera. L’une est primesautière l’autre mystérieuse, et elle se dérobe à la passion de Ravski car elle est amoureuse de Volokhov. Abandonnée par celui-ci, elle épousera le forestier Touchine qui incarne l’homme positif. Raiski retournera à Saint Pétersbourg. Le véritable enjeu de ce sujet est Vera puisque celle-ci incarne une femme libre, désireuse d’affirmer ses goûts et ses désirs, décidée à choisir sa vie.

La critique sera sévère.

Il restait encore 20 ans à vivre à Gontcharov durant lesquelles il se retira du monde, vivant seul avec ses domestiques dans un rez-de-chaussée mais sans toutefois cesser d’écrire : Un Million de Tourment 1872 sur Griboïedov ; Une Soirée Littéraire, 1879 ; des critiques de peinture ; Mieux Vaux Tard que Jamais 1880 ; Serviteurs de l’Ancien temps ; Au PaysNatal ; Dans la Sibérie orientale 1890 et enfin Mois de mai à SaintPétersbourg.

Dans Une Soirée Littéraire ou Le Tournois Critique, Gontcharov prend prétexte de la lecture d’un roman médiocre pour affronter les différentes théories littéraires des années 80. Outre l’analyse littéraire, il s’agit avant tout de la description ironique d’une société qui se pique de jugement littéraire, face à un défenseur du roman, qui le définit en termes d’« Ecole de Vie ». Çà et là apparaissent les noms de Pouchkine, Gogol, Lermontov, Zola. En arrière fond se dessine la querelle en les occidentalistes et les conservateurs, la nouvelle et l’ancienne génération, qui craint plus que tout la monté du Nihilisme et le déclin de la religion. La presse est épinglée en passant, en des termes que l’on pourrait actuellement reprendre. Et l’on ne s’étonnera pas de l’admiration de Gontcharov pour Griboïedov dont on retrouve le héros misanthrope en la personne de Kriakov. De fait on assite à une véritable joute littéraire pour savoir quels sont les bons romans et pourquoi ils le sont. Est-ce grace au style, aux idées, aux deux à la fois, ce qui définirait la vérité artistique ?

Mieux Vaux Tard que Jamais, destiné à servir de préface au Ravin, fut abandonné jusqu’en 1879. C’est à la fois une confession littéraire et une critique de son œuvre par Gontcharov où il explicite la genèse de ses œuvres.

Enfin sa dernière œuvre, Mois de Mai à Saint Pétersbourg, décrit le comique naturel et mordant de celui dont la fenêtre donne sur la rue.

L’ouvrage est composé de trois textes : Une erreur qui porte chance ; Le mois de mai à saint Pétersbourg ; Serviteurs de l’ancien temps.

Le premier ne fait que reprendre des amours tumultueuses et hésitantes de ses héros précédents, Oblomov et Olga et se termine par la réconciliation des amants. Le passage le plus original en est un éloge de l’ombre dont les enchantements poétiques distillent une douce mélancolie.

Le second se plait à la description des usages des habitants d’un immeuble. Mais après 20 pages de celle-ci, Gontcharov en tire la conclusion qu’il n’y a rien à retirer de tout cela, et de recommencer la boucle là où on la croyait achevée.

Enfin, Serviteurs de l’ancien temps est un texte qui permet de faire le point sur la question tendancieuse de l’attitude de Gontcharov face au servage. Gontcharov se dit ignorant de la campagne et de la vie des serfs mais par contre proche de ses domestiques dont il fait la description en quatre portraits remarquables où il apparait bien plus dépendant d’eux que le contraire. C’est Valentin le poète avec lequel Gontcharov discute littérature ; c’est Anton qui succombe au mal du siècle, la boisson ; c’est Stépan et son épouse, et surtout Mathieu qui éprouve pour lui un attachement viscéral, dont il fait la démonstration au retour de Gontcharov du voyage sur la Frégate Pallas. Et l’on comprend dès lors que le servage n’est pas nécessairement un esclavage, mais une garantie pour les vieux jours du serf, qu’une véritable tendresse lie à son maitre. Et du reste Gontcharov n’hésitera pas à prendre sous sa protection la veuve et les enfants de son domestique décédé.

La fin de Gontcharov est triste, sa paranoïa va en inspirant, sa dégradation physique aussi. Après une première attaque en 1888 la seconde, le 15/09/1891, fut mortelle. Dans son testament, il stipulait léguer à la veuve et aux enfants de son serviteur de son domestique tous ses biens. Laissons le dernier mot à Oblomov (citation)  

 

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Anastasia Chopplet

Conférence 2019

 

(1)     Ce qui lui vaudra une diatribe de Herzen Histoire Extraordinaire du censeur Gon Tcha Po du Chi Pon Kov (transcription russe d’un mot chinois signifiant Japon))

                                                          

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