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Conférences de Solange Anastasia Chopplet
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23 mai 2019

L'ART SACRE

 

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L'ETRE SE DIT DE MULTIPLES FACONS

NON LIEU DE L'ART SACRE

 

 

« Quelquefois, après le coucher du soleil

quand le silence fait taire le vent,

et les oiseaux,

alors même les arbres et les collines savent ce que c'est que le Sacré …

À d'autres moments on le sait à peine

Qu’une nostalgie existe, la nostalgie de Dieu. »

 

Alexandre Hollan

 

 

 

Suffit-il qu'une œuvre soit conforme aux impératifs liturgiques de l'Eglise et à ses énoncés dogmatiques pour ressortir à l'art sacré? A l'inverse, suffit-il qu'un objet d'art assure une fonction liturgique pour induire le sentiment de sacré? L'artiste qui honore une commande de l'Eglise a-t-il le sentiment de faire de l'art sacré? A contrario, l'œuvre la plus apparemment éloignée de toute préoccupation religieuse ne peut-elle témoigner d'une authentique quête spirituelle ? En vertu de quels critères relèguera t-on la Chapelle de Vence de Matisse du côté de l'art décoratif (Philippe Dagen) ou bien la contemplera-t-on comme l'expression du Veni Creator (André Gence)? Qu'est-ce qui fit crier au scandale devant le Christ de l'Eglise d'Assy de Germaine Richier alors qu'il est devenu quasi banal de représenter le Christ sans Croix? Jugera-t-on la célèbre Crucifixion de Picasso comme indigne de son sujet? Mais au nom de quoi si ce n'est d'une représentation conventionnelle de la Crucifixion qui en soi n'a pas de valeur normative ? Pour une humanité condamnée au désenchantement du monde depuis que la mort de Dieu ou du moins d'une certaine idée que l'on s'en faisait a été définitivement prononcée, il semble que le sacré, sous quelque forme que ce soit, est devenu incompatible avec la modernité et ne trouve refuge que dans les recoins obscurs des églises. Désormais abandonné, l'homme doit s'aventurer seul dans les territoires dont l'intelligibilité était auparavant assurée par Dieu. Mais le retrait de Celui-ci n'en rend-l pas plus forte Sa Présence, où du moins, une préoccupation de l'ultime que manifestent les expérimentations aussi fortes que variées qu'entreprend l'homme ? Pour preuve la démultiplication des quasi religions comme les nomme Tillich. Or l'art qui, pour relatif à une individualité qu'il soit, est inséré dans un milieu culturel dont il témoigne tout en s'en démarquant, ne peut échapper à cette exigence de se repenser dans le cadre de la « mort de Dieu ». Si, à une certaine époque, il était assez clair que faire de l'art sacré consistait à s'inspirer de l'histoire sainte (cf. p7}, il est certain qu'une fois prononcée la désacralisation de celle-ci dont Dieu s'est éloigné, il n'en va plus de meme. Après le cataclysme d'Auschwitz qui fit poser à Jonas la question de savoir si l'on pouvait encore penser Dieu après Auschwitz;  après les victoires d'une technologie qui confère à la raison la possibilité de résoudre tous les problèmes rencontrés par l'humanité (tout en oubliant que l'instrumentalisation de celle-ci nous conduit à notre perte), la question de l'art sacré ne pouvait que faire problème et soulever une méfiance qui après tout lui fut bénéfique. Si, en effet, l'art n'est pas fait pour rassurer mais pour inquiéter, c'est à dire mettre hors de la quiétude, si l'art est bien le scrupule (grain de sable) qui doit empêcher de marcher, alors la notion d'art sacré entendue comme art au service de la liturgie, ne peut bien sûr suffire à couvrir le vaste champ de la quête de sens qui peut animer l'artiste. Allons plus loin cette appellation aurait de quoi rebuter les artistes que n'anime aucune foi, de même que l'amateur l'art allergique à toute forme de croyance. Dès lors, le langage s'avère non seulement insuffisant mais aussi dommageable lorsqu'il s'agit de nommer, ce qui après tout ressort à l'in-nommable tout comme le divin ressort à l'infigurable. Or, n'est-ce pas dans cet apophatisme que se trouve le terreau originaire d'une quête humaine de sens que les religions et les arts prennent en charge?

Frères que l'on voulut rendre ennemis, l'art et la religion se sont livrés des combats impitoyables sans que jamais cependant l'un put se passer de l'intermédiaire de l'autre. Est-ce à dire que la quête de sens ne prend sens que dans une esthétique qui dit la relation charnelle de l'homme au monde? Le sensible serait-il le révélateur sur lequel viendrait s'imprimer au plus profond de chacun ce qu'il en est de ses doutes, de son mal-être, de sa dérive au sein d'une radicale contingence où nul ne sait pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien? Miroir tout autant que révélateur, l'art serait cette voie en quête de cet instant inouï qui parfois nous réconcilie avec nous-mêmes, car réconciliés avec le monde. A cela, la grande patience est nécessaire, celle du regard qui se pose pour pénétrer dans la matière qui s'offre telle une peau où une chair, sur laquelle les mille traces de la souffrance laissent leur marque.

De même qu'il faut au philosophe la patience du concept, il faut à l'artiste celle du poïein qui en fait un démiurge en quête d'être. Quant à l'ama-teur, il lui faut celle du silence et du temps, le temps d'être-avec, le temps d'une époché où suspendant son jugement toujours trop précoce (pareil à un obstacle rassurant), il se laisse pénétrer par un autre où un Tout-autre. Car l'expérience de l'autre est là qui confère à l'art une sacralité, celle du face à face avec un visage dont l'impératif éthique et catégorique m'imposant de le laisser-être dans son infinie liberté m'enjoint de le re-specter. Alors peut-être peut-on effectivement, si l'on y tient, parler du caractère sacré de l'art dès lors que celui-ci me fait connaître qu'il en va de mon être dans cet être là qui m'inspire un infini respect. Or, c'est dans le retrait même de l'être que suggère le retrait de l'image qui se perd et se retrouve dans la trace, l'ombre et l'esquisse, qu'il m'est fait Signe. Loin d'être une surface plane sur laquelle sont agencées des couleurs en un certain ordre, un tableau est l'espace d'une profondeur animée, d'une palpitation, celle d'un cœur qui bat pour celui qui le regarde et accepte cette histoire d'amour qu'est toute rencontre.

Le public ne s'y est pas trompé qui se tourne vers l'art présenté comme l'ultime refuge d'une préoccupation "qui, pour confuse qu'elle soit, n'en finit pas de tarauder l'être-pour-la-mort que nous sommes. A l'artiste, l'humanité confie ses angoisses les plus profondes, ses quêtes les plus secrètes, ses aspirations les plus douloureuses comme s'il était dépositaire d'un pouvoir lui conférant la capacité de trans-cender ce que notre condition a d'insupportable, d'aliéné, de conventionnel. Pareil au phare décrit par Baudelaire, l'artiste semble l'un des rares refuges de la singularité, de l'authenticité susceptible d'orient-er l'humanité. Mais n'est-ce pas en fait la charge qui lui incombe originellement, nouant les lignes essentielles de sa finalité et de sa matérialité?

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Dès lors, parler d'art spirituel pour le distinguer de ce qui n'en serait pas semble un faux problème car toute création authentique qui ressort à l«urgence d'être » et surgit de l'artiste à son corps défendant, est nécessairement spirituelle ou n'est pas de l'art mais de la mimesis productrice d'images. Or, on le sait, depuis Platon, l'art ainsi conçu ne produit que des apparences doublement éloignées de la vérité et de la réalité. Le réel est en effet ce vers quoi l’on va et non pas le visible environnant. C'est pourquoi l'art a une vocation iconique car c'est dans le champ du réel que se déploie le poïein de l'artiste. Animé par cette quête d'être, il est nécessairement spirituel, esprit animé (anima : l'âme) d'un souffle conjuguant l'aspiration et l'inspiration qui confèrent à son œuvre le rythme de la vie dans ce qu'elle a de plus sacré au sens fort de ce qui produit fascination et répulsion, crainte et tremblement, au sens de ce qui souille dès lors que l'on touche à l'intouchable. Est-ce là une vision de l'esprit qui voudrait ramener l'art dans le giron du religieux et voir dans le musée une cathédrale profane? Pourtant, même au Palais de Tokyo, le rituel préside à la visite et les artistes élaborent des installations qui accueillent l'hôte de passage.

A l'évidence, la question de l'art sacré s'origine dans un mal à l'aise certain car si la question de définir hic et nunc l'art sacré se pose, c'est bien parce qu'un ensemble de problèmes a surgi au nombre desquels on retiendra : l'introduction de l'art non-figuratif dans l'art d'église, la prise en compte de sensibilités et de cultures qui, pour différentes qu'elles soient, n'en manifestent pas moins une réelle quête spirituelle, l'intérêt progressif de l'Eglise à l'égard de l'art dit profane et de ce que les artistes croyants ou non, voire franchement athés, ont à dire de l'être au monde : l'entrée en dialogue de l'Eglise avec les religions non chrétiennes et l'instauration d'un dialogue interreligieux dont on notera qu'il coïncide avec l'intérêt porté aux artistes. Depuis que l'Eglise a admis que l'humanité pouvait être rédemptée par des voies autres que les siennes elle a en fait renoué avec son principe essentiel, à savoir l'absence de dichotomie entre le sacré et le profane. Or, si on accepte ceci, alors force est d'admettre que le lieu de l'art sacré n'est pas nécessairement l'Eglise.

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Par ailleurs, une double question liminaire s’impose: celle de savoir ce qu'est l'art et ce qu'est le sacré, ce qui donne naissance à la problématique de la relation entre art et sacré. Tout art est-il sacré? Le mode d'expression du sacré est-il l'art? Le sacré peut-il même s’exprimer? À quelles conditions qualifiera-t-on un art de sacré? Cette appellation a-t-elle un sens dans le cadre de l'art chrétien alors que le christianisme substitue la notion de saint à celle de sacré? Faut-il dès lors redéfinir le sacré lorsqu'il s'agit d'art chrétien? Par ailleurs, qualifier un art de sacré présuppose la distinction entre sacré et profane: or cette distinction, on l'a dit, n'a pas de sens en christianisme; par conséquent, ce qualificatif est d'un emploi fort ambigü. Mais à vouloir supprimer les distinctions ne risque t-on pas le chaos du « tout sacré » analogue à celui du «tout homme est artiste » ? On pourrait répondre que l'art est sacré dans la mesure où il est inspiré par la foi mais que dire alors d'artistes tel que Cueco qui, pour agnostique qu'il soit, n'hésite pas à parler du sentiment de respect, qu'il identifie au sacré, éprouvé devant une pommede terre (1)?

Que dire par ailleurs des discussions entre les artistes et les commissions d'art sacré car, si celles-ci ont en ligne de mire des impératifs d'ordre liturgique auxquels l'artiste doit se soumettre, celui-ci privilégie les caractères esthétiques et plastiques de ses œuvres. L'art et la liturgie seraient ils incompatibles ?  La notion d' »art » d'église n'aurait-elle pas de sens comme en témoigne par exemple le fait que les noms des artistes ne sont pas mentionnés dans les Eglises ?  

Les œuvres investies par leur fonction liturgigue perdraient-elles leur qualité d'œuvres d'art, l'artiste, pareil en cela à celui du Moyen-Age, se fondrait-il dans l'anonymat que lui imposerait le service de Celui qui passe infiniment l’homme?

Dans ces conditions, on ne serait pas éloigné de l'éthique protestante qui ne qualifie de sacrés que les actes qui sont la mission de l'Eglise. Dès lors, la question de l'art sacré ne se poserait même plus et pareille à la querelle du sexe des anges, on serait là devant un faux problème. Pourquoi ne pas se contenter alors de l'appellation « art d'église » dès lors qu'il s'agit d'œuvres requises pour le culte? Qu'ajoute le qualificatif de sacré qui en établissant une dichotomie entre ce qui est sacré, c'est à dire à l'intérieur de l'espace sacré et ce qui ne l'est pas, le pro-fanum, induit tout un ensemble de réactions, globalement préjudiciables, tant du côté du public que de celui des artistes ?

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Le premier, s'il est agnostique, dédaignera un art lié à la seule expression d'une liturgie mais en même temps, s'inscrira en faux contre une main- mise de l'Eglise à l'égard du sacré comme si celui-ci était nécessairement de l'ordre de l'expression d'une foi. Le second ressentira soit la plus parfaite indifférence à l'égard de ce qualificatif, soit revendiquera la liberté de conférer à ses œuvres une sacralité qui n'aura rien de religieux stricto sensu. C'est ainsi que Cueco qualifie la peinture de Cézanne de mystique et de profane et affirme haut et fort sa méfiance à l'égard d'une Eglise qui donne des réponses alors que le rôle de l'artiste est de « donner forme au mystère».  L'artiste serait-il alors plus proche de l'émotion religieuse primitive que l'Eglise elle-même ? Dès lors, pour que l'art soit sacré, lui faudrait-il sortir des espaces liturgiques ou du moins, car nombreuses sont les œuvres qui montrent l'adéquation de l'expression de la foi et des exigences esthétiques, aurait-il à revendiquer un lieu, des modes d'expression, une poésie ne s'originant pas nécessairement dans une religion révélée ?

L'attitude que manifeste progressivement l'Eglise à l'égard des artistes témoigne qu'elle en prend acte puisqu'elle se veut attentive à ceux-ci, à l'écoute de leur émotion au contact du monde. C'est pourquoi elle ouvre ses portes aux artistes afin qu'en toute liberté ils puissent investir ses lieux, s'y «installer » et ce faisant les faire redécouvrir. Selon la belle formule de Gilles Rousvoal « le devoir de l'artiste c'est d'étonner, de mettre le regard dans une situation nouvelle qui va lui redonner force » (2) . Ainsi la Bretagne ouvre t-elle ses chapelles aux artistes [3) ; l'Abbaye de Montbenoï, non sans humour, mais aussi pour éviter les pièges de l'art sacré, intitule son exposition estivale « Sacrées sculptures », l'Abbatiale St Philibert offre son lieu à Paul Armand Gilles … et l'on n'en finirait pas d'énumérer les initiatives qui sont autant de mains enfin tendues aux artistes qui disent souffrir de leur isolement. À contrario, les institutions laïques se montrent de plus en plus sensibles à la démarche de ces artistes en quête d'âme. Qu'est-ce à dire si ce n'est que le XXème siècle requiert de repenser à nouveaux frais ce qu'est l'artiste?

Or s'atteler à cette tâche si difficile requiert de s'interroger précisément sur le qualitatif, de «sacré» et plus profondément encore sur le type {ou plutôt cantonné) dans l'illustratif, le ludique, le narratif et le conceptuel d'expérience (religieuse) qui en est le terreau. En effet, faire du sacré un attribut contingent ou bien une condition de possibilité de l'art, c'est se prononcer de façon opposée sur l'essence de celui-ci. Dans le premier cas, c'est lui reconnaître une qualité qui en tant que telle est contingente et particulière et ne caractérise qu'une forme d'expression afférente à une foi spécifique; dans le second cas, c'est considérer le sacré comme {la ou l'une) des conditions de possibilité nécessaire {si ce n'est suffisante) et universelle de l'art originée dans une expérience fondatrice. Si l'on adopte cette seconde perspective, alors le champ du sacré s’élargit de telle sorte qu'il ne sera plus inféodé à une religion et que l'œuvre d'art, quoiqu'elle exprime et quelques moyens qu'elle emploie, ressortira au sacré comme à son principe.

Ce faisant, on reconnaît la dimension d'universalité de l'art, dès lors qu'on lui reconnaît la vertu de « prophétiser, parler de l'invisible, évoquer avec des formes, des sons et des couleurs, le méconnu, le non-dit, l’inexprimable… » (4). Or, si l'on accepte à la fois cet élargissement et ce déplacement du sacré, alors en vertu de l'émotion qu'ils véhiculent les arts dits traditionnels devraient être nommés « sacrés » lorsque consacrés au chant de la terre, ils nourrissent la spiritualité chrétienne invitée à serecueillir sur son essence, c'est à dire sur son être affecté par le monde ?

 

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Comme le souligne fortement Antonio Tapiès  “chez chacun d'entre nous, il y à un voyageur silencieux qui ne peut ni ne doit rien dire et qui va à la rencontre du sacré”. C'est la rencontre avec l'essence absolue, la beauté absolue, l'amour absolu qui ne s'exprime pas, qu'on ne peut mettre en rapport avec aucune imagerie religieuse ou intellectuelle. Si on enlève à l'art l'auréole du sacré, on enlève à l'art et à la société les potentialités transformatrices de la création » (5). Or qu'il s'agisse d'artistes croyants ou non, on retrouve chez tous cette affirmation, disons cet impératif catégorique de la relation de l'art au sacré. Ainsi Matisse écrit-il « qu'il n'y a qu'à voir l'œuvre. Invite-t-elle au recueillement et à la paix? Est-elle une élévation spirituelle? Si oui, appelez la art sacré » (6). Quant à le Corbusier, il n'hésite pas à évoquer un «espace indicible » celui que créé l'artiste pour conduire au sacré.

Par conséquent, l'expression de la foi ne fait pas le caractère sacré de l'art de même que son insertion dans un lieu sacré ou sa fonction liturgique ne sont point des caractères nécessaires et suffisants de cette qualité.

On l'a vu, Tapiès n'hésite pas à parler de façon péjorative de « l'imagerie religieuse ». Cueco, pour sa part, manifeste la plus grande méfiance à l'égard de l'arraisonnement pédagogique de l'art par l'Eglise. Art fait pour édifier, enseigner, art à finalité définie, ramenant l'art à ce qu'il n'est pas : l'information d'un concept.

Or, l'essence même de l'art c'est d'être une finalité sans fin susceptible pour cette raison de plaire universellement sans concept.  Car “la peinture est une réalité que l'on pourrait qualifier de mystique”.  Ce n'est pas un processus intellectuel » (Tapiès 1988). Et si l'on admet que ce qui prime dans la création artistique c'est la « Valeur de présence, présence vivante comme celle d'un talisman ou d'une îcone » (Tapiès 1988), alors ce sont les potentialités transformatrices de la création qui constituent le caractère sacré de l'art et celles-ci peuvent s'exercer sur quelque objet que ce soit. Ainsi serait-il fallacieux de penser que la thématique religieuse constitue une condition nécessaire et suffisante de l'art sacré car la peinture religieuse peut être considérée comme «une réalité s'ajoutant à la réalité du monde et comme telle autorisant à la considérer comme tout objet existant, comme une simple pomme de terre par exemple » (7). En conséquence, le sacré trouve son salut hors de l'Eglise à condition toutefois d'admettre que la distinction laïc-profane n'a pas lieu d'être et qu'une œuvre destinée à l'Eglise peut présenter un caractère laïc parce qu'humaine, rien qu'humaine, sans être pour autant « trop humaine » . Le caractère sacré de l'art, caractère qui serait tout à la fois son essence et sa finalité (sans fin) conduirait-il à appeler l'homme à devenir Un être humain, Un orienté, un droit-dressé, les deux pieds enfoncés dans l'humus (rappel de son humilité), le visage s'offrant au réel, à la visibilité duquel tient l’art? L'humble sujet, le matériau méprisé, le rebut de la société, tout peut ainsi, et sans doute est-ce la grande lecon de l'art du XXème siècle recouvrir son caractère sacré.

Ainsi les serpilières de François Veyrié «s'inscrivent-elles dans cette interrogation inaugurée par Picasso qui pour plastique qu'elle füt n'en exprime pas moins la sacralité du matériau sublime » (8). La matière doit être au service de la prière, de l'esprit, donc elle doit être transformée » écrit Louis Derbré (9).

 On aperçoit dès lors la possible coïncidence de l'art et de la religion lorsque l'une et l'autre oeuvrent à l'élévation de l'être, à sa reconciliation avec soi, les autres et le monde.

Que l'on qualifie celle-ci de sainte ou de sacrée, n'est-ce pas dès lors un problème de terminologie afférent à la culture dans laquelle on se situe?  Du reste, le flottement que connaît le concept (ou la notion de sacré) en témoigne car si stricto sensu on devrait n'employer que le terme « saint » et non par («sacré » en christianisme, il n'en demeure pas moins que l'on qualifie l'art d'église d'art sacré. Rappelons nous en effet que le judéo- Christianisme ôte toute sacralité à la nature en tant que créée puis donnée à l'homme par Dieu tandis que les païens conçoivent la nature comme un être divin ; de même, Dieu est-il le dieu des vivants et non des morts ; à quoi s'ajoute le fait que la Genèse a un caractère éthique et non pas Cosmogonique. Ainsi la distinction sacré-profane s'abolit-elle d'autant plus que l'incarnation bouleverse toute dichotomie en la matière.

En cela l'art est comme un écho des plus profonds à l'esprit du christianisme qui est donc en contradiction avec sa propre essence lorsqu'il distingue le sacré du profane comme le suppose l'appellation art-sacré qui ne pourrait avoir de sens que dans le cadre du sacré tel que le définit Rodoph Otto dans son ouvrage «Le Sacré » (10). Selon lui, le sacré correspond au sentiment de mystérium numinosum tremendum {un mystère numineux redoutable) que l'on éprouve face à une puissance effrayante, à un tout autre dont émane «l'horreur, la crainte, l'éclat et la fascination déchirante». Ce tout-autre, qu'il soit transcendant ou immanent, génère donc «un sentiment de l'illimité, de l'inquiétante étrangeté, de l'indescriptible requérant des symboles ou des modes d'expression mixtes et fantasmatiques » (11).

Au vu de cette définition tout droit émanée de l'analyse hantienne du sublime et relative au Sturm und Trang dont les tableaux de David Caspar Friedrich ou la poésie de Goethe sont de parfaits exemples, on se rend compte à quel point Un concept est toujours relatif à la culture qui l'a vu naître. L'art des Pères Couturier et Devallière pourrait-il se prévaloir de l'épithète de sacré si l'on s'en tenait à une définition qui conviendrait mieux aux arts africains ou aux figures des cathédrales gothiques ? Le sacré, tel que le définit OTTO, suppose en effet une partition ontologique distinguant un espace interdit, tabou et mortifere de qui l'ose approcher et corrélativement, des rites de passage

assurés par des hieroï susceptibles à la fois de préserver le monde humain des atteintes du divin mais aussi de recharger la substance d'un monde en devenir grâce aux fêtes mettant en scène les héros civilisateurs dans les mythes des origines. Dans ce cadre, l'art en tant qu'il dit le temps des ancêtres, en tant qu'il produit les récipiendaires propices à leur venue, est bien dit sacré mais est-ce en ce sens que l'Eglise parle d'art sacré? La réponse est bien sûr négative si l'on se réfère à la théologie chrétienne mais si on sort de son contexte et c'est bien pourquoi le problème se pose, les choses sont moins simples car il en va dans l'art contemporain de ce sacré tel qu'on vient de le définir.

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Lorsqu'au début du siècle, les artistes modernes découvrent l'Afrique, le choc est d'ordre non seulement plastique mais aussi et même avant tout spirituel. Picasso, le premier, lui qui se qualifiait de « sorcier », ressent toute la sacralité d'un archaïsme où se rejoignent les figures des Cyclades et le rite tauromachique, comme si en deçà des cultures préexistaient des archétypes d'immémoriale mémoire. La résonance perdure du reste dans les œuvres les plus récentes d'Arman (12) attestant que le sacré a cette capacité d'émouvoir l'artiste de telle sorte qu'il mue le temps en durée, la durée en instant et l'espace en lieu. L'art s'avère dès lors comme l'une des modalités façonnant par son poein la rencontre voilée- dévoilante de l'homme et du monde sur un mode métaphorique. En ménageant l'ouverture donnant aux choses la profondeur sur le fond de laquelle elles surgissent, l'artiste se laisse investir par ce qui le dépasse.

 Franchissant le pas qui dit à la fois le passage et la négation, l'artiste est le médium de l'apparaître de l'Etre qui sans cesse échappe à l'appréhension comme à la compréhension. Ausi l'artiste déploie-t-il les moyens du piège ek-statique en instaurant au sein du continum spatio-temporel des coupures propices à l'instauration d'un nouvel ordre du vécu, ordre unique, qui au sein de celui-ci ex-pose l'Universel humain. Car ni l'art, ni le sacré ne se satisfont du normatif, du général, de l'anonyme, toute expérience du sacré est une histoire de rencontre ef en cela, elle est singulière, unique, individuelle, instantanée. AU “on’ fagocytant du quotidien, l'art substitue la personne présente en son épaisseur, sa solennité, son mystère.

Ainsi quelqu'abstrait qu'il puisse être, l'art ne fait qu'approcher le réel, non pas celui de la visibilité mais celui vers lequel on va, celui qui précisément ne peut s'ex-primer qu'au moyen de formes du sacré où comme le dit Ricoeur de symboles qui donnent à penser. C'est dire à quel point l'art en tant qu'il s'exprime au moyen du sym-bolé unit ce que l'instrumentalisation des êtres et des objets tend à désunir, les privant ainsi de leur réalité. L'œuvre d'art apparaît dès lors dans son altérité unifiante et c'est en tant que tout-autre qu'elle est sacrée et pro-voque l'homme. Son objectivité est requérante. Peu importe que l'art s'exprime alors dans quelque lieu que ce soit car ce n'est ni le lieu, ni sa thématique, ni les discours tenus sur elle qui feront éprouver face à une œuvre le sentiment de son évidente véracité, véracité non pas émanée de l'artiste mais de ce qu'il mani-feste de sa main d'homme du commun à l'ouvrage.

Cependant et en dépit des dénégations de l'artiste, l'opinion publique opère une dichotomie entre art sacré et profane, l'un trouvant sa place {mais non son lieu) à l'Eglise qui le voue à la liturgie, l'autre situé dans les musées. Mais le musée n'est-il pas le lieu d'accueil et le gardien de nos trésors les plus sacrés (que l'on songe à la mise en scène du Cartoon de Léonard de Vinci à la National Galery)? A contrario, les églises et chapelles accueillent les artistes qui les investissent en toute liberté brouillant de la sorte les traditionnelles limites. De même qu'on ne peut donc assigner à l'art sacré un lieu écclésial et une thématique religieuse, de même ne peut-on priver l'art dit profane de sa qualité de sacralité et ce problème se pose encore plus fortement dans le contexte de la modernité que l'on dit désacralisée, désenchantée (13), matérialiste et dont l'éthique se bornant au carpe diem aurait substitué l'avoir à l'être. Dans ces conditions et si l'on présuppose que l'art est tributaire de son contexte, alors l'art séculier ne pourrait avoir aucune dimension sacrée. Par voie de conséquence l'art sacré, confondu avec l'art d'église, ne pourrait s'exprimer dans les formes de l'esthétique moderne. Force est cependant de constater que le fossé que tente de franchir l'Eglise ne trouve pas suffisamment de soutien dans un public qui lui reproche paradoxalement son conservatisme.

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Qu'est-ce à dire si ce n'est que la rencontre avec l'art exige une attitude analogue à celle de l'accueil de l'étranger. Savoir accueillir l'autre n'est- ce pas une des qualités primordiales de tout homme de foi? Mais pour ce faire encore faut-il franchir l'obstacle épistémologique qui mue le besoin en connaissance.

  Or, tant que le besoin de ramener l'autre au même détermine le regard celui-ci se contente de garder alors que c'est au lacher prise que convie l'artiste. Face aux séries d'Andy Warhol, consacrées à Maryline Monroe ou à Elisabeth Taylor, on peut annoncer la mort de l'art, le dessèchement de l'inspiration ruinée par la répétition, l'usage de méthodes sans rapport avec l'art mais a contrario, Un regard accueillant et renseigné ne manquera pas d'être sensible à l'hommage rendu à ces visages dont la répétition variée dit le mystère et la sainte douleur. On pourrait démultiplier les exemples qui tous témoignent de la vertu transgressive de l'art qui fait fi de quelque dé-finition que ce soit. De même, le carré blanc sur fond blanc de Malevitch n'est-il pas la forme la plus apurée qui soit dans une quête de l'essentiel où les formesélémentaires de l'être se font signes du sacré?

 

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Observons le fameux « Boogie Wogie » de Mondtrian, lui qui espérait que l'art pourrait apporter la paix dans le monde. On peut y voir le produit d'une recherche plastique ayant conduit l'artiste à l'abstraction géométrique ou encore le compromis entre les exigences d'une éthique protestante et les aspirations de l'artiste mais qui ne sera frappé par les analogies avec certains tapis de prières musulmanes d'origine iranienne (14). C'est dire à quel point l'abstraction peut être l'expression même du sacré et donc une chance pour l'information d'un art en quête d'âme. Mais encore faut-il être sensible à ces recherches ; or, il est commun (tout autant que préjudiciable) d'admettre qu'en art (tout comme en politique) chacun est susceptible d'un jugement naturellement éclairé.

-Mais suffit-il d'émettre un jugement de goût pour décider de ce qu'est une œuvre, n'est-ce pas là confondre l'être et la représentation Suffit-il qu'un objet me plaise pour avoir du sens ou qu'il me déplaise pour être laid ? Quelle prétention de juger voire oser condamner (ce qui n'est justement pas la fonction du jugement) ce qui me dérange, m'inquiète, m’altère?  Dans cette mesure, c'est d'abord à un travail sur soi, générateur d'une conversion du regard que convie l'art comme en echo à ce qu'exige tout acte de foi.

L'art moderne en tant que susceptible d'ex-primer la dimension sacrée de l'être au monde ne serait-il pas ainsi une chance pour le fidèle dont la quête spirituelle exige le travail du négatif, le pas en avant qui est passage vers Celui qu'on ne figure pas.

Franchir le pas vers l'ignorance, le doute, l'hésitation afin de cheminer dans les arcanes du hasard dont l'art se fait, telle est la voie offerte par les conquérants de l'inutile que sont les artistes. Ceux-ci jalonnent l'univers de signes afin d'en faire notre monde, afin d'opérer le retour de la matière étendue à la nature, en un naître dont le principe vital relie l'homme au transcendant qui est, en fait, l'immanent même. Dans cette perspective, on comprendra pourquoi des signes aussi éloignés de notre culture que les Inouksouk, âmes de pierres que l'on rencontre dans la zone arctique du Canada puissent avoir un caractère sacré. A leur vue, Taro Okamoto dit ressentir («Un sentiment mystique, le pressentiment de quelque chose qui m'oppresse, probablement celui de la confrontation avec ce qui est primordial » (15). Qu'est-ce à dire, si ce n'est qu'il y a là un je-ne-sais-quoi qui introduit dans les arcanes d'une ancestrale mémoire revenue à la surface de la conscience.

Or ce qui justement fait le caractère sacré de la pierre, c'est son pouvoir d'évocation. La pierre, dont l'origine inconnue, dont l'ambivalence (produit de la nature ou œuvre de l'homme) font qu'on lui confère des pouvoirs et Un sens à l'origine de pratiques religieuses. Ambiguité de ce qui ne_ ressort ni à l'œuvre d'art si on la définit par des critères esthétiques, ni à une expression religieuse spécifique et pourtant … Pourtant, il y a là un dit dont le dire nous échappe tout en en portant la trace. En témoignent par exemple les œuvres de Yilmaz qui élève des entassements de pierres plates face au lac de Montbel ou bien celles de Buey dont les troncs recreusés s'inspirent de rites funéraires païens (16). Là se conjuguent le hasard de la rencontre d'une œuvre et d'un lieu, hommage au chant du monde sous la forme de la transfiguration du banal rendu à son unicité et à sa véracité.

Face à l'expérience de l'être, la question de savoir si l'art sacré se reconnaît à l'expression d'une foi, à une thématique propre, à une fonction spécifique, s'estompe progressivement pour devenir faux problème. C'est pourquoi il faut prononcer un non-lieu pour l'art qui ne se reconnaît à nul lieu ni ne prétend à rien. Sa seule proposition est celle d'une pro-vocation à une ex-istence qui ex-cède le vivre afin qu'à la sécurité du voir ne soit pas sacrifiée la liberté du regarder. Rien n'est plus ennuyeux que d'être pris en charge écrit F. Bacon, qui ajoute « Je pense que si les gens ont cette attitude envers la vie, cela tronque … l'instinct créateur» (17). La sécurité serait Une perversion de la vie à laquelle l'artiste opposerait le des-espoir requis à l'expérience du Tout-autre.

Du reste, n'est-ce pas plutôt la liberté qui confère la sécurité dont en définitive toute imagerie conventionnelle nous prive en nous aliénant à l'idéologie dominante? Le sacré se signale donc par son caractère irruptif puisque tout à la fois il fait ir-ruption dans la vie et suscite une rupture radicale, brûlante, déchirante, isolante aussi, de cet isolement que figurent les icônes baconiennes (18). À les regarder, on pressent toute la difficulté que l'artiste rencontre à informer ce qui ne peut s'arranger de l'immobilité car si l'on admet qu'est sacré l'élan vital qui nous fait être, alors c'est en figures de mouvement, de devenir, de palpitations infinitésimales qu'il s'agit de l'é-voquer sous la forme de l'esquisse, de la trace, de l'empreinte analogue à la voix de fin silence qui murmure à l'oreille d'Elie. La trace ouvre tout le champ de l'énigme qui en théologieprend le nom d'apophatisme.

«L'art est sacré, écrit J. Luc NANCY, non parce qu'il est service d'une Culfure mais parce qu'il manifeste le retrait de la splendeur divine, l'invisibiité de sa manifestation, l'inapparence de son exposition (19) » car il fait prendre conscience à l'homme qu'il est lui-même un être sacré. Et ceci est encore peut-être plus vrai de l'art moderne qui comme le souligne PAULHAN « est hanté par le sens du sacré de telle sorte que grâce aux tableaux modernes, nous saurions enfin ce que c'est que le sacré » (20)

En tant que créateur de mondes possibles, l'artiste offre donc une visibilité au sens en le rendant effectif, c’est pourquoi il propose l'espace d'une interrogation sur ce que nous avons à devenir pour être. Et c'est dans l'intimité de ce plus intérieur à moi-même que moi-même que s'éprouve le sentiment du sacré, que suscite l'œuvre d'art. Ainsi, celle-ci est-elle d'essence religieuse dès lors qu'on revient à l'origine du religieux qui consiste fout à la fois à lier aux dieux, à unir et à joindre, mais aussi à recueillir par les yeux et les oreilles. En renouant les liens désunis de l'homme à sa propre transcendance grâce au recueil de ce dont il est l'oublieux dépositaire, l'art œuvre (dans) le sacré sans pour autant ressortir à quelque religion que ce soit.

Elargissons le propos comme y invite du reste l'art moderne qui élaborant la notion de spectacle total tend à conjoindre les arts dans un climat de culte du corps, de la couleur du primivitiime, du jeu et de la fête rituels. QU'on songe aux happening qui cristallisent dans un instant privilégié et nécessairement éphémère la rencontre unique en deca de toute représentation codifiée à l'instar de ce théatre sacré prôné par A. ARTAUD. On est aux antipodes de ce qu'un public bien pensant définit comme art sacré mais à refuser l'expérience des limites, ne renonce-t-on pas à la folie de la Croix ? Du reste, l'Eglise ne s'y trompe pas qui, peut- être alertée par l'essoufflement de la foi et la dégradation de l'imagerie pieuse se tourne vers l'art comme si celui-ci était susceptible, face au nihilisme grandissant, d'incarner un sacré renaissant          {“ 2000 ans déjà et pas un dieu nouveau» déplorait NIETZSCHE”) en élaborant une nouvelle formule plastique en adéquation avec l'expression moderne du sentimentreligieux.

L'art serait-il donc plus à même de générer chez le spectateur un état de réceptivité, de lui ouvrir la perspective d'un véritable universalisme, d'induire des dialogues insoupçonnés et des rencontres invitant à l'accueil comme en témoigne l'heureusement scandaleux (mais pour qui ?} Palais de Tokyo ? Si l'on accepte là encore cette hypothèse, on sera au plus près de la connivence, voire de la communion de l'art et du sacré. L'art sera en effet sacré s'il célèbre et s'il ouvre les yeux de ceux qui ne voient pas

OU, du moins, ne voient dans l'image que l'objet de dévotion et non le “ miroir d'une vérité poétique (21). Et les artistes de faire chorus, ainsi JEANCLOS confie-t-il à Louis LADAY « Aujourd'hui, le problème est d'avoir un langage à la hauteur du sacré et auquel l'homme, tout homme, puisse avoir accès … Il ne faut pas qu'il y ait rupture ; mais, au contraire, il faut que l'homme aide le spectateur à aller plus loin dans sa demarche spirituelle, même si au départ elle n'est que curiosité ». (22)

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Ajoutons à cela qu'une telle entreprise n'est possible que si l'artiste est lui même habité par cette présence qu'il veut transmettre, présence à soi et au-monde, présence en tant que conscience attentive, présence de l'autre qui se veut manifester. Récipidendaire d'un prae-esse, d'un être- en-avant, l'artiste est comme « Un canal par lequel une force supérieure et pure atteint le spectateur ou l'auditeur » (23).

Mais encore faut-il vouloir la vérité, car à celle-ci on peut préférer, pareils aux prisonniers de la caverne platonicienne, l'illusion, l'image fallacieuse qui n'est qu'un simulacre flatteur manipulé par d'habiles sophistes qui en abêtissant le public le réduit à un troupeau de mineurs dont ils resteront les aimables tuteurs. Comme l'écrit Geneviève ASSE « Les gens regardent la peinture avec ce qu'ils ont en eux. Si la toile est bonne, elle fera son travail, elle suscitera une invitation à entrer, une promenade intérieure. On y trouvera aussi sa nourriture. Certains voient et certains ne verront jamais (24). Condamnation rédhibitoire ou invitation à voir le voir .

Cette longue réflexion nous aura au moins conduit à Une conviction, celle  que l'art qu'il soit ou non moderne, témoigne tout à la fois de la capacité du religieux à se révéler et réciproquement de l'enracinement du poïen dans le mystère de l'Origine, et de la sacralité du geste artiste dans la mesure OÙ il est instaurateur de nouvelles valeurs extramorales, Surhumaines, vitales, permettant à l'humanité d'affronter ce qui la dépasse. Sur cette voie, art et religion se rencontreront parfois, ou pas, peu importe. Toutefois cette interpellation réciproque requiert que l'un et l'autre acceptent de prendre conscience de leur orientation mystique en deçà des partitions historiques elles-mêmes entées sur le primat du théorétique. C'est donc à l'a-priori religieux, selon la formule de Troeltsch, c'est à dire à l'immédiateté de la vie religieuse qu'il s'agit de faire droit pour reconnaître que la dichotomie du sacré et du profane n'a pas lieu d'être.

L'accepter, c'est reconnaître que notre siècle est animé par une quête religieuse et que l'art actuel est en recherche d'âme, recherche définie comme geste de contemplation « sens et goût de l'infini » (25) plus exactement comme «relation intentionnelle de tout vécu particulier à untout infini ».

 Finalement, la question du sacré conduit à une interrogation sur l'être. 

Qui suis-je pour être suceptible d'éprouver face à une œuvre qu'il en va de mon être? Je suis un être-fait pour l'affect grâce auquel je puis être ouvert à la valeur.  Et c'est dans la mesure où le sujet se définit par cette structure d'ouverture et d'appel qu'il peut devenir ce qu'il est en étant-par-un-autre.

Or, c'est en raison de cette structure originaire découverte par la phénoménologie que l'essence du sujet religieux est dévoilée grâce à l'art qui contribue à dire l'être de multiples façons.

 

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 En guise de viatique

 

Pour notre part, parce qu'un cheminement n'a pas de terme, ces réflexions ne peuvent s'assortir d'aucune conclusion, aussi est-ce un viatique que nous offrons pour que sur cette voie quelques signes nous accompagnent afin, comme Juan Gris, de regarder les mandolines de Braque comme des Madones.

 

BAZAINE : « Peu importe en définitive qu'une peinture soit figurative ou non Car seules importent les vraies formes internes qui montrent les choses » (in Sagesse de l'art. Méridiens Klinksieck 1987)

 

L. ZACK : L'art en lui-même est d'ordre spirituel ou sacré. Que le peintre soit un contemplatif, que sa foi de nature métaphysique où mystique lui ait tenu la main, qu'elle ait poussé son bras … peu nous chaut … Si un fluide passe de l'exécutant à la toile, de la toile à l'œil puis à l'esprit du spectateur, c'est par surcroît … C'est à ce supplément d'âme que se reconnaît alors une œuvre sur laquelle souffle l'esprit (Léon Zack, J.M.Dunoyer, Edition la Différence)

 

P. FEDIDA : «Du moins dans le silence, s'il écoute, tend à se faire le matériau interlocuteur de l'image et à rendre à la parole son obscurité. Cette obscurité est celle d'une ilisibiité de la mémoire ». («Le souffleindistinct de l'image » 1993).

 

 

 « Le visible est caché dans l'invisible la lumière dans le noir

le vert dans le rouge

le rouge dans le vert

Je vais vers l'invisible pour voir

Vers le sombre pour trouver la lumière ».

A. HOLLAN

 

 

 

ANASTASIA  SOLANGE CHOPPLET

Professeur de philosophie et conférencière

 

 

  

 

 

(1)Zodiaque n° 4 Henri Cueco

(2)      Zodiaque op. cité p 5

(3)      L'Art dans les Chapelles — Expositions estivales à Pluméliau

(4)      Zodiaque op. cité p 17 Citation de Micheline Tenace in La bellezza Unita Spirituale)

(5)      A. Tapiès - propos recueillis lors de l'exposition « La peinture au corps à corps » - juillet 2002 Musée Picasso Antibes

(6)      Figaro littéraire 1er septembre 1954

(7)      Cueci in Zodiaque op.cité p49

(8)      Basc 2002

(9)      Zodiaque op. cite p52

(10) Le Sacré Payot, Paris 1940

(11) Walter F. OTTO cite in Maldiney « L'art, l'éclair de l'être » 1993

(12) Exposition 2002 « Africarmania » Galerie Beaubourg - Vence

(13) Notons à ce propos l'exposition en septembre 2002 à Paris intitulée le « Réenchantement du monde »

(14) Titus Buckhardt « L'Art de l'Islam » 1985

 

(15) Taro Okamoto : L'esthétique et le sacré Seghers 1976

(16) Sites de la Préhistoire. Cat' Art. La Forge St Colombe sur l'Hers

 (17) (18) Voir le Triptyque d'août 1972, détail panneau gauche F. BACON

(19) J.L. NANCY, Des lieux divins

(20) PAULHAN, Vers l'espace brut

(21) Michel Vauthrinin Bazaine et l'art sacré, Vitraux MAEGAHT ; 26 juin 1985

(22) Chroniques d’Art Sacré n°17, 1989

(23) Hossein Kazami, In peinture et spiritualité, Noesis 2002, page 85

(24) G Asse Entretien avec D Morel Musée d’Art Moderne de Paris 1988

(25) Heidegger « Traité des catégories et de la signification chez Duns Scot »

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